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T-612-74
John Harold Maxwell Lees (Demandeur) c.
La Reine et la Banque d'expansion industrielle
(Défenderesses)
Division de première instance, le juge Heald— Regina, le 7 mai; Ottawa, le 21 mai 1974.
Compétence—Action visant d annuler une saisie immobi- lière—Hypothèque en faveur d'une corporation mandataire de la Couronne—La Cour n'a pas compétence pour annuler une ordonnance de saisie émanant d'une cour provinciale— Loi sur la Cour fédérale, art. 17—Loi sur la Banque d'ex- pansion industrielle, S.R.C. 1970, c. I-9, art. 3.
La Cour du banc de la Reine de la Saskatchewan a rendu en faveur de la Banque d'expansion industrielle, créancière hypothécaire, une ordonnance définitive de saisie de terrains sis en Saskatchewan appartenant au demandeur, débiteur hypothécaire. La créancière hypothécaire défenderesse a par la suite transféré les terrains à la Couronne co-défende- resse. Le demandeur a entamé une action visant à faire annuler l'ordonnance définitive de saisie et à racheter les terrains hypothéqués sur paiement du montant dû. Les défenderesses ont déposé un acte de comparution condition- nelle et, par avis de requête, ont soulevé une objection quant à la compétence de la Cour.
Arrêt: l'action est rejetée; en vertu de la Loi sur la Cour fédérale, la Cour n'a pas compétence pour annuler une ordonnance rendue par la Cour du banc de la Reine de la Saskatchewan, une cour supérieure d'archives, dont les ordonnances ne peuvent être contestées simultanément. Une telle ordonnance ne peut être rendue que par la cour qui a accordé la saisie. Le transfert subséquent à la Couronne ne peut faire entrer en jeu la compétence qu'accorde l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale dans les cas od l'on demande un redressement contre la Couronne parce que l'article 3(3) de la Loi sur la Banque d'expansion industrielle accorde une compétence concurrente à d'autres tribunaux.
La défenderesse, la Banque d'expansion industrielle, ne relève pas de la compétence de la Cour fédérale en tant que «fonctionnaire ou préposé de la Couronne» au sens de l'article 17(4)b) de la Loi sur la Cour fédérale, car la Banque, à titre de corporation mandataire de la Couronne, n'est pas, en vertu de l'article 3(3) de la Loi sur la Banque d'expansion industrielle, un «fonctionnaire ou préposé de la Couronne».
Arrêts appliqués: Hodge c. Béique (1908) 33 C.S. (Québec) 90; Keystone Shingles c. Royal Plate Glass (1955) 16 W.W.R. 273 et La Banque d'expansion indus- trielle c. Thornhill [1974] 2 W.W.R. 57; arrêt suivi: King c. Sa Majesté la Reine (non publié; du greffe: T-2573-71).
REQUÊTE.
AVOCATS:
D r M. C. Shumiatcher, c.r., pour le demandeur.
B. D. Collins et P. Sorokan pour les défenderesses.
PROCUREURS:
Shumiatcher & Associates, Regina, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour les défenderesses.
LE JUGE HEALD—Il s'agit d'une demande introduite par voie 'd'avis de requête pour le compte des défenderesses soulevant une objec- tionquant à la compétence de cette cour.
Le demandeur était débiteur hypothécaire et la défenderesse, la Banque d'expansion indus- trielle, était créancier hypothécaire aux termes d'une hypothèque enregistrée en vertu du Land Titles Act de la Saskatchewan et portant sur quelque 30 parcelles de terrains agricoles d'une superficie totale de plus de 13,000 acres dans le sud de la Saskatchewan. Aux termes d'une ordonnance définitive de saisie délivrée par la Cour du banc de la Reine de la Saskatchewan le 25 mai 1972, la Banque d'expansion industrielle est devenue propriétaire enregistré desdits ter rains le 26 mai 1972. Le 13 mars 1973, ladite défenderesse a transféré les terrains en cause à la Couronne. Le titre des biens hypothéqués est encore au nom de la défenderesse, Sa Majesté la Reine du chef du Canada. Dans sa déclara- tion, le demandeur prétend notamment qu'en janvier 1974, il a signifié aux défenderesses son intention et son désir de racheter les biens hypo- théqués, qu'il a offert le montant total du rachat et que les défenderesses ont négligé ou refusé d'accepter cette offre. Il soutient ensuite dans la déclaration qu'il n'y a pas eu d'aliénation des biens hypothéqués depuis l'ordonnance de saisie définitive et que le fait que le demandeur n'a pas racheté plus tôt n'a causé à aucune des parties à l'action quelque préjudice que ce soit.
La demande de redressement du demandeur se lit comme suit:
[TRADUCTION] 15. . . .
(i) Une ordonnance demandant l'annulation de l'ordon- nance définitive de saisie rendue dans la présente action par M. le juge M.A. MacPherson, le 25 mai 1972;
(ii) Une ordonnance autorisant le demandeur, John Harold Maxwell Lees, à verser à la Cour le montant total présen- tement à la défenderesse, la Banque d'expansion indus- trielle, conformément aux modalités de l'hypothèque du 11 janvier 1963, l'égard desdits biens hypothéqués;
(iii) Une ordonnance déclarant que, sur versement à la Cour des sommes mentionnées au sous-alinéa (ii) des présentes, le demandeur, John Harold Maxwell Lees, a racheté lesdits biens hypothéqués et ordonnant en consé- quence au régistrateur de la Division d'enregistrement des biens immobiliers de Regina d'annuler les certificats de titres existants relatifs auxdits biens hypothéqués et d'en délivrer de nouveaux au nom du demandeur, John Harold Maxwell Lees, libres de l'hypothèque que le demandeur a consentie à la défenderesse, la Banque d'expansion indus- trielle, mais grevés des hypothèques que détiennent John Nicol Wilcox, la Banque de Commerce canadienne Impé- riale, la Banque Toronto-Dominion et Harold Lawrence;
(iv) Une ordonnance enjoignant les défenderesses de transférer au demandeur John Harold Maxwell Lees, dans le délai que cette honorable cour estime convenable, la possession desdits biens hypothéqués;
(v) Une ordonnance portant remise aux défenderesses des sommes versées par le demandeur à la Cour conformé- ment à ces procédures, dès la délivrance des certificats au nom du demandeur John Harold Maxwell Lees, de la façon susmentionnée;
Les défenderesses ont déposé un acte de :omparution conditionnelle en vue de soulever me objection quant à la compétence de cette :our. Les motifs de l'objection énoncés dans 'avis de requête des défenderesses sont les suivants:
[TRADUCTION] a) Que la Cour n'a pas compétence en vertu de la Loi sur la Cour fédérale ou de toute autre loi pour accorder la partie essentielle du redressement recherché dans la déclaration, c'est-à-dire qu'elle n'a pas compé- tence pour annuler l'ordonnance définitive de saisie rendue par la Cour du banc de la Reine de la Saskatche- wan le 25 mai 1972, ou toute autre ordonnance de cette cou?.
b) Qu'une demande d'annulation ou de réouverture d'une ordonnance définitive de saisie ne peut être présentée qu'au cours des procédures on l'a rendue et qu'elle ne donne pas naissance à une cause d'action pouvant faire l'objet de procédures devant un tribunal différent.
c) Que la Cour n'a pas compétence en vertu de la Loi sur la Cour fédérale ou de toute autre loi à l'égard de la défenderesse, la Banque d'expansion industrielle; or, cette dernière est une partie essentielle à toutes procédures d'annulation ou de réouverture de l'ordonnance définitive de saisie parce qu'elle était la créancière hypothécaire ayant demandé et obtenu ladite ordonnance et qu'elle le redeviendrait en cas d'annulation de ladite ordonnance.
Examinant d'abord l'objection a), j'ai conclu qu'elle est fondée. La Cour fédérale du Canada et la Cour du banc de la Reine de la Saskatche- wan sont toutes deux des cours supérieures d'archives et on ne peut contester simultané- ment leurs ordonnances. La Cour du banc de la Reine de la Saskatchewan n'est pas un tribunal soumis aux pouvoirs de surveillance et de réfor- mation que la Cour fédérale du Canada peut avoir et, partant, cette cour n'a pas compétence pour annuler une ordonnance de la Cour du banc de la Reine de la Saskatchewan' .
J'estime également que cette cour n'a pas compétence pour accorder la majeure partie de l'autre redressement demandé dans la déclara- tion. En somme, le demandeur sollicite la réou- verture de l'ordonnance définitive de saisie, le droit de racheter en payant le montant total et une directive ordonnant au régistrateur de la Division d'enregistrement des biens immobiliers de Regina d'annuler le titre existant et de déli- vrer un nouveau titre en son nom. Même si la Cour avait compétence pour connaître de cette action, il n'existe à ma connaissance, aucune disposition de la Loi sur la Cour fédérale, ou de toute autre loi, lui conférant le pouvoir d'accor- der le redressement demandé.
Passons maintenant à l'objection b); j'estime que cette objection est également fondée. Le demandeur cherche à obtenir une ordonnance réouvrant la saisie accordée par la Cour du banc de la Reine de la Saskatchewan. Seule la Cour du banc de la Reine de la Saskatchewan, qui a accordé la saisie 2 , peut rendre cette ordonnance.
s Le demandeur prétend cependant que, puis- qu'il y a eu un changement de propriétaire pos- térieur à l'ordonnance définitive de saisie et que la Couronne du chef du Canada est maintenant propriétaire enregistré des terrains hypothéqués, c'est la Division de première instance de cette cour qui a compétence exclusive en première
1 Voir: Hodge c. Béique (1908) 33 C.S. (Qué.) 90. Voir également: Keystone Shingles c. Royal Plate Glass (1955) 16 W.W.R. 273, aux pp. 276 et 277.
2 Voir par exemple: La Banque d'expansion industrielle c. Thornhill [1974] 2 W.W.R. 57,à la p. 60.
instance en raison des dispositions de l'article 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale dont voici le texte:
17. (1) La Division de première instance a compétence en première instance dans tous les cas oh l'on demande contre la Couronne un redressement et, sauf disposition contraire, cette compétence est exclusive.
On trouve la réponse à cet argument à l'article 3 de la Loi sur la Banque d'expansion indus- trielle, S.R.C. 1970, c. I-9, dont voici les extraits pertinents:
3. (1) Est maintenue une banque appelée la Banque d'ex- pansion industrielle, dont les membres comprennent
a) les personnes composant à l'époque considérée le con- seil d'administration de la Banque du Canada, et
b) le sous-ministre de l'Industrie et du Commerce,
lesquels constituent une corporation qui, à toutes les fins de la présente loi, est mandataire de Sa Majesté du chef du Canada.
(3) Des actions, poursuites ou autres procédures judiciai- res concernant un droit acquis ou une obligation contractée par la Banque pour le compte de Sa Majesté, soit en son propre nom, soit au nom de Sa Majesté, peuvent être intentées ou engagées par ou contre la Banque, au nom de cette dernière, devant toute cour qui aurait juridiction si la Banque n'était pas mandataire de Sa Majesté.
A mon sens, l'article 3(3) autorise clairement le demandeur aux présentes à poursuivre son action en réouverture de l'ordonnance définitive de saisie devant la Cour du banc de la Reine de la Saskatchewan (peu importe que le demandeur doive y entamer une nouvelle action, comme il le soutient, ou qu'il puisse poursuivre la requête initiale de saisie, prétention sur laquelle il ne m'est pas nécessaire d'exprimer une opinion).
Cette «action» ou «procédure» porterait sur un droit acquis par la Banque pour le compte de Sa Majesté et, partant, en vertu de l'article 3(3), elle pourrait être engagée contre la Banque devant tout tribunal qui aurait compétence si la Banque n'était pas un mandataire de Sa Majesté, ce qui très certainement comprend la Cour du banc de la Reine de la Saskatchewan. Par conséquent, j'estime que la Division de pre- mière instance de cette cour n'a pas compétence exclusive en première instance dans les circon- stances de l'espèce parce que l'article 3 de la Loi sur la Banque d'expansion industrielle accorde spécifiquement une compétence con- currente aux autres tribunaux.
Passons maintenant à l'objection c); je suis également d'accord avec la prétention de l'avo- cat des défenderesses selon laquelle, dans les circonstances de l'espèce, la Cour fédérale n'a pas compétence à l'égard de la défenderesse, la Banque d'expansion industrielle. Le demandeur soutient que la Cour fédérale tire cette compé- tence de l'article 17(4)b) de la Loi sur la Cour fédérale dont voici le texte:
(4) La Division de première instance a compétence con- currente en première instance
b) dans les procédures dans lesquelles on cherche à obte- nir un redressement contre une personne en raison d'un acte ou d'une omission de cette dernière dans l'exercice de ses fonctions à titre de fonctionnaire ou préposé de la Couronne.
J'estime que l'article 17(4)b) ne s'applique pas en l'espèce parce que la défenderesse, la Banque d'expansion industrielle, n'est pas «fonctionnaire ou préposé de la Couronne». En vertu de l'article 3(1) de la Loi sur la Banque d'expansion industrielle précité, la Banque d'ex- pansion industrielle est une «corporation man- dataire» de la Couronne. Dans l'affaire King c. Sa Majesté la Reine 3 , M. le juge Gibson de cette cour a conclu que l'expression «fonctionnaire ou préposé» de l'article 17(4)b) ne comprend pas une «corporation mandataire» de la Couronne.
En résumé, j'ai conclu que les défenderesses ont gain de cause sur les trois motifs soulevés dans leur avis de requête. Par conséquent, l'ac- tion du demandeur doit être rejetée avec dépens.
3 No du greffe: T-2573-71, jugement daté du 17 novembre 1971; voir en particulier les pages 3,4,5, de ce jugement.
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