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Pfizer Company Limited (Appelante) c.
Le sous-ministre du Revenu national (Douanes et Accise) (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett., le juge Thurlow et le juge suppléant Choquette —Mon- tréal, le 28 novembre 1972; Ottawa, le 12 jan- vier 1973.
Douanes et accise—Preuve—Statuts—Appel—Exemption de droits de douane pour un antibiotique «et ses dérivés»— Sens de «dérivés»—La décision porte-t-elle sur une question de droit?
Agissant en vertu du pouvoir que lui confère la loi, le gouverneur en conseil, a pour une période déterminée, exempté de droits de douane les antibiotiques, à l'exception entre autres de la «tétracycline et ses dérivés». L'oxytétra- cycline et la chlortétracycline sont des antibiotiques qui possèdent une structure moléculaire semblable à celle de la tétracycline mais qui ne peuvent ni l'une ni l'autre être fabriquées à partir de cette dernière. Seuls les sels d'oxyté- tracycline sont fabriqués au Canada par l'appelante. Lors de l'audience devant la Commission du tarif, les témoignages d'experts au sujet du sens pris par le terme «dérivé» dans le domaine scientifique concerné, de même que les définitions données par les dictionnaires courants, ne se sont pas révé- lés probants; mais la Commission, après avoir consulté les ouvrages techniques, a conclu que dans le domaine des antibiotiques, le terme «dérivé» était utilisé au sens large, ce qui l'a amenée à la conclusion que ces antibiotiques étaient tous les trois visés par l'exception à l'exemption. Appel a été interjeté devant cette Cour. L'appel était limité à une ques tion de droit.
Arrêt (le juge suppléant Choquette étant dissident): Les critères appliqués par la Commission pour déterminer le sens du terme sont fondés et la détermination de ce sens par la Commission constitue une question de droit. Elle est donc susceptible d'être réformée par la Cour.
Le juge suppléant Choquette, dissident: Le terme «dérivé» figurant au décret est ambigu et il aurait donc être interprété dans le sens le plus favorable à l'appelante.
APPEL de la Commission du tarif. AVOCATS:
John Gomery et Jack Miller pour l'appelante.
S. Froomkin pour l'intimé.
PROCUREURS:
Martineau, Walker, Allison, Beaulieu, Phelan et MacKell, Montréal, pour l'appe- lante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
LE JUGE EN CHEF 7ACKETT—II s'agit d'un appel d'une décision de la Commission du tarif en vertu de la Loi sur les douanes, S.R., 1970, c. C-40.
Ces dernières années, trois produits chimi- ques ont pris une place importante parmi les substances thérapeutiques: l'oxytétracycline, la chlortétracycline et la tétracycline. La similarité des noms de ces trois médicaments vient de ce que la structure moléculaire de chacun d'entre eux est composée de quatre cycles de carbone. En pratique, chacun est obtenu sans que les autres soient utilisés comme matière première. Selon les témoignages, il est possible de prépa- rer la tétracycline à partir de la chlortétracycline mais ni la tétracycline ni l'oxytétracycline ne peuvent servir de matière première à la prépara- tion des deux autres.
Certains sels de chacun de ces produits chimi- ques ont pris de l'importance en tant que pro- duits thérapeutiques.
Les remèdes à base d'oxytétracycline entrent en concurrence avec les remèdes à base de chlortétracycline. Les sels de chlortétracycline sont produits au Canada. Ceux des deux autres produits ne le sont pas.
Ces trois substances et leurs sels sont des antibiotiques.
Dans ce contexte, le gouverneur en conseil, en vertu du pouvoir que lui confère la loi, a pris un décret portant exemption de droits de douane pour les antibiotiques sous réserve de certaines exceptions, notamment, la «Tétracy- cline et ses dérivés».
Il s'agit donc de savoir si certains sels d'oxy- tétracycline sont compris dans la catégorie «Tétracycline et ses dérivés» et s'ils sont, par suite, exempts des droits de douane.
Il est admis de part et d'autre que les sels en question sont des dérivés de l'oxytétracycline.
Si l'on suppose que le terme «dérivé» est employé dans son sens courant, il me semble que, dans ce contexte, il désigne une substance produite à partir d'une autre (dérivée d'une autre), directement ou indirectement. Dans cette affaire, une telle interprétation aurait pour effet
de ne protéger les fabricants canadiens de chlor - tétracycline et de sels de chlortétracycline que contre les importations de sels de tétracycline. Ils ne seraient pas protégés non seulement contre l'importation d'oxytétracycline ou de ses sels mais encore contre l'importation de chlorté- tracycline ou de ses sels.
Il semble peu probable que l'on ait voulu protéger le fabricant de chlortétracycline contre la tétracycline et ses sels sans le faire contre la chlortétracycline et ses sels. Cependant, si tel est le sens véritable des mots employés, on doit les interpréter dans ce sens, quelque invraisem- blable que l'intention du législateur puisse sembler.
Devant la Commission du tarif, des preuves ont été déposées aux fins d'établir le sens du terme «dérivé» dans le domaine de la science qui porte sur ces substances. La Commission a résumé ces preuves dans sa décision. Vu qu'au- cune des parties n'a mis en doute l'exactitude de ce résumé, je tiens pour acquis qu'il expose la preuve sur ce point à la satisfaction des parties.
Les témoins de l'appelante sont respective- ment ingénieur chimiste et chimiste. Leur posi tion est que «... le terme «dérivé» suppose que la substance dérive d'une autre substance. Il faut que se produise une transformation biochi- mique ou tout au moins chimique ... pour que l'on puisse parler de transformation d'une sub stance en son dérivé.»
L'un des témoins de l'intimé est un spécialiste en chimie médicale organique. A son avis, la méthode de préparation est sans importance. La Commission semble toutefois avoir considéré qu'il n'a exprimé aucune opinion sur le sens du mot «dérivé» dans ce contexte. Selon la Com mission, le témoin a déclaré que «... si la struc ture chimique d'un composé établit qu'il est bien un dérivé d'un autre composé il importe peu de savoir si ce dérivé a été produit par un orga- nisme vivant ou s'il a été produit synthétique- ment», et que, à son avis, «il faut faire une distinction entre «derived frorn» (dérivé de) et «a derivative of» (un dérivé de): il s'agit dans le premier cas d'une source de production et dans
le second d'une substance liée étroitement à une structure chimique déterminée». Le deuxième témoin de l'intimé est médecin vétérinaire. D'a- près lui, un dérivé est, au sens usuel «une sub stance appartenant à une catégorie de substan ces reliées par une structure semblable». Pour désigner la production d'une substance à partir d'une source, ce témoin préfère l'expression «derived from» (dérivé de) à l'expression «deri- vative of» (un dérivé de), cette dernière se rap- portant selon lui «à une réaction, une structure et une utilisation similaires et non à une source ou origine».
La Commission a apparemment considéré qu'elle ne pouvait tirer aucune conclusion des témoignages des experts en ce qui concerne le sens du terme «dérivé» employé dans le décret et a décidé de résoudre le problème en litige en s'en rapportant aux définitions des dictionnaires de langue générale ainsi qu'à celles des diction- naires et ouvrages techniques.
Il est utile de souligner que de nombreux dictionnaires de langue générale cités par la Commission donnent une ou plusieurs défini- tions du terme «dérivé» pris dans le sens qu'il revêt en chimie. L'une de ces définitions techni ques est l'application du sens usuel du terme à ce domaine particulier, comme c'est le cas dans l'Oxford English Dictionary «. . . [TRADUC- TION] 5. Chim. Substance produite à partir d'une autre, par exemple, par substitution partielle.» D'autre part, il existe une définition probable- ment plus large et différemment exprimée: la définition du Webster's Third New International Dictionary en constitue un exemple:
[TRADUCTION] 4a: une substance chimique dont la struc ture est tellement semblable à celle d'une autre substance qu'elle pourrait théoriquement être obtenue à partir de celle-ci même s'il n'est pas possible de le faire en prati- que....
Certains dictionnaires techniques donnent des définitions légèrement différentes, par exemple: [TRADUCTION] «ressemblance théorique entre les structures moléculaires de composés organi- ques semblables» (Hackh's), et [TRADUCTION] «en chimie organique, un composé est considéré comme le dérivé d'un hydrocarbure donné lors- qu'il contient le même nombre d'atomes de car- bone et que ceux-ci sont disposés de la même façon» (Stewart).
Après un examen de ces définitions, la Com mission conclut qu'il ressort nettement qu'en chimie de même que dans les domaines con- nexes le terme «dérivé» est pris parfois dans son sens large et parfois dans son sens restreint et que «chacune de ces significations peut con- venir lorsque le mot est employé dans son con- texte approprié».
Toutefois, la Commission a ensuite analysé l'emploi du terme «dérivé» dans les ouvrages techniques sur les antibiotiques, la médecine et la science vétérinaire traitant des «tétracycli- nes», terme qui comprend de toute évidence les trois produits en question ainsi que leurs sels, ainsi que les témoignages des experts de la médecine, de la chimie et de la science vétéri- naire, et elle a conclu que «le sens large attribué au mot «dérivé» (derivative) est celui qui est conforme à l'usage et aux opinions courantes dans le domaine des antibiotiques», et que «vouloir ne lui donner que le sens restrictif serait contraire à cet usage et à ces opinions».
En conséquence, la Commission a jugé que l'oxytétracycline était un dérivé de la tétracy- cline, selon les termes mêmes du décret.
En droit, le principe général est qu'il y a lieu d'interpréter les textes de lois ou les décrets ayant force de loi, en donnant aux termes leur sens ordinaire et usuel dans le contexte' que le sens des mots est une question de droit qui doit être tranchée par la Cour à l'aide de dictionnai- res ou d'autres moyens légitimes d'interpréta- tion? Toutefois, lorsque la Cour conclut qu'un terme donné a été ainsi employé dans le sens que lui donne le jargon ou la langue familière d'une région donnée, d'une certaine partie de la population, d'un secteur de l'industrie ou d'un domaine particulier, il doit être interprété dans ce sens.' En pareil cas, la Cour peut, aux fins de déterminer le sens de ce mot entendre les témoi- gnages de personnes connaissant l'emploi parti- culier du terme dans ce contexte précis et dans ce cas, ce terme devient une question de fait.' Il semble cependant que lorsque la Cour connaît suffisamment le sens des termes elle peut en prendre connaissance d'office,' les témoignages sont inutiles et le sens du terme devient une question de droit.
La question de savoir, dans un cas particulier, si le sens du terme est une question de droit ou une question de fait peut ne pas avoir beaucoup d'importance lorsque la Cour qui entend l'af- faire est compétente à la fois sur les questions de droit et sur les questions de fait. Tel était le cas de la Commission du tarif dans cette affaire.
Par contre devant la présente Cour ce pro- blème prend une importance considérable puis- que cette Cour peut examiner la décision de la Commission sur une question de droit mais ne peut pas le faire sur une question de fait.
A mon avis, la Commission n'a pas tiré de la preuve une conclusion de fait portant que ce terme revêtait un sens généralement accepté dans l'industrie des antibiotiques, en médecine et en science vétérinaire et portant que ce sens était suffisamment large pour faire de l'oxyté- tracycline un «dérivé» de la tétracycline. La Commission n'a pas expressément indiqué qu'elle statuait sur une question de fait. D'autre part, si la Commission a considéré cette ques tion comme une question de fait, nous aboutis- sons à une situation assez paradoxale, savoir qu'une partie importante des éléments de preuve sur lesquels est fondée la décision n'a pas été mise en preuve à l'audience de sorte que l'appelante n'a pas eu l'occasion de les contes- ter. 6 [Je doute fort que des ouvrages de réfé- rence soient admissibles en preuve aux fins d'établir comme question de fait le sens d'un terme dans un domaine spécialisé, à moins que des experts viennent témoigner que ces ouvra- ges de référence sont représentatifs d'un emploi généralement reconnu d'un terme dans un sens autre que son sens usuel.]
A mon avis, la Commission a agi comme tout autre tribunal aurait agi dans les mêmes circon- stances. En l'absence de preuve lui permettant de tirer une conclusion de fait sur la reconnais sance générale de l'emploi d'un terme dans un domaine particulier, dans un sens particulier autre que le sens usuel, elle a dû, en s'appuyant sur les faits mis en preuve, considérer comme une question de droit la question du sens qu'il y avait lieu de donner à ce mot dans le contexte d'un décret portant sur cette catégorie de pro- duits chimiques que sont les antibiotiques.' A cette fin, elle s'est reportée aux dictionnaires de
langue générale comme l'aurait fait n'importe quel autre tribunal. Elle s'est aussi reportée à l'usage que l'on fait du terme dans les ouvrages spécialisées, ce qu'elle était fondée de faire vu qu'elle était compétente pour établir cet usage.'
Je suis convaincu que, dans ce contexte il était tout à fait approprié de déterminer le sens du terme employé en se fondant sur le sens qu'on donne à ce terme dans le domaine des antibiotiques.
Je suis moins certain que les tribunaux doi- vent faire appel à des ouvrages techniques comme moyen d'interprétation, vu qu'ils sont composés de membres qui ne sont pas des spé- cialistes. Il faut toutefois rappeler ici que la Commission du tarif est un tribunal créé spécia- lement, entre autres choses, pour interpréter les termes utilisés dans le Tarif des douanes et je suis d'avis que l'on doit lui reconnaître le pou- voir d'utiliser des ouvrages techniques pour déterminer le sens des mots employés dans un sens technique lorsqu'elle estime avoir compé- tence pour le faire . 9 En outre, lorsque la Com mission a décidé de le faire, bien que la décision qu'elle rend soit une question de droit que la Cour fédérale a le pouvoir d'examiner, je suis d'avis que cette Cour ne doit intervenir et sub- stituer sa propre décision à celle de la Commis sion que dans la mesure la décision de cette dernière n'est pas raisonnable eu égard aux moyens d'interprétation dont elle disposait.
A mon avis, la Commission pouvait régulière- ment rendre la décision qu'elle a rendue sur la question en cause et je suis d'avis que l'appel doit être rejeté.
* * *
LE JUGE THURLOW—La question soulevée dans cet appel est celle de savoir si la Commis sion du tarif a commis une erreur de droit en considérant que trois produits importés par l'ap- pelante et connus dans le commerce sous les noms qui suivent,
Sel quaternaire de terramycine TM 200; Chlorhydrate de terramycine non stérile; et Diterramycine micronisée non stérile
entrent dans la catégorie définie par l'expression «tétracycline et ses dérivés» figurant au tableau A du décret sur la réduction du tarif des pro- duits chimiques et des plastiques C.P. 1968- 2334. Ce décret a été pris en application de ce qui est devenu l'article 12 du Tarif des douanes qui donne au gouverneur en conseil le pouvoir de réduire ou supprimer un droit d'entrée exis- tant en établissant une liste de numéros tarifai- res. Celle qui nous occupe contient entre autres le numéro tarifaire 92944-1 portant sur les antibiotiques.
Ce décret a institué une franchise douanière allant du l et janvier 1969 au 31 janvier 1973 pour les articles visés par le numéro tarifaire 92944-1 à l'exception de:
La pénicilline et ses dérivés, à l'exclusion de la pénicilline brute et de la pénicilline semi -synthétique;
et la tétracycline et ses dérivés.
L'erreur de droit dont l'appelante cherche à se prévaloir est que la Commission du tarif a interprété l'expression citée dans un sens tech nique comme devant s'appliquer au produit chi- mique précis connu sous le nom de tétracycline ainsi qu'à tous les produits chimiques pouvant théoriquement en être tirés ou étant étroitement apparentés à ce produit ou contenant le même nombre d'atomes de carbone disposés dans un ordre similaire même si, dans l'état actuel des connaissances, ces produits ne peuvent pas être préparés ou fabriqués à partir de la tétracycline, plutôt que de lui donner le sens usuel qu'il reçoit dans le commerce. Dans ce dernier cas, ce terme comprend l'antibiotique connu sous le nom de tétracycline ainsi que les différentes formes sous lesquelles elle peut être commercia lisée ou produite de même que les autres anti- biotiques de la catégorie tétracyclines et les différents produits pouvant en être dérivés.
Les trois produits importés par l'appelante sont essentiellement de l'oxytétracycline (le terme «terramycine» étant l'appellation com- merciale donnée par l'appelante à ce produit), leur formule moléculaire et leur structure ne différant de la tétracycline qu'en ce qu'un radi cal hydroxyle (OH) est remplacé par un atome d'hydrogène (H) dans la position 5 des structu res moléculaires de la tétracycline et de l'oxyté- tracycline telles qu'elles sont représentées aux
pièces A-9 et A-12. L'oxytétracycline n'est pas en fait produite à partir de la tétracycline et il n'existe actuellement aucun moyen de le faire. Elle est extraite du bouillon de culture résultant d'un processus de fermentation mettant en jeu un micro-organisme connu sous le nom de strep- tomyces rimosus. Par conséquent, selon l'inter- prétation de l'appelante, l'oxytétracycline n'en- tre pas dans la catégorie visée par la loi. Selon elle, les seuls produits vendus dans le commerce auxquels elle pourrait actuellement s'appliquer sont le chlorhydrate et le phosphate de tétracycline.
Lors de l'audience devant la Commission du tarif, quatre dépositions ont été enregistrées et résumées dans la décision de la Commission. Deux des témoins requis par l'appelante se sont accordés pour dire que l'oxytétracycline n'était pas un «derivative» (dérivé) de la tétracycline. Les deux autres, témoins de l'intimé, ont exprimé un avis contraire. Au cours de ces témoignages certaines pièces ont été produites, notamment les pièces R-1 et R-4. Sur la base de ces témoignages la Commission a conclu que:
On voit bien par ce résumé que les connaissances techni ques des témoins experts en ce domaine ésotérique sont caractérisées par le conflit plutôt que par l'unanimité, ce qui rend le problème encore plus complexe que le non-initié aurait cru possible.
Pour résoudre cette question, il faut donc cerner la défini- tion des termes généraux et des termes techniques.
La Commission a alors entrepris de relever les définitions du terme derivative (dérivé) dans douze dictionnaires et glossaires, dont certains n'ont pas été cités à l'audience, et elle a conclu qu'une majorité des ouvrages retenaient le sens large du terme. La Commission a aussi cité et examiné neuf autres ouvrages qualifiés «d'ou- vrages techniques», dont certains ont été cités à l'audience, et est parvenue à la conclusion que ces ouvrages venaient confirmer l'interprétation large. La Commission a conclu à la page 7 de sa décision:
Mise à part la simple prédominance apparente du sens large du mot «derivative», les définitions étudiées montrent clairement qu'en chimie et dans les domaines connexes on lui donne tantôt un sens large, tantôt un sens restrictif; quel que soit l'usage dominant, chacune de ces significations peut convenir lorsque le mot est employé dans son contexte approprié.
Le numéro tarifaire 92944 mentionne les «antibiotiques». Par conséquent, les significations attribuées au terme «deri- vative» (dérivé) dans les textes et les témoignages qui por tent sur l'usage en vigueur dans les domaines des antibioti- ques, de la médecine et de la science vétérinaire ont une importance particulière. The British Medical Dictionary donne au terme dérivé (derivative) un sens large et un sens restreint; Taber's Encyclopaedic Medical Dictionary définit terramycine (Terramycin) comme «the proprietary name of the oxy derivative of tetracycline»; le Grand Larousse Ency- clopédique, sous la rubrique «Pharm.», décrit l'oxytétracy- cline comme un dérivé de la tétracycline; les témoins experts dans les domaines de la chimie médicale et de la science vétérinaire ont attribué au mot «dérivé» (derivative) un sens large et ont estimé que l'oxytétracycline était un dérivé de la tétracycline; l'American Hospital Formulary Service et l'Antibiotic and Chemotherapy of Garrod and O'Grady regroupent les térracyclines [sic] en un groupe ou une catégorie d'antibiotiques semblables en raison de leur structure chimique et de leurs propriétés et fonctions biolo- giques. Le sens large attribué au mot «dérivé» (derivative) est celui qui est conforme à l'usage et aux opinions couran- tes dans le domaine des antibiotiques; vouloir ne lui donner que le sens restrictif serait contraire à cet usage et à ces opinions.
Parce que c'est le sens large qui est surtout reconnu par l'usage dans le domaine particulier concernant les cas pré- sents et en général dans d'autres domaines, la Commission affirme que l'oxytétracycline est un dérivé de la tétracycline.
Attendu qu'il est certain que l'oxytétracycline est un dérivé de la tétracycline au sens large du terme «dérivé», le problème soulevé dans cet appel est celui de savoir si la Commission du tarif a correctement interprété l'expression «tétracycline et ses dérivés» employée dans le décret en question en donnant un sens large au terme «dérivé».
Attendu que la Commission n'a pu détermi- ner, d'après les pièces déposées et les témoigna- ges entendus à l'audience, le sens véritable du terme «dérivé» dans l'expression «tétracycline et ses dérivés», elle était fondée, à mon avis, à déterminer ce sens du mieux qu'elle le pouvait comme s'il s'agissait d'une question de droit. Vu que la Commission n'a tiré aucune conclusion de fait sur le sens de ce mot, le problème semble être le même devant cette Cour, savoir qu'elle doit statuer, du mieux qu'elle peut, comme question de droit, sur la question de savoir si l'interprétation de la Commission est erronée. A cet effet, je suis d'avis que la Cour est tout à fait fondée, de même que l'était la Commission, à faire appel à toutes les connaissances qu'elle
peut avoir du sens de ces mots, à consulter des dictionnaires et des glossaires et à tenir compte de tous les emplois que l'on peut trouver du terme «dérivé» dans les pièces du dossier, sinon dans les autres publications auxquelles la Com mission se réfère.
Pour les motifs qui suivent, je suis convaincu que la conclusion à laquelle est parvenue la Commission en ce qui concerne l'interprétation de l'expression «tétracycline et ses dérivés» n'est pas erronée.
En premier lieu, j'ai eu l'occasion de lire les motifs du juge en chef et je souscris à son opinion. Il déclare en effet qu'il est peu proba ble que le gouverneur en conseil n'ait eu l'inten- tion de protéger la fabrication de chlortétracy- cline au Canada que contre la tétracycline et les sels de tétracycline alors que les mêmes pro- duits doivent faire face à une concurrence sévère de la part de l'oxytétracycline et de ses sels qui ne sont pas fabriqués au Canada. Je considère que ce motif est un argument solide contre la thèse de l'appelante.
En second lieu il n'est pas contesté que la substance chimique connue sous le nom de tétracycline n'est pas commercialisée. Les pro- duits commercialisés sont les sels de tétracy- cline, c.-à-d. chlorhydrate et phosphate de tétra- cycline. Il serait donc étonnant que l'expression «tétracycline et ses dérivés» ne comprenne que les sels de tétracycline, et que ceux-ci soient désignés par le terme «dérivés» plutôt que de l'être expressément par le nom «sels de tétracy- cline», qui leur est propre.
Troisièmement, je crois que le fait que l'ex- pression est employée (1) dans un décret intitulé «Décret sur la réduction du tarif des produits chimiques et des plastiques» et (2) parmi une longue liste de termes techniques désignant des substances chimiques, indique fortement qu'il y a lieu de donner à cette expression le sens que lui donnerait une personne liée à l'industrie chi- mique et possédant une certaine connaissance de la nomenclature, sans toutefois qu'il s'agisse nécessairement d'un chimiste très qualifié.
Quatrièmement, abstraction faite des rensei- gnements que l'on trouve dans les dictionnaires et les glossaires, je conclurais sans hésitation
que non seulement le terme «dérivés» peut avoir un sens différent et plus large que celui que lui accorde l'appelante (substances réelle- ment dérivées d'une substance principale, ou pouvant être dérivées d'une telle substance) mais encore que ce terme a, en fait, ce sens différent et plus large dans l'expression «tétra- cycline et ses dérivés» employée dans le décret en question. Si je comprend bien, il est com mode d'employer ce terme dans ce sens diffé- rent ou plus large pour désigner des produits chimiques dont la structure moléculaire est essentiellement la même mais dans laquelle cer- tains éléments ou radicaux viennent différencier la substance en cause du produit donné possé- dant la structure moléculaire de base. Le terme en question a été employé dans ce sens dans le mémoire descriptif en cause dans l'affaire C. H. Boehringer Sohn c. Bell Craig Limited [1962] R.C.É. 201 (page 209):
[TRADUCTION] Les procédés de fabrication des dérivés de la morpholine sont déjà connus, ils consistent à traiter les diéthanolamines avec de l'acide suiphurique dilué à 70% à des températures de 160-180° C afin d'obtenir la fermeture du cycle de morpholine.
Il en est de même dans le mémoire descriptif étudié dans l'affaire Société des Usines Chimi- ques Rhône-Poulenc et autres c. Gilbert (1967) 35 Fox P.C. 174, aux pages 189 et 190.
On peut trouver d'autres exemples dans la pièce R-1 le terme terramycine est défini comme suit:
[TRADUCTION] marque brevetée d'un dérivé de la tétracycline à base d'hydroxyle.
ainsi que dans la pièce R-4 l'on trouve:
[TRADUCTION] Bien qu'une tétracycline puisse être supé- rieure aux autres dans le traitement de telle ou telle infection ou de tel ou tel malade, la grande ressemblance de leurs propriétés chimiques, microbiologiques, pharmacologiques et thérapeutiques permettent de les étudier en tant que groupe.
A mon avis, ces deux dernières citations prouvent que certains auteurs, au moins, emploient ce terme dans un sens suffisamment précis et étendu pour englober l'ensemble des tétracyclines autres que la tétracycline elle- même, qui ne comprend pas uniquement les sels de tétracycline ou les sels d'autres substances pouvant être produites à partir de la tétracy- cline, lesquelles, à ma connaissance, n'existent pas.
Si l'on retient ce sens du terme, il est sans importance que le produit appelé «dérivé» puisse ou ne puisse pas être fabriqué à partir de la substance dont il est dérivé. L'emploi ou le sens du terme ne varie pas, non plus, du fait que ce produit peut être fabriqué à partir de son dérivé, comme c'est le cas de la tétracycline en l'espèce, celle-ci pouvant être produite à partir de la chlortétracycline.
Enfin, le sens de l'expression «tétracycline et ses dérivés» semble être assez clair d'après la pièce R-3: le terme tétracycline y est en effet employé pour désigner la substance du même nom qui a été produite plus tard. Le terme est tiré du grec tetra, quatre, et de cycline, cycle, et parmi les tétracyclines qui nous intéressent, soit la chlortétracycline, l'oxytétracycline et la tétra- cycline, le terme tétracycline, dans le sens parti- culier, a été employé, si je comprends bien, pour désigner l'élément du groupe qui possédait la structure moléculaire de base la plus simple. Les noms donnés aux produits semblables mais cependant différents de ce groupe, chlortétracy- cline et oxytétracycline (il en existe maintenant plusieurs autres) reprennent ce même radical avec un préfixe indiquant leur caractéristique propre. Le terme tétracycline est donc un terme générique, qui désigne l'ensemble des substan ces du groupe. Dans ce sens, les autres produits de ce groupe sont considérés comme des déri- vés de la substance de base dont le nom est l'élément commun à tous les autres et ils sont considérés comme tels. Il n'est pas contesté que la classe ou le groupe tout entier peut normale- ment être désigné par l'expression «les tétracy- clines» et, à mon avis, cette classe ou ce groupe tout entier peut tout aussi bien être désigné par l'expression «la tétracycline et ses dérivés».
Considérant que l'interprétation de la Com mission ne repose sur aucune conclusion de fait et qu'elle constitue une conclusion de droit por- tant sur le sens du mot dans un contexte donné, il est sans importance que la Commission se soit appuyée en partie sur une documentation livres- que non citée à l'audience et il n'y a pas lieu de retenir l'argument de l'appelante selon lequel les principes de la justice naturelle n'ont pas été observés en l'espèce.
Je rejetterai donc l'appel avec dépens.
LE JUGE SUPPLÉANT CHOQUETTE (étant dissi- dent)—Dans la présente affaire, il s'agit de savoir si les antibiotiques importés par l'appe- lante (sel quaternaire de terramycine TM 200, chlorhydrate de terramycine non stérile et diter- ramycine micronisée non stérile), tous des déri- vés de «l'oxytétracycline», peuvent aussi être considérés comme des dérivés de la «tétracy- cline» selon les termes du décret C.P. 1968- 2334 en date du 20 décembre 1968 portant réduction des droits de douanes pour certains produits chimiques et certains plastiques et plus particulièrement selon l'expression «tétracycline et ses dérivés».
Pour trancher cette question, j'appliquerai les principes suivants, tirés de l'ouvrage Craies on Statute Law, 6 e édition:
[TRADUCTION] (p. 162)
(1) Au sens usuel
Il existe deux principes quant à l'interprétation des termes et expressions d'une loi. Selon le premier, dans les lois d'application générale, les termes sont présumés prima facie être employés dans leur sens usuel .. .
(p. 163)
... En d'autres termes, ainsi que l'a déclaré le juge Pollock dans l'affaire Grenfell c. Inland Revenue Commissioners, s'il est possible de donner aux termes d'une loi leur sens usuel, le juge ne doit pas interpréter les termes de cette loi dans leur sens particulier et technique et il doit leur donner leur sens usuel, c'est-à-dire, bien sûr, le sens que les personnes liées à l'objet de la loi leur attribuent.» Toutefois, «si un terme employé dans son sens usuel peut normalement être interprété de deux façons différentes, il convient alors de l'interpréter en posant comme principe que le Parlement n'a voulu conférer que les pouvoirs nécessaires à l'application de la loi, sans plus». En d'autres termes, le juge doit interpréter les termes d'une loi en fonction de son objet.
(p. 164)
(2) Termes scientifiques et techniques
Le second principe porte que si la loi s'applique à une industrie donnée ou à un genre particulier d'entreprises ou d'opérations et que les termes de la loi sont employés dans un sens particulier que les personnes liées à ces industries, entreprises ou opérations comprennent, il y a lieu d'interpré- ter les termes de la loi dans ce sens particulier, bien que celui-ci puisse être différent du sens usuel.
Il ressort clairement du dossier que les per- sonnes familiarisées avec les produits chimiques et la tétracycline n'accordent pas toutes au terme «derivative» (dérivé) le sens large adopté par la Commission du tarif qui recouvre «la dérivation théorique et les composés ayant une structure chimique suffisamment rapprochée ou un même nombre d'atomes de carbone disposés dans un ordre similaire»; préférant ce sens au sens courant et technique désignant un composé effectivement obtenu d'un autre par une réac- tion chimique.
En réalité, l'appelante et l'intimé ont tous deux requis «deux experts en la matière» qui ont été amenés à déposer sur l'aspect technique du litige. Pour l'appelante, un ingénieur chimiste et un' chimiste ont déclaré que la tétracycline et l'oxytétracycline sont produits par des micro- organismes différents (streptomyces aureof a- ciens et streptomyces rimosus) et qu'en l'état actuel de la science, l'oxytétracycline ne peut être obtenue à partir de la tétracycline. Ils affir- ment qu'un «dérivé» désigne une substance tirée d'une autre.
Pour l'intimé, un spécialiste en chimie médi- cale organique et un médecin vétérinaire ont déclaré que ces deux produits avaient la même structure de base, qu'ils ne se distinguaient que du fait que certains atomes ou groupes d'atomes différents étaient disposés différemment, et que le terme «dérivé» se rapporte à une réaction, une structure et une utilisation similaire et non à une source ou origine. Ils ont établi une distinc tion entre «derivative of» (un dérivé de) et «derived from» (dérivé de).
Après avoir résumé les témoignages de ces quatre témoins, la Commission conclut de la manière suivante: «on voit bien que les connais- sances techniques des témoins experts en ce domaine ésotérique sont caractérisées par le conflit plutôt que par l'unanimité, ce qui rend le problème encore plus complexe que le non initié aurait cru possible. Pour résoudre cette ques tion, il faut donc cerner la définition des termes généraux et des termes techniques» (les souli- gnés sont de moi; voir annexes, page 12).
La Commission passe ensuite aux citations de dictionnaires et d'ouvrages techniques sur le
point en litige. Elle cite aussi un extrait d'un de ses rapports, renvoi 120—produits chimi- ques, vol. 9, p. 224: «Le porte-parole de la société (Cyanamid of Canada Limited, l'interve- nante dans le présent appel) déclarait:
Je propose qu'à cause des caractéristiques semblables toutes les tétracyclines soient étudiées, c'est-à-dire, la chlortétracy- cline, la tétracycline elle-même, la chlortétracycline de dimé- thyle et l'oxytétracycline» (Compte rendu, vol. 79, p. 12706).
La Commission conclut alors: «Parce que c'est le sens large qui est surtout reconnu par l'usage dans le domaine particulier concernant le cas présent et en général dans d'autres domai- nes, la Commission affirme que l'oxytétracy- cline est un dérivé de la tétracycline» (A.B. p. 17).
La Commission décide alors que les produits de l'appelante sont des dérivés de la tétracycline au sens du décret.
Je ne peux malheureusement souscrire à cette décision.
Tout d'abord j'écarterai la référence à l'ex- trait précité du rapport de la Commission, préci- sant que le porte-parole de la société interve- nante avait suggéré que toutes les tétracyclines soient étudiées ensemble compte tenu de leurs caractéristiques semblables (A.B. p. 14). Cette suggestion ne prouve rien. D'autre part, le décret ne vise pas toutes les tétracyclines, con- trairement à ce que laisse entendre le porte-parole.
Restent les dictionnaires et les différents ouvrages sur lesquels la Commission fonde sa décision. Seuls les dictionnaires et les auteurs reconnus peuvent servir de moyens d'interpréta- tion des mots ou expressions employés dans un texte juridique. Comme on l'a déjà indiqué, une grande partie de la documentation sur laquelle est fondée la décision n'a pas été mise en preuve et pour cette raison, il ne peut pas en être tenu compte. Qui plus est, la décision indi- que que les auteurs et les dictionnaires cités ne définissent pas tous le terme «dérivé» dans le sens large que la Commission a retenu. Par exemple, l'Oxford Dictionary, le Degering's Organic Chemistry, le Flood and West's Dic tionary of Scientific and Technical Words (et certains autres cités plus loin) accordent plutôt
au terme «dérivé» le sens plus restreint de pro- duit réellement obtenu à partir d'un autre par une réaction chimique; d'autres, comme le Web- ster's et le Funk & Wagnall's et quatre autres accordent au terme «dérivé» le sens large qui inclut «la dérivation théorique et les composés ayant une structure chimique suffisamment rap- prochée ou un même nombre d'atomes de car- bone disposés dans un ordre similaire». (A.B., page 157).
Ce qui importe, ce n'est pas que le sens large semble recevoir le plus d'appui comme le déclare la Commission mais que certains dic- tionnaires et auteurs reconnus n'accordent pas au mot «dérivé» le sens large retenu par la Commission. On ne peut donc dire que les per- sonnes liées au domaine des produits chimiques et des antibiotiques donnent au terme «deriva- tive» (dérivé) le sens que lui donne la Commis sion. (Craies précité).
De même, on ne peut résoudre le problème en faisant une distinction entre «derivative of» (un dérivé de) et «derived from» (dérivé de). La version française du décret utilise pour «deriva- tives» le terme «dérivés» qui recouvre certaine- ment le sens des deux expressions anglaises «derivatives» et «derived from». Le dictionnaire usuel Quillet et Flammarion définit «dérivé» de la manière suivante:
«Dérivé ... Chim. Corps qui provient d'un autre par distillation, par combinaison, etc.»
Le petit Robert en donne la définition suivante:
«Dérivé ... Chim. Substance préparée en partant d'une autre substance et qui conserve en général la structure de la première.»
Le contexte du décret lui-même ne fournit pas beaucoup d'indications sur le sens du terme «tétracycline» (au singulier) et de ses «dérivés». Ce document énumère des centaines de produits chimiques et de matières plastiques. Il ne le fait pas dans un but scientifique mais dans un but fiscal, savoir, réduire les droits d'entrée sur les produits énumérés à l'exception, entre autres, de la «tétracycline et de ses dérivés». Le gou- verneur en conseil visait sûrement un objet con- cret et non théorique, un dérivé qui peut être obtenu en pratique et non simplement en théo- rie, englobant des «composés ayant une struc-
ture chimique suffisamment rapprochée ou un même nombre d'atomes de carbone disposés dans un ordre similaire». Une telle définition entraînerait des contestations constantes et pourrait aller jusqu'à laisser entendre que deux produits différents sont dérivés l'un de l'autre.
Rien n'indique que les membres de la Com mission ont rendu leur décision en fonction de leurs connaissances personnelles sur les pro- duits chimiques et les antibiotiques. Il semble au contraire, d'après les arguments de l'avocat devant la Commission ainsi que d'après les remarques des membres de celle-ci, que ce pro- blème a été considéré comme étant tout à fait sérieux et susceptible de faire l'objet d'un débat (transcription officielle des procédures, pp. 147 à 184 et pp. 184 à 223). J'apprécie particulière- ment la justesse de la remarque de M. Elliott: [TRADUCTION] «Le problème est difficile. Les mots ont parfois un sens différent pour plu- sieurs personnes même dans le domaine techni que» (p. 193).
Il est admis de part et d'autre qu'aucune for- mule ne permet actuellement de produire de l'oxytétracycline à partir de la tétracycline et en fait, les produits de l'appelante n'étaient pas obtenus à partir de la tétracycline.
Il est vrai que le terme tétracyclines, employé au pluriel, s'applique à une classe ou à un groupe d'antibiotiques qui comprend l'oxytétra- cycline, la chlortétracycline et la tétracycline mais que le terme tétracycline, employé au sin- gulier, est un produit bien précis, tout à fait distinct des autres et ne permettant pas actuelle- ment de produire l'oxytétracycline. L'utilisation intentionnelle du singulier ressort non seulement de l'orthographe du mot lui-même mais aussi de l'utilisation dans la version anglaise du singulier «its» dans l'expression «Tetracycline and its derivatives». Il est vrai, bien sûr, que le singulier a valeur de pluriel (Loi d'interprétation, art. 26(7)) et qu'un terme singulier peut comprendre plusieurs quantités d'un même produit mais on ne peut pas s'appuyer sur cet argument pour changer le sens d'un mot.
J'attribuerais donc au terme «dérivé», employé dans le décret C.P. 1968-2334 son sens à la fois naturel, logique et étymologique qui est
aussi son sens technique soit: «un composé effectivement obtenu d'un autre par une réac- tion chimique.»
Dans le cas contraire, le moins que l'on puisse dire est que le terme «dérivé» figurant au décret est ambigu et d'un sens incertain. Dans ce cas, il doit être interprété dans le sens le plus favora ble à l'assujetti, mais il existe une raison plus convaincante encore. Vu que les produits de l'appelante sont des antibiotiques, ils doivent être exemptés des droits de douanes sauf s'il est prouvé qu'ils rentrent dans l'exception «Tétra- cycline et ses dérivés». Dans cette affaire, c'est l'intimé qui invoque l'exception, qui est en l'es- pèce une exception à une exemption. Il avait donc la charge de prouver que les produits de l'appelante entrent dans le cadre de cette excep tion. Cette exception, comme toute exception, est d'interprétation stricte. Je n'accorderais donc pas au terme «dérivé» le sens large et théorique que la Commission lui a attribué lors- qu'il ne fait pas l'unanimité parmi les personnes liées au domaine des produits chimiques et des antibiotiques; je lui accorderai au contraire, comme je l'ai déjà indiqué, son sens naturel.
Il appartient au gouverneur en conseil, non à la Commission, de clarifier le texte du décret afin de faire disparaître toute ambiguïté ou ob- scurité ou d'accorder une meilleure protection aux sels de chlortétracycline fabriqués au Canada. Je ne pense pas qu'il soit justifié, à la lecture du texte actuel, de considérer que l'ex- pression «tétracycline et ses dérivés» comprend «l'oxytétracycline, la chlortétracycline, la tétra- cycline et leurs dérivés» ou «les tétracyclines (au pluriel) et leurs dérivés», car si telle avait été l'intention du gouverneur en conseil, il lui aurait été trop facile d'employer les termes appropriés.
J'apprécie cependant le soin avec lequel la Commission a préparé sa décision et l'intérêt que cette décision présente au titre de la dériva- tion théorique. D'autre part, après avoir consi- déré les motifs sur lesquels mes deux savants collègues ont fondé leur décision j'exprime ma dissidence avec le plus grand respect et je con- clus que cet appel doit être accordé avec dépens et que les produits de l'appelante mentionnés plus haut doivent être exemptés de droits de
douane et être admis en franchise pendant la période allant du l er janvier 1969 au 31 janvier 1973.
' Grey c. Pearson, (1857) 6 H.L.C. 61.
a Bowes c. Shand, (1877) L.R. 2 A.C. 455; Great Western Railway Company c. Carpalla United China Clay Company, [1909] 1 Ch. 218; Great Western Railway c. Bater, [1922] 2 A.C. 1, Lord Atkinson à la page 12; The Township of Tisdale c. Hollinger Consolidated Gold Mines, [1933] R.C.S. 321, le juge Cannon à la page 322; Edwards c. Bairstow, [1956] A.C. 14, vicomte Simon aux pages 30-32 et Lord Radcliffe aux pages 33-36; The Crow's Nest Pass Coal Company c. La Reine, [1961] R.C.S. 750.
3 Alexander c. Vanderzee, (1872) L.R. 7 C.P. 530; North British Railway Company c. Budhill Coal and Sandstone, [1910] A.C. 116; The Caledonian Railway Company c. The Glenboig Union Fireclay Company, [1911] A.C. 290; West ern Minerais Ltd. c. Gaumont, [1953] 1 R.C.S. 345; Jenner c. Allen West & Co., [1959] 1 W.L.R. 554.
4 Ashforth c. Redford, (1873) L.R. 9 C.P. 20; Attorney - General for the Isle of Man c. Moore, [1938] 3 All E.R. 263.
Voir Unwin c. Hanson, [1891] 2 Q.B. 115, le maître des rôles, Lord Esher, aux pages 119-120:
[TRADUCTION] Lorsqu'il y a lieu d'interpréter des termes comme ceux qui nous occupent, employés dans une loi du Parlement, la Cour doit appliquer les principes qui sui- vent. S'il s'agit d'une loi d'application générale, les termes doivent être pris dans leur sens usuel. S'il s'agit d'une loi s'appliquant à une industrie donnée ou à un genre particu- lier d'entreprises ou d'opérations et que les termes de la loi sont employés dans un sens particulier que les person- nes liées à ces industries, entreprises ou opérations com- prennent, il y a lieu d'interpréter les termes de la loi dans ce sens particulier, bien que celui-ci puisse être différent du sens usuel. Par exemple, dans le domaine de la cons truction navale, le sens des termes «chevilles» et «genoux» est bien connu et il ne viendrait à l'esprit de personne que ces termes puissent désigner les chevilles ou les genoux d'une personne humaine lorsqu'ils sont employés dans une loi se rapportant aux navires. Pour ce qui concerne maintenant l'abattage des arbres à l'extérieur des villes, n'existe-t-il pas un langage que tous les gens de la campagne liés à l'exploitation forestière comprennent? Il ne s'agit pas d'une simple question de terminologie forestière: il s'agit de savoir quel sens les gens qui habi- tent habituellement la campagne attribuent à un terme donné lorsque celui-ci est employé relativement à l'abat- tage des arbres dans leur région. Par suite, vu qu'elle porte sur l'abattage des arbres à l'extérieur des villes, cette loi emploie des termes qui sont compris de toute personne liée à l'abattage des arbres à l'extérieur des villes. A mon avis, dans la présente affaire, ce serait faire preuve d'un purisme exagéré que de ne pas prendre connaissance de l'emploi répandu que les gens de la campagne liés à l'abattage des arbres font du terme en cause de cette loi. A l'audience, on a déposé des preuves visant à établir le sens répandu de ce terme, mais je crois qu'elles n'étaient pas nécessaires. Les termes [TRADUCTION] «émonder» et
«étêter» désignent deux actions distinctes et ils sont employés à la campagne relativement à l'abattage des arbres. La loi contient des dispositions relatives à l'abat- tage des arbres aux abords des routes applicables aux personnes qui coupent les arbres et aux magistrats qui ont le pouvoir d'ordonner l'abattage de ces arbres. La loi n'emploie que l'un des deux termes mentionnés, le verbe «émonder». Il est bien connu à la campagne que ce verbe désigne l'action de couper les branches d'un arbre alors que le verbe «étêter» signifie l'action de couper la partie supérieure d'un arbre. A mon avis, ainsi qu'il y a lieu d'interpréter la loi, et compte tenu de ces circonstances, l'unique intention du législateur est d'accorder le pouvoir de couper les branches.
6 Voir: Le ministre du Revenu national c. Wrights' Canadian Ropes, Ld., [1947] A.C. 109, le maître des rôles Lord Greene aux pages 124-25.
Voir: Borys c. C.P.R., [1953] A.C. 217, Lord Porter à la page 226:
[TRADUCTION] Dans de telles circonstances, leurs Sei- gneuries devront, en se servant des faits mis en preuve, se faire une opinion personnelle uniquement en inter- prétant le sens qu'il faut accorder au terme «pétrole» lorsque cette substance se trouve stockée dans un con- teneur souterrain.
Voir Camden (Marquis) c. Inland Revenue Commission ers, [1914] 1 K.B. 641, le maître des rôles Cozens -Hardy aux page's 647 et suivantes:
[TRADUCTION] C'est à la Cour qu'il appartient d'interpré- ter la loi le mieux possible. Pour s'acquitter de cette tâche, la Cour est tout à fait fondée à se servir de toute la documentation dont elle peut disposer, et elle peut, bien sûr, consulter les grands auteurs et les dictionnai- res sérieux qui citent les sources ils ont puisé le sens des termes qu'ils donnent aux mots de la langue anglaise.
9 Comparer Canadian National Railway c. Bell Telephone, [1939] R.C.S. 308, Duff J.C.C. à la page 317.
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