Yves Gastebled (Demandeur)
c.
Joseph Stuyck et Paul Malhame (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Walsh—
Montréal, le l er octobre; Ottawa, le 5 novembre
1973.
Marques de commerce—Concurrence déloyale—Domma-
ges-intérêts—Aucun dommage réel—Dommages généraux
suffisants—Décision de l'arbitre—Appel.
Les défendeurs ont été enjoints de cesser d'exploiter un
restaurant à Montréal sous le nom «Le Petit Navire» près du
restaurant du demandeur «Le Petit Havre». L'arbitre a
accordé $300 de dommages-intérêts en l'absence de preuve
de dommages réels.
Arrêt: en appel, la décision de l'arbitre fut jugée
appropriée.
EXAMEN de l'indemnité.
AVOCATS:
Pierre Lamontagne pour le demandeur.
Robert Loulou pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Laing, Weldon et Courtois & Co., Mont-
réal, pour le demandeur.
R. Loulou, Montréal, pour les défendeurs.
LE JUGE WALSH—Cette affaire m'a été sou-
mise par suite d'un appel interjeté, en vertu de
la Règle 506 des règles de cette Cour, du rap
port de l'honorable juge suppléant Jean St-Ger-
main, agissant à titre d'arbitre dûment nommé
pour fixer le montant des dommages-intérêts
que les défendeurs devront verser au deman-
deur conformément au jugement de M. le juge
Pratte du 26 janvier 1973. Ledit jugement enjoi-
gnait les défendeurs de cesser d'exploiter aux
numéros 427, 429 et 437 de la rue St-Vincent à
Montréal un restaurant connu sous le nom «Le
Petit Navire» ou «Petit Navire». Dans son rap
port, l'arbitre a fixé les dommages-intérêts
nominaux à verser au demandeur à la somme de
$300. L'appel se fonde sur la prétention que
l'arbitre aurait dû accorder, en plus des domma-
ges-intérêts nominaux, des dommages-intérêts
généraux ou exemplaires et en outre qu'au cours
de sa plaidoirie devant l'arbitre, l'avocat du
demandeur n'a pas déclaré que ce dernier ne
pouvait réclamer que des dommages-intérêts
nominaux mais qu'au contraire, il a précisément
fait valoir que le demandeur avait droit à des
dommages-intérêts généraux et exemplaires. La
décision de l'arbitre contient cette déclaration:
D'autre part, le procureur du demandeur a déclaré lors de
son argument que vu la preuve faite, son client ne pouvait
avoir droit qu'à des dommages nominaux.
Ce passage suit une phrase mentionnant le fait
que le demandeur, entendu comme témoin, a
admis qu'il ne pouvait établir de dommages-inté-
rêts spécifiques découlant de l'exploitation par
les défendeurs d'un restaurant près du sien, «Le
Petit Havre».
Le demandeur soutient que, bien qu'il n'ait pu
établir de dommages-intérêts spécifiques, il
n'est pas restreint aux dommages-intérêts nomi-
naux mais qu'il a aussi droit à des dommages
exemplaires qui entrent dans la catégorie des
dommages généraux. Sans aucun doute, la juris
prudence le permet. Mais une analyse de la
doctrine et des arrêts qu'on m'a cités confirme
que le tribunal a l'entière discrétion quant au
montant de tels dommages. Ainsi, Fox, dans son
ouvrage The Canadian Law of Trade Marks and
Unfair Competition, 3e éd., déclare à la page
647:
[TRADUCTION] Il n'est pas nécessaire qu'un demandeur
démontre avec précision quels sont les dommages pour
pouvoir obtenir plus que des dommages-intérêts nominaux.
A la page 649, se rapportant à un arrêt bien
connu, Bakhshi Singh c. Hall ([1940] 3 W.W.R.
481,2 Fox Pat. C. 1 à la p. 7), il déclare:
[TRADUCTION] Les difficultés soulevées par l'évaluation des
dommages-intérêts ne dégagent pas le tribunal de son obliga
tion de les évaluer du mieux possible.
Fox se réfère aussi, à la page 650, à l'arrêt
Greenglass c. Brown ((1962) 24 Fox Pat. C. 21)
comme posant le principe que le pouvoir discré-
tionnaire du tribunal lui permet notamment de
n'accorder à un demandeur qui a eu gain de
cause que des dommages nominaux. Cependant,
dans cette affaire-là, on avait établi que, bien
qu'il y eût confusion de noms, les deux entrepri-
ses en question n'étaient en réalité pas concur-
rentes, ce qui n'est pas le cas dans la présente
espèce.
Le demandeur s'est aussi référé à l'arrêt
Underwriter's Survey Bureau Limited c. Massie
& Renwick Limited [1942] R.C.É. 1, dans lequel
la somme de $5,000, accordée par l'arbitre à
titre de dommages-intérêts nominaux et exem-
plaires, a été portée à $10,000 lors de l'appel à
cette Cour, à titre de dommages-intérêts exem-
plaires. A la page 4, ce jugement soulignait que
la défenderesse avait violé les droits d'auteur
[TRADUCTION] «..., pendant un grand nombre
d'années, délibérément, avec persistance et avec
une dissimulation préméditée ...». Il soulignait
aussi à la page 5 le fait que [TRADUCTION] «.. .
la gestion des affaires des demanderesses a été
considérablement compliquée du fait de ce
litige, qui a duré fort longtemps. A chaque étape
de cette action, la défenderesse a opposé une
résistance acharnée; elle n'est jamais entrée en
contact avec les demanderesses pour trouver
une solution quelconque et n'a jamais donné à
entendre, à ma connaissance, qu'elle était prête
à cesser sa violation». On m'a aussi cité l'affaire
Standard Industries Ltd. c. Rosen 14 Fox Pat.
C. 173 où, à la page 186, il est déclaré: [TRA-
DUCTION] «Mais l'impossibilité de faire la
preuve de dommages spécifiques n'empêche pas
le demandeur d'être indemnisé». Le jugement
accordait une somme de $2,000 à titre de dom-
mages-intérêts généraux, puis accordait $5,000
supplémentaires à titre de dommages-intérêts
exemplaires parce que le jugement de la Cour
avait été méprisé. Dans la présente espèce, les
défendeurs se sont conformés à l'injonction et,
en fait, selon leur avocat, ils ont enlevé l'ensei-
gne en infraction avant que l'injonction n'entre
effectivement en vigueur, bien qu'ils aient inter-
jeté un appel, dont ils se sont désistés par la
suite. Bien qu'il soit exact qu'environ quatre
mois après le jugement accordant l'injonction, le
demandeur ait présenté une requête d'incarcéra-
tion des défendeurs pour avoir omis de s'y
conformer, le jugement relatif à cette requête
porte que:
Comme il semble que les défendeurs se soient substantielle-
ment conformés à l'injonction prononcée par la Cour et
comme les agissements que le demandeur leur reproche
peuvent résulter d'une erreur de leur part, erreur que le
demandeur aurait pu dissiper sans avoir recours aux tribu-
naux, la Cour rejette cette requête sans frais.
On a avancé que le fait que les avocats du
demandeur aient envoyé une lettre aux défen-
deurs, avant qu'ils n'ouvrent le restaurant
appelé «Le Petit Navire», leur demandant de
choisir un autre nom pour ledit restaurant et
qu'ils ne s'y soient pas conformés, indique de la
mauvaise foi de leur part et aggrave les domma-
ges car ils ne peuvent pas dire que leur violation
était de bonne foi; on peut toutefois dire qu'il
n'y a aucune commune mesure entre ceci et
omettre de se conformer à une ordonnance de la
Cour ou à une injonction. Bien que rien n'indi-
que qu'ils aient cherché le point de vue d'un
avocat et qu'on leur ait conseillé de continuer à
utiliser ce nom sous prétexte qu'il n'entrait pas
en conflit avec celui utilisé par le demandeur,
rien ne les obligeait à cesser cette utilisation à la
seule demande du demandeur et ils avaient le
droit de la continuer jusqu'à ce qu'une décision
judiciaire les en empêche. Ils ont contesté vala-
blement et sérieusement l'action du demandeur,
comme ils ont le droit de le faire, et bien qu'ils
n'aient pas eu gain de cause, je ne crois pas
qu'en l'espèce, leur violation ait été voulue à tel
point qu'on puisse dire que leur utilisation du
nom jusqu'à ce qu'ils soient empêchés de le
faire et leur opposition à l'action du demandeur
constituent une aggravation des dommages ou
entraînent nécessairement des dommages-inté-
rêts importants à titre exemplaire ou punitif.
Bien que le demandeur ne puisse établir des
dommages spécifiques, il avait sans aucun doute
droit à des dommages-intérêts généraux. Rien
n'exige que le montant soit si faible qu'on puisse
le considérer comme couvrant simplement des
dommages-intérêts nominaux. Par ailleurs, il ne
me semble pas nécessaire qu'en l'espèce, l'élé-
ment punitif ou exemplaire dans lesdits domma-
ges-intérêts généraux soit important. Le deman-
deur a obtenu ce qu'il désirait, savoir, obliger les
défendeurs à cesser d'utiliser le nom en infrac
tion et en conflit. En plus des dommages-inté-
rêts, les dépens ont été mis à la charge des
défendeurs le 28 mai 1973; ils s'élèvent à
$1,067, somme assez importante.
Il est regrettable qu'en rédigeant son rapport,
le savant arbitre ait mentionné que l'avocat du
demandeur ait prétendûment admis, ce qu'il nie
à présent, que le demandeur ne pouvait récla-
mer que des dommages-intérêts nominaux. Tou-
tefois, même s'il n'a pas admis ce point, une
lecture de l'ensemble du rapport indique qu'on a
pris en considération toute la preuve pertinente
avant de fixer le montant des dommages-inté-
rêts à $300. On a souligné le fait que le nom
choisi par les défendeurs était en infraction non
seulement parce que le nom «Le Petit Navire»
était en conflit avec le nom du restaurant du
demandeur «Le Petit Havre», mais aussi parce
que le restaurant des défendeurs se trouvait
dans un bâtiment occupé précédemment par
celui du demandeur. On a aussi mentionné la
lettre d'avertissement envoyée par les avocats
du demandeur aux défendeurs avant qu'ils n'ou-
vrent le restaurant, leur demandant qu'ils renon-
cent à l'utilisation du nom projeté. Le rapport
conclut que, compte tenu de tous ces éléments:
... les dommages nominaux subis par le demandeur s'élè-
vent à $300.
Ici encore, il peut être regrettable qu'on ait
utilisé le terme «nominaux» si on voulait l'oppo-
ser au terme «exemplaire». Bien qu'il ait peut-
être été préférable d'utiliser les termes «domma-
ges-intérêts généraux» pour qualifier le montant
accordé, ce qui aurait englobé à la fois les
dommages-intérêts nominaux et exemplaires, je
suis porté à penser que la lecture du rapport
tend à indiquer que la somme de $300 était
adéquate, même si elle était «nominale».
A mon sens, il convient de souligner un autre
aspect de la question. En l'espèce, l'arbitre,
homme d'expérience, est un juge de la Cour
d'appel du Québec à la retraite et, bien qu'il
agisse dans cette affaire à titre d'arbitre plutôt
qu'à titre de juge, il y a un principe bien établi
qui s'applique ici: un tribunal d'appel ne doit pas
intervenir dans la décision d'un tribunal d'ins-
tance inférieure sur une question de fait seule
et, si ce tribunal a le droit d'exercer sa discré-
tion, on ne peut pas s'immiscer dans l'exercice
de cette discrétion à moins qu'il y ait eu une
erreur de droit manifeste. L'avocat du deman-
deur soutient qu'il y a effectivement eu une
erreur de droit dans la mesure où des domma-
ges-intérêts exemplaires auraient dû être accor
dés en sus des dommages-intérêts nominaux. Il
semble toutefois que la principale question sou-
mise à l'arbitre était l'évaluation des dommages-
intérêts imputables au fait que les défendeurs
ont violé les droits du demandeur; c'est en utili-
sant sa discrétion de la façon appropriée que
l'arbitre a accordé $300 même si, à tort, il a
qualifié ce montant de «nominal». La question
de savoir si, siégeant en première instance dans
cette affaire, j'aurais accordé $300, $500,
$1,000 ou même $1,500, n'est pas vraiment
pertinente. Même si l'on établissait que le
savant arbitre avait commis une erreur de droit
en évaluant ces dommages-intérêts, il faudrait,
pour annuler son rapport, conclure que par suite
de cette erreur le montant qu'il a fixé est mani-
festement inadéquat. Je ne le pense pas et, en
conséquence, je rejette l'appel et confirme le
rapport de l'arbitre; toutefois, vu les circon-
stances, je n'accorde pas de dépens relative-
ment au rejet du présent appel.
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