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A-105-73
La succession de Paul Dontigny représentée par Dame Georgette Rondeau, exécutrice testamen- taire et légataire universelle (Appelante)
c.
La Reine (Intimée)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges suppléants St.-Germain et Choquette—Ottawa, le 23 mai, les 11 et 18 juillet 1974.
Impôt sur les biens transmis par décès—Legs des biens immobiliers à la veuve sous réserve de donation aux enfants en cas de remariage—Assujettissement à l'impôt—Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès, art. 7(1)a).
Appel d'une décision de la Division de première instance ([1973] C.F. 587) rejetant, avec dépens, un appel d'une décision de la Commission de révision de l'impôt qui confir- mait une cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès.
Par testament, D a institué son épouse légataire univer- selle à la condition que les biens immobiliers soient dévolus à ses enfants si elle se remariait.
Arrêt: l'appel est rejeté et la valeur des biens immobiliers doit être incluse dans la valeur globale nette de la succession aux fins de l'impôt sur les biens transmis par décès. Les biens immobiliers n'ont pas été «dévolus irrévocablement» à l'épouse au sens de l'article 7(1)a) de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès, et il est donc inutile de détermi- ner si le testament créait une «substitution» au sens du Code civil et une «constitution» au sens de l'article 7(1)a) de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès.
APPEL.
AVOCATS:
Luc Forget pour l'appelante.
Alban Garon, c.r., et W. Lefebvre pour l'intimée.
PROCUREURS:
Martineau et Forget, Hull, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
LE JUGE EN CHEF JACKET r—Il s'agit d'un appel d'un jugement de la Division de première instance rejetant, avec dépens, un appel d'une décision de la Commission de révision de l'im- pôt qui confirmait une cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès.
L'appel à la Division de première instance a été tranché sur un exposé conjoint des faits suivants:
1. Paul Dontigny est décédé le ou vers le 12 mai 1970.
2. Feu Paul Dontigny était domicilié à Lac Cayamant, comté de Pontiac, province de Québec.
3. Il était l'époux de Dame Georgette Rondeau.
4. Par testament daté du 13 mars 1953, (Exhibit E-1), passé devant le notaire Cléo Vaillancourt et apparaissant sous le numéro 492 de ses minutes, feu Paul Dontigny a nommé Dame Georgette Rondeau, exécutrice testamentaire.
5. Le testateur, Paul Dontigny, disposa de ses biens ainsi qu'il appert des clauses quatrième et neuvième dudit testament:
a) Article quatrième: Je lègue tous mes biens meubles et immeubles, sans exception, que je délaisserai à mon décès, y compris les assurances que j'aurai sur ma vie à l'heure de ma mort, à mon épouse, Dame GEORGETTE RONDEAU, que j'institue ma légataire universelle; aux con ditions mentionnées à l'article neuf;
b) Article neuvième: Si mon épouse et légataire univer- selle ne garde pas viduité et se remarie, j'entends que tous mes biens immobiliers soient dévolus à mes enfants vivant lors du second mariage de leur mère et à défaut d'enfants vivants, aux enfants de ces derniers.
6. La valeur globale nette des biens laissés par le de cujus est de $85,395.76, dont $57,075.00 de biens immobiliers.
7. Par Avis de Cotisation daté du 17 mai 1971, le Ministre du Revenu National avisait l'Appelante qu'il avait établi une cotisation d'impôt de $3,036.75 en vertu de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès.
8. L'Appelante en appela de la cotisation à la Commission de Révision de l'Impôt qui rejeta l'appel par jugement daté du 6 novembre 1972.
9. La seule question en litige peut se formuler comme suit: la valeur des biens immobiliers appartenant au de cujus lors de son décès et comprise dans le calcul de la valeur globale nette est-elle déductible de cette dernière en vertu des alinéas 7(1)a) ou 7(1)b) de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès pour établir la valeur globale imposable?
Devant cette cour, l'appelante a renoncé à sa prétention dans la mesure o11 elle était fondée sur l'article 7(1)b) de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès.
Il convient d'examiner les dispositions suivan-
tes de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès':
7. (1) Aux fins du calcul de la valeur globale imposable des biens transmis au décès d'une personne, il peut être déduit de la valeur globale nette de ces biens, calculée conformément à la Division B, ceux des montants suivants qui sont applicables:
a) la valeur de tous biens transmis au décès du de cujus et dans lesquels son conjoint est le successeur et dont il peut être démontré, dans les six mois qui suivent le décès du de cujus ou dans un délai plus long qui peut être raisonnable dans les circonstances, qu'ils ont été dévolus irrévocable- ment à son conjoint au profit de ce dernier, à l'exclusion de ceux de ces biens qui forment une donation faite par création d'une constitution ou par transfert des biens, en fiducie, à un fiduciaire;
(2) Aux fins de l'alinéa (1)a), toute prestation de pension de retraite, d'une autre pension ou d'une prestation de décès qui est payable ou accordée-
a) par une caisse ou en vertu d'un régime établis en vue du paiement, aux bénéficiaires, de prestations de pension de retraite, d'une autre pension ou d'une prestation de décès, ou
b) à même le revenu de Sa Majesté du chef du Canada ou d'une province ou en vertu ou sous réserve d'une loi du Parlement du Canada ou de la législature d'une province,
au conjoint d'un de cujus, au décès ou après le décès du de cujus, du fait de ce décès, sous réserve d'une disposition portant que cette prestation cesse de lui être payable s'il se remarie, ne doit pas, du seul fait d'une telle disposition, être considérée comme ne lui étant pas dévolue irrévocablement.
62. (1) Dans la présente loi «constitution» comprend
a) toute fiducie, exprimée par écrit ou autrement, en faveur de quelque personne et, si elle est contenue dans un acte ou autre instrument effectuant la constitution, que cet acte ou autre instrument constate un contrat à titre onéreux ou à titre gratuit entre le constituant et toute autre personne, et
b) tout acte ou autre document en vertu ou par l'effet duquel un usufruit ou une substitution sont créés ou un immeuble ou un droit y afférent sont dévolus à des personnes sous réserve de droits successifs;
A mon sens, pour obtenir gain de cause, l'ap- pelante doit surmonter deux obstacles, savoir:
1 Bien que le de cujus soit décédé avant l'entrée en vigueur des Statuts révisés du Canada de 1970, les parties ne nous ont pas fourni de copies de la loi applicable, mais elles nous ont assuré qu'elle ne différait, sous aucun aspect important, du c. E-9 des S.R.C., 1970, qui est le texte auquel je me reporte.
a) elle doit démontrer que le «bien» dont elle veut déduire la valeur en vertu de l'article 7(1)a) n'était pas un de «ces biens qui for- ment une donation faite par création d'une constitution» (qui, par définition, comprend un «document en vertu ou par l'effet duquel ... une substitution» est créée) de façon à relever de l'exclusion prévue par la conclu sion de l'article 7(1)a), et
b) elle doit démontrer que le «bien» dont elle veut déduire la valeur en vertu de l'article 7(1)a) a été «dévolu irrévocablement» à la veuve «au profit de» cette dernière ou, sui- vant les termes de la version anglaise, que le bien a été «vested indefeasibly in his spouse for the benefit of such spouse».
Si l'appelante ne réussit pas à surmonter l'un des deux obstacles, l'appel doit être rejeté.
Comme j'estime que l'appelante n'a pas réussi à surmonter le deuxième obstacle, il m'est inu- tile d'examiner ce qu'il en est du premier.
Il semble qu'il puissé y avoir divergence d'opinion sur la question de savoir si le testateur a créé une «substitution», au sens du Code civil de la province de Québec, en léguant ses immeubles à sa veuve sous réserve de l'obliga- tion de les remettre, si elle se remarie, aux enfants ou aux petits-enfants vivant au moment du second mariage. Indépendamment de cette question, il est constant que, aux termes du testament, la propriété des biens n'était pas dévolue purement et simplement à la veuve, mais devait, au cas de son remariage, passer aux enfants ou aux petits-enfants. A mon sens, un tel testament n'attribue pas «irrévocablement» les biens à la veuve. Une libéralité qui est sus ceptible d'être annulée ou résiliée lors d'un évé- nement tel qu'un remariage, est révocable et, par conséquent, ne relève pas de la partie princi- pale de l'article 7(1)a). C'est là, si je comprends bien, l'opinion qu'a exprimée le juge de pre- mière instance dans l'avant-dernier paragraphe des motifs de son jugement.
A mon avis, l'appel doit être rejeté avec dépens.
LE JUGE SUPPLÉANT ST.-GERMAIN a souscrit à l'avis.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT CHOQUETTE—Les faits et les textes essentiels sont exposés et cités par M. le juge en chef.
Sans mettre en doute l'existence d'une substi tution conditionnelle (C.C. art. 929), je crois avec le juge en chef qu'il suffit, pour les fins du présent appel, de s'en tenir au dernier motif du juge de la Division de première instance, à savoir que les biens immobiliers du testateur n'ont pas été «dévolus irrévocablement» à son épouse, comme l'éxige l'article 7(1)a) de la Loi de l'impôt sur les biens transmis par décès (S.R.C. 1970, c. E-9).
S'attaquant à ce motif, l'appelante cite l'arti- cle 892 Code civil et soutient que seul le testa- teur pouvait révoquer le legs de ses biens fait à son épouse et que, le défunt ne l'ayant pas fait de son vivant, ce legs est maintenant irrévoca- ble. Elle conclut que si elle se remarie, c'est elle, la veuve, qui fera passer les biens à ses enfants, non le testateur.
Je ne puis retenir ce raisonnement. C'est le testateur lui-même qui, par la clause 9 de son testament, a stipulé la révocabilité du legs au cas sa veuve se remarierait. Si celle-ci se remarie, elle le fera sans doute de sa propre volonté, mais ce sera de par la volonté du testa- teur que les biens visés passeront à ses enfants ou petits-enfants.
Le legs dont il s'agit équivaut à un legs sous condition résolutoire. Si la condition se réalise, elle donne ouverture à l'action en révocation de legs (art. 893 C.C.).
Cette condition est valide, vu qu'elle exige, outre la volonté de la légataire, l'accomplisse- ment d'un acte déterminé, à savoir un second mariage (C.C. art. 1081).
Cette condition ne constitue pas, à mon avis, une «atteinte à un droit fondamental: le droit de se marier ou de ne pas se marier», comme le propose l'appelante. La veuve conserve toute liberté à cet égard. Quant au testateur, il n'a fait qu'exercer son droit de disposer de ses biens
comme il l'entendait, la condition stipulée étant dansl'intérêt de ses enfants.
Tant et aussi longtemps que la condition reste possible et efficace, le legs demeure révocable.
L'appelante soutient encore que, si son droit de propriété est résoluble ou révocable, elle n'a plus qu'un simple intérêt ou droit de jouissance temporaire dans les immeubles légués. Elle demande que sa cotisation soit revisée en conséquence.
A ceci, il faut répondre que c'est la valeur globale nette de tous les biens transmis au décès d'une personne qui doit être calculée pour les fins de l'impôt successoral, sous réserve des déductions permises par la Loi (e. E-9).
Les immeubles légués font partie du patri- moine transmis par le testateur lors de son décès. Le fait que ces biens ne soient pas dévo- lus irrévocablement à sa veuve ne libère pas la succession de sa responsabilité quant au paie- ment d'une cotisation basée sur la valeur de la propriété elle-même. C'est d'ailleurs en qualité d'exécutrice testamentaire et de légataire uni- verselle que l'appelante est appelée à payer cette cotisation.
J'ajouterai un dernier motif au chef de la révocabilité. Aux fins de l'alinéa a) de l'article 7, seules les «prestations de pension de retraite, d'une autre pension ou prestation de décès» payables au conjoint d'une personne décédée sous réserve d'une disposition portant que «cette prestation cesse de lui être payable s'il se remarie», ne doivent pas être considérées comme ne lui étant pas dévolues irrévocable- ment (art. 7(2)). C'est dire que dans les autres cas, spécialement dans le cas d'un legs immobi- lier, la dévolution doit être tenue pour révocable du fait d'une telle disposition.
Les autres moyens de l'appelante portent sur la substitution. Vu que nous nous en tenons au motif de la révocabilité, il n'y a pas lieu d'en discuter.
L'appelante est libre de se plaindre de la rigueur de la Loi dans son cas particulier—son mémoire contient d'ailleurs tout ce qui pouvait être dit en sa faveur—mais elle ne peut se
plaindre d'un jugement qui ne fait qu'appliquer la Loi.
Ceci dit, je souscris au raisonnement de M. le juge en chef et, adoptant ses conclusions, je rejetterais l'appel avec dépens.
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