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Bateaux St-Maurice Inc. (Demanderesse)
c.
Les Bateaux de la Mauricie Inc. (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Pratte — Trois-Rivières, le 10 septembre; Ottawa, le 29
octobre 1973.
Marques de commerce—Compagnies fabriquant des embarcations—Noms semblables—Confusion—Injonction— Loi sur les marques de commerce, art. 7b).
La demanderesse exploite une fabrique d'embarcation en fibre de verre établie depuis le 23 décembre 1968 sous le nom français «Bateaux St-Maurice Inc.» et le nom anglais «St-Maurice Boats Inc.». Elle a poursuivi une entreprise en exploitation depuis 1958, qui était antérieurement connue sous le nom «St-Maurice Canoe Enrg.». En janvier 1972, la défenderesse a obtenu des lettres patentes sous le nom «Les Bateaux de la Mauricie Inc.» et, vers la fin de cette année-là, elle a commencé à fabriquer et à vendre des embarcations semblables à celles de la demanderesse.
Arrêt: la défenderesse a enfreint l'article 7 b) de la Loi sur les marques de commerce; la Cour ordonne donc à la défen- deresse de cesser d'utiliser le nom «Les Bateaux de la Mauricie Inc.».
ACTION.
AVOCATS:
Pierre Deschênes pour la demanderesse.
Yves L. Duhaime pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Deschênes et Lacroix, Shawinigan, pour la demanderesse.
Duhaime et Duquette, Shawinigan, pour la défenderesse.
LE JUGE PRATTE—La compagnie demande- resse et la compagnie défenderesse font toutes deux le même genre de commerce: elles fabri- quent et vendent des embarcations en fibre de verre. Toutes les deux, elles sont établies à Shawinigan, dans la région que l'on appelle communément «La Mauricie» parce qu'elle est traversée par la rivière St-Maurice. Les deux compagnies ont des noms qui se ressemblent. La demanderesse, la plus ancienne des deux compagnies, se plaint que la défenderesse, qui a commencé son commerce à la fin de 1972, lui fasse une concurrence déloyale en utilisant un nom qui ressemble au sien.
La compagnie demanderesse a été créée le 23 décembre 1968 par lettres patentes émises con- formément aux lois de la province de Québec. Elle a un nom français, «Bateaux St-Maurice Inc.», et un nom anglais, «St-Maurice Boats Inc.». Dès 1969, la demanderesse a continué le commerce de la fabrication d'embarcations en fibre de verre que ses principaux actionnaires exploitaient depuis 1958 sous la raison sociale «St-Maurice Canoe Enrg.».
La défenderesse est, elle aussi, une compa- gnie créée en vertu des lois de Québec. Ses lettres patentes portent la date du 27 janvier 1972. C'est seulement depuis la fin de 1972 qu'elle a commencé à vendre et à manufacturer, sous son nom corporatif, des embarcations simi- laires à celles que fabrique la demanderesse.
La demanderesse prétend que la défende- resse, en commençant ainsi à utiliser son nom corporatif, a contrevenu à l'alinéa b) de l'article 7 de la Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, c. T-10 aux termes duquel
7. Nul ne doit
b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre. ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre;
La demanderesse demande en conséquence à la Cour d'interdire à la défenderesse d'utiliser, en rapport avec son commerce, le nom «Les Bateaux de la Mauricie Inc.». Elle réclame de plus, en outre des frais, des dommages-intérêts au montant de $25,000.00.
La preuve ne révèle pas que la demanderesse ait perdu des ventes en conséquence des agisse- ments qu'elle reproche à la défenderesse. Il a cependant été clairement établi que, depuis que la défenderesse a commencé son commerce, des tiers (fournisseurs de matériaux, livreurs etc.) ont confondu les deux compagnies de sorte qu'il est arrivé à plusieurs reprises que l'une d'entre elles reçoive des marchandises ou de la corres- pondance destinées à sa concurrente.
Quant à la preuve des dommages dont la demanderesse réclame réparation, elle est bien peu satisfaisante. Elle consiste dans l'affirma-
tion d'un officier de la demanderesse que la possibilité de confusion entre les deux concur- rentes avait occasionné un surcroît de travail aux employés de sa compagnie qui avaient été obligés de vérifier minutieusement que les mar- chandises, les comptes et la correspondance que recevait la demanderesse lui étaient bien destinés.
En défense, on a d'abord soutenu que la res- semblance entre les noms des deux compagnies n'était pas telle qu'elle puisse être source de confusion. On a aussi fait valoir que la défende- resse n'avait pu enfreindre l'article 7b) lors- qu'elle avait commencé son commerce à la fin de 1972 parce que, à ce moment-là, la demande- resse n'avait pas encore commencé à faire usage de son nom corporatif en rapport avec son entreprise.
Au sujet de cet argument, il a été prouvé que la demanderesse, après avoir acquis le com merce exploité jusque-là sous la raison sociale «St-Maurice Canoe Enrg.» avait, dans la région du St-Maurice, continué à être connue de plu- sieurs sous ce nom-là. Non pas parce que la demanderesse elle-même l'a utilisé, mais parce qu'elle avait négligé de faire modifier l'inscrip- tion de l'entreprise dans le bottin téléphonique et aussi, semble-t-il, de prévenir ses fournis- seurs habituels du changement de nom de l'en- treprise. Par ailleurs, la demanderesse utilisait son nom corporatif. Sur sa papeterie, elle avait fait imprimer une forme contractée de ses noms français et anglais: «Bateaux St-Maurice Boats Inc.».
Enfin, la défenderesse a plaidé que les agisse- ments de la demanderesse n'ont causé aucun préjudice à la demanderesse.
La première question à laquelle je dois répon- dre ici est la suivante: lorsque, à la fin de 1972, la défenderesse a commencé à faire commerce sous le nom «Les Bateaux de la Mauricie» a-t-elle alors attiré l'attention du public sur son entreprise de manière à causer ou à vraisembla- blement causer de la confusion entre son entre- prise et celle de la demanderesse?
Pour répondre à cette question il faut d'abord se prononcer sur la similitude qui existe entre les noms de la demanderesse et de la défende-
resse: ces deux raisons sociales se ressemblent- elles assez pour que leur usage simultané dans les circonstances que révèle la preuve puisse être source de confusion? Il faut ensuite se demander, comme l'a souligné l'avocat de la défenderesse, si la demanderesse avait com- mencé à utiliser son nom corporatif au moment la défenderesse a commencé à utiliser le sien. Même dans l'hypothèse la défenderesse aurait adopté un nom presque identique à celui de la demanderesse, elle n'aurait pas, ce faisant, enfreint l'article 7 b) si, à ce moment, la deman- deresse n'avait pas encore fait usage de son propre nom.
Quant au premier point, savoir la similitude entre le nom de la demanderesse et celui de la défenderesse, je crois que ces noms se ressem- blent assez pour que leur emploi par deux entre- prises concurrentes dans une même région puisse être vraisemblablement une source de confusion.
Quant au second point, la preuve révèle que depuis plus de 20 ans, la demanderesse ou ses prédécesseurs ont utilisé comme raison sociale les mots «bateaux» ou «canoe» joints au mot «St-Maurice». Dans ces circonstances, je suis d'opinion que lorsque la défenderesse a com- mencé son commerce à la fin de 1972 sous la raison sociale «Les Bateaux de la Mauricie Inc.», elle a attiré l'attention du public sur son entreprise de façon à vraisemblablement causer de la confusion entre cette entreprise et celle de la demanderesse.
Reste la question des dommages-intérêts réclamés par la demanderesse. Il est peut-être vrai que le risque de confusion entre le nom des deux compagnies a occasionné un surcroît de travail aux employés de la demanderesse. Mais il s'agit d'un dommage bien peu important et dont la demanderesse doit en grande partie sup porter la responsabilité. Si les fournisseurs de la demanderesse avaient été prévenus de ce qu'elle ne faisait plus affaires sous le nom «St-Maurice Canoe Enrg.», et si la demanderesse avait fait inscrire le nouveau nom de son entreprise dans le bottin téléphonique, il est vraisemblable de croire qu'elle aurait grandement diminué son dommage. Dans les circonstances, je ne crois
pas qu'il y ait lieu d'accorder à la demanderesse l'indemnité qu'elle réclame.
Le jugement ordonnera donc à la défende- resse de cesser, d'ici 90 jours, de faire com merce sous le nom «Les Bateaux de la Mauricie Inc.». Si, pour un motif valable, la défenderesse ne pouvait obtempérer à cette ordonnance dans le délai fixé, elle pourra en demander la proro- gation (Règle 3(1)c)). La défenderesse devra donc aussi payer les frais de la demanderesse.
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