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J & J Hotels Ltd. (Appelante)
c.
Le ministre du Revenu national (Intimé)
Division de première instance, le juge suppléant Sheppard —Vancouver, les 20 et 21 mars; Ottawa, le 3 avril 1973.
Impôt sur le revenu—Dépenses de la compagnie—L'hôtel convient de payer l'employé du garage associé pour laver des voitures—Profits utilisés pour réduire les pertes des années précédentes—Ce ne sont pas des dépenses d'exploitation réelles—Non déductibles—Loi de l'impôt sur le revenu (1965), art. 12(1)a), 12(2), 137(1).
Une compagnie exploitant un hôtel (l'appelante) et une compagnie exploitant un garage étaient contrôlées par la même personne. Aux termes d'un accord conclu en 1964 entre les deux compagnies, le garage lavait les voitures des clients de l'hôtel au prix de $2.00 par voiture, sur la base d'un taux d'occupation de l'hôtel de 80%. La compagnie exploitant le garage n'avait pas de locaux et n'avait qu'un seul employé (ex-employé de la compagnie exploitant l'hô- tel). Dans le calcul de son revenu pour 1964 et 1965, le garage a utilisé ses profits pour compenser les pertes de $32,000 subies au cours des années 1959 à 1962. En 1967, l'appelante a déduit à titre de dépenses la somme de $25,342 qu'elle avait versée au garage pour le lavage des automobi les. Le Ministre a refusé la déduction.
Arrêt: les sommes versées par l'hôtel au garage, sauf le salaire de l'employé, ne l'étaient pas en vue de gagner un revenu. En conséquence, l'hôtel ne pouvait pas déduire ces montants aux termes de l'article 12(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu ainsi qu'aux termes de l'article 12(2) car ils n'étaient pas «raisonnables dans les circonstances». L'arti- cle 137(1) interdisait aussi la déduction car elle «réduirait indûment ou de façon factice le revenu» du contribuable.
APPEL de l'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
W. A. Esson et P. Webber pour l'appelante.
T. E. Jackson, c.r. pour l'intimé.
PROCUREURS:
Bull, Housser et Cie, Vancouver, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
LE JUGE SUPPLÉANT SHEPPARD—II s'agit en l'espèce de décider si l'appelante, la J & J Hotels Ltd., est fondée à déduire, à titre de dépense pour l'année d'imposition 1967, la somme de $25,342.00 versée à la Vernon
Motors Ltd. en contrepartie du lavage des auto mobiles de ses clients. Dans sa cotisation, le Ministre a refusé d'admettre la déduction, fai- sant valoir, par la voix de ses avocats, qu'il était fondé à agir ainsi par les articles 137(1), 12(1)a) et 12(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
La Vernon Motors Ltd. a été constituée en 1945. Elle a commencé à exploiter un atelier de réparations automobiles à Vancouver (C.-B.) et en outre elle vendait des voitures d'occasion. Everett James Vernon était propriétaire de 499 des 500 actions en circulation de ladite compa- gnie et sa femme était propriétaire de l'autre action. Par la suite fut constituée la compagnie J & J Hotels Ltd., l'appelante en l'espèce, qui a fait construire et a exploité l'hôtel Biltmore, situé au coin du Kingsway et de la 12 e avenue à Vancouver (C.-B.). Everett James Vernon était propriétaire de quatre-vingt-dix-huit des 100 actions en circulation de cette compagnie, sa femme était propriétaire d'une action et son avocat de l'autre. Le 15 juillet 1964, la J & J Hotels Ltd. et la Vernon Motors Ltd. ont conclu l'accord suivant:
[TRADUCTION] ATTENDU QUE l'hôtel et la compagnie ont convenu que cette dernière lavera les automobiles des clients de l'hôtel aux conditions ci-après énoncées.
EN CONSÉQUENCE, LES PARTIES CONVIENNENT entre elles de ce qui suit:-
1. A la demande des préposés de l'hôtel, les préposés de la compagnie laveront, avec toute la diligence et tous les soins voulus, les automobiles qui lui seront amenées à cette fin par les préposés de l'hôtel.
2. La compagnie embauchera le personnel nécessaire à l'accomplissement des tâches qui lui sont dévolues aux termes du présent contrat, mais l'hôtel devra fournir toutes les installations et tout le matériel employés ou nécessaires à l'exécution de ces tâches, notamment l'eau, le matériel pour le lavage et le lustrage et l'électricité ou toute autre source d'énergie.
3. L'hôtel versera à la compagnie, le 6e jour de chaque mois à compter du 6 août 1964, la somme de DEUX ($2.00) DOLLARS par lavage. Le nombre des lavages, établi en fonc- tion du taux d'occupation de l'hôtel, sera égal à quatre- vingts (80%) pour cent du nombre de chambres occupées au cours du mois à l'égard duquel le versement est effectué. L'hôtel remettra en outre à la compagnie, en même temps que le paiement en question, un état indiquant la façon dont le montant du versement a été établi. L'une ou l'autre partie peut demander une révision du prix exigé par automobile et de la méthode employée pour calculer la rémunération à laquelle la compagnie a droit, s'il s'avère que la méthode de calcul énoncée aux présentes est inéquitable pour la partie qui demande la révision.
4. L'une ou l'autre partie aux présentes peut mettre fin au contrat en adressant à l'autre partie un préavis écrit d'un mois à sa dernière place d'affaires connue.
5. Le présent accord entrera en vigueur à compter du 6 juillet 1964.
Le sceau de chaque compagnie a été certifié par Vernon à titre d'administrateur de chacune d'elles.
Dans son témoignage, E. J. Vernon a déclaré qu'avant de souscrire le contrat, il l'avait étudié avec ses avocats et ses comptables, qui s'y sont déclarés favorables en raison des pertes subies dans le passé par la Vernon Motors Ltd.
Bien avant la signature du contrat du 15 juil- let 1964, l'appelante avait fait construire l'hôtel Biltmore à l'extérieur du quartier de Vancouver se trouvent la plupart des hôtels. Pour attirer la clientèle, l'appelante avait distribué des circu- laires offrant un lavage d'automobile gratuit à tous les clients de l'hôtel (pièces 3, 4 et 5) et signalant qu'il existait un stationnement dans le sous-sol et sur le toit de l'hôtel.
A cette époque, la compagnie Vernon Motors Ltd. était inactive. Elle n'exploitait aucun com merce et n'avait pas de place d'affaires, elle n'avait pas de téléphone, n'était pas inscrite dans l'annuaire téléphonique et n'avait pas d'employé, si ce n'est E. J. Vernon, qui en était administrateur et président mais ne se faisait pas rémunérer pour ses services. Ses états comptables faisaient toutefois état d'un déficit de $32,550.06, qui représentait les pertes des années 1959 à 1962 inclus.
Pour faire les lavages annoncés dans sa publi- cité, l'appelante a employé Willie Lee huit ou neuf mois environ avant la date de la signature de l'accord. C'est à cette époque que E. J. Vernon, l'administrateur de l'appelante et de la Vernon Motors Ltd., apprit que Lee savait faire ce travail.
Après la signature de l'accord, l'appelante a fait passer Lee au service de la Vernon Motors Ltd. Cette dernière n'avait aucun établissement commercial, elle n'avait ni savon, ni chiffons pour frotter les vitres les chromes des auto mobiles qu'elle lavait; ce lavage s'effectuait dans les locaux de l'appelante qui fournissait l'eau froide, qui s'écoulait de l'aire de stationne-
ment de J & J Hotels Ltd. Il semble que la Vernon Motors Ltd. aurait été propriétaire d'une brosse et de deux boyaux d'arrosage (l'un d'une longueur de cent pieds et l'autre de deux cents pieds), ainsi que du pantalon et des bottes de caoutchouc portés par Lee. Si tel est le cas, toutefois, il y a lieu de signaler que Lee s'est servi de ces articles pendant huit ou neuf mois pour laver des automobiles pour le compte de l'appelante alors qu'il était à son service, sans que l'appelante verse quoi que ce soit à la Vernon Motors Ltd. pour ces services.
Les rapports de Lee avec l'appelante n'ont pas cessé lorsqu'il est passé au service de la Vernon Motors Ltd. Lee était le seul employé de cette dernière; un comptable au service de l'appelante, Francis Hubbard, préparait la feuille de paye de Lee et lui versait hebdoma- dairement son salaire. Lee travaillait de minuit à 8h; s'il lui fallait moins de huit heures pour laver les automobiles, pendant le reste du temps, l'ap- pelante l'employait à titre de concierge. A cer- taines époques, notamment en janvier et en février, l'hôtel avait peu de clients, au maximum vingt à la fois, ce qui permettait à Lee de laver les automobiles et de consacrer le reste de ses heures de travail à servir de concierge pour J & J Hotels Ltd. En l'absence de Lee, pendant ses jours de congé ou lorsqu'il était malade, un des autres concierges de J & J Hotels Ltd. lavait les automobiles. Soon King Yee, que l'appelante employait pendant toute l'époque en question, figurait dans le grand livre de l'appelante sous l'en-tête [TRADUCTION] «service de l'entretien, préposé au lavage des automobiles.»
A compter de la date du contrat, le seul véritable revenu de la Vernon Motors Ltd. était le montant que lui versait l'appelante prétendu- ment en contrepartie du lavage des automobiles. Ce lavage était fait par Willie Lee, un ancien employé de l'appelante, ou, en son absence, par un employé de l'appelante.
Au cours de l'année d'imposition 1965 de l'appelante, celle-ci a versé à la Vernon Motors Ltd. la somme de $18,726.00 au titre de dépen- ses pour lavage d'automobiles, et, au cours de l'année d'imposition 1966 de l'appelante, la somme de $32,647.00. On est arrivé à ces mon- tants en se fondant sur un taux d'occupation de
80% des chambres de l'hôtel de l'appelante, sans tenir compte du nombre d'automobiles effectivement lavées. L'appelante a versé à la Vernon Motors Ltd. $2.00 par auto dont le nombre a été établi sur la base susdite. Au cours de l'année d'imposition 1967, l'appelante a versé à la Vernon Motors Ltd. la somme de $25,342.00 au titre de lavage d'automobiles, au taux de $2.00 par auto lavée. Ces sommes importantes versées par l'appelante à la Vernon Motors Ltd. à ce titre ont permis à cette der- nière de réaliser un profit considérable, qui a servi à compenser les pertes qu'elle avait subies dans le passé. Dans sa déclaration T2 pour l'année 1964, la Vernon Motors Ltd. a fait état de pertes s'élevant à $32,550.06 pour les années 1959 à 1962 et elle a déduit de son revenu net, s'élevant à $7,329.52, une partie des pertes datant de 1959. Le solde des pertes a été reporté à l'année 1965. En 1965, la déclara- tion T2 de la Vernon Motors Ltd. fait état d'un revenu net de $26,123.91, dont la somme de $25,220.54 est déduite au titre de pertes pour les années précédentes, ce qui donne un revenu imposable de $903.37. En outre, il y a lieu de noter que l'année financière del'appelante se termine le 28 février alors que celle de la Vernon Motors Ltd. se termine le 31 août.
L'appelante a déduit de son revenu, à titre de dépenses contractées en vue de gagner un revenu, les sommes versées à la Vernon Motors Ltd., que cette dernière a alors défalquées de ses pertes subies dans le passé, le tout à l'avan- tage de E. J. Vernon, qui contrôlait à la fois l'appelante et la Vernon Motors Ltd.
La somme de $25,342.00 versée en 1967 par l'appelante à la Vernon Motors Ltd. était supé- rieure aux frais engagés par cette dernière pour laver les autos, ce qui lui a permis de réaliser un bénéfice. L'année 1967 est la dernière année de l'existence de l'accord. En effet, l'appelante a alors cessé de laver les autos de ses clients. Lee est donc retourné au service de l'appelante, il est resté à titre de concierge jusqu'en 1969, année il a cessé de travailler.
L'accord du 15 juillet 1964 a été conclu pour permettre à l'appelante de verser ces sommes à la Vernon Motors Ltd. et de déduire ainsi ces montants de son revenu imposable à titre de dépense. L'accord a aussi été conclu pour per- mettre à la Vernon Motors Ltd. d'éviter de payer l'impôt sur le revenu ainsi gagné jusqu'à concurrence du montant des pertes subies au cours des années précédentes.
E. J. Vernon a déclaré dans son témoignage qu'en raison des revendications syndicales, il avait intérêt à faire des employés de l'hôtel et de ceux de l'entreprise de lavage d'automobiles deux groupes distincts. Toutefois, cet argument ne tient pas, car il n'explique pas pourquoi on a choisi une compagnie contrôlée, la Vernon Motors Ltd., pour assurer le lavage des automo biles, ni pourquoi Lee, qui était au service de l'appelante, a été muté à celui de la Vernon Motors Ltd. pour ensuite revenir à celui de l'appelante après qu'on eut arrêté de laver les autos des clients de l'hôtel; cet argument n'ex- plique pas non plus les profits tirés par la Vernon Motors Ltd. de la seule entreprise de lavage d'automobiles, ni le fait que les profits de ladite compagnie ont pu être défalqués des pertes subies dans le passé, le tout à l'avantage de E. J. Vernon, qui contrôlait à la fois l'appe- lante et la Vernon Motors Ltd.
Il s'ensuit que, sauf le salaire de Willie Lee, les sommes versées par l'appelante à la Vernon Motors Ltd. ne l'ont pas été conformément aux dispositions de l'article 12(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu:
... en vue de gagner ou de produire un revenu tiré de biens ou d'une entreprise du contribuable,
et que lesdites sommes n'étaient pas «raisonna- bles dans les circonstances» au sens de l'article 12(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu. En outre, ce profit «réduirait indûment ou de façon factice le revenu» de l'appelante, contrairement aux dispositions de l'article 137(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Pour ces motifs, l'appel est rejeté sous réserve du renvoi au Ministre de la cotisation à l'impôt sur le revenu pour qu'il fasse déduire de la somme de $25,342.00 le montant du salaire versé à Lee par la Vernon Motors Ltd. pour la
période pendant laquelle l'appelante a versé ladite somme.
Les dépens de l'appel sont à la charge de l'appelante.
A l'audience, les parties ont convenu de ne pas plaider la question des montants représen- tant les contributions au plan de pension. Si les parties ne parviennent pas à s'entendre sur cette question, l'appelante reçoit la permission de demander la tenue d'une nouvelle audience por- tant sur cette question.
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