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Canadian Rock Salt Company Limited (Appe- lante)
c.
Le ministre du Revenu national (Intimé)
Division de première instance, le juge Heald — Montréal (P.Q.), le 16 février; Ottawa, le 22 février 1973.
Impôt sur le revenu—Déduction de l'intérêt sur des emprunts—Revenu d'une mine exempt d'impôt pendant 3 ans—Intérêt accumulé pendant la période d'exemption payé par la suite—Est-ce déductible—Loi de l'impôt sur le revenu, art. 11(1)c), 12(1)c).
La compagnie appelante a acquis une mine de sel et y a fait des travaux entre le 31 décembre 1952 et le 31 août 1955 avec de l'argent emprunté, garanti par des obligations portant un intérêt de 5% conformément à un acte de fiducie daté du 1e" novembre 1952. La mine a commencé à produire le 1e} septembre 1955 et, en vertu de l'article 83(5) de la Loi de l'impôt sur le revenu, les revenus en provenant étaient exempts d'impôt pendant les 3 années suivantes. Conformé- ment à des actes de fiducie supplémentaires passés le 31 août 1955 et le 26 décembre 1958, l'intérêt de $542,734 qui s'était accumulé sur les obligations pendant la période d'e- xemption n'a été payé qu'en 1959.
Arrêt: l'intérêt en question constitue «l'intérêt sur l'argent emprunté et utilisé pour acquérir des biens dont le revenu serait exempté» au sens de l'article 11(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu; ce n'est donc pas une dépense déducti- ble. Le mot «biens» à l'article 11(1)c) comprend le revenu provenant de l'exploitation de la propriété. Arrêt suivi: Canada Safeway Ltd. c. M.R.N. (Cour supreme du Canada) 57 DTC 1239. La déduction est en outre exclue par l'article 12(1)c) qu'on doit lire en corrélation avec l'article 11(1)c). Arrêt suivi: Interior Breweries Ltd. c. M.R.N. (C. de 1'É.) 55 DTC 1090.
APPEL de l'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
Jean-Claude Couture, c.r. pour l'appelante.
A. Garon, c.r. et Louise Lamarre-Proulx pour l'intimé.
PROCUREURS:
Ogilvy, Cope & Cie, Montréal, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
LE JUGE HEALD—Cet appel porte sur les cotisations de la compagnie appelante établies par l'intimé pour les années 1959 et 1960.
La compagnie appelante fut constituée en 1952 sous le régime de la Loi fédérale sur les compagnies. Son but principal était l'explora- tion, la mise en valeur et la gestion d'une mine de sel gemme au Canada et, plus précisément, en Ontario dans la région de Windsor. La com- pagnie appelante était, pendant toute l'époque en question, une société filiale entièrement pos- sédée par la Canadian Salt Company Limited. La Canadian Salt était elle-même filiale de la Morton Salt Company, compagnie américaine. Aucune des parties ne conteste qu'à l'époque en cause l'appelante avait des liens particuliers avec la Morton Salt Company.
Le l er novembre 1952, la compagnie appe- lante a souscrit un acte de fiducie assortie d'une hypothèque auprès d'une société de fiducie pour garantir les obligations de première hypothèque en vue de réunir les fonds nécessaires au fonc- tionnement de son entreprise. La valeur nomi- nale de l'émission s'élevait à six millions de dollars et les obligations qui la composaient portaient intérêt à 5%. L'émission des obliga tions était garantie par une première hypothèque ainsi que par un gage flottant sur tous les avoirs de la compagnie. L'intérêt était de 5% par an. Aux termes de l'acte de fiducie original, en date du l er novembre 1952, les intérêts étaient échus, semestriellement, au 1 e mai et au l er novembre de chaque année à compter du ler mai 1953.
Le 31 août 1955, un acte complémentaire de fiducie assortie d'une hypothèque fut souscrit. Il modifiait la clause sur le versement des intérêts de sorte qu'ils deviennent échu au cours de l'année civile 1960, pour les obligations portant la date du 31 août 1955 au plus tard et en 1961, pour les obligations datées après le 31 août 1955.
Le 26 décembre 1958, par un nouvel acte complémentaire de fiducie assortie d'une hypo- thèque relative aux obligations de première hypothèque, la clause sur les intérêts fut encore une fois modifiée. Ainsi les intérêts sur les obligations devinrent échus:
(i) le 26 décembre 1958, pour les intérêts accumulés au 31 août 1956;
(ii) le 2 janvier 1959, pour les intérêts accu- mulés au 31 août 1957;
(iii) le 2 septembre 1959, pour les intérêts accumulés au 31 août 1958;
(iv) le 2 septembre 1959, pour les intérêts accumulés entre le ler septembre 1958 et le 31 décembre 1958;
(y) le 31 décembre 1959, pour les intérêts accumulés entre le l er janvier 1959 et le 31 décembre 1959; et
(vi) par la suite, à compter du 31 décembre 1960 jusqu'au 31 décembre 1966, le 31 décembre de chaque année pour les intérêts accumulés au cours de ladite année. Après cette période, les intérêts devenaient échus le ter novembre 1967.
Cet acte additionnel daté du 26 décembre 1958 eut pour résultat de faire échoir dans l'année d'imposition 1959 (correspondant à l'an- née civile) les intérêts accumulés entre le ler septembre 1956 et le 31 décembre 1959.
Au 31 décembre 1952, il n'avait été émis d'obligations que pour un montant de $429,000. Au 31 août 1955, la Morton Salt, compagnie mère de la compagnie appelante, lui avait avancé quelque cinq millions de dollars. C'est pendant cette période que l'appelante a acquis et construit sa mine de sel et les sommes en question ont servi à cette fin. Au 31 août 1956, ces avances avaient été régularisées par l'émis- sion au nom de la Morton Salt des obligations de première hypothèque susmentionnées. Il en résulta que le bilan de la compagnie indiquait une émission d'obligations de première hypothè- que pour une somme totale de $5,427,341.
L'intimé a accordé à la compagnie appelante un certificat d'exemption portant la date du 10 novembre 1955 et couvrant le revenu provenant de l'exploitation de la mine de sel entre le ler septembre 1955 et le 31 août 1958 conformé- ment aux dispositions de l'article 83(5) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
83. (5) Sous réserve des conditions prescrites, il ne faut pas inclure, dans le calcul du revenu d'une corporation, le revenu provenant de l'exploitation d'une mine au cours de la période de 36 mois commençant le jour la mine est entrée en production.
Aux termes des dispositions de l'émission, après modification, les intérêts accumulés pen dant la période du ler septembre 1956 au 31 août 1957 devaient être versés le 2 janvier 1959. Les intérêts accumulés pendant la période qui va du l er septembre 1957 au 31 août 1958 devaient être versés le 2 septembre 1959. En conformité avec ces dispositions, au cours de l'année d'imposition 1959 qui correspondait à l'année civile, la compagnie appelante a versé à titre d'intérêts pour ces périodes la somme de $542,734 et demanda la déduction de cette somme de son revenu imposable pour l'année d'imposition en question. L'intimé n'a pas admis le versement de ses intérêts au titre de déduc- tion du revenu imposable et c'est le seul point en litige. Cet appel devait également porter sur la cotisation de 1960 mais les avocats des par ties ont convenu qu'elle n'était pas en question et qu'ils se conformeraient à la décision relative à la cotisation de l'année 1959.
Personne ne conteste que les fonds sur les- quels furent versés les intérêts en question furent entièrement consacrés à l'acquisition du terrain, aux dépenses avant production, puis, à l'acquisition et à la construction de la mine et à sa mise en exploitation. On ne conteste pas non plus que lesdits intérêts se sont accumulés pen dant la période d'exemption (du l er septembre 1955 au 31 août 1958) et que le bilan de la compagnie, pendant les années d'exemptions, indiquait lesdits intérêts comme accumulés et échus. Les éléments de preuve font clairement ressortir que la mine est entrée en production le l ei septembre 1955 et qu'elle a commencé à produire un revenu à partir de cette date.
La société appelante prétend pouvoir déduire de son revenu imposable les sommes versées à titre d'intérêts en vertu de l'article 11(1)c)(i) qui est rédigé comme suit:
11. (1) Par dérogation aux alinéas a), b) et h) du paragra- phe (I) de l'article 12, les montants suivants peuvent être déduits dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition:
c) un montant payé dans l'année, ou payable à l'égard de l'année (suivant la méthode employée régulièrement par le contribuable dans le calcul de son revenu), aux termes d'une obligation juridique de payer des intérêts sur
(i) un montant d'argent emprunté et utilisé aux fins de
gagner le revenu provenant d'une entreprise ou de biens
(autre que l'argent emprunté et utilisé pour acquérir des
biens dont le revenu serait exempté ou pour acquérir un droit portant sur une police d'assurance-vie),
L'appelante soutient que les fonds empruntés en l'espèce ont été utilisés aux fins d'obtenir un revenu de son entreprise minière et qu'ils entrent, par conséquent, dans le champs d'appli- cation de l'article 11(1)c)(i). Je considère que, sur ce point, les éléments de preuve appuient l'argument de l'appelante ainsi d'ailleurs que le fait la jurisprudence établie. (Voir: Trans -Prairie Pipelines Ltd. c. M.R.N. 70 DTC 6351 à la p. 6354.) Par contre, malheureusement pour l'ap- pelante, cela ne règle pas la question car l'article 11(1)c)(i) impose une deuxième condition pour pouvoir effectuer la déduction, à savoir, l'argent emprunté ne doit pas être utilisé pour acquérir des biens dont le revenu serait exempté. L'in- timé soutient qu'en l'espèce, tous les fonds empruntés ont été utilisés pour «acquérir des biens dont le revenu serait exempté», ainsi que le précise l'article 11(1)c)(i). L'intimé a raison de faire valoir que les intérêts versés au cours de l'année d'imposition 1959 étaient, selon les dispositions de l'article 83(5), des intérêts accu- mulés pendant la période le revenu de l'appe- lante était exonéré d'impôt. Le répondant a éga- lement raison, à mon sens, quand il affirme que l'argent emprunté a servi à acquérir «les biens» de l'appelante, car la définition que donne la loi du mot «biens» est suffisamment large pour inclure les biens réels et personnels (article 139(1)ag)).
Par ailleurs, l'avocat de l'appelante soutient que l'article 11(1)c)(i) fait une distinction entre le revenu qui provient d'une entreprise commer- ciale et celui qui provient de biens et que la dérogation prévue ne s'applique qu'au revenu de biens et non à ceux d'une entreprise commer- ciale. De plus, puisqu'en l'espèce ledit revenu provient d'une entreprise minière, la dérogation prévue à l'article 11(1)c)(i) n'est pas applicable. Ce que l'on entend par le mot «biens» au sens de l'article 11(1)c)(i) fut précisé par le juge Rand de la Cour suprême du Canada dans l'af- faire Canada Safeway Limited c. M.R.N. 57 DTC 1239 aux pages 1244 et 1245. Ayant souli- gné que l'article 11(1)c)(i) de la nouvelle loi précisait «utilisé aux fins de gagner le revenu provenant d'une entreprise» et que cette rédac-
tion correspondait à celle de la loi abrogée, il ajouta:
[TRADUCTION] Le mot «biens» est utilisé aux alinéas (i) et (ii), mais je ne vois pas en quoi cela pourrait être utile à l'appelante; les termes
un montant d'argent emprunté et utilisé aux fins de gagner le revenu provenant... de biens (autre que des biens dont le revenu serait exempté)
à l'alinéa (i) s'applique au revenu produit par l'exploitation de ces biens.
Donc, si l'on adopte l'interprétation que donne le juge Rand du mot «biens» tel qu'il est utilisé dans la dérogation prévue par l'article 11(1)c)(i), ce mot comprend le revenu produit par l'exploitation du bien lui-même. Cette déro- gation est suffisamment large pour englober les faits de notre affaire. En l'espèce, le revenu exempté provenait de l'exploitation des biens de la compagnie appelante, à savoir, sa mine de sel, y compris ses biens mobiliers et tout son maté riel minier et de raffinage.
Ainsi, à mon avis, les intérêts en question constituent l'intérêt sur une somme empruntée utilisée pour acquérir de la propriété dont le revenu est exempté et, par conséquent, la com- pagnie appelante, n'a pas le droit de déduire ces intérêts de son revenu pour l'année 1959.
La position de l'intimé est encore renforcée par l'article 12(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu qui dispose:
12. (1) Dans le calcul du revenu, il n'est opéré aucune déduction à l'égard
c) d'une somme déboursée ou dépensée dans la mesure elle peut raisonnablement être considérée comme ayant été déboursée ou dépensée en vue de gagner ou de produire un revenu exempté ou relativement à des biens dont le revenu serait exempté,
Le juge Cameron a eu l'occasion d'examiner, dans l'affaire Interior Breweries Ltd. c. M.R.N. 55 DTC 1090, à la p. 1093, les rapports entre l'article 12(1)c) et l'article 11(1)c)(i):
[TRADUCTION] Il convient de remarquer que le paragraphe introductif de l'article 11(1) ne mentionne pas à cet alinéa:
11. (1) Par dérogation aux alinéas a), b) et h) du paragraphe (1) de l'article 12, les montants suivants peu- vent être déduits dans le calcul du revenu d'un contribua- ble pour une année d'imposition.
Il me semble, par conséquent, que les dispositions statu- taires de l'article 11(1)c) ne doivent pas être considérées isolément mais doivent être lues en corrélation avec les dispositions de l'article 12(1)c) qui, comme le fait l'article 11(1)c), se rapporte aux déductions afférentes aux revenus exemptés. Étant donné les circonstances de cette affaire, je pense devoir décider que toutes les sommes déboursées en l'espèce peuvent raisonnablement être considérées comme ayant été dépensées relativement à des biens dont le revenu sera exempté et qu'elles sont, par conséquent, exclues de la déduction.
Je partage le point de vue du juge Cameron selon lequel, puisque l'article 11(1)c) n'exclue pas précisément l'article 12(1)c) alors qu'il exclut l'article 12(1)a), b) et h), il est nécessaire de considérer les deux articles ensemble. Il res- sort clairement de la lecture conjointe des deux articles, que, si l'on peut, demander si l'article 11(1)c) permet le versement d'intérêts dans les circonstances de cette affaire, l'article 12(1)c) le lui défend formellement. La preuve en l'espèce fait ressortir que les intérêts en question consti tuent une dépense dans la mesure elle peut raisonnablement être considérée comme ayant été effectuée en vue de produire un revenu exempté. Les intérêts en question étaient deve- nus exigibles pour la période postérieure à la mise en production de la mine et pendant une période cette compagnie fonctionnait effecti- vement. Ils peuvent, à juste titre, être déduits du revenu imposable, ce qui n'est pas le cas pour les frais relatifs aux intérêts qui seraient encou- rus pendant la période de construction qui, peut être considérée comme faisant partie du coût en capital. (Voir: Sherritt Gordon Mines Ltd. c. M.R.N. [1968] C.T.C. 262 à la p. 290.)
J'en ai donc conclu que c'est à juste titre que l'intimé a refusé d'admettre lesdits versements d'intérêt à titre de déduction du revenu pour l'année 1959.
Il me semble qu'en soutenant l'opinion con- traire, on dénaturerait les intentions du législa- teur. L'article 83(5) a le but évident d'encoura- ger l'exploration et la mise en valeur des ressources minières canadiennes en accordant à l'explorateur et à l'entrepreneur une exemption fiscale pendant les trois premières années de production de sa mine. Le revenu étant exempté d'impôt, il est peu probable que les dépenses encourues pour produire ce revenu exempté puissent être déduites de revenus qui eux ne
seraient pas exemptés. Assurément l'intention du législateur, exprimée aux articles 11(1)c)(i) et 12(1)c), est d'interdire la déduction de dépenses relatives à un revenu exempté. Je suis con- vaincu que c'était l'intention du législateur et je suis aussi convaincu que cette intention a été clairement exprimée dans les dispositions sus- mentionnées de la loi.
L'appel est, par conséquent, rejeté avec dépens.
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