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David P. Ulin (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge en chef adjoint Noël—Montréal, le 13 mars; Ottawa, le 3 avril 1973.
Citoyenneté--Étendue des pouvoirs de réglementation du gouverneur en conseil- 1 -11 n'a pas le pouvoir d'exiger que la personne demandant la citoyenneté renonce à sa nationalité précédente—Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1970, c. C-19, art. 35(1).
Le pouvoir de réglementation conféré au gouverneur en conseil par l'article 35(1) de la Loi sur la citoyenneté cana- dienne ne comprend pas le pouvoir d'exiger qu'une personne demandant la citoyenneté renonce à sa nationalité précédente.
Arrêt: Il s'ensuit que l'article 19(1) des Règlements sur la citoyenneté canadienne qui contient une telle prescription, est déclaré ultra vires.
DEMANDE de déclaration.
AVOCATS:
Richard McConomy pour le demandeur.
Alain Nadon pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Boisvert et Pickel, Montréal, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
LE JUGE EN CHEF ADJOINT NOËL—Par les présentes, le demandeur, immigrant reçu, s'est adressé à la Cour pour faire déclarer ultra vires l'article 19(1)b) des Règlements sur la citoyen- neté canadienne qui prévoit qu'un immigrant souhaitant obtenir un certificat de citoyenneté canadienne doit «faire une déclaration, selon une formule prescrite, de renonciation à sa nationalité ou citoyenneté précédente» et qu'il a droit à un certificat de citoyenneté canadienne sans avoir à renoncer à sa nationalité antérieure.
Le 18 septembre 1966, le demandeur, citoyen américain, a été admis au Canada en tant qu'im- migrant reçu. Le 15 octobre 1971, il a déposé une demande de certificat de citoyenneté cana- dienne qui fut entendue le 18 janvier 1972 par la Cour de la citoyenneté canadienne à Montréal
(P.Q.). Le secrétaire d'État du Canada décida de lui accorder un certificat de citoyenneté cana- dienne. Le demandeur fut convoqué devant la Cour de la citoyenneté canadienne, à Montréal (P.Q.), le 9 novembre 1972, afin de recevoir son certificat. Il s'y est présenté à la date indiquée et s'est déclaré disposé à prêter le serment d'allé- geance; il a effectivement prêté serment d'après le texte qui lui fut présenté. Il affirme que, s'étant conformé aux dispositions de la Loi sur la citoyenneté canadienne, il a demandé son certificat de citoyenneté mais qu'on a rejeté sa demande. Ce refus était fondé sur le règlement no 19(1)b) qui exige une déclaration, selon une formule prescrite, de renonciation à la nationa- lité ou citoyenneté précédente. Voici le texte de ce règlement:
Serments d'allégeance et affidavits
19. (1) A moins que le ministre n'en dispose autrement, le Registraire, dans les cas une personne est tenue de prêter le serment d'allégeance en vertu de l'article 31 de la loi, doit envoyer un certificat de citoyenneté au greffier du tribunal qui avise la personne des temps et lieu auxquels elle doit comparaître devant ledit tribunal
a) pour prêter le serment d'allégeance;
b) pour faire une déclaration, selon une formule prescrite, de renonciation à sa nationalité ou citoyenneté précédente; et
c) pour recevoir son certificat de citoyenneté. [Les itali- ques sont ajoutés.]
Par contre, la défenderesse prétend que c'est à bon droit que le gouverneur en conseil a édicté l'article 19(1) des règlements qui exige une déclaration de renonciation. Elle affirme que ce règlement a été édicté en vertu de l'article 35(1) de la Loi sur la citoyenneté canadienne (S.R.C. 1970 c. C-19) qui, selon l'avocat de la défense, confère au gouverneur en conseil le pouvoir d'édicter des règlements, en général, pour l'exé- cution des fins et dispositions de la loi. En conséquence, la défenderesse demande que sa défense soit accueillie et que la déclaration du demandeur soit rejetée avec dépens.
L'article 35(1) dispose:
35. (1) Le gouverneur en conseil peut édicter des règle- ments, en général, pour l'exécution des fins et dispositions
de la présente loi, et en particulier, sur les sujets suivants:
a) les formules et le mode d'enregistrement des déclara- tions, certificats ou autres documents dont l'emploi est prescrit par la présente loi ou qui sont considérés comme 'nécessaires pour la réalisation de ses objets;
b) le délai dans lequel le serment d'allégeance doit être prêté avant ou après l'octroi d'un certificat de citoyenneté;
c) les personnes devant qui le serment d'allégeance peut être prêté et celles qui peuvent recevoir les déclarations prévues par la présente loi;
d) la forme suivant laquelle la prestation des serments d'allégeance doit être attestée et leur enregistrement;
e) le,s personnes qui peuvent donner des copies certifiées de serments d'allégeance, et la preuve de ces derniers dans toute procédure judiciaire;
f) la fixation et le paiement de droits en ce qui concerne
(i) la production ou la présentation de toute demande, pétition ou déclaration,
(ii) la délivrance ou la remise de toute copie authenti- quée ou non, et
(iii) la prestation ou l'enregistrement de tout serment,
lorsque ce document est produit, fait, délivré, remis ou lorsque ce serment est prêté ou enregistré en conformité de la présente loi ainsi que l'emploi de tous droits de ce genre;
g) les règles à suivre dans la conduite des procédures devant le tribunal;
h) le mode de preuve d'une qualité voulue pour l'octroi ou la délivrance d'un certificat de citoyenneté selon la pré- sente loi;
i) le mode de preuve de citoyenneté canadienne et l'émis- sion de certificats à cette fin;
j) l'enregistrement des naissances de personnes nées hors du Canada;
k) la reddition et annulation de certificats de citoyenneté ou de certificats de naturalisation lorsque leurs porteurs ont cessé d'être des citoyens canadiens ou des sujets britanniques pour cause de révocation ou autre motif prévu par la présente loi ou par une autre qui était en vigueur au Canada à une époque quelconque avant le 1" janvier 1947, selon le cas; et
1) la remise et la rétention de certificats de citoyenneté, de certificats de naturalisation ou de tous autres certificats délivrés en conformité de la présente loi ou des règle- ments pour permettre de déterminer si leur porteur y a droit ou s'il a violé quelque disposition de la présente loi, et lorsqu'on a déterminé qu'une telle personne n'y avait pas droit, pour l'annulation ou autre façon de disposer d'un tel certificat.
Le paragraphe (2) de l'article 35 traite aussi des pouvoirs du gouverneur en conseil, mais comme les sujets énumérés ne se rapportent pas à la délivrance de certificats de citoyenneté canadienne, ils ne concernent pas l'espèce pré- sente et n'ont pas été reproduits ici.
Selon la thèse de la Couronne, le but principal de la Loi sur la citoyenneté canadienne est de réglementer la manière dont s'acquiert ou se perd la citoyenneté canadienne ainsi que le statut au Canada des citoyens canadiens et des étrangers. L'avocat de la défenderesse prétend que l'un des buts connexes de cette loi est de réduire autant que faire se peut les cas de double citoyenneté ou de double allégeance et il se demande si, en toute sincérité, il est possible de jurer fidélité et allégeance envers deux pays. A son avis, si l'on envisage l'éventualité d'une guerre entre deux pays à qui on aurait juré fidélité et allégeance, la situation difficile d'une personne ayant prêté deux serments d'allé- geance ressort immédiatement.
Il prétend qu'un des buts de la loi est de réduire autant que possible les cas de double allégeance afin d'éviter les conflits. Il fait remarquer que l'article 15(1) de la loi déclare qu'un citoyen canadien qui acquiert volontaire- ment la citoyenneté d'un autre pays perd sa citoyenneté canadienne. Le libellé de cet article est le suivant:
15. (1) Un citoyen canadien qui, se trouvant hors du Canada et n'étant pas frappé d'incapacité, acquiert, par un acte volontaire et formel autre que le mariage, la nationalité ou la citoyenneté d'un pays autre que le Canada, cesse immédiatement d'être citoyen canadien.
Il se reporte aussi à l'article 18(1)b)(i) et (ii) reproduit ci-dessous:
18. (1) Le gouverneur en conseil peut, à sa discrétion, ordonner que toute personne cesse d'être citoyen canadien si, sur un rapport du Ministre, il est convaincu que cette personne a
b) pendant qu'elle n'était pas frappée d'incapacité,
(i) alors qu'elle était au Canada, à quelque moment que ce soit après le 1" janvier 1947, acquis la nationalité ou la citoyenneté d'un pays étranger, par un acte volontaire et formel autre que le mariage,
(ii) souscrit ou fait un serment, une affirmation ou une autre déclaration d'allégeance à un pays étranger, .. .
Toutefois, les articles précités visent les cas une personne ayant déjà la citoyenneté cana- dienne acquiert une citoyenneté ou une nationa- lité étrangère, mais ils prévoient la possibilité pour un citoyen canadien de ne pas perdre sa citoyenneté si la nationalité étrangère est acquise par mariage. Nous pouvons par consé- quent supposer que bien qu'il ne faille pas
encourager l'acquisition, par un citoyen cana- dien, d'une double nationalité, il est possible dans certaines circonstances d'adopter la natio- nalité ou la citoyenneté d'un autre pays tout en conservant la citoyenneté canadienne.
De plus, la Loi sur la citoyenneté canadienne n'exige aucune renonciation à une nationalité ou
citoyenneté antérieure.
De fait, l'article 10(1)f) de la loi dispose que
10. (1) Le Ministre peut, à sa discrétion, accorder un certificat de citoyenneté à toute personne qui n'est pas un citoyen canadien, qui en fait la demande et démontre à la satisfaction du tribunal
f) qu'elle possède une connaissance suffisante des res- ponsabilités et privilèges de la citoyenneté canadienne et a l'intention d'observer le serment d'allégeance énoncé à l'annexe II;
Ce serment d'allégeance est ainsi rédigé:
Je, A.B., jure .fidélité et sincère allégeance envers Sa Majesté la Reine Elizabeth II, ses héritiers et successeurs, conformément à la loi. Je jure que j'observerai fidèlement les lois du Canada et que je remplirai fidèlement mes devoirs de citoyen canadien.
Ainsi Dieu me soit en aide.
L'article 32 de la loi dispose que
32. Lorsqu'un tribunal décide que l'auteur d'une demande de certificat de citoyenneté est apte à obtenir un semblable certificat ou que la Cour d'appel de la citoyenneté infirme la décision du tribunal concernant une demande, un certificat de citoyenneté peut, à la discrétion du Ministre, être accordé au requérant et ce certificat doit être délivré à ce dernier, qui doit prêter le serment d'allégeance ainsi qu'il est prescrit par règlement.
Nous avons vu que l'article 35 de la loi donne au gouverneur en conseil le droit d'édicter des règlements pour l'exécution des fins et disposi tions de la loi sur différents sujets. Il s'agit notamment des formules et du mode d'enregis- trement des déclarations, des certificats ou autres documents dont l'emploi est prescrit par la loi, du délai de prestation du serment d'allé- geance, des personnes devant qui le serment d'allégeance peut être prêté, de la forme suivant laquelle la prestation des serments d'allégeance doit être attestée et leur enregistrement, des personnes qui peuvent donner des copies certi fiées de serments d'allégeance, des droits en ce qui concerne la prestation du serment d'allé-
geance et un certain nombre d'autres sujets dont aucun n'a trait à la question de savoir si l'on peut obliger une personne à renoncer à sa natio- nalité ou citoyenneté antérieure.
En vérité, on ne trouve dans la loi aucune disposition qui oblige quelqu'un à renoncer à sa nationalité ou citoyenneté antérieure si ce n'est dans le Règlement 19(1)b).
Il me semble ressortir clairement d'un examen des dispositions traitant du serment d'allé- geance, de la liste des sujets qui pourront être réglementés, ainsi que des formalités qu'impose l'article 35 pour la prestation du serment, que le législateur avait l'intention de poser la presta- tion du serment d'allégeance comme unique condition à la délivrance d'un certificat de citoyenneté.
Je considère en effet qu'en imposant, de pair avec la prestation du serment d'allégeance, la renonciation à la citoyenneté ou à la nationalité antérieure, le gouverneur en conseil a soumis, sans en avoir le pouvoir, l'obtention de la citoyenneté canadienne à une nouvelle condi tion de fond. A mon avis, ceci va au-delà des pouvoirs conférés par la loi. En effet, il ressort clairement de la simple lecture de la loi que la prestation du serment d'allégeance est la seule condition posée à l'obtention de la citoyenneté une fois que la Cour de la citoyenneté cana- dienne a rendu une décision favorable. Le simple fait que le texte précis du serment d'allé- geance ait été incorporé à la loi indique manifes- tement l'intention de ne pas demander de preuve d'allégeance envers le Canada autre que le serment, tel qu'il figure à l'annexe.
Comme nous l'avons vu, la Loi sur la citoyen- neté canadienne prévoit qu'un citoyen canadien peut en certaines circonstances conserver ou obtenir la double nationalité (voir les articles 15 et 17 de la loi); une situation de ce genre peut à l'occasion entraîner certaines difficultés surtout en cas de guerre entre ces deux pays, si un citoyen canadien sert dans les forces armées d'un pays étranger. Cependant l'article 17 de la loi prévoit que dans une situation de ce genre, un citoyen canadien cesse de l'être.
Si le législateur avait eu l'intention de soumet- tre l'obtention de la citoyenneté canadienne, à une autre condition en plus de la prestation du serment d'allégeance, il aurait été simple d'in- clure dans la loi toutes les dispositions jugées nécessaires et fondamentales pour la protection du statut rattaché à la citoyenneté canadienne. Pourtant, le Parlement ne l'a pas fait et le gou- verneur en conseil n'est pas habilité, sous pré- texte de l'exécution des fins et dispositions de la loi, d'imposer, par règlement, une condition aussi fondamentale que la déclaration de renonciation.
Par conséquent par les présentes, l'article 19(1)b) des règlements est déclaré ultra vires des pouvoirs que la loi confère au gouverneur en conseil. Le demandeur a donc le droit de se voir délivrer un certificat de citoyenneté canadienne.
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