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Ashton -Potter Limited (Demanderesse)
c.
White Rose Nurseries Limited (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Kerr— Toronto, le 5 juin; Ottawa, le 13 juin 1972.
Droit d'auteur—Procédure--Licence accordée par un con- cédant étranger pour la reproduction de photographies au Canada—Caractère suffisant de la déclaration—Droits des concédants sur les photographies non alléguées—Droit du titulaire à agir en son nom personnel—Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, c. C-30, art. 20(3) et (5), 36(2).
La demanderesse poursuit la défenderesse pour la viola tion d'un droit d'auteur sur certaines photographies de fleurs et allègue dans sa déclaration qu'elle détient une licence des concédants étrangers pour la reproduction des photographies au Canada, en vertu d'un accord enregistré au Bureau du droit d'auteur à Ottawa.
Arrêt: (1) La déclaration ne peut être radiée parce qu'elle omet d'indiquer la nature du droit d'auteur des concédants sur les photographies ou la manière dont ce droit fut acquis. Arrêt suivi: Circle Film Enterprises Inc. c. C.B.C. [1959] R.C.S. 602.
(2) La demanderesse peut à bon droit, en tant que titu- laire, intenter une action en violation en son nom personnel, en vertu de l'article 20(5) de la Loi sur le droit d'auteur. Arrêt mentionné: Bouchet c. Kyriacopoulos, 45 C.P.R. 265.
DEMANDE.
C. D. Macdonald pour la demanderesse.
R. T. Hughes pour la défenderesse.
LE JUGE KERR—La présente requête, présen- tée au nom de la défenderesse, tend à obtenir la radiation de la déclaration de la demanderesse, au motif qu'elle ne révèle aucune cause raison- nable d'action. Règle 419(1)a).
L'objet du litige est le catalogue d'une pépi- nière pour l'année 1972, publié et diffusé par la défenderesse, qui contient des illustrations en couleurs représentant une fleur de pivoine, une fleur d'aster, un pied de rhubarbe, un érable japonais et une fleur d'hortensia. La demande- resse allègue qu'elle détient le droit exclusif de reproduire ces cinq illustrations au Canada et que la défenderesse a violé ce droit. Une requête qu'a présentée la demanderesse pour obtenir une injonction interlocutoire contre la défenderesse est pendante dans cette action.
La demanderesse et la défenderesse sont des compagnies constituées en vertu des lois de la
province d'Ontario et exercent leur activité en Ontario.
Dans l'arrêt Dow Chemical Co. c. Kayson Plastics & Chemicals Ltd.', le président Jackett, aujourd'hui juge en chef, a fait le commentaire suivant sur les plaidoiries:
[TRADUCTION] En général, dans notre système de plaidoi- ries, un exposé de demande résultant de la violation d'un droit devrait clairement établir
a) les faits montrant que le droit reconnaît au demandeur un droit particulier, et
b) les faits constitutifs d'un empiétement par le défendeur de ce droit du demandeur.
Si l'exposé de demande ne contient pas ces deux éléments de la cause d'action du demandeur, il ne révèle aucune cause d'action et peut être rejeté sommairement.
Au paragraphe 4 de la déclaration, il est allé- gué que, conformément à un accord concernant une licence entre la demanderesse, bénéficiaire de cette licence, et Stahle & Friedel GmbH, et Hallwag Ltd., toutes deux ayant leur siège en Suisse, qui ont concédé la licence, accord dont un exemplaire est annexé à la déclaration, la demanderesse a acquis des concédants le droit de reproduire au Canada certaines illustrations en couleurs dont les cinq illustrations mention- nées plus haut.
Au paragraphe 5, il est déclaré que la défen- deresse a enregistré l'accord de concession de licence au Bureau du droit d'auteur à Ottawa, le 12 mai 1972, et un exemplaire du certificat d'enregistrement est joint à la déclaration.
Au paragraphe 6, il est indiqué que l'accord concernant la licence peut être dénoncé après un préavis de six mois et qu'un tel préavis n'a pas été donné. 2
Au paragraphe 7, il est indiqué qu'en raison des faits ci-dessus (c'est-à-dire les faits énoncés aux paragraphes 4, 5 et 6), la demanderesse a acquis des concédants le droit exclusif de repro- duire ces cinq illustrations en couleurs au Canada.
Les paragraphes 10, 11, 12 et 13 se lisent comme suit:
[TRADUCTION] 10. La défenderesse a signé un accord de règlement et de renonciation, le 21 octobre 1968, avec la demanderesse et Stahle & Friedel GmbH, en vertu duquel elle reconnaît le droit d'auteur de Stahle & Friedel et les droits exclusifs de la demanderesse, résultant de la licence,
sur les 26 illustrations en couleurs, parmi lesquelles se trouve celle de la fleur de pivoine dont il est question au paragraphe 4 de la présente déclaration.
11. La défenderesse a fait reproduire dans son catalogue pour l'année 1972, pour son usage et bénéfice personnels, les cinq illustrations en couleurs, notamment celle de la fleur de pivoine dont il est question aux paragraphes 4 et 10, et la défenderesse a diffusé ledit catalogue dans le public, le tout sans le consentement ni l'autorisation de la demanderesse ou des concédants de la licence.
12. La demanderesse allègue qu'en vertu de sa licence, accordée par les titulaires du droit d'auteur sur les cinq illustrations en couleurs, elle détient un droit exclusif de reproduire ces illustrations et que, par conséquent, la défen- deresse viole sciemment les droits qu'elle tient de la licence sur les cinq illustrations en couleurs; et qu'en ce qui con- cerne la fleur de pivoine, elle avait reconnu par écrit les droits de la demanderesse; que la défenderesse continuera à violer les droits de la demanderesse sur ces cinq illustra tions en couleurs, lui causant ainsi des dommages apprécia- bles, à moins qu'elle n'en soit empêchée.
13. En raison des actes de la défenderesse décrits plus haut
a) la demanderesse ne pourra imprimer ni reproduire les cinq illustrations en couleurs pour le compte de ses clients et à leur plein avantage et, par conséquent, elle subira une perte et des dommages.
b) la défenderesse, en utilisant les cinq illustrations en couleurs dans son catalogue pour l'année 1972, a recueilli un avantage sans rémunérer la demanderesse.
c) la défenderesse, en utilisant les cinq illustrations en couleurs dans son catalogue 1972, a augmenté ses ventes de marchandises et de services et, ce faisant, a augmenté ses bénéfices.
L'accord concernant la licence énonce qu'il est intervenu
[TRADUCTION] Entre
Stable & Friedel GmbH, Zug (Suisse)
et
Hallwag Ltd., Nordring 4, Berne (Suisse) toutes deux
représentées conjointement par leur conseiller écono-
mique dûment mandaté W. Sulzberger, Berne (Suisse)
—ci-après dénommées
«le concédant»—
et
MM. Ashton -Potter Limited, Toronto 3, (Ontario),
Canada
—ci-après dénommé
«le titulaire»—
Les paragraphes 1, 2, 3 et 4 se lisent comme suit:
[TRADUCTION] 1. Le concédant accorde par les présentes au titulaire le droit de reproduire les documents d'impres- sion que lui a fourni le concédant pour les faire imprimer et de distribuer des sachets à graines, étiquettes, catalogues et documents publicitaires en couleurs, fabriqués à l'aide de
reproductions de ces originaux. Le concédant conservera la propriété du droit d'auteur.
2. A la demande du titulaire, le concédant fournira au titulaire les films positifs quadrichromes nécessaires aux opérations de reproduction. Le concédant conservera la propriété de ces films.
3. Le concédant s'engage par les présentes à ne pas accorder de licence de ses dessins à quelque compagnie que ce soit au Canada.
4. Le concédant s'engage à ne pas envoyer au Canada, tant que le présent accord sera en vigueur, de sachets à graines vides portant des reproductions de ses dessins.
La réclamation de la demanderesse s'appuie sur les droits qu'elle a acquis en vertu de l'ac- cord de licence. Une copie de cet accord est jointe à la déclaration et tout commentaire serait superflu. Dans la déclaration, les concé- dants sont désignés sous le nom de titulaires du droit d'auteur sur ces illustrations. Je considère cette mention comme étant une allégation de la demanderesse quant à la propriété de ces droits d'auteur. Il est également allégué dans la décla- ration que la demanderesse a fait enregistrer l'accord au Bureau du droit d'auteur et une copie du certificat d'enregistrement est jointe à la déclaration.
L'article 36(2) de la Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, c. C-30, énonce que le certificat d'enregistrement d'un droit d'auteur sur une oeuvre constitue la preuve que cette oeuvre fait l'objet d'un droit d'auteur et que la personne portée à l'enregistrement est le titulaire de ce droit d'auteur. L'article 20(3) se lit comme suit:
20. (3) Dans toute action pour violation du droit d'auteur sur une œuvre, si le défendeur conteste l'existence du droit d'auteur ou la qualité du demandeur,
a) l'oeuvre est, jusqu'à preuve contraire, présumée être une oeuvre protégée par un droit d'auteur; et
b) l'auteur de l'oeuvre est, jusqu'à preuve contraire, pré- sumé être le titulaire du droit d'auteur;
La Cour suprême du Canada a examiné, dans l'arrêt Circle Film Enterprises Inc. c. C.B.C. [1959] R.C.S. 602, ces dispositions de la Loi sur le droit d'auteur, telles qu'elles se lisaient avant la parution des statuts révisés de 1970, et le juge Judson, en prononçant le jugement de la Cour, a indiqué à la page 605:
[TRADUCTION] Un demandeur, s'il est cessionnaire, peut bénéficier de cette présomption en apportant la preuve de l'origine de son droit, mais lorsque, comme dans la présente affaire, la demanderesse s'appuie sur un certain nombre de
cessions intermédiaires, dont la plupart sont intervenues à l'étranger, la charge de la preuve peut devenir écrasante. La question importante à résoudre est celle de savoir si elle peut bénéficier de cette présomption en produisant le certi- ficat d'enregistrement qu'exige l'art. 36(2), ...
et à la page 607:
Un demandeur qui fournit ce certificat apporte à l'appui de sa demande un élément de preuve suffisant pour obliger le juge du fait à décider en sa faveur, en l'absence de preuve en sens contraire.
Selon moi, il s'ensuit qu'en produisant ce certificat et en l'absence de preuve contraire, la demanderesse dans la présente affaire s'est acquittée de la charge de la preuve, dans ses deux aspects: la charge primaire, celle qui incombe au demandeur en vertu du droit positif et que l'on désigne parfois par l'expression risque de non-persuasion, et la charge secondaire, celle qui consiste à apporter des preu- ves; Smith c. Nevins ([1925] R.C.S. 619, p. 638, [1924] 2 D.L.R. 865) et Ontario Equitable c. Baker ([1926] R.C.S. 297, p. 308, 2 D.L.R. 289). Pour ce motif, le rejet de cette action doit être infirmé et un jugement doit être rendu en faveur de la demanderesse.
L'avocat de la défenderesse prétend que la déclaration ne révèle aucune cause sérieuse d'action pour violation d'un droit d'auteur, en particulier parce qu'elle n'indique pas la nature du droit d'auteur que les titulaires possèdent sur les illustrations, ni la manière ou la date d'acqui- sition d'un tel droit d'auteur, ni l'auteur, ni la date à laquelle ces photos ont été prises. Néan- moins, je ne pense pas que la déclaration doive être rejetée en raison de l'omission de ces détails. Si la défenderesse conteste l'existence du droit dont se réclame la demanderesse, elle peut offrir d'apporter la preuve de son titre et de ses prétentions.
J'en conclus que la déclaration, prise dans son ensemble, n'omet pas d'indiquer les faits nécessaires pour montrer qu'il existe une cause sérieuse d'action pour violation d'un droit d'auteur.
L'avocat de la défenderesse allègue aussi que la demanderesse, titulaire d'une licence en vertu de l'accord, ne peut intenter en son nom person nel la présente action pour violation du droit d'auteur.
Les passages pertinents de l'article 12(4) et de l'article 20(1), (4) et (5) de la Loi sur le droit d'auteur se lisent comme suit:
12. (4) Le titulaire du droit d'auteur sur une oeuvre peut céder ce droit, en totalité ou en partie, d'une manière générale, ou avec des restrictions territoriales, pour la durée
complète ou partielle de la protection; il peut également concéder, par une licence, un intérêt quelconque dans ce droit; mais la cession ou la concession n'est valable que si elle est rédigée par écrit et signée par le titulaire du droit qui en fait l'objet, ou par son agent dûment autorisé.
20. (1) Lorsque le droit d'auteur sur une oeuvre a été violé, le titulaire du droit est admis, sauf disposition con- traire de la présente loi, à exercer tous les recours, par voie d'injonction, dommages-intérêts, reddition de compte ou autrement, que la loi accorde ou peut accorder pour la violation d'un droit.
(4) Quiconque viole le droit d'auteur sur une oeuvre pro- tégée en vertu de la présente loi est passible de payer, au titulaire du droit d'auteur qui a été violé, les dommages-inté- rêts que ce titulaire a subis du fait de cette violation, et, en sus, telle proportion, que le tribunal peut juger équitable, des profits que le contre-facteur a réalisés en commettant cette violation du droit d'auteur....
(5) L'auteur, ou un autre titulaire d'un droit d'auteur, ou quiconque possède un droit, un titre ou un intérêt acquis par cession ou concession consentie par écrit d'un auteur ou d'un autre titulaire susdit, peut, individuellement pour son propre compte, en son propre nom comme partie à une poursuite, action ou procédure, soutenir et faire valoir les droits qu'il détient, et il peut exercer les recours prescrits par la présente loi dans toute l'étendue de son droit, de son titre et de son intérêt.
L'avocat de la défenderesse prétend que la demanderesse ne détient pas une «cession ou une concession» au sens de l'article 20(5) et aussi qu'un cessionnaire ou un concessionnaire, autorisé en vertu de ce paragraphe à protéger et faire valoir ses droits, ne peut engager une action en son nom personnel, mais seulement se joindre à une action déjà intentée par l'auteur ou tout autre titulaire du droit d'auteur.
On a cité l'affaire Bouchet c. Kyriacopoulos 45 C.P.R. 265. Il s'agissait d'une action pour violation d'un droit d'auteur, se fondant sur un contrat conclu en France entre le demandeur (marchand de tableaux à Montréal) et un dénommé Vidal (artiste français) en vertu duquel Vidal accordait au demandeur le droit exclusif d'exposer et de vendre dans le monde entier toute sa production artistique pendant une période de dix ans. Le demandeur a intenté une action contre le défendeur, qui avait fait copier par un peintre un des tableaux en ques tion, et il demandait des dommages-intérêts ainsi qu'une injonction. Le juge Kearney a jugé, entre autres, que les tableaux de Vidal étaient protégés par la Loi sur le droit d'auteur, que Vidal avait concédé, aux termes de l'accord, le
droit exclusif de présenter ses tableaux, d'en faire la publicité, de tenir des expositions et de les vendre, de même que le droit de les repro- duire, et que le demandeur avait acquis un droit d'auteur limité qui lui donnait le droit de proté- ger, en son nom personnel, le droit de reproduc tion, en vertu de l'article 20(5); et il a accordé une injonction et des dommages-intérêts. La Cour suprême du Canada (le juge en chef Tas- chereau et les juges Fauteux, Abbott, Ritchie et Hall) a rejeté un appel de cette décision. Le juge en chef a rendu oralement le jugement suivant (p. 281):
[TRADUCTION] Nous sommes unanimement d'avis qu'il n'y a aucune erreur dans la conclusion à laquelle le juge Kear- ney est arrivé. L'appel est par conséquent rejeté avec dépens.
On a cité la très récente décision de la divi sion d'appel de la Cour fédérale, American Cyanamid Company c. Novopharm Limited, dans laquelle il s'agissait d'une action en contre- façon d'un brevet on examinait le statut du détenteur d'une licence d'exploitation d'un brevet.
La situation et le statut du titulaire d'une licence en vertu de la loi anglaise de 1911 sur le droit d'auteur étaient quelque peu incertains. On n'a pas résolu cette question dans l'arrêt British Actors Film Co. Ltd. c. Glover [1918] 1 K.B. 299.
Bien que cette question ne soit pas exempte d'incertitude, je pense que l'article 20(5) de notre Loi est suffisamment large pour compren- dre le droit et l'intérêt dans un droit d'auteur qu'un titulaire d'une licence a acquis en vertu d'un accord comme celui qui est ici soumis à notre examen, si l'on tient pour établi que cet accord porte sur un droit d'auteur, que c'est l'auteur ou un autre titulaire du droit d'auteur qui l'accorde et que le détenteur de la licence peut protéger et faire valoir en son nom person nel les droits qu'il peut ainsi détenir personnel- lement, sans avoir à se joindre aux concession- naires de ces droits.
La requête visant à faire radier la déclaration est donc rejetée, avec dépens au profit de la demanderesse quelle que soit l'issue de la cause.
1 [1967] 1 R.C.É. 71. Voir aussi dans le même sens Precision Metalsmiths Inc. c. Cercast Inc. [1967] 1 R.C.É. 214, et Union Carbide Canada Ltd c. Canadian Industries Ltd. [1969] 2 R.C.É. 422.
2 L'accord contient d'autres stipulations visant la résilia- tion, lorsqu'il y a eu violation de l'accord.
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