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Bell Canada (Demanderesse)
c.
Earl E. Palmer (Intimé)
Division de première instance, le juge Heald — Toronto, le 11 juin; Ottawa, le 19 juin 1973.
Législation—Relations de travail—Droits civils—Loi pré- voyant l'égalité de salaire pour les femmes—Disposition pré- voyant le renvoi des plaintes à un préposé du juste salaire et à un arbitre—Disposition abrogée—Plainte pendante au moment de l'abrogation—Les plaignantes ont-elles des droits acquis—Loi sur l'égalité de salaire pour les femmes, 1956, c. 38—Code canadien du travail (Normes), S.R.C. 1970, c. L-1, mod. 1970-72, c. 50, art. 8, 23—Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23, art. 35c) et e).
La Loi sur l'égalité de salaire pour les femmes, 1956, c. 38, prévoyait que toute personne se prétendant lésée par suite d'une violation alléguée de la loi pouvait présenter une plainte au Ministre, ce dernier pouvant soumettre l'affaire au préposé du juste salaire et, si la plainte ne pouvait être réglée, à un arbitre. Cette loi fut abrogée à compter du ler juillet 1971 par les Statuts 1970-71-72, c. 50, art. 23 (modi- fiant le Code canadien du travail (Normes)); les différences de salaire entre les hommes et les femmes étaient interdites par l'article 8 de cette loi, mais par ailleurs on n'y prévoyait plus le renvoi des litiges à un préposé du juste salaire et à un arbitre. Le 26 novembre 1970, deux employées de la Bell Canada Ltd. présentèrent un grief. Leur plainte fut soumise à un préposé du juste salaire qui ne réussit pas à la régler. Le 23 février 1973, le Ministre renvoya la plainte à un arbitre. La Bell Canada présenta une demande de bref de prohibition.
Arrêt: il convient de refuser le bref. Compte tenu de l'article 35 c) et e) de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23, les plaignantes conservaient les droits qu'elles avaient acquis aux termes de la loi abrogée.
Arrêt suivi: Gell c. White [1922] 2 K.B. 422; distinction
faite avec l'arrêt Regina c. Coles [1970] 1 O.R. 570.
DEMANDE de bref de prohibition. AVOCATS:
B. M. Paulin, c.r., et G. C. Clermont pour la demanderesse.
M.P. Hyndman, c.r., et D. Arthurs pour E. Kennedy et P. Harris.
N. Chalmers, c.r., pour le sous-procureur général du Canada.
PROCUREURS:
White, Bristol et Beck, Toronto, pour la demanderesse.
Blackwell, Law, Treadgold et Armstrong, Toronto, pour E. Kennedy et P. Harris.
Le sous-procureur général du Canada pour la Couronne.
LE JUGE HEALD—Il s'agit ici d'une demande de délivrance d'un bref de prohibition. La demanderesse demande à la Cour d'interdire à Earl E. Palmer, l'intimé, de procéder en tant qu'arbitre nommé conformément aux disposi tions de l'article 6 de la Loi sur l'égalité de salaire pour les femmes, S.C. 1956, c. 38 et plus précisément de procéder à l'audition des plain- tes que Elizabeth Kennedy et Patricia Harris ont déposées contre la demanderesse en vertu de cette loi.
Le 26 novembre 1970, Elizabeth Kennedy et Patricia Harris (appelées ici Kennedy et Harris) ont déposé une plainte affirmant qu'aux termes de la loi, elles étaient lésées. Les sections perti- nentes de cette loi sont les articles 4 et 6(1) à (7) qui disposent que:
4. (1) Nul patron ne doit engager une employée pour du travail à un taux de rémunération moindre que celui auquel un employé est embauché par ledit patron pour un travail identique ou sensiblement identique.
(2) Sous réserve du paragraphe (3), aux fins du paragra- phe (1), le travail pour lequel une employée est engagée et le travail pour lequel un employé est embauché sont réputés identiques ou sensiblement identiques si la besogne, les devoirs ou les services que les employés sont appelés à accomplir se trouvent être identiques ou sensiblement identiques.
(3) Le paiement à une employée d'une rémunération à un taux moindre que celui auquel un employé est embauché ne constitue pas une inobservation du présent article si la différence entre les taux de rémunération repose sur la durée du service ou l'ancienneté, sur le lieu ou la région géographique de l'emploi, ou sur un facteur autre que des considérations de sexe et lorsque, suivant l'opinion du pré- posé du juste salaire, de l'arbitre, de la cour, du juge ou du magistrat, le facteur sur lequel repose la différence justifie- rait normalement cette différence dans les taux de rémunération.
6. (1) Toute personne se prétendant lésée par suite d'une violation alléguée de l'une quelconque des dispositions de la présente loi, peut présenter une plainte écrite au Ministre, et celui-ci peut charger un préposé du juste salaire d'enquêter sur la plainte et de chercher à effectuer un règlement des questions dont on se plaint.
(2) Si le préposé du juste salaire est incapable d'effectuer un règlement des questions dont on se plaint, il doit adresser au Ministre un rapport indiquant les faits et sa recommanda- tion en l'espèce.
(3) Le Ministre peut
a) renvoyer la plainte devant un arbitre que nommera le Ministre, ou
b) refuser de renvoyer la plainte devant un arbitre, s'il estime qu'un tel renvoi est sans mérite.
(4) Lorsque le Ministre a renvoyé une plainte devant un arbitre, ce dernier doit
a) enquêter sur les matières dont il est saisi,
b) fournir à toutes les parties l'occasion voulue de com- muniquer une preuve et de faire des représentations,
c) décider si la plainte est appuyée ou non par la preuve, et
d) rendre toute ordonnance qu'il estime nécessaire pour donner effet à sa décision, ce qui peut comprendre le paiement de la rémunération ou de la rémunération sup- plémentaire qui, durant une période d'au plus six mois immédiatement antérieure à la date de la plainte, aurait été acquise à l'employé si le patron avait observé la présente loi.
(5) En considérant une plainte prévue par la présente loi, un préposé du juste salaire ou un arbitre peut pénétrer dans le local l'on poursuit quelque entreprise, affaire ou ouvrage se rattachant à la plainte et prendre connaissance des bordereaux de paie et autres dossiers relatifs à l'emploi. Le propriétaire ou celui qui a la charge de ce local et chaque personne s'y trouvant doivent donner, au préposé du juste salaire ou à l'arbitre, toute l'assistance raisonnable qu'il est en leur pouvoir d'offrir, et fournir au préposé du juste salaire ou à l'arbitre les renseignements que l'un ou l'autre peut raisonnablement exiger.
(6) Un arbitre saisi d'une plainte possède tous les pou- voirs d'une commission de conciliation, prévus par l'article 33 de la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail.
(7) Toute personne à l'égard de qui on a rendu une ordonnance aux termes du présent article, doit s'y conformer.
Conformément aux dispositions de l'article 6 (précité), le ministre du Travail a chargé un préposé du juste salaire d'enquêter sur la plainte et de chercher à effectuer un règlement. Les 25 février, 30 mars et 6 août 1971 et les 18 mai et 15 novembre 1972, des cadres supérieurs de la demanderesse rencontrèrent plusieurs fonction- naires du ministère fédéral du Travail. Il semble cependant que le préposé du juste salaire n'a pu effectuer un règlement et, le 23 février 1973, conformément aux dispositions de l'article 6(3)a) de la loi, le ministre du Travail a renvoyé la plainte devant un arbitre, en l'occurrence l'intimé, doyen associé de la Faculté de droit de l'Université Western Ontario.
La Loi sur l'égalité de salaire pour les femmes a été abrogée, à compter du 1 e1 juillet 1971, par S.C. 1970-71-72, c. 50, art. 23. L'article 8 de cette nouvelle loi contient des dispositions nou- velles à l'égard de l'égalité de salaire. Il se lit comme suit:
14A. (1) Nul employeur ne doit établir ni maintenir des différences de salaires entre des employés du sexe masculin et du sexe féminin, travaillant dans le même établissement industriel, qui accomplissent, dans les mêmes conditions de travail ou dans des conditions analogues, le même travail ou un travail analogue dans l'exécution de tâches nécessitant les mêmes qualifications, le même effort et la même respon- sabilité, ou des qualifications, un effort et une responsabilité analogues.
(2) Le paiement de salaires différents à des employés du sexe masculin et du sexe féminin ne constitue pas une contravention au paragraphe (1), si la différence est fondée à bon droit sur un ou plusieurs facteurs autres que le sexe.
(3) Nul employeur ne doit, pour se conformer au paragra- phe (1), réduire le salaire d'un employé.
Si l'on compare les dispositions en vigueur au 1 e1 juillet 1971 avec celles en vigueur aupara- vant, on s'aperçoit que les dispositions de l'arti- cle 6 de l'ancienne loi, relatives à la procédure d'exécution, ont disparu et ne se retrouvent pas dans la nouvelle loi.
L'avocat de la demanderesse déclare que l'in- timé a été nommé arbitre par le Ministre en vertu de l'ancienne loi alors qu'elle avait déjà été abrogée; qu'aucun article correspondant de la nouvelle loi n'autorise une telle nomination et que, par conséquent, le 23 février 1973, le Ministre n'était pas autorisé à nommer l'intimé. En se fondant sur ce défaut de compétence du Ministre, l'avocat demande à la Cour d'interdire à l'intimé de procéder en vertu de sa nomination.
L'article 35 de la Loi d'interprétation, (S.R.C. 1970, c. I-23) est pertinent en l'espèce. Les portions de ce texte qui ont rapport à la ques tion sont les suivantes:
35. Lorsqu'un texte législatif est abrogé en tout ou en partie, l'abrogation
Ire) n'a pas d'effet sur quelque droit, privilège, obligation ou liresponsabilité acquis, né, naissant ou encouru sous le ',régime du texte législatif ainsi abrogé;
e) n'a pas d'effet sur une enquête, une procédure judi- ciaire ou un recours concernant de semblables droit, privi-
lège, obligation, responsabilité, peine, confiscation ou
punition;
et une enquête, une procédure judiciaire ou un recours prévu à l'alinéa e) peut être commencé, continué ou mis à exécution, et la peine, la confiscation ou la punition peut être infligée comme si le texte législatif n'avait pas été ainsi abrogé.
Au ler juillet 1971, date de l'abrogation de la Loi sur l'égalité de salaire pour les femmes, je considère que Kennedy et Harris avaient acquis en vertu de cette loi des droits considérables. Elles avaient le droit de se prévaloir de l'en- quête du préposé du juste salaire, le droit de demander au Ministre de nommer un arbitre (comme, d'ailleurs, il l'a fait), et elles étaient en droit de voir exercer par l'arbitre les pouvoirs considérables que lui confère l'article 6, si le besoin s'en faisait sentir.
L'avocat de la demanderesse soutient que personne ne pouvait prévoir, à la date d'abroga- tion de la loi, que le Ministre nommerait effecti- vement un arbitre. En effet, à l'abrogation de la loi, cette nomination n'avait pas encore été effectuée. Par conséquent, il serait, selon lui, impossible d'affirmer qu'à la date d'abrogation de la loi, Kennedy et Harris possédaient des «droits» dont l'abrogation les aurait privées. Je ne souscris pas à cet argument. A mon sens, l'article 6 prévoit un code de procédure pour la sanction des droits que l'article 4 de la loi donne aux femmes. Cette procédure a été mise en oeuvre par la plainte envisagée à l'article 6(1). En l'espèce, la plainte déposée le 26 novembre 1970 a fait jouer la procédure de l'article 6 et cette procédure était engagée au ler juillet 1971 quand la loi fut abrogée. La nouvelle loi ne prévoyait pas une pareille procédure. Les plai- gnantes avaient fait tout ce qu'elles devaient faire bien avant le ler juillet 1971 et elles avaient acquis un droit aux procédures prévues à l'arti- cle 6 de la loi. Par conséquent, je suis d'avis que les alinéas c) et e) de l'article 35 s'appliquent en l'espèce. Les demanderesses avaient un droit à l'enquête du préposé du juste salaire ainsi que celui de se prévaloir du règlement qu'il pouvait obtenir. Au cas le préposé ne pouvait pas obtenir un règlement, les demanderesses avaient droit de demander, à la discrétion du Ministre,
la nomination d'un arbitre et, dans l'hypothèse d'une telle nomination, elles avaient droit à voir l'arbitre exercer les pouvoirs que lui donnait cet article.
Dans Gell c. White [1922] 2 K.B. 422, une affaire anglaise les faits et les dispositions législatives étaient semblables, la Cour a décidé que le demandeur n'avait pas perdu les droits acquis en vertu de la loi abrogée. L'avocat de la demanderesse se fonde sur l'arrêt Regina c. Coles [1970] 1 O.R. 570. Cependant, les faits en cause dans cette affaire ne sont pas les mêmes qu'ici. Cette affaire-là portait sur une action intentée en vertu de l'Ontario Securities Act. A la date l'action fut intentée, la loi en vigueur lors de la commission de la contravention avait été abrogée et remplacée par une nouvelle Secu rities Act.
La différence entre cette affaire-là et la pré- sente est que, dans Coles (précité), les poursui- tes ne furent pas commencées au cours de la période que le juge Laskin appelle [TRADUC- TION] «la vie naturelle de l'ancienne loi». En l'espèce, les procédures ont été engagées pen dant la vie naturelle de l'ancienne loi. A mon sens, il ressort d'une lecture des motifs du juge Laskin dans l'affaire Coles (précitée), tout parti- culièrement aux pages 573, 574 et 575, ainsi que d'une étude des articles 35 et 36 de la Loi d'interprétation, que ces articles suffisent à vali- der une nomination de l'intimé par le Ministre en l'espèce et que, par conséquent, l'intimé ne doit pas se voir interdire de procéder conformé- ment aux dispositions de l'article 6 de la loi abrogée.
La demande est donc rejetée. L'intimé ne s'est pas fait représenter à cette requête, mais les plaignantes, Elizabeth Kennedy et Patricia Harris, étaient représentées de même que le procureur général du Canada. Le procureur général du Canada sera, sur demande, autorisé à recouvrer de la demanderesse ses frais de cette requête. Étant donné que Kennedy et Harris étaient représentées par un même avocat, elles pourront, sur demande, recouvrer les frais d'une seule partie.
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