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T-1125-73
British Columbia Packers Ltd., propriétaire du N.M. Koskeemo (Demanderesse)
c.
Northland Industries Ltd., David Clattenburg, Royal Fisheries Limited et le navire Pacific Rover et John Mano, alias Joao Mano (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Heald— Vancouver, le 15 janvier; Ottawa, le 31 janvier 1974.
Droit maritime—Abordage—Accident dans un «chenal étroit»—Contravention aux Règles 19, 23, 25a) et 28b) des Règles sur les abordages—Partage des dommages— Demande reconventionnelle du propriétaire défendeur visant à limiter sa responsabilité en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, c. S-9, art. 647(2)— Faute de s'acquitter du fardeau de la preuve.
L'action est née d'un abordage entre les navires Kos- keemo et Pacific Rover dans les eaux du chenal Grenville (Colombie-Britannique). Elle a été abandonnée, sur autorisa- tion, contre le défendeur Mano et rejetée contre la défende- resse Royal Fisheries Limited, faute de preuve.
Arrêt: les deux navires ont agi en contravention des Règles pour prévenir les abordages en mer. La «situation dangereuse» en l'espèce est, dans une large mesure, imputa- ble à la négligence du Koskeemo. La négligence du Pacific Rover y a contribué, mais à un degré moindre. Il y a lieu de partager la responsabilité en attribuant 75% au Koskeemo et 25% au Pacific Rover. La demande reconventionnelle de la défenderesse Northland Industries Ltd., propriétaire du Pacific Rover, visant à limiter sa responsabilité est rejetée parce que cette défenderesse n'a pas démontré que l'article 647(2) de la Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, c. S-9, lui était applicable en prouvant qu'elle n'avait rien à voir avec la cause de l'accident. Le capitaine du navire, le défendeur Clattenburg, était actionnaire majori- taire et administrateur de la défenderesse Northland Indus tries Limited. Il dirigeait le navire, ses activités et son entretien, et il était coupable des fautes imputées au Pacific Rover.
Arrêts examinés: New England Fish Company c. Le navire «Island Prince» (non publié, Cour de l'Échiquier du Canada, le 16 juillet 1968, du greffe: 63/67—Div. d'am. distr. de la C.-B.); The Dundee (1823) 1 Hag. Ad. 109; The Voorwaarts and the Khedive (1880) 5 App. Cas. 876; The Thomas Powell and the Cuba (1886) 14 L.T. 603; The Billings Victory (1949) 82 LI. L. Rep. 877; Stein c. Le Kathy K [1972] C.F. 585 et l'arrêt Lennard [1914] 1 K.B. 419.
ACTION.
AVOCATS:
J. R. Cunningham et P. D. Lowry pour la demanderesse.
W. O'M. Forbes et A. B. Oland pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Macrae, Montgomery & Spring, Vancouver, pour la demanderesse.
Owen, Bird, Vancouver, pour les défen- deurs.
LE JUGE HEALD—La demanderesse, compa- gnie de la Colombie-Britannique, était, à toutes les époques en cause, propriétaire du N.M. Kos- keemo. La défenderesse Northland Industries Ltd., également une compagnie de la Colombie- Britannique, était, à toutes les époques en cause, propriétaire du navire défendeur Pacific Rover. Le défendeur David Clattenburg était capitaine du Pacific Rover au moment de l'abor- dage en cause.
A l'audience, on a permis à la demanderesse de se désister de son action contre le défendeur John Mano, alias Joao Mano. J'ai également rejeté l'action contre la défenderesse Royal Fisheries Limited étant donné qu'aucune preuve n'a été fournie à l'appui des allégations que comportaient les plaidoiries contre ladite défen- deresse. Dans les circonstances, et puisque ladite défenderesse n'était pas représentée par un avocat différent, je crois que ce rejet ne doit pas comporter de dépens.
Cette action découle d'un abordage survenu le 14 mars 1973 entre le Koskeemo et le Pacific Rover dans les eaux du chenal Grenville, en Colombie-Britannique.
Le chenal Grenville est une voie d'eau mari time de quelque quarante milles de long sépa- rant les îles Pitt et Farrant de la terre ferme de la Colombie-Britannique. Il coule entre deux rives montagneuses et escarpées; sa largeur varie d'un quart à un demi-mille dans sa partie centrale pour atteindre environ un mille, à ses extrémités nord et sud.
L'abordage s'est produit vers 4 heures du matin dans la partie nord du chenal à environ un demi-mille au sud de l'anse Kumealon. A cet
endroit, la largeur du chenal est légèrement infé- rieure à un mille. L'eau y est très profonde et l'on peut sans danger naviguer près des rives. L'abordage s'est produit dans l'obscurité, sous un ciel très nuageux; le temps était brumeux et pluvieux. Il y avait un vent du sud-est, soufflant à 10 milles à l'heure. L'accident s'est produit peu de temps après la marée basse, alors que c'était encore le courant de jusant en direction nord.
Le Koskeemo, un navire conserverie de pois- son jaugeant 95 tonneaux bruts, à moteur diesel, mesurait 80 pieds de long et était enregistré à Vancouver. Il était doté d'un compas magnéti- que, d'une gouverne automatique et d'un radar. Son équipage était composé du capitaine Haan, de l'officier Frank Ennest, du mécanicien Joseph Widner et du cuisinier-matelot de pont Olaf Solvik. Le navire avait transporté une car- gaison de poissons de Bella Bella à Prince Rupert et retournait à vide à Bella Bella. Il se déplaçait donc en direction sud-est dans les eaux du chenal Grenville.
Le Koskeemo était équipé d'un feu de mât blanc, d'un feu de poupe blanc, d'un feu de position vert à tribord et d'un feu de position rouge à bâbord. Au moment de l'abordage, l'of- ficier Ennest, un marin de grande expérience détenant un certificat de capitaine pour ce genre de navire depuis 1960, était à la barre depuis environ trois heures. Il a témoigné que tous les feux de navigation précédemment décrits fonc- tionnaient cette nuit-là. Il a également déclaré que le radar était en bon état et avait une portée de trois milles. Quand il se tenait à la barre, il pouvait voir le radar qui se trouvait à sa droite. Il gouvernait le navire manuellement. Le navire descendait le chenal Grenville du côté de la terre ferme, c'est-à-dire à bâbord du chenal, à environ six cents verges du rivage.
Il a vu pour la première fois le feu de mât blanc du Pacific Rover alors qu'il se trouvait à environ quatre ou cinq milles de distance, au milieu du chenal à tribord avant.
Selon lui, lorsque le Pacific Rover est apparu sur son écran radar à trois milles, il remontait le
chenal. A cet endroit, le chenal a un peu moins d'un mille de large. Le Koskeemo avançait à sa vitesse maximale de croisière de onze noeuds qui était probablement réduite à une vitesse terrestre de dix noeuds à cause de la marée. Le Koskeemo a maintenu cette vitesse du moment il a aperçu le Pacific Rover pour la première fois jusqu'à l'abordage. Le Koskeemo n'a mis ses moteurs au point mort qu'après l'abordage. A tous les moments en cause, Ennest suivait un cap de 110° magnétique. Il n'a pas modifié son cap entre le moment il a aperçu le Pacific Rover et juste avant l'abordage. Ennest a déclaré avoir continué d'observer l'approche du Pacific Rover sur son radar et, d'après lui, il semblait que les deux navires se croiseraient sans encombre. A environ 400 pieds de dis tance, il a vu l'arrière du Pacific Rover à la lueur de son feu de poupe. Il s'est alors rendu compte qu'il regardait le côté bâbord du Pacific Rover et que celui-ci allait lui passer devant. Il a alors modifié sa route à bâbord toute; peu après, il a vu le feu vert du Pacific Rover et, à une distance d'environ 100 pieds, il a changé de route à tribord toute; l'abordage s'est produit quelques secondes plus tard. Le Koskeemo a été touché sur l'arrière de la cabine de pilotage, du côté tribord, à environ 10 pieds de la poupe et a subi des avaries importantes. Le contact s'est fait avec l'étrave du Pacific Rover. Ce dernier n'a subi aucune avarie. Ennest a déclaré qu'à aucun moment, il n'a vu le feu rouge de bâbord du Pacific Rover et qu'il n'a aperçu le feu vert de tribord, de la façon décrite précédemment, que quelques secondes avant l'abordage. Il s'est rendu compte, a-t-il dit, à la lecture du radar que le Pacific Rover modifiait sa course vers tribord, mais il n'a néanmoins pas cru devoir obliquer aussi vers tribord de façon à croiser rouge à rouge.
Le Pacific Rover était également un navire conserverie de poisson à moteur diesel; il jau- geait 85 tonneaux bruts, mesurait 63 pieds de long et était immatriculé à Prince Rupert (C.-B.). Il était également doté d'un compas magnétique, d'une gouverne automatique et d'un radar. Son équipage se composait du capitaine David Clat- tenburg, de l'officier et mécanicien Alan Mars- den, du matelot de pont John Mano et du cuisi- nier Roger Hardy. Le navire transportait une
cargaison de harengs de la région de l'île Ivory (C.-B.) à Prince Rupert; il avançait donc en direction nord-ouest dans les eaux du chenal Grenville. Sa vitesse maximale de croisière en charge était de 7 noeuds.
Le Pacific Rover était également équipé d'un feu de mât blanc, de deux feux de poupe blancs, d'un feu de position vert à tribord et d'un feu de position rouge à bâbord. Le Pacific Rover avait quitté l'île Ivory vers midi le 13 mars en direc tion nord. Clattenburg est resté à la barre jus- qu'à 23 heures le 13 mars. Il a alors été relevé par l'officier Marsden. Marsden devait rester au poste jusqu'à 3 heures du matin le 14 mars et Mano devait alors le relever. Clattenburg déclare qu'il a donné comme directives à Mars- den et Mano de se tenir à tribord du chenal comme il le faisait lui-même. Selon lui, aucune modification de route n'était nécessaire, jusqu'à ce que le navire atteigne Kerr Point, à quelques milles de l'anse Kumealon, et il avait chargé Mano de l'éveiller à ce moment. Il dormait dans sa couchette au moment de l'abordage. L'abor- dage l'a réveillé et il a demandé à Mano de stopper le navire, mais, pour quelque raison, Mano ne l'a pas fait. C'est Clattenburg qui effectivement a stoppé le navire.
Marsden releva Clattenburg à 23 heures. Il naviguait de son côté tribord du chenal suivant une route de 294°-295°. Il déclara que son radar, sa radio et son compas fonctionnaient tous bien. Entre minuit trente et 1 heure du matin, il demanda à Hardy de vérifier les feux de naviga tion, s'assurant ainsi qu'ils fonctionnaient tous bien à ce moment. Il remit la barre à Mano à 3 heures du matin tout près de l'anse Baker. Il déclare avoir demandé à Mano de conserver une route de 294°-295° et d'appeler Clattenburg à Kerr Point. E chargea Mano de se tenir à tribord du rivage. Le navire était dirigé par gouverne automatique lorsqu'il termina son quart.
Malheureusement, Mano n'a pas été cité comme témoin à l'audience et la Cour n'a donc pas pu bénéficier de sa version de témoin ocu- laire de l'accident. Cependant, me fondant sur la preuve qui a été présentée, je vais maintenant énumérer les actes de négligence qui ont, à mon avis, constitué les facteurs déterminants de cet abordage.
Fautes du Koskeemo:
1. Le Koskeemo était hors de sa route nor- male, c'est-à-dire qu'il était à gauche d'un chenal étroit alors qu'il aurait être à droite. Le Koskeemo contrevenait donc à la Règle 25a) des Règles pour prévenir les abordages en mer (ci-après les Règles sur les abordages) dont voici le texte:
Règle 25.
a) Tout navire à propulsion mécanique faisant route dans un chenal étroit doit, quand la prescription est d'une exécu- tion possible et sans danger, prendre la droite du chenal ou du milieu du passage.
L'avocat de la demanderesse a soutenu éner- giquement que la partie du chenal Grenville est survenu l'abordage n'était pas un «chenal étroit» au sens des Règles sur les abordages. La jurisprudence précise bien qu'un «chenal étroit» correspond à ce que les marins, dans la prati- que, considèrent d'office comme un chenal étroit, c'est-à-dire se définit en fonction de la façon dont les marins en fait le traitent et s'y comportent 1 . Les avocats des deux parties ont reconnu que j'avais le droit de demander et de suivre les conseils des assesseurs sur ce point. Les deux assesseurs m'ont indiqué que le chenal Grenville, y compris l'endroit s'est produit cet abordage, est un chenal étroit et considéré comme tel par les marins. Ils m'ont en outre indiqué qu'en cas de croisement dans le chenal de Grenville, il convient de se placer de son côté droit du chenal et de croiser bâbord à bâbord (rouge à rouge). Il est également intéressant de noter qu'à peu près la même portion du chenal Grenville a été déclarée «chenal étroit» par le juge Thurlow dans l'arrêt New England Fish Company c. Le navire «Island Prince» 2 .
L'avocat de la demanderesse a cité plusieurs témoins qui ont déclaré que, de façon assez habituelle, les navires de pêche qui empruntent le chenal Grenville se croisent vert à vert. Les défendeurs ont cité plusieurs témoins familiers avec la circulation dans ce chenal; ceux-ci ont déclaré qu'il était aussi répandu et bien meilleur de garder la droite et de croiser rouge à rouge.
1 Marsden, British Shipping Laws, 11a° - éd., vol. 4, pp. 576 et 577.
2 Jugement non publié—Cour de l'Échiquier du Canada, le 16 juillet 1968. (N° du greffe: 63/67—Division d'amirauté de la C.-B.)
Je n'ai pas l'intention d'examiner ces témoigna- ges en détail. Ils tendent à démontrer que cer- tains navires de pêche empruntent peut-être le chenal contrairement aux dispositions des Règles sur les abordages, mais ils ne modifient pas ma conviction fondée sur la déposition des témoins des défendeurs et sur l'avis des asses- seurs que ces eaux constituent un chenal étroit. Le Koskeemo a donc nettement enfreint la Règle 25a) et on peut, dans une certaine mesure, imputer l'abordage à la violation de cette règle.
2. Le Koskeemo ne s'est pas conformé aux dispositions de la Règle 19 des Règles sur les abordages dont voici le texte:
Règle 19.
Navires à propulsion mécaniquefaisant des routes qui se croisent.
Lorsque deux navires à propulsion mécanique font des routes qui se croisent, de manière à faire craindre une collision, le navire qui voit l'autre par tribord doit s'écarter de la route de cet autre navire.
La preuve démontre que le Koskeemo suivait un cap de 110° et que le dernier cap connu du Pacific Rover était 294°-295°. Les assesseurs m'ont indiqué que le Pacific Rover se trouvait ainsi de 4I°-5° à l'extérieur de la route opposée. Il semblerait donc que la Règle 19, qui traite des navires faisant des routes qui se croisent, s'ap- plique en l'espèce et non la Règle 18 qui traite des navires faisant des routes directement oppo sées ou à peu près opposées. Donc, en vertu de la Règle 19, le Koskeemo était tenu de s'écarter de la route du Pacific Rover, ce qu'il n'a pas fait. Cependant, même si la Règle 18 devait s'appli- quer, le Koskeemo a agi incorrectement parce qu'en vertu de cette règle, lorsque deux navires font des routes directement opposées ou à peu près opposées, chacun d'eux doit venir sur tri- bord de manière à passer à bâbord l'un de l'autre. Or, suivant la preuve, le Koskeemo a changé sa route bâbord toute plutôt que tribord toute. Les assesseurs m'ont indiqué que, dans une situation de ce genre, il est habituel de venir sur tribord plutôt que sur bâbord et qu'Ennest a commis une négligence en modifiant sa course sur bâbord quand il l'a fait.
3. Le Koskeemo ne s'est pas conformé aux dispositions de la Règle 23 des Règles sur les abordages dont voici le texte:
Règle 23.
Obligations des navires à propulsion mécanique qui doivent s'y conformer.
Tout navire à propulsion mécanique qui est tenu d'après les présentes Règles de s'écarter de la route d'un autre navire, doit, s'il s'approche de celui-ci, réduire au besoin sa vitesse ou même stopper ou marcher en arrière si les circons- tances le rendent nécessaire.
En vertu de la Règle 19, le Koskeemo était tenu de s'écarter de la route du Pacific Rover. Il a donc fait preuve de négligence en vertu de la Règle 23 en ne réduisant pas sa vitesse ou en ne stoppant pas ou en ne faisant pas marche arrière. Le Koskeemo savait que le Pacific Rover approchait, il devait savoir qu'il se trou- vait du mauvais côté du chenal et, malgré tout, il a poursuivi machine avant toute sans aucune- ment réduire sa vitesse. C'était sûrement une vitesse excessive dans les circonstances et cette vitesse excessive a certainement, dans une cer- taine mesure, contribué à l'abordage.
4. Lorsqu'il a changé sa route à bâbord toute, le Koskeemo aurait indiquer ce changement en émettant deux sons brefs au moyen de son sifflet et, en négligeant de ce faire, il s'est rendu coupable d'une violation de la Règle 28a) des Règles sur les abordages.
5. Le Koskeemo ne s'est pas conformé à la Règle 28 b) des Règles sur les abordages qui prévoit que:
Règle 28.
b) Lorsqu'un navire à propulsion mécanique qui, confor- mément aux présentes Règles, doit conserver sa route et maintenir sa vitesse, est en vue d'un autre navire et ne se sent pas assuré que l'autre navire prend les mesures néces- saires pour éviter l'abordage, il peut exprimer son doute en émettant au sifflet une série rapide d'au moins cinq sons brefs. Ce signal ne doit pas dispenser un navire des obliga tions qui lui incombent conformément aux Règles 27 et 29 ou à toute autre Règle, ni de l'obligation de signaler toute manoeuvre effectuée conformément aux présentes Règles, en faisant entendre les signaux sonores appropriés, prescrits par la présente règle.
Rien dans la preuve n'indique que le Koskeemo a eu recours à son sifflet à quelque moment que ce soit.
6. Enfin, le Koskeemo n'a pas mis en oeuvre une veille appropriée et continue dès qu'il s'est rendu compte de la présence du Pacific Rover dans les parages; il a ainsi enfreint la Règle 29.
Fautes du Pacific Rover:
1. Le Pacific Rover a enfreint la Règle 28 parce qu'il est venu sur tribord sans émettre, au moyen de son sifflet, un son bref comme l'exige ladite règle pour indiquer ce changement de route. Étant donné que Mano n'a pas témoigné, il n'y a pas de preuve directe du changement de cap. Cependant, le paragraphe 7 de l'acte préli- minaire des défendeurs se lit comme suit:
[TRADUCTION] Le N.M. «PACIFIC ROVER» suivait une route de 294i magnétique en direction nord du côté droit du chenal Grenville à une vitesse-surface d'environ sept milles à l'heure. Alors que le «PACIFIC ROVER» était à une distance de un à deux milles du navire qui s'est révélé être le «KOSKEEMO», le «PACIFIC ROVER» est venu sur tribord et a suivi une route d'environ 298° magnétique pour croiser le «KosKEEmo» bâbord à bâbord. Peu avant l'abordage, le «KOSKEEMO» a viré sur bâbord passant devant le «PACIFIC ROVER». Pour essayer d'éviter l'abordage la barre du «PAciF- Ic ROVER» a été tournée sur bâbord.
Puisque les défendeurs sont liés par leur acte préliminaire, je suis autorisé à admettre son contenu relativement au changement de route. Les assesseurs m'indiquent qu'en opérant ce changement de route sur tribord un à deux milles avant le croisement, le Pacific Rover a agi tout à fait correctement et conformément à la pratique ordinaire des marins, de manière à as- surer un croisement bâbord à bâbord. Le Pacific Rover a toutefois été négligent en ne signalant pas ce changement de route en émettant un coup de sifflet bref. Étant donné que Mano n'a pas témoigné, nous ne pouvons savoir avec cer titude si le sifflet a été actionné. Cependant, personne à bord de l'un ou l'autre navire n'a entendu de coup de sifflet. Par conséquent, il semble peu probable qu'on ait actionné le sifflet.
2. La demanderesse prétend qu'il y a faute du Pacific Rover du fait que, immédiatement avant l'abordage, son feu de position rouge à bâbord n'était pas allumé contrairement à la Règle 7a)(ii) des Règles sur les abordages. A l'appui de cette allégation, elle invoque le témoignage d'Ennest qui a déclaré qu'à aucun moment, il n'a vu un feu rouge à bâbord sur le Pacific Rover. Suivant la preuve, environ deux semai- nes avant le voyage en question, le feu bâbord du Pacific Rover ne fonctionnait pas. La douille de la lampe était rongée et un fil brisé. Clatten- burg a fait remplacer la douille et le fil par la
Love Electric de Prince Rupert et il a déclaré qu'après cette réparation, le feu bâbord fonc- tionnait de façon satisfaisante. Il a déclaré avoir vérifié les feux la nuit du 12 au 13 à l'île Ivory et ils fonctionnaient tous. Par ailleurs dans son témoignage, Hardy a déclaré avoir vérifié les feux de navigation vers 1 heure du matin, tout juste trois heures avant l'abordage, et avoir constaté qu'ils fonctionnaient tous. Cependant, le 14 mars 1973, à Prince Rupert, après l'abor- dage, un gendarme de la G.R.C. est monté à bord du navire et a demandé à Clattenburg d'allumer les feux. Le feu rouge de bâbord n'a pas fonctionné. Le gendarme s'est alors appro- ché pour retirer le couvercle du feu de bâbord et, dès qu'il l'a touché, le feu s'est allumé. Clattenburg a déclaré que, plus tard, il a revissé l'ampoule dans sa douille, ayant découvert qu'elle était dévissée. Il a alors semblé qu'elle fonctionnait de façon satisfaisante. Le feu de bâbord n'a fait l'objet d'aucune autre réparation, le Pacific Rover partant ce soir-là pour un autre voyage. Le 19 mars, le Pacific Rover était de retour à Prince Rupert et, à ce moment-là, un inspecteur maritime a noté que le feu de bâbord s'éteignait par intermittence lorsqu'il était agité ou légèrement secoué. Il a observé que le partie supérieure du couvercle du feu était rongée au point qu'il y avait un trou dans le couvercle. Ainsi, le couvercle n'empêchait pas l'infiltration d'embruns d'eau salée, ce qui a provoqué un court-circuit dans le feu de bâbord. Il semble que quelqu'un avait bricolé une pièce en étain pour boucher le trou du couvercle, mais ce dispositif n'a pas permis d'empêcher l'infiltra- tion d'eau salée.
Il n'y a pas de preuve directe sur la question de savoir si le feu de bâbord fonctionnait immé- diatement avant l'abordage. Cependant, compte tenu du fait que le couvercle défectueux provo- quait des courts-circuits par intermittence, je crois qu'il est tout à fait vraisemblable que le feu rouge de bâbord n'était pas allumé pendant au moins une partie de la période qui a précédé l'abordage. Si le feu de bâbord avait été allumé, il reste une possibilité que le Koskeemo l'ait vu après que le Pacific Rover eut apporté le chan- gement de sur tribord à une distance de un à deux milles du lieu de l'abordage. Je conclus donc que le feu de bâbord et son couvercle
défectueux ont contribué, dans une certaine mesure, à l'abordage.
3. Le Pacific Rover ne s'est pas lui non plus conformé à la Règle 28b) des Règles sur les abordages (précitée) en ce sens que, dans ces circonstances, il aurait lui aussi émettre, au moyen de son sifflet, une série rapide d'au moins cinq sons brefs. Comme dans le cas du Koskeemo, rien dans la preuve n'indique que le Pacific Rover a actionné son sifflet à quelque moment que ce soit.
4. Le Pacific Rover a lui aussi omis de mettre en oeuvre une veille appropriée dès qu'il s'est rendu compte de la présence du Koskeemo dans les parages; ainsi, il a également enfreint la Règle 29.
5. Le Pacific Rover aurait ralentir lorsqu'il devint imminent que les navires se trouveraient tout près l'un de l'autre. Ses machines étaient encore en avant toutes au moment de l'abordage.
Les principes juridiques à suivre dans les cas de ce genre sont exposés dans l'ouvrage de Marsden, British Shipping Laws, volume 4, Col lisions at Sea, aux pages 2 et 3, dont voici le texte:
[TRADUCTION] En 1823, dans l'arrêt The Dundee ((1823) 1 Hag. Ad. 109 la p. 120) qui traite d'un abordage entre deux navires, Lord Stowell a déclaré que les éléments essentiels d'une négligence qu'on peut poursuivre en justice corres- pondaient à «ce manque d'attention et de vigilance requises pour la sécurité des autres navires naviguant dans les mêmes eaux que, dans la mesure cette négligence va jusqu'à causer, même involontairement, des dommages de quelque importance à d'autres navires, le droit maritime considère comme un manquement à un devoir impérieux, ce qui permet à la victime de recevoir une réparation sous forme de dommages-intérêts».
Les marins doivent prendre des précautions raisonnables et faire preuve d'une compétence raisonnable pour empê- cher le navire de causer des préjudices (voir l'arrêt The Voorwaarts and the Khedive (1880) 5 App. Cas. 876, à la p. 890, rendu par Lord Blackburn); il faut alors déterminer ce qui est raisonnable d'après les circonstances de chaque espèce.
La négligence généralement invoquée correspond au manque d'habileté, d'attention et de sang-froid dont fait habituellement preuve un marin compétent, ce qui équivaut à un manquement aux obligations de bon marin ou à une violation des règles internationales ou locales de prévention des abordages. Le D. Lushington a déclaré dans l'arrêt The
Thomas Powell and the Cuba (1866) 14 L.T. 603: «Nous exigeons non pas une habileté ou une diligence extraordi- naire, mais le degré d'habileté et de diligence qu'on trouve généralement chez ceux qui accomplissent leur devoir».
Dans l'arrêt The Billings Victory 3 , le juge Willmer a déclaré:
[TRADUCTION] Il me semble que la chose la plus importante à prendre en considération pour juger de la gravité des fautes est la question de savoir lequel des deux navires a créé la situation dangereuse.
La «situation dangereuse» en l'espèce, a été, dans une large mesure, créée par le Koskeemo et par ses actes de négligence énumérés précé- demment. La négligence du Pacific Rover y a également contribué, mais à un degré moindre.
En conséquence, je conclus qu'il y a eu lieu de partager la responsabilité en attribuant 75% au Koskeemo et 25% au Pacific Rover.
LIMITATION DE RESPONSABILITÉ
Les défendeurs ont déposé une demande reconventionnelle afin d'obtenir le droit de limi- ter la responsabilité de la Northland Industries Ltd. conformément aux dispositions de l'article 647 de la Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, c. S-9.
Les parties dudit article qui nous intéressent sont les suivantes:
647. (2) Le propriétaire d'un navire, immatriculé ou non au Canada, n'est pas, lorsque l'un quelconque des événe- ments suivants se produit sans qu'il y ait faute bu complicité réelle de sa part, savoir:
d) avarie ou perte de biens, autres que ceux qui sont mentionnés à l'alinéa b), ou violation de tout droit
(i) par l'acte ou l'omission de toute personne, qu'elle soit ou non à bord du navire, dans la navigation ou la conduite du navire, le chargement, le transport ou le déchargement de sa cargaison, ou l'embarquement, le transport ou le débarquement de ses passagers, ou
(ii) par quelque autre acte ou omission de la part d'une personne à bord du navire;
responsable des dommages-intérêts au-delà des montants suivants, savoir:
D à l'égard de toute avarie ou perte de biens ou de toute violation des droits dont fait mention l'alinéa d), un mon- tant global équivalant à 1,000 francs-or pour chaque ton- neau de jauge du navire.
3 (1949) 82 Ll. L. Rep. 877, à la page 883.
Ainsi, les défendeurs soutiennent que toute avarie ou perte résultant de la négligence des personnes chargées de la navigation ou la con- duite du Pacific Rover s'est produite sans qu'il y ait faute ou complicité réelle de la défenderesse Northland Industries Ltd. et cherchent donc à limiter la responsabilité de ladite défenderesse de la façon prévue à l'article 647(210.
Il incombe au propriétaire du navire d'établir que l'article précité de la Loi lui est applicable.
J'ai examiné la jurisprudence applicable en pareil cas dans l'arrêt Stein c. Le Kathy K 4 . Aux pages 601 et 602 de ce jugement j'ai déclaré:
Pour résumer la jurisprudence, if incombe au défendeur en l'espèce (le demandeur reconventionnel) de prouver les faits suivants:
(1) L'identité de la personne dont les actes s'identifiaient aux actes de la compagnie.
(2) Cette personne n'est coupable ni de faute ni de compli- cité, au sens qu'il faut \ donner à ces mots, tel qu'on l'a
établi plus haut.
(3) S'il y a eu faute, elle n'a pas contribué à l'accident.
Appliquons ces principes aux faits de l'es- pèce. Le Pacific Rover était la propriété de la défenderesse Northland Industries Ltd. Clatten- burg, le capitaine du navire, était actionnaire majoritaire et administrateur de la défenderesse Northland Industries Ltd. Il dirigeait le navire et les activités de l'équipage de façon générale et était également chargé de l'entretien du navire. Il savait que le feu de bâbord était défectueux et il savait, ou une vérification de routine aurait lui apprendre, ce qui en était du couvercle rongé du feu de bâbord. Il a été négligent de ne pas faire installer un nouveau couvercle. Il a reconnu ne rien savoir des Règles sur les abor- dages. Il n'était pas certain de connaître ni de comprendre la signification des différents coups de sifflet exigés par lesdites règles. Il a admis ne pas avoir de copie des Règles sur les abordages à bord du navire. Sa façon de donner des direc tives à l'équipage était pour le moins désinvolte. Il n'a pris aucune mesure raisonnable pour s'as- surer que Mano avait les aptitudes requises pour gouverner le navire.
[1972] C.F. 585 aux pages 600,601 et 602.
En conclusion, je suis convaincu que les actes de Clattenburg s'identifiaient à ceux de la défen- deresse Northland Industries Ltd., que Clatten- burg était coupable des fautes et des actes de négligence énumérés précédemment et que ces fautes ont contribué à l'accident.
Dans des actions comme celle-ci, il incombe au propriétaire de prouver qu'il n'y a aucun lien de causalité entre ses actes et l'accident, c'est-à- dire qu'il n'a contribué en aucune façon à ce qui est arrivés. En l'espèce, le propriétaire ne s'est pas libéré de cette charge.
Il y aura donc jugement comme suit:
a) 75% de la responsabilité de l'abordage sont attribués au Koskeemo et 25% au Pacific Rover;
b) La demande reconventionnelle de la défenderesse Northland Industries Ltd. est rejetée avec dépens;
c) Il y aura référence quant aux dommages conformément à la Règle 500, lesdits domma- ges devant être évalués par un protonotaire de cette cour; et
d) Les dépens de l'action seront calculés en fonction de la responsabilité et en respectant les pourcentages établis à l'alinéa a) ci-dessus.
Conformément à la Règle 337(2)b), l'avocat des défendeurs peut rédiger un projet de juge- ment approprié pour donner effet à la décision de la Cour et demander que ce jugement soit prononcé.
Je suis reconnaissant au capitaine Draney et au . capitaine Docherty de nous avoir apporté une aide estimable à titre d'assesseurs.
5 Voir: le lord juge Hamilton dans l'arrêt Lennard [1914] 1 K.B. 419, à la page 436.
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