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In re Gerald William McKendry (Requérant)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges suppléants Cameron et MacKay —Ottawa, les 15 et 16 février 1973.
Fonction publique—Renvoi d'un fonctionnaire—Présenta- tion d'un grief—Admissibilité de la preuve à l'audience— Inconduite du requérant après la suspension—Devoir du fonctionnaire chargé de l'audition—Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, art. 91(1), 96.
Le requérant, un fonctionnaire, a été suspendu pour des raisons précises, puis congédié. Il a présenté un grief à l'arbitrage conformément à l'article 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique. A l'audience, l'arbitre a refusé de recevoir l'objection formulée par le requérant à l'admission de la preuve de l'inconduite dont l'employeur a eu connaissance après l'avoir congédié mais qui se rapportait aux mêmes circonstances que les faits invoqués dans l'avis de congédiement. Le requérant a demandé l'examen judiciaire de cette décision en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Arrêt: la demande est rejetée. Au cours d'une audition sans formalités en vertu de l'article 96 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, le fonction- naire chargé de l'audition est tenu d'admettre tout élément de preuve relatif aux questions de fait qui doivent être tranchées d'après une analyse défendable du droit applica ble, quelle que soit la partie qui l'invoque. Mais il ne doit pas se prononcer sur le droit applicable avant d'avoir entendu en totalité les preuves et les plaidoiries.
EXAMEN judiciaire. AVOCATS:
Gordon P. Killeen, c.r. pour le requérant. John A. Scollin, c.r. pour l'opposant. PROCUREURS:
Soloway, Wright, Houston, Killeen et Greenberg, Ottawa, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada, Ottawa, pour l'opposant.
LE JUGE EN CHEF JACKETT — Il s'agit d'une demande d'examen et d'annulation présentée en vertu de l'article 28 à l'encontre d'une «déci- sion» rendue le 27 décembre 1972 au cours de l'audition d'un renvoi à l'arbitrage en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique.
Le requérant était directeur de l'évaluation des programmes au ministère de l'Expansion
économique régionale, ministère du Gouverne- ment du Canada créé par le c. R-4 des S.R.C. de 1970. A la suite d'une lettre envoyée au nom du sous-ministre du ministère le 31 juillet 1972, le requérant a été «suspendu de ses fonctions» pour les motifs contenus dans cette lettre; et, dans une lettre en date du 18 septembre 1972, le sous-ministre a fait part officiellement au requé- rant qu'il était démis de ses fonctions à partir du 15 septembre 1972 avec l'approbation du Conseil du Trésor.
En septembre 1972, le requérant a présenté un «grief» conformément à l'article 90(1) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R. 1970, c. P-35, qui se lit ainsi:
90. (1) Lorsqu'un employé s'estime lésé
a) par l'interprétation ou l'application à son égard
(i) de quelque disposition d'une loi, d'un règlement, d'une instruction ou d'un autre instrument établi ou émis par l'employeur, concernant des conditions d'em- ploi, ou
(ii) d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale; ou
b) par suite d'un événement ou d'une question qui vise ses conditions d'emploi, sauf une disposition indiquée au sous-alinéa a)(i) ou (ii),
relativement à laquelle ou auquel aucune procédure adminis trative de réparation n'est prévue en vertu d'une loi du Parlement, il a le droit, sous réserve du paragraphe (2), de présenter ce grief à chacun des paliers, y compris le dernier palier, que prévoit la procédure applicable aux griefs établie par la présente loi.
Dans le document exposant son grief, le requé- rant en précise l'objet en ces termes:
[TRADUCTION] Suspension sans traitement ni bénéfices mar- ginaux, à la suite de la lettre de J.D. Love du 31 juillet 1972, et renvoi de la fonction publique à partir du 15 septembre 1972, à la suite de la lettre de J.D. Love du 18 septembre 1972.
et il sollicite le redressement suivant:
[TRADUCTION] Réintégration dans le poste avec plein traite- ment et bénéfices marginaux, rétroactive au 31 juillet 1972, date de la suspension, conformément à la lettre de G.W. McKendry au sous-ministre datée du 1 1 août 1972.
Le requérant a renvoyé le grief à l'arbitrage en faisant parvenir un «avis de renvoi à l'arbi- trage» conformément à l'article 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, qui se lit ainsi:
91. (1) Lorsqu'un employé a présenté un grief jusqu'au dernier palier de la procédure applicable aux griefs inclusi- vement, au sujet
a) de l'interprétation ou de l'application, en ce qui le concerne, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale, ou
b) d'une mesure disciplinaire entraînant le congédiement, la suspension ou une peine pécuniaire,
et que son grief n'a pas été réglé d'une manière satisfaisante pour lui, il peut renvoyer le grief à l'arbitrage.
L'arbitre en chef a entendu en temps et lieu le grief du requérant, conformément à l'article 96 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, dont voici un extrait:
96. (1) Lorsqu'un grief est renvoyé à l'arbitrage, l'arbitre doit donner aux deux parties au grief l'occasion d'être entendues.
(2) Après avoir étudié le grief, l'arbitre doit rendre une décision à son sujet ... .
Au début de l'audition, les avocats des parties ont demandé à l'arbitre de trancher la question de l'admissibilité de certaines preuves que dési- rait présenter l'employeur. Il s'agissait de preu- ves portant sur une inconduite dont l'employeur n'avait pas connaissance lorsqu'il a donné l'avis de congédiement, mais que l'employeur voulait faire valoir
a) en raison de leur étroite connexité avec les faits invoqués dans la lettre de suspension et la lettre de congédiement et se rapportant aux mêmes circonstances et
b) à titre de justification supplémentaire ou subsidiaire du congédiement.
Le requérant s'est opposé à l'admission de ces preuves pour les motifs suivants:
a) le requérant sollicite un redressement d'o- rigine législative en vertu des articles 90, 91 et 96 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, qui lui donnent le droit de «présenter un grief» à l'encontre de son congédiement, le 31 août, pour les motifs invoqués à cette époque, le droit de renvoyer ce grief en particulier à l'arbitrage et le droit de faire statuer au fond sur ce grief en parti- culier par un arbitre, après audition; et
b) le droit commun des rapports entre employeur et employé ne s'applique pas en
principe aux affaires portées en arbitrage en vertu d'une convention collective dans le sec- teur privé.
L'arbitre a entendu les plaidoiries sur ces questions et a rendu une sentence motivée.
L'arbitre a notamment examiné la question de savoir si le fait de permettre à l'employeur de présenter les preuves en question causerait une «injustice» et a déclaré que si l'employé se trouve surpris, il suffirait à son avocat de demander une remise pour préparer une réponse: une telle demande serait examinée avec bienveillance. Pour ce motif entre autres, il a décidé que le fait de permettre à l'employeur de présenter les preuves en question ne cause- rait aucune injustice.
A propos de l'argument du requérant, selon lequel les preuves en question ne devraient pas être admises car la seule question à trancher par l'arbitre était un grief de renvoi portant sur les motifs invoqués à l'appui de ce renvoi, l'arbitre a déclaré:
[TRADUCTION] Je suis dans l'obligation de donner aux deux parties l'occasion d'être entendues. Habituellement, c'est l'employeur qui a l'initiative des débats et qui tente de justifier le renvoi. Je suis disposé à poursuivre l'audition des témoignages et des arguments de l'employeur concernant les questions qui sont actuellement soulevées au dossier et connues de l'autre partie. Je suis également disposé à enten- dre des témoignages et des arguments à l'appui de la thèse de l'employé, suivant laquelle son renvoi est injuste, et il n'est coupable ni d'inconduite ni d'indiscipline. Je ne puis m'engager à refuser toutes les preuves qui pourraient m'ap- paraître, ou apparaître à l'avocat de l'une ou l'autre partie, dénuées d'intérêt, car à mon sens les termes de l'article 96(1) m'astreignent à donner une latitude considérable à ceux qui ont le droit d'être «entendus».
L'arbitre a par conséquent permis à l'employeur de présenter les preuves en question.
La présente requête en vertu de l'article 28 vise l'annulation de cette décision de l'arbitre en chef.
Le requérant soutient à la Cour, si j'ai bien compris, que la décision de l'arbitre doit être annulée au motif qu'est entachée d'une erreur de droit la décision de l'arbitre d'autoriser l'em- ployeur à produire et à invoquer des éléments de preuve portant sur de prétendus motifs sup-
plémentaires de congédiement, motifs dont l'employeur n'a eu connaissance qu'après la pré- sentation par le requérant d'un grief en vertu de l'article 90 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique et le renvoi de l'af- faire à l'arbitrage en vertu de l'article 91 de cette loi; en effet, selon le requérant
a) l'employeur ne peut invoquer que les motifs ayant donné lieu au congédiement et non d'autres prétendus motifs qui ont pu être portés à sa connaissance après la date du congédiement; et
b) la compétence de l'arbitre en chef l'as- treint à n'admettre d'éléments de preuve qu'à l'égard des motifs primitivement invoqués à l'appui du congédiement à propos duquel on a épuisé les recours prévus par la procédure de grief et demandé le renvoi à l'arbitrage.
Il faut, me semble-t-il, garder à l'esprit dans cette affaire la question suivante: y a-t-il erreur de droit dans la décision de l'arbitre d'admettre des preuves portant sur des faits découverts après coup?
L'admissibilité de ces preuves dépend, selon ma conception des exigences fondamentales d'une juste audition, de leur pertinence par rap port aux questions de fait soulevées au cours de l'audition du grief présenté par le requérant.
L'un des problèmes essentiels que présente l'analyse de la question réside dans l'incertitude quant aux dispositions de fond applicables par l'arbitre lorsqu'il statue sur le grief du requé- rant. Le requérant, d'une part, a ses propres prétentions à cet égard, et l'employeur, de l'au- tre, soutient une opinion tout à fait différente sur le droit applicable à l'espèce. Or, s'il appert que c'est le requérant qui a raison quant au droit applicable, l'arbitre doit se prononcer sur un certain nombre de faits. Si au contraire l'analyse de l'employeur est la bonne, l'arbitre sera appelé à se prononcer sur un certain nombre d'autres questions de fait. J'estime qu'au cours d'une audition sans formalité, comme celle que pré- voit l'article 96 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, le fonction- naire chargé de l'audition est tenu d'admettre tout élément de preuve relatif aux questions de fait que soulève une analyse défendable de l'af-
faire, quelle que soit la partie qui propose cette analyse. L'arbitre n'est pas tenu de se pronon- cer sur le droit applicable à l'espèce avant d'a- voir entendu en totalité les preuves et les plai- doiries. Si l'on s'oppose à l'admission d'une preuve, il doit simplement décider si cette preuve est pertinente à l'une ou l'autre des questions de fait que soulève l'affaire dans une hypothèse raisonnable avancée par l'une ou l'autre des parties quant au droit applicable.' Dans cette affaire, si j'ai bien compris sa déci- sion, c'est justement ce que l'arbitre a fait et j'estime que sa décision est juste.
Bien entendu, le fait que je sois parvenu, pour les motifs exposés plus haut, à cette conclusion n'implique de ma part aucune prise de position quant au droit applicable à un grief présenté à l'encontre d'un congédiement en vertu de l'arti- cle 96 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, en l'absence de conven tion collective applicable.
J'estime que la requête présentée en vertu de l'article 28 doit être rejetée.
LE JUGE SUPPLÉANT CAMERON —Je souscris à l'avis.
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY—Je souscris à l'avis.
Dans une action ordinaire devant un tribunal, une preuve est admissible si elle est pertinente à une question de fait soulevée par les plaidoiries. Ainsi, tant qu'un argument paraît pouvoir être raisonnablement soutenu, il peut être plaidé et justifier un apport de preuves, même si la décision définitive devait le déclarer mal fondé en droit. Ces preuves n'en auraient pas moins été admissibles en droit au moment on les a admises.
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