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Le ministre du Revenu national (Appelant)
c.
Roland O. Bartlett (Intime')
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges suppléants Cameron et Sheppard—Ottawa, les 26 et 27 juin 1972.
Impôt sur le revenu—Vente d'une propriété minière par un prospecteur—Contrepartie basée sur la production—Si l'in- timé est privé du bénéfice de l'exemption du fait que la contrepartie de la vente aurait été un montant reçu à titre de loyer, de redevance ou de paiement analogue—Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, article 83(2); modifié par 1965, c. 18, article 19(1).
En 1966, l'intimé a vendu l'intérêt qu'il avait acquis dans une propriété minière par suite de sa prospection. Aux termes de l'acte de vente, il devait recevoir, en contrepartie, une somme égale à 30% des recettes nettes moyennes tirées du traitement de chaque tonne de minerai extrait de la propriété; en 1967, ce pourcentage des recettes a valu à l'intimé plus de $33,000 et, en 1968, plus de $29,000.
Arrêt: le jugement du juge Walsh est infirmé. Ces sommes ont été reçues par l'intimé «à titre de loyer, de redevance ou de paiement analogue ou à valoir sur ceux-ci», au sens de l'article 83(2).
Arrêts suivis: Ross c. M.R.N. [1950] R.C.É. 411 et M.R.N. c. Wain -Town Gas and Oil Co. [1952] 2 R.C.S. 377. Arrêt examiné: Spooner c. M.R.N. [1928-34] C.T.C. 184.
APPEL d'une décision du juge Walsh [1971] C.F. 53.
G. W. Ainslie, c.r. et P. Boivin, c.r. pour l'appelant.
Bruce Verchere pour l'intimé.
Le jugement de la Cour a été prononcé par
LE JUGE SUPPLÉANT CAMERON—Appel est interjeté d'un jugement de la Division de pre- mière instance [1971] C.F. 53, rendu le 11 juin 1971, qui accueillait un appel des cotisations visant l'intimé relativement aux années d'impo- sition 1967 et 1968 et établies en vertu de la Partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu.
L'appel porte sur la prétention de l'intimé selon laquelle il est fondé à réclamer l'exemp- tion prévue par l'article 83(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui est rédigé de la façon suivante:
83. (2) Un montant qui autrement entrerait dans le calcul du revenu d'un particulier pour une année d'imposition, ne
doit pas être inclus dans le calcul de son revenu pour l'année s'il représente la contrepartie
a) d'une propriété minière ou d'un intérêt dans cette dernière, qu'il a acquis par suite de ses efforts à titre de prospecteur, soit seul, soit avec d'autres, ou
b) d'actions du capital social d'une corporation, qu'il a reçues en rémunération de la propriété décrite à l'alinéa a), dont il a disposé en faveur de la corporation,
à moins que ce ne soit un montant qu'il a reçu dans l'année à titre de loyer, de redevance ou de paiement analogue ou à valoir sur ceux-ci.
Les faits qui nous intéressent sont les sui- vants: l'intimé possédait un intérêt dans une propriété minière qui a été vendue par un acte en vertu duquel la «contrepartie» de la vente était le versement par l'acheteur d'une somme égale à «trente pour cent (30%) des recettes nettes moyennes à la tonne retirées de l'or et de l'argent obtenus à la suite du traitement de chaque tonne de minerai extrait de la conces sion», et, conformément aux dispositions dudit acte, l'intimé a reçu $33,266.27 en 1967 et $29,249.06 en 1968.
Les parties admettent que les montants reçus en vertu des dispositions de l'acte de vente font partie de la «contrepartie d'une propriété minière ou d'un intérêt dans cette dernière», que l'intimé a acquis «par suite de ses efforts à titre de prospecteur, soit seul, soit avec d'au- tres», au sens donné à ces mots par l'article 83(2), et que l'article 83(2) a pour effet d'ex- clure ces sommes du calcul du revenu de l'in- timé en vertu de la Partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années en question à moins que chacun de ces montants ne soit un «montant» qu'il a reçu «à titre de loyer, de redevance ou de paiement analogue ou à valoir sur ceux-ci». Au dire de l'appelant, chacun des montants en cause tombe dans l'une ou l'autre de ces catégories et, de ce fait, l'exemption prévue au paragraphe (2) de l'article 83 ne s'applique pas en raison des derniers mots dudit paragraphe. L'intimé prétend, pour sa part, que les montants en cause ne sont pas visés par les derniers mots du paragraphe (2) de l'article 83. Le savant juge de première instance a donné raison à l'intimé.
Les données nécessaires à l'étude de la ques tion peuvent se résumer de la façon suivante:
1. Il a été décidé dans l'affaire Spooner c. M.R.N. [1928-34] C.T.C. 184 qu'un paiement annuel basé sur la production fait aux termes d'un acte de vente à titre de contrepartie de la propriété vendue, représentait la contrepartie de la vente de la propriété; il avait donc un caractère de capital et non celui d'un revenu tiré de la propriété. On y précisait qu'il impor- tait peu que les montants en cause soient des redevances, parce que les redevances ne sont pas imposables comme telles.
2. Par suite de l'affaire Spooner, le Parle- ment ajouta la disposition suivante à la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu:
3. (1) Pour les objets de la présente Loi, «revenu» ... signifie .. .
f) les loyers, redevances, annuités ou autres recettes périodiques semblables qui dépendent de la production ou de l'emploi de biens réels ou personnels, nonobstant que les susdits soient payables par suite de l'usage ou de la vente de ces biens; .. .
Cette disposition a été reproduite en substance à l'article 6(1)j) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui est rédigé de la façon suivante:
6. (1) Sans restreindre la généralité de l'article 3, doivent être inclus dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition
j) les montants reçus dans l'année par le contribuable subordonnément à l'usage de biens ou à la production en découlant, qu'il s'agisse ou non de versements relatifs au prix de vente des biens, mais les versements relatifs au prix de vente d'un terrain agricole ne sont pas inclus en vertu du présent alinéa;
3. L'article 3(1)f de la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu a été appliqué dans des arrêts comme Ross c. M.R.N. [1950] R.C.É. 411 et M.R.N. c. Wain -Town Gas and Oil Co. [1952] 2 R.C.S. 377 ce qui a eu pour résultat de faire entrer dans le calcul du revenu, aux fins de l'impôt fédéral sur le revenu, les paie- ments périodiques basés sur la production même s'ils sont, en fait, des versements à valoir sur le prix de vente d'un bien de capital.
4. Le chapitre 18 des Statuts du Canada de 1965 a ajouté au texte de l'article 83(2) d'a- lors, qui se terminait à l'alinéa b), les mots «à moins que ce ne soit un montant qu'il a reçu dans l'année à titre de loyer, de redevance ou
de paiement analogue ou à valoir sur ceux-ci». Dans les présents motifs, je dési- gnerai ces mots ajoutés de la façon suivante: «l'exception» à l'article 83(2).
Le savant juge de première instance, qui a accueilli les appels du contribuable, a exprimé ses conclusions, en partie, dans les termes suivants:
A mon avis, les derniers mots de l'art. 83(2) excluent de cette exception des montants payés qui sont reçus à titre de redevances ou de paiements analogues, mais ils ne vont pas jusqu'à écarter toute exception à l'application de la règle édictée à l'art. 6(1)j), puisqu'ils ne rendent pas ces montants imposables «qu'il s'agisse ou non de versements relatifs au prix de vente des biens». En ce qui concerne ce genre particulier de vente, nous nous retrouvons donc dans la situation qui existait avant l'adoption de l'art. 6(1)j) et de l'art. 3(1)j) qui le précédait, et l'affaire Spooner précitée reçoit application.
Il semble plus raisonnable d'interpréter ainsi l'art. 83(2) que de conclure que, parce que les montants des paiements annuels étaient fonction de la production de la propriété, ils devaient être considérés comme des «redevances ou des paiements analogues», bien que le contribuable se fût dépouillé de tous ses droits de propriété dans les biens. Une telle interprétation évite aussi de commettre ce qui semble- rait autrement être une injustice au détriment du prospec- teur que l'art. 83(2) a pour but de protéger, en ce sens que le prospecteur qui vend sa propriété pour un prix constitué de versements annuels fixes (versements dont l'acheteur a par ailleurs déterminer le montant en se fondant sur la production qu'il escomptait retirer de la propriété) échappe à toute imposition sur ces versements, alors que si au contraire il la vendait pour un prix constitué de versements représentant un pourcentage de la production effective de la propriété et non de montants fixes, il lui faudrait payer un impôt sur ces montants reçus à titre de pourcentage de la production de la propriété; et pourtant, comme le souligne Lord Macmillan dans le passage tiré de la page 187 de l'affaire M.N.R. v. Spooner précitée, la, deuxième méthode est une façon raisonnable d'envisager un tel accord. Je conclus donc que, dans le cas présent, le contribuable a reçu des montants qui participaient peut-être à la nature de «redevances ou de paiements analogues», mais qu'il ne les a pas reçus comme tels, mais comme des versements à valoir sur le prix d'achat de la propriété, bien qu'ils aient été calculés en fonction de la production de la propriété; je conclus aussi que les derniers mots de l'art. 83(2) ne lui font pas perdre le bénéfice de l'exception prévue dans cet article de la loi et n'ont pas non plus pour effet d'assujettir les paiements à l'impôt en vertu de l'art. 6(1)j), étant donné que les montants ont été reçus en contrepartie de la vente d'une propriété minière acquise par lui par suite de ses efforts à titre de prospecteur, et non à titre de redevances ou de paiements analogues en contrepartie de l'usage du bien.
Bien qu'il soit peut-être possible d'apporter de nombreux arguments à l'appui de la position adoptée par le savant juge de première instance,
nous avons conclu que les montants en ques tion, pour les deux années en cause, tombent sous le coup de l'exception, à savoir, les mots «redevance ou paiement analogue», et que, en conséquence, dans les circonstances de la pré- sente affaire, l'exception annule les exemptions prévues aux alinéas a) et b) de l'article 83(2).
Dans l'affaire Ross c. M.R.N. [1950] R.C.É. 411, j'ai eu l'occasion d'étudier les disposi tions de l'article 3(1)f) de la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu (précitée) ainsi que diverses définitions du mot «redevance» et, en particu- lier, les mots «loyers, redevances, annuités ou autres recettes périodiques semblables ...». Les faits de cette affaire sont résumés ainsi au sommaire, à la page 411:
[TRADUCTION] En qualité d'exécutrice du testament de feu sa mère, Annie McDougall, qui était propriétaire de certains terrains situés dans la province de l'Alberta, l'appelante a cédé à une compagnie tous les hydrocarbures (pétrole et gaz) que contenaient lesdits terrains (se réservant le char- bon) ainsi que le droit de les exploiter, en contrepartie d'un paiement comptant et de la création d'une charge grevant lesdits terrains, destinée à garantir le paiement, à elle-même ou pour son bénéfice, d'une somme additionnelle de $60,000 payable à même la valeur de 10 pour cent du pétrole tiré du sol; la compagnie avait cependant la faculté de verser à l'exécutrice, en argent comptant, la valeur marchande de cette partie de la production. La compagnie a fait certains versements au cours des années 1944 et 1945 que l'appelante n'a pas inclus dans les déclarations d'impôt sur le revenu de la succession pour ces années.
Dans cette affaire, j'ai décidé que, si les verse- ments reçus par l'appelante n'étaient pas des redevances à proprement parler, ils leur étaient assimilables, et qu'ils tombaient sous le coup des dispositions de cette partie de l'alinéa f).
L'article 3(1)f) de la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu a également été étudié dans l'af- faire M.R.N. c, Wain -Town Gas and Oil Co. [1952] 2 R.C.S. 377. Les conclusions de la majorité de la Cour se trouvent au sommaire, à la page 377:
[TRADUCTION] Arrêt: Dans le monde des affaires, au Canada, le mot «redevance» comprend les paiements faits dans le présent cas et c'est ainsi que l'intimé l'a interprété lorsqu'il a préparé ses déclarations d'impôt. Les paiements sont compris dans l'expression «autres recettes périodiques semblables», même s'ils n'ont pas été reçus à titre de redevances. Ils dépendent de l'exploitation d'une conces sion (laquelle est un bien). Les paiements ne dépendent pas de la production de gaz naturel, puisque ce n'est qu'en vertu des droits conférés par la concession que le gaz naturel peut être fourni aux consommateurs. Enfin, des recettes obte-
nues «subordonnément à l'usage de biens» sont un revenu aux termes de l'article 3(1)j), bien qu'elles soient payables au titre de l'exploitation ou de la vente de la concession.
Le juge Rand s'est rangé à l'avis de la majorité de la Cour, qui a accueilli l'appel. Dans ses motifs, il a déclaré, entre autres choses, aux pages 385 et 386:
[TRADUCTION] Le fait qu'on a employé dans le contrat le mot «redevance» n'est pas, bien sûr, un argument péremp- toire, mais c'est une indication que des hommes d'affaires ont estimé que ce terme était approprié pour décrire le type de paiement en question. Les lois qui portent sur les résul- tats des opérations comptables qui servent à déterminer le montant des bénéfices d'une entreprise doivent, dans une grande mesure, employer le vocabulaire utilisé au cours de ces opérations. Le sens du mot, lorsque ce dernier est employé dans la loi, doit refléter son acception générale dans les opérations portant sur des biens ou les opérations commerciales.
Quant au loyer, il est essentiellement quelque chose de réservé, sous une forme ou sous une autre; dans son sens conceptuel, il s'agit de biens ou d'un intérêt dans des biens, cédés par une personne à une autre. Le mot «redevances» s'emploie probablement le plus souvent pour désigner un intérêt qui prend en général la forme de paiements qui doivent être faits dans l'avenir relativement à une conces sion ou à un bail de droits miniers, comme par exemple ceux relatifs à l'or, au charbon, au pétrole ou au gaz. Le fait que les paiements découlent d'une «réserve», au sens strict, ou d'un contrat ne change en rien leur essence ou leur nature.
Les termes de l'alinéa D semblent se rapporter directe- ment à cette acception du terme et je considère qu'il est raisonnablement certain que, prima facie, les paiements en cause sont inclus dans les «redevances ... ou autres recet- tes périodiques semblables». La question est donc de savoir si ces paiements «dépendent de la production ou de l'em- ploi» d'un bien. Les puristes peuvent s'opposer à l'usage du mot «emploi» pour désigner l'exploitation d'une concession; il est peut-être plus juste de parler de 1'«exploitation» d'une concession que de l'«emploi» de celle-ci. Toutefois, les mots «production ou emploi» doivent s'appliquer à un grand nombre de cas particuliers faisant partie d'une catégorie générale d'opérations portant sur des biens et l'expression «emploi» d'une concession est à coup sûr facilement com- préhensible. J'en conclus que le mot «emploi» convient pour désigner l'exploitation d'une telle concession. D'autre part, il n'est pas contesté que la concession est un bien personnel.
Nous sommes tous d'avis que nous sommes liés par la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Wain -Town.
L'appel est donc accueilli avec dépens et les cotisations établies à l'égard de l'intimé pour chacune des années en question sont rétablies.
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