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Jean O. Bauer (Requérante) c.
Le comité d'appel de la Commission de la Fonc- tion publique (Intime)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges suppléants St.-Germain et Bastin —Ottawa, les 28 et 31 mai 1973.
Fonction publique—Nominations—Être bilingue, une exi- gence fondamentale du poste—Exigence n'émanant pas de la Commission de la Fonction publique—Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-32, article 20.
En mai 1972, la requérante n'a pas réussi un concours dans la Fonction publique pour un poste de conseiller en main-d'oeuvre au ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immi- gration parce qu'elle ne répondait pas à une des exigences fondamentales du poste, savoir, la maîtrise du français. Son appel au comité d'appel fut rejeté. Elle a demandé à cette Cour d'annuler la décision au motif que l'inscription de la connaissance du français à titre d'exigence fondamentale pour ce poste n'émanait pas de la Commission de la Fonc- tion publique, comme l'exige l'article 20 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, mais du ministère ou du conseil du Trésor.
Avant le concours, la Commission de la Fonction publique avait adopté un règlement donnant aux sous-chefs des ministères la responsabilité d'assurer que suffisamment d'employés étaient compétents en français et en anglais et avait établi des lignes directrices pour déterminer les propor tions d'employés maîtrisant l'anglais et le français. Toute- fois, ce règlement a été annulé en avril 1972, la Loi sur les langues officielles étant entrée en vigueur depuis, au motif que la responsabilité de la dotation en personnel bilingue incombait au conseil du Trésor et aux ministères du gouvernement.
Arrêt: l'article 20 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique ne peut avoir pour effet d'annuler la nomination.
Le juge en chef Jackett et le juge suppléant St.-Germain: A supposer (sans toutefois en décider) que la Commission de la Fonction publique n'ait pas rempli une des fonctions qui lui sont imposées par l'article 20 en ce qui concerne la détermination des exigences linguistiques pour le poste annoncé, cette omission ne prive pas les autres organismes chargés de la dotation en personnel pour la Fonction publi- que de leurs pouvoir et responsabilité de poursuivre les opérations de dotation et, à cette fin, de déterminer les exigences linguistiques fondamentales.
Le juge suppléant Bastin: La révocation du règlement a eu pour effet de dégager les sous-chefs de l'obligation d'observer les exigences linguistiques prévues audit règle- ment, mais ceci n'a pas diminué mais en fait étendu leurs pouvoirs.
DEMANDE.
AVOCATS:
M. W. Wright, c.r., et J. L. Shields pour la requérante.
D. H. Aylen et R. G. Vincent pour l'intimé. PROCUREURS:
Soloway, Wright, Houston, Killeen et Greenberg, Ottawa, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
LE JUGE EN CHEF JACKETT (oralement)—La présente demande introduite en vertu de l'article 28' vise l'examen et l'annulation de la décision d'un comité d'appel rendue en vertu de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonc- tion publique 2 , rejetant l'appel que la requérante avait interjeté de la nomination d'un candidat reçu au concours 72-M&I-CC-ATL-28 pour le poste de «Conseiller supérieur en main-d'oeu- vre» de niveau «PM au Centre de la Main- d'oeuvre du Canada à Moncton (Nouveau- Brunswick).
D'après l'avis de concours, daté du 17 mai 1972, qui annonçait un certain nombre de con- cours pour les postes de Conseillers supérieurs en main-d'oeuvre, y compris le concours 72-M&I-CC-ATL-28, ce dernier était ouvert aux «employés du ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration dans la région Atlantique» et une des exigences fondamentales de ce con- cours était que les «candidats ... doivent con- naître les deux langues officielles».
La requérante a échoué à ce concours car elle n'a pas réussi l'examen de français. Le candidat nommé était un autre anglophone qui avait réussi cet examen.
En vertu de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.C. 1966-67, c. 71, art. 1, la requérante a interjeté appel par une lettre dont voici un extrait:
[TRADUCTION] J'entends fonder mon appel sur l'exigence déraisonnable de bilinguisme pour ce poste et sur le fait qu'on a injustement rejeté ma demande.
La Cour n'a pas à examiner les motifs pour lesquels le comité d'appel a rejeté ledit appel car la demande qui est soumise à la Cour se fonde sur un motif tout à fait différent du motif invo- qué à l'appui de l'appel présenté au comité. Le motif invoqué à l'appui de la demande soumise à la Cour en vertu de l'article 28 figure à la Partie IV de l'exposé des faits de la requérante:
[TRADUCTION] Dans la présente affaire, il est évident que la décision concernant l'«exigence fondamentale» de maîtri- ser le français a peut-être été prise par le ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration ou par le conseil du Trésor mais non par la Commission de la Fonction publique. Puisque ce n'est pas la Commission de la Fonction publique qui, comme l'exige l'article 20 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, a déterminé dans quelle mesure il était nécessaire de maîtriser le français soit dans le ministère d'origine de la requérante soit dans son service, on lui a donc demandé abusivement de se soumettre à une «exigence fondamentale» sans fondement légal.
Par conséquent, la décision rendue par le comité d'appel de la Fonction publique doit être annulée et le comité d'appel enjoint d'accueillir l'appel de la requérante au motif que l'«exigence fondamentale» de connaître le français n'a pas été fixée conformément aux dispositions de l'article 20 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique.
La seule question soumise à la Cour est, par conséquent, de décider en quoi l'article 20 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique affecte la validité de la nomination dont la requérante fait appel.
Les dispositions législatives qui régissent la Fonction publique sont devenues tellement compliquées qu'il est nécessaire, pour étudier les effets d'une disposition telle que l'article 20, de revoir une grande partie des dispositions législatives actuelles et passées afin de bien pouvoir situer la disposition que l'on veut interpréter.
Tous les ministères du gouvernement cana- dien ont été créés par une loi et cette loi définit les fonctions du ministère et met à la tête de chacun un ministre de la Couronne chargé de «la gestion et la direction» du ministère.' Il convient de noter qu'en l'absence d'autres dis positions, les mots—gestion et direction—englo- beraient le pouvoir de fixer le nombre et le genre d'employés du ministère ainsi que de choisir et d'embaucher les personnes aptes à y travailler. Il existe cependant certains textes de loi qui créent des exceptions et qui limitent les
très larges pouvoirs de gestion conférés par les lois sur les divers ministères. Outre le fait qu'eu égard aux exigences constitutionnelles (article 106 de l'Acte de l'Amérique du Nord britanni- que, 1867) il faut obtenir du Parlement les fonds nécessaires au fonctionnement du ministère, la plus importante de ces exceptions et limites imposées aux pouvoirs d'un ministre au Canada a été de lui retirer
a) le pouvoir de fixer le nombre et le genre d'employés du ministère ainsi que leur rému- nération, et
b) le pouvoir de choisir et d'engager les employés du ministère.
C'est dans les textes législatifs créant ces excep tions aux pouvoirs de gestion du Ministre qu'on trouve les dispositions qui ont suscité le litige sur lequel porte cette demande.
Avant que ne soient adoptées la Loi sur l'em- ploi dans la Fonction publique, la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, ainsi que certains amendements à la Loi sur l'administration financière (c. 71, c. 72 et c. 74 des Statuts de 1966-67), les exceptions ainsi que les limites apportées au pouvoir de gestion d'un ministre dans le ministère étaient réunies de façon simple et compréhensible dans les Parties II et III de la Loi sur le service civil, c. 57 des Statuts de 1960-61. Ces dispositions prennent une importance particulière dans l'étude du pro- blème actuel car, à mon avis, elles définissent très clairement ce que signifiaient alors les mots «classification», «nomination» et «emploi». Or, on retrouve ces mots, utilisés dans le même sens, dans les textes législatifs adoptés en 1967. 4 Pour s'assurer du sens exact des mots «classification», «emploi» et «nomination», dans ce contexte précis, il suffit de lire l'extrait suivant de la Loi sur le service civil de l'époque:
Classification
9. (1) La Commission doit répartir le service civil en
catégories d'emploi et classifier chaque emploi qui en relève.
(2) La Commission peut subdiviser chaque catégorie en deux ou plusieurs classes, mais une catégorie non ainsi subdivisée constitue, aux fins du présent article, une classe.
(3) La Commission doit délimiter chaque classe d'après des normes relatives aux devoirs, responsabilités et qualités requises, et y donner une désignation appropriée.
NOMINATION
20. (1) Sauf prescriptions différentes de la présente loi ou des règlements, la Commission possède le droit et l'autorité exclusifs de nommer des personnes à des emplois au service civil.
Afin d'essayer d'appréhender globalement les textes législatifs qui constituent le contexte des dispositions à étudier pour trancher la présente demande, il convient maintenant de s'interroger sur le sort des fonctions de «classification» et de «nomination» après l'abrogation en 1967 de la Loi sur le service civil.
Le pouvoir de «classification» semble être rentré dans le pouvoir général de gestion des ministres sous réserve du très large pouvoir général dont est investi le conseil du Trésor en vertu de l'article 7(1) de la Loi sur l'administra- tion financière telle que modifiée par le chapitre 74 des Statuts de 1966-67. Selon ce texte, il incombe au conseil du Trésor de «prévoir la classification des postes et des employés au sein de la Fonction publique». On y trouve rien de précis au sujet de l'établissement, pour les divers postes, de «normes relatives aux devoirs, responsabilités et qualités requises», mais il semble que ce pouvoir est inhérent à la gestion. L'employeur doit pouvoir délimiter les qualités requises et les fonctions d'un poste avant de chercher une personne pour le remplir. Il est difficile, d'après les documents soumis à la Cour, de se faire une idée claire de la manière dont était exercé ce pouvoir de classification à l'époque en question, mais, vu les motifs invo- qués, il n'est pas nécessaire de répondre à cette question pour statuer sur cette demande en vertu de l'article 28.
Pour ce qui est du pouvoir de nomination, la législation de 1966-67 le confère à une commis sion appelée maintenant Commission de la Fonction publique. Voir la Partie II de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, c. P-32. Bien que ce texte ne traite pas de classification et ne mentionne donc pas les «normes relatives aux devoirs, responsabilités
et qualités requises», il introduit ce qui semble être un concept nouveau à savoir, les «normes de sélection» que la Commission peut prescrire visant l'instruction, les connaissances, l'expé- rience, la langue,' l'âge, la résidence ou toute autre question que la Commission juge néces- saire ou souhaitable compte tenu de la nature des fonctions à accomplir. Voir l'article 12.
La législation de 1966-67 prévoit une autre exception. Le conseil du Trésor (l'article 7(2) de la Loi sur l'administration financière) et la Com mission de la Fonction publique (l'article 6 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique) peu- vent, tout en exerçant un contrôle et une cer- taine surveillance, rendre ou déléguer aux divers ministères tout ou partie du pouvoir de gestion relatif à l'engagement du personnel, pouvoir qu'on avait tiré des pouvoirs généraux conférés par les lois créant les ministères.
Il semble bien que le concours objet de la présente demande a été organisé et mené par les fonctionnaires du ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration en vertu des pouvoirs délé- gués par le conseil du Trésor ou par la Commis sion de la Fonction publique, ou par les deux, ainsi qu'en vertu des pouvoirs qui n'avaient pas été retirés au Ministre 6 par les textes législatifs que je viens d'étudier.
Je me reporte maintenant aux dispositions relatives aux exigences linguistiques pour les employés d'un ministère.
La Loi sur le service civil de 1960-61 conte- nait la disposition suivante:
47. Le nombre d'employés nommés auprès de tout minis- tère ou de tout bureau local d'un ministère, ayant les quali- tés requises en ce qui concerne la connaissance et l'usage du français ou de l'anglais, ou des deux langues, doit, suivant l'opinion de la Commission, être suffisant pour permettre au ministère ou au bureau local d'exercer ses fonctions de façon convenable et de fournir au public un service efficace.
La Loi sur l'emploi dans la Fonction publi- que, promulguée en 1967, donnait non seule- ment à la Commission de la Fonction publique le pouvoir de prescrire les normes de sélection visant notamment les «langues», mais compor- tait aussi à cet égard une disposition particulière à savoir:
20. Les employés nommés et affectés à un ministère, département ou autre élément de la Fonction publique, ou à
une partie de l'un de ceux-ci, doivent posséder les qualités requises, en ce qui concerne la connaissance et l'usage de l'anglais ou du français ou des deux langues, dans la mesure que la Commission estime nécessaire pour que ce ministère, département ou élément, ou cette partie de l'un de ceux-ci, puisse exercer convenablement ses fonctions et fournir au public un service efficace?
C'est manifestement avec ce texte à l'esprit que, le 13 mars 1967, la Commission a adopté des règlements qui posaient l'exigence générale que «de manière à ce que les fonctions d'un minis- tère, département ou autre élément de la Fonc- tion publique ou une partie de l'un de ceux-ci, selon le cas, ... soient exercées convenable- malt et qu'un service efficace soit fourni au public, chaque sous-chef doit prendre les mesu- res appropriées pour s'assurer qu'il y a dans chaque unité des employés qui ont une connais- sance suffisante de l'anglais ou du français ou des deux langues selon le cas, à ces fins». Ce règlement exigeait également que chaque sous- chef prenne les mesures appropriées afin d'at- teindre certains objectifs imposés par la diver- sité linguistique du public servi par l'unité.
La Loi sur les langues officielles qui fut initia- lement promulguée par le chapitre 54 des Sta- tuts de 1968-69 contient la disposition suivante:
9. (1) Il incombe aux ministères, départements et organis- mes du gouvernement du Canada, ainsi qu'aux organismes judiciaires, quasi-judiciaires ou administratifs ou aux corpo rations de la Couronne créés en vertu d'une loi du Parlement du Canada, de veiller à ce que, dans la région de la Capitale nationale d'une part et, d'autre part, au lieu de leur siège ou bureau central au Canada s'il est situé à l'extérieur de la région de la Capitale nationale, ainsi qu'en chacun de leurs principaux bureaux ouverts dans un district bilingue fédéral créé en vertu de la présente loi, le public puisse communi- quer avec eux et obtenir leurs services dans les deux langues officielles.
(2) Tout ministère, département, et organisme du gouver- nement du Canada et tout organisme judiciaire, quasi-judi- ciaire ou administratif ou toute corporation de la Couronne créés en vertu d'une loi du Parlement du Canada ont, en sus du devoir que leur impose le paragraphe (1), mais sans y déroger, le devoir de veiller, dans la mesure il leur est possible de le faire, à ce que le public, dans des endroits autres que ceux mentionnés dans ce paragraphe, lorsqu'il y a de sa part demande importante, puisse communiquer avec eux et obtenir leurs services dans les deux langues officielles.'
Le 18 avril 1972, la Commission de la Fonc- tion publique a révoqué les règlements sur les exigences linguistiques que je viens de résumer.
Mais, avant de ce faire, elle publia un bulletin rédigé comme suit:
Il n'appartiendra plus à la Commission de déterminer quand et comment les ministères devront fournir un service bilin- gue ou de fixer les exigences linguistiques pour les postes de ces ministères puisque ce sera maintenant les ministères et autres organismes gouvernementaux qui, sur avis du Conseil du trésor, assumeront cette fonction.
Si j'ai bien compris, la requérante prétend en somme qu'en vertu de l'article 20 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, la Commis sion de la Fonction publique avait le pouvoir et le devoir de faire appliquer une politique visant à introduire dans la Fonction publique un cer tain bilinguisme et que, par suite des mesures qu'elle a prises en 1972, la Commission de la Fonction publique a abdiqué cette responsabi- lité. Ainsi, à partir du 18 avril 1972, la Commis sion n'a pris aucune mesure et n'en a fait pren- dre aucune afin de s'acquitter des responsabilités lui incombant en vertu de l'arti- cle 20 et, en l'absence de mesures appropriées prises par la Commission ou par une personne à qui on aurait délégué les pouvoirs conférés par l'article 20, il ne pouvait y avoir, depuis cette époque, d'exigence valable de bilinguisme pour des postes auxquels les dispositions législatives s'appliquent . 9
A mon sens, il est inutile d'émettre une opi nion sur la question de savoir si la Commission de la Fonction publique a abdiqué son autorité en décidant de ne plus fixer les exigences relati- vement aux services bilingues des ministères et en cessant de prescrire des exigences linguisti- ques pour les postes à pourvoir au sein des ministères.
A mon avis, il y a plutôt lieu de dire que l'article 20 impose (aux diverses personnes à qui la loi conférait déjà le pouvoir de classifier les postes de la Fonction publique, de demander des nominations à ces postes et de procéder à la nomination) l'obligation statutaire d'exécuter ces opérations de manière à faire appliquer les décisions de la Commission prises en vertu de l'article 20 quant au nombre d'employés nommés dans un ministère ou autre organisme de la Fonction publique qui devaient maîtriser le français, l'anglais ou les deux.
Je n'estime pas nécessaire de décider si l'arti- cle 20 oblige la Commission de la Fonction publique à continuer d'exercer activement les pouvoirs que lui confère implicitement cet arti cle. Même si elle y est obligée, je ne pense pas que l'article 20 doive être nécessairement inter- prété comme imposant à la Commission l'obliga- tion de se former, de façon continue, un point de vue à cet égard sur tous les secteurs de la Fonction publique. Il est plus raisonnable, à mon sens, de soutenir que la Commission a le devoir d'étudier, au gré des circonstances, les secteurs qui risquent de causer des difficultés. De toute manière, même si l'article 20 imposait à la Commission d'étudier à une époque donnée un certain secteur de la Fonction publique, et qu'elle avait omis de ce faire, je pense que cette inobservation, ainsi que l'absence de la condi tion permettant l'application de l'article 20 en résultant, ne dégageraient pas les personnes chargées des diverses étapes du processus de nomination dans la Fonction publique de leur pouvoir et de leur responsabilité de subvenir aux besoins en personnel afin d'assurer le bon fonctionnement du gouvernement.
Si l'on ne s'arrête pas à la validité des règle- ments déjà mentionnés que la Commission a adoptés en 1968 et révoqués en 1972, il me semble que l'article 20 est censé opérer de façon à ce que, lorsque surgit la question de savoir si dans un certain secteur de la Fonction publique le nombre d'employés nommés ayant des connaissances linguistiques particulières est adéquat, la Commission de la Fonction publique doive étudier la question. Après avoir donné aux personnes concernées l'occasion de se faire entendre, elle doit ensuite prendre une décision qui, en vertu de l'article 20, s'imposerait aux personnes chargées de la dotation en personnel de ce secteur de la Fonction publique.
Quelle que soit la bonne manière de faire appliquer la politique énoncée à l'article 20 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, j'es- time que cela ne peut pas invalider une nomina tion pour laquelle l'exigence fondamentale lin- guistique a été fixée par les personnes qui
avaient le pouvoir de le faire même si, pour ce poste précis, la Commission de la Fonction publique n'a pas pris de mesure pour faire appli- quer l'article 20 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique de façon à jouer un rôle dans l'établissement de ces exigences.
Au sujet de l'effet de l'article 20, on a pro- posé une thèse différente fondée sur le fait que cet article se trouve dans la Partie II de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, partie intitulée «Nomination», et sur les particularités que présente la syntaxe de l'article 20 telle que les mots «les employés nommés ... doivent posséder les qualités requises, en ce qui con- cerne la connaissance et l'usage de l'anglais ou du français ou des deux langues, ...». D'après cette opinion, l'article 20 impose aux personnes chargées des nominations l'obligation de veiller à ce que chaque employé «nommé» possède, en plus des qualités linguistiques qu'on demande à toutes les personnes nommées dans ce secteur précis de la Fonction publique, les connaissan- ces linguistiques qu'exigent les objectifs envisa- gés par l'article 20. C'est une interprétation possible)° Si cette interprétation est juste, quand la Commission de la Fonction publique délègue son pouvoir de nomination quant à une catégorie précise de poste, le pouvoir de nomi nation de la Commission sera, même quand il est délégué aux fonctionnaires d'un ministère, automatiquement soumis aux mêmes exigences juridiques de l'article 20 que quand la Commis sion exerce elle-même ce pouvoir.
Quelle que soit l'interprétation correcte de l'article 20, j'estime qu'on ne peut pas l'invo- quer pour invalider la nomination dont la requé- rante fait appel. Étant donné que la demande soumise à cette Cour en vertu de l'article 28 était justement fondée sur l'argument que l'arti- cle 20 a cet effet-là, je suis d'avis qu'il convient de rejeter cette demande.
LE JUGE SUPPLÉANT ST.-GERMAIN a souscrit à l'avis.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT BASTIN—Dans ses motifs, le savant juge en chef a exposé les circonstances de cette demande. Je souscris à sa
décision de rejeter la demande mais je pense utile d'exposer mon raisonnement.
Selon la requérante, le comité d'appel a commis une erreur de droit en refusant de juger que c'était sans autorité légale qu'on avait exigé d'elle une connaissance des deux langues officielles.
A l'appui de cet argument la requérante a soutenu que la Commission de la Fonction publique n'avait pas expressément délégué au sous-ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immi- gration le pouvoir de prendre des mesures à l'égard de la question des exigences linguisti- ques et qu'en publiant son bulletin 72-8, en date du 30 mars 1972, et en abrogeant le Règlement 4, la Commission avait abdiqué la responsabilité que lui avait conférée le Parlement. Le bulletin 72-8, article 1, se lit comme suit:
Il n'appartiendra plus à la Commission de déterminer quand et comment les ministères devront fournir un service bilingue ou de fixer les exigences linguistiques pour les postes de ces ministères puisque ce sera maintenant les ministères et autres organismes gouvernementaux qui, sur l'avis du Conseil du trésor, assumeront cette fonction.
En réponse à cet argument, on peut dire que l'acte de délégation comprenait les pouvoirs et fonctions de nomination détenus par la Commis sion. Selon ces pouvoirs, la Commission pouvait procéder à une sélection fondée sur le mérite et sujette à quatre conditions dont deux seulement nous concernent, à savoir,
b) les normes de sélection prescrites en vertu de l'article 12 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique;
c) le Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique édicté conformément à l'article 33 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique.
L'article 12(1) de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique est ainsi rédigé:
12. (1) La Commission peut, en déterminant conformé- ment à l'article 10 le principe de l'évaluation du mérite, en ce qui concerne tout poste ou classe de postes, prescrire des normes de sélection visant l'instruction, les connaissances, l'expérience, la langue, l'âge, la résidence ou toute autre question que la Commission juge nécessaire ou souhaitable, compte tenu de la nature des fonctions à accomplir. Cepen- dant, ces normes de sélection ne doivent pas être incompati bles avec les normes de classification établies en vertu de la Loi sur l'administration financière pour ce poste ou tout poste de cette classe.
Le Règlement 4 avait pour effet de restrein- dre les larges pouvoirs délégués au sous-minis- tre. Il posait certains principes destinés à assu- rer que les fonctions du ministère seraient exécutées de manière adéquate compte tenu des connaissances linguistiques du personnel. La révocation du règlement a eu pour effet de relever le sous-ministre de l'obligation d'obser- ver ces principes directeurs et a, en fait, élargi la portée de l'acte de délégation.
Le bulletin 72-8 ne fait qu'énoncer un prin- cipe et n'a aucune force légale. Qu'il s'accorde ou non avec l'intention qu'a exprimée le Parle- ment, dans la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique et dans la Loi sur les langues officielles, n'affecte en rien les pouvoirs que la Commis sion de la Fonction publique a délégués au ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion pour qu'il puisse procéder à la sélection pour remplir le poste de son bureau de Monc- ton. Il n'est pas nécessaire, afin de statuer sur cette demande, de décider si le bulletin 72-8 de la Commission a interprété la loi de façon cor- recte car si, aux termes des articles 10 et 12 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique et de l'article 39(4) de la Loi sur les langues offi- cielles, la Commission de la Fonction publique doit poser les exigences linguistiques des candi- dats à certains postes ou si cette responsabilité a été conférée au ministère par l'article 9 de la Loi sur les langues officielles, le sous-ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration a, dans les deux cas, le pouvoir d'exiger d'un candidat au poste en question la connaissance des deux langues officielles.
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger une demande d'examen et d'annulation d'une déci- sion ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une commission ou un autre tribunal fédéral, ou à l'occasion de procédures devant un office, une commission ou un autre tribunal fédéral, au motif que l'office, la com mission ou le tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclu sion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
a 21. Lorsque, en vertu de la présente loi, une personne est nommée ou est sur le point de l'être et qu'elle est choisie à cette fin au sein de la Fonction publique
a) à la suite d'un concours restreint, chaque candidat non reçu, ou
b) sans concours, chaque personne dont les chances d'avancement, de l'avis de la Commission, sont ainsi amoindries,
peut, dans le délai que fixe la Commission, en appeler de la nomination à un comité établi par la Commission pour faire une enquête au cours de laquelle il est donné à l'appelant et au sous-chef en cause, ou à leurs représentants, l'occasion de se faire entendre. La Commission doit, après avoir été informée de la décision du comité par suite de l'enquête,
c) si la nomination a été faite, la confirmer ou la révo- quer, ou
d) si la nomination n'a pas été faite, la faire ou ne pas la faire,
selon ce que requiert la décision du comité.
En l'espèce, il s'agit de la Loi sur le ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, articles 2, 3 et 4, qui dispose:
2. (1) Est établi un ministère du gouvernement du Canada, appelé ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immi- gration, auquel préside le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration nommé par commission sous le grand sceau.
(2) Le ministre occupe sa charge à titre amovible; il a la gestion et la direction du ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration.
3. Le gouverneur en conseil peut nommer un fonction- naire, appelé le sous-ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, qui est le sous-chef du ministère de la Main- d'oeuvre et de l'Immigration et occupe sa charge à titre amovible.
4. Les devoirs, pouvoirs, et fonctions du ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration visent et comprennent toutes les questions qui sont du ressort du Parlement du Canada et que les lois n'attribuent pas à quelque autre ministère, département, direction ou organisme du gouver- nement du Canada, concernant:
a) l'expansion et l'utilisation des ressources de la main- d'oeuvre au Canada;
b) les services de placement; et
c) l'immigration.
4 On trouve à l'article 7(1)c) de la Loi sur l'administration financière un exemple de l'utilisation du mot «classification» et aux articles 13b) et 18 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique un exemple de l'utilisation du mot «poste». Les mots français «poste» et «emploi» sont tous deux rendus en anglais par le mot «position».
Il existe au moins une différence superficielle entre des «normes de sélection visant ... la langue» et la classifica tion ou la définition d'un poste qui pose l'exigence fonda- mentale de la connaissance suffisante d'une langue à certai-
nes fins. Les normes de sélection établies par la Commission serviront à décider si un candidat possède la connaissance suffisante de la langue qu'exige le ministère pour ce pos- te-là. L'article 47 de la Loi sur le service civil de 1961 ainsi que, peut-être, l'article 20 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, traitent, par contre, du nombre d'em- ployés d'une partie de la Fonction publique dont on exigera la connaissance d'une ou plusieurs langues précisées.
6 En général ce sont les fonctionnaires de son ministère qui exercent ce genre de pouvoirs ministériels.
7 Voir la note antérieure au sujet de la différence entre les ,< span> de sélection» visant la langue, l'exigence de con- naissance linguistique pour un poste donné et l'objet de l'article 47 de la Loi sur le service civil, ainsi que peut-être l'article 20 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique qui semble viser la fixation du nombre d'employés dans une unité donnée de la Fonction publique qui doivent avoir des connaissances linguistiques particulières.
8 Il n'est pas nécessaire d'examiner ici l'effet juridique précis de l'article 9 de la Loi sur les langues officielles. Les avocats des parties ne l'ont pas invoqué comme ayant eu un effet déterminant sur l'issue de cette demande. Il fait cepen- dant partie de l'historique.
9 Si cette thèse est valable à l'égard du bilinguisme, il me semble qu'elle l'est également à l'égard de l'unilinguisme français ou anglais.
10 Cette interprétation ne me semble pas être la meilleure car c'est un moyen très maladroit, pour ne pas dire inutilisa- ble, d'arriver au résultat voulu. Il est possible que je sois quelque peu influencé dans mon opinion parce qu'à mon sens, le rôle de l'article 20 est tout simplement de reprendre les dispositions de fond de l'article 47 de la Loi sur le service civil.
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