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La Reine (Demanderesse) c.
F. H. Jones Tobacco Sales Co. Ltd. (Défenderesse)
Division de première instance, le juge en chef adjoint Noël—Montréal, le l er mai; Ottawa, le 29 mai 1973.
Impôt sur le revenu—Personne garantissant le prêt d'un client en échange de droits de vente exclusifs—Non-paiement du prêt—Endosseur appelé à payer—Paiement effectué par la compagnie contrôlée par l'endosseur—Est-ce déductible dans le calcul du revenu de la compagnie?
Jones a garanti un prêt de $200,000 consenti à une compagnie vendant des cigarettes pour lui permettre d'ac- quérir une compagnie fabriquant des cigarettes. En échange de la garantie, Jones reçut le droit exclusif de fournir du tabac à la compagnie manufacturant le tabac. Par la suite, la compagnie vendant des cigarettes cessa de rembourser le prêt et l'on fit donc appel à Jones pour payer $115,369. Ce ne fut cependant pas Jones qui paya ce montant, mais la compagnie qu'il contrôlait. La compagnie défenderesse cherche à déduire ce montant à titre de dépenses d'entre- prise dans le calcul de son revenu.
Arrêt: la compagnie a droit à la déduction. Du point de vue commercial, l'obligation découlant du prêt incombait à la compagnie défenderesse et non à Jones à titre personnel. En outre, le paiement visait l'augmentation des ventes de la compagnie défenderesse et donc ses profits, et non l'obten- tion d'un avantage de longue durée.
Arrêts mentionnés: L. Berman & Co. Ltd. c. M.R.N. [1961] C.T.C. 237; M.R.N. c. Freud [1969] R.C.S. 75.
APPEL d'une décision de la Commission de révision de l'impôt.
AVOCATS:
Jean Potvin et Gaétan Drolet pour la demanderesse.
Michel Gilbert et Maurice Paquin pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la demanderesse.
Lemay, Paquin et Gilbert, Montréal, pour la défenderesse.
LE JUGE EN CHEF ADJOINT NOEL —Appel est interjeté de la décision de la Commission de révision de l'impôt sur le revenu, du 28 avril 1972, accueillant l'appel de l'appelante d'une
cotisation du Ministre pour l'année 1966, par laquelle ce dernier refusait un montant de $115,369.33 que le contribuable prétendait avoir droit de déduire et ajoutait à son revenu déclaré ledit montant prélevant ainsi un revenu de $65,666.02.
Depuis 1961 la défenderesse, F. H. Jones Tobacco Sales Co. Ltd., exploite une entreprise de culture et de vente du tabac. F. H. Jones en est le président et le principal actionnaire puis- qu'il en possède 99% des actions.
En 1963, la Société des Tabacs Québec Inc., corporation distributrice de cigarettes, désirait acquérir le contrôle de Tabacs Trans -Canada Ltée, une corporation exploitant une entreprise de fabrication de cigarettes. A cette fin, un emprunt de $200,000 était nécessaire, de même que l'endossement d'une personne solvable.
Le 27 septembre 1963, une entente est inter- venue entre, d'une part, la Société des Tabacs Québec Inc., (ci-après appelée la compagnie) et, d'autre part, F. H. Jones en vertu de laquelle
(1) F. H. Jones accepta de signer une garantie pour remboursement d'un emprunt de $200,- 000 fait par la compagnie dans le but d'acqué- rir le contrôle de Tabacs Trans -Canada Ltée, remboursable à un M. Pilonnière, agissant comme agent de la Corporation du Richelieu, la compagnie prêteuse, à raison d'environ $5,000 par mois;
(2) la compagnie nommait M. F. H. Jones et s'engageait à le faire nommer par Tabacs Trans -Canada Ltée, agent exclusif pour l'achat et l'approvisionnement de tabac en feuilles, au meilleur prix possible, selon les conditions du marché;
(3) F. H. Jones, tant personnellement qu'en sa qualité de président et actionnaire majori- taire de F. H. Jones Tobacco Sales Co. Ltd., s'engageait à approvisionner la compagnie et Tabacs Trans -Canada Ltée de tabac en feuil- les, au meilleur prix possible, selon les condi tions du marché;
(4) la garantie ci-haut mentionnée devait être fournie par l'endossement d'un ou de plu- sieurs billets promissoires pour un montant total de $200,000.
Antérieurement à cette entente, Tabacs Trans -Canada Ltée achetait 80% de son tabac chez d'autres fournisseurs que F. H. Jones Tobacco Sales Co. Ltd.
Jacques Hurtibise, président de la Société des Tabacs Québec Inc., fit valoir à F. H. Jones que s'il signait comme endosseur pour un montant de $200,000, tous les achats de tabacs seraient dirigés vers F. H. Jones Tobacco Sales Co. Ltd. F. H. Jones considéra, à cause de la forte com- pétition qui existait dans le marché de la vente de tabacs, qu'il serait avantageux pour sa com- pagnie d'assurer et d'augmenter ses ventes à un client comme Tabacs Trans -Canada Ltée. Il apposa donc son nom sur un document ou un billet comportant l'emprunt du $200,000 requis pour permettre à la Société des Tabacs Québec Inc. d'acquérir le contrôle de Tabacs Trans- Canada Ltée.
Après la signature de l'entente du 27 septem- bre 1963, entre la Société des Tabacs Québec Inc. et F. H. Jones, tout le tabac requis par Tabacs Trans -Canada Ltée fut acheté de F. H. Jones Tobacco Sales Co. Ltd.
Au cours de l'année 1966, la Société des Tabacs Québec Inc. devint insolvable et l'on fit appel à l'endosseur pour un montant de $115,- 369.33 sur l'emprunt de $200,000. F. H. Jones Tobacco Sales Co. Ltd. paya ledit montant de $115,369.33 et, comme nous l'avons vu, le réclama comme dépense ou perte dans le calcul de son revenu pour l'année 1966.
La demanderesse, Sa Majesté la Reine, s'ap- puie sur deux propositions pour contester le droit de la défenderesse à déduire le montant de $115,369.33.
D'abord, dit-elle, il n'existait aucun lien légal entre le créancier de la dette de $115,369.33 et la défenderesse, de sorte que cette dernière n'était sous aucune obligation de payer ledit montant. Cette dette en était une, ajoute-t-elle, personnelle de F. H. Jones et ne peut donc être considérée comme une somme déboursée ou dépensée par la défenderesse en vue de gagner ou de produire un revenu tiré de l'entreprise de la défenderesse.
Alternativement, si l'entente survenue le 27 septembre 1963 entre la Société des Tabacs Québec Inc. et F. H. Jones liait légalement la défenderesse, le montant de $115,369.33 ne serait quand même pas déductible dans le calcul du revenu de la défenderesse pour les motifs suivants:
(1) le montant de $115,369.33 ne constituait pas une mauvaise créance déductible dans le calcul du revenu de la défenderesse au sens de l'art. 11(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il s'agissait ici d'un moyen qui avait été retenu par le savant commissaire de la Commission de révision de l'impôt mais que les procureurs de la défenderesse déclarèrent abandonner pour des raisons qui sont éviden- tes. En effet, le montant de $115,369.33 ne résultait pas de prêts consentis dans le cours ordinaire des affaires de la défenderesse dont l'entreprise ne constituait pas même en partie le prêt d'argent et d'ailleurs, ce montant n'avait pas été inclus par la défenderesse dans le calcul de son revenu pour l'année 1966 ou pour une année antérieure;
(2) le montant de $115,369.33 constitue une somme déboursée, une perte ou un remplace- ment de capital ou un paiement à compte de capital et, en vertu des dispositions de l'article 12(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu, il ne peut être déduit dans le calcul du revenu de la défenderesse.
Revenons maintenant à la première proposi tion de la demanderesse, à savoir qu'il n'existe aucun lien légal entre le créancier de la dette de $115,369.33 et la défenderesse, de sorte que cette dernière n'était sous aucune obligation de payer le montant puisque le montant de $115,- 369.33 constituait une dette personnelle de F. H. Jones et non de sa compagnie et qu'il ne peut alors être considéré comme une somme débour- sée ou dépensée par la défenderesse en vue de gagner ou de produire un revenu tiré de son entreprise.
Afin de bien apprécier les questions à résou- dre, il faut, je crois, établir les faits qui ont donné lieu à l'endossement de Jones et les cir- constances dans lesquelles cet engagement fut pris. Il faut d'abord dire que la compagnie F. H. Jones Tobacco Sales Co. Ltd. lui appartient en
quasi-totalité puisqu'il en possède 99% des actions. Il s'agit donc d'une compagnie dont la propriété est entre les mains d'un seul homme, soit F. H. Jones et il en est le président. Cette entreprise fonctionnait, cependant, antérieure- ment à son incorporation, sous une raison sociale dont F. H. Jones était le seul proprié- taire. En fait, l'incorporation de sa compagnie semble n'avoir rien changé aux agissements et activités de F. H. Jones qui a continué à exploi ter l'entreprise comme par le passé et à se comporter comme s'il n'existait pas de compagnie.
Cette entreprise, selon Jones, achète du tabac et en fait la finition avant qu'il ne soit-roulé en cigarettes.
Jones raconte que c'est vers 1960 que sa compagnie a commencé à fournir du tabac à Tabacs Trans -Canada Ltée. A cette époque, 10% des ventes de la compagnie Jones se faisait à Tabacs Trans -Canada Ltée. Subséquemment, la manufacture Tabacs Trans -Canada fut vendue à M. Jacques Hurtibise et il créa une compagnie sous le nom de Société des Tabacs Québec Inc., qui devint le successeur de Tabacs Trans -Canada Ltée puisque ladite société acheta les actions de Tabacs Trans -Canada Ltée. Jones déclare qu'en 1963 il fut approché par Hurtibise ou d'autres représentants de sa compagnie qui lui expliquèrent qu'ils avaient l'intention de se procurer les actions de M. Brisebois dans la compagnie et continuer à fabriquer la cigarette Québécoise. Ils avaient besoin, lui ont-ils dit, de beaucoup de tabac et Jones déclara alors «j'ai trouvé que c'était une très belle chose pour notre compagnie».
On lui demanda aussi son endossement jus- qu'à concurrence d'un montant de $200,000 pour leur permettre d'acheter les actions de la compagnie Tabacs Trans -Canada. On lui repré- senta à ce moment que s'il ne voulait pas endos- ser, ils iraient vers certains de ses compétiteurs soit des compagnies ontariennes, filiales de compagnies américaines. Jones déclara qu'il ne voulait pas perdre l'opportunité de vendre le tabac qu'il avait en mains à ce moment ainsi que les ventes futures pour, dit-il, «le progrès de notre compagnie d'abord». Il leur expliqua que «$200,000 c'est beaucoup d'argent» et il leur
demanda s'ils avaient l'intention de rembourser cet argent à brève échéance. Ils répondirent qu'ils le feraient «d'ici trois mois», qu'ils avaient l'intention de vendre des actions au public et qu'il n'avait pas à s'inquiéter. Jones déclare qu'il en a parlé à son bureau de direction qui lui a donné, dit-il, l'autorisation de signer pour la compagnie et c'est ce qu'il a fait. Un extrait des minutes d'une assemblée des administrateurs de F. H. Jones Tobacco Sales Co. Ltd., en date du
26 août 1963, soit quelques jours avant que Jones eut signé le contrat intervenu entre la Société des Tabacs Québec Inc. et lui-même le
27 septembre 1963 par lequel il s'engageait à garantir le remboursement de $200,000 fut pro- duit. C'est ce document, dit-il, qui l'autorisait à signer pour la compagnie. Il se lit comme suit:
[TRADUCTION] La proposition ayant été présentée et appuyée de façon régulière, il fut décidé d'autoriser le président, M. F. H. Jones, à agir au nom de la compagnie pour la signature ou l'endossement d'accords conclus avec des clients éven- tuels qui traitent le tabac dans la province de Québec.
Ces accords donneront à la F. H. Jones Tobacco Sales Co. Ltd, les droits exclusifs d'acheter et de traiter le tabac, les parties s'étant accordées sur le prix. La compagnie prendra soin de s'assurer que le tabac acheté pour le compte de toute compagnie est bien garanti et qu'il demeure, jusqu'au paie- ment complet, la propriété de F. H. Jones Tobacco Sales Co. Ltd.
Pour ce qui est de l'endossement proprement dit, il ne sait pas trop quel genre de document il a signé ajoutant «c'était un contrat». Il ne peut le produire car il l'aurait confié, dans le temps, à ses avocats qui n'ont pu le trouver. Ce docu ment, d'ailleurs, a pu disparaître lorsque des inspecteurs de l'impôt ont pris certains docu ments en rapport avec un problème d'accise de la compagnie Société des Tabacs de Québec Inc. J'ai compris d'une déclaration du procureur de la demanderesse à l'enquête, que des inspec- teurs du ministère de l'Impôt, division de l'ac- cise, avaient vu ce document à cette occasion et qu'on admettait son existence. Tous les biens de la société, y compris le tabac, furent à cette occasion, saisis et vendus à bon marché. Jones déclare qu'il resta pris avec l'endossement de $200,000 sur lequel on lui réclamait paiement d'un montant de $136,000. Un chèque pour ce montant fut alors donné par sa compagnie en règlement de cet engagement.
Jones prétend que ce fut toujours pour sa compagnie qu'il s'engagea à endosser le paie- ment du montant de $200,000 et que c'est fort de la résolution de son conseil d'administration, que nous avons mentionnée plus haut, qu'il l'a fait.
Il ne s'agit pas ici pour moi de décider si une action sur billet dirigée contre la compagnie Jones réussirait ou non. Il s'agit tout simplement de déterminer s'il ne s'agissait que d'une dette purement personnelle de Jones ou d'une dette que l'on peut et que l'on doit considérer comme une dette de la compagnie.
Jones, comme nous l'avons vu, affirme qu'il ne s'est toujours agi que d'une dette de son entreprise ou de sa compagnie et il me semble bien que la preuve révèle qu'il en fut ainsi non seulement dans l'esprit de Jones mais aussi dans celui de Jacques Hurtibise, le président de la Société des Tabacs Québec Inc. A l'enquête devant la Commission de révision de l'impôt (preuve qui fut versée au dossier de cette cause de consentement) Hurtibise déclara ce qui suit en réponse à des questions du procureur de Jones, au sujet de son endossement de $200,000 aux pages 35 et suivantes:
D. Est-ce que vous avez eu connaissance de cette tran
saction là?
R. Certainement.
D. Est-ce que vous avez vu le document?
R. Oui, de mémoire, oui, j'ai vu tous les documents.
D. Est-ce que c'est la compagnie ou M. Jones qui a
endossé?
R. De mémoire, F. H. Jones apparaissait partout.
D. F. H. Jones; c'est quoi ça F. H. Jones? R. La compagnie.
Hurtibise déclara ensuite à la page 37:
Il est sûr qu'une fois cette transaction terminée, c'est-à- dire celle qui consistait que la Société des Tabacs Québec acquiert un bon jour Trans -Canada; il est sûr qu'en l'espace de quelques mois les approvisionnements de tabac ont été dirigés chez la compagnie F. H. Jones. Certainement que par après, nos ex-fournisseurs sont venus en maintes occasions. Moi-même je les ai reçus parce qu'il faut toujours se souve nir qu'avant que la Société Tabacs Québec se porte acqué- reur de Tabacs Trans -Canada, 70, 75, 80% des tabacs fournis chez nous l'étaient par d'autres que M. Jones.
Il ajouta un peu plus loin que la compagnie Jones a, en fait, fourni la plus grande partie du
tabac requis par la Société des Tabacs Québec Inc.
Contre-interrogé par le procureur de la demanderesse, Me Potvin, il réitère ce qu'il a déclaré plus haut, soit que Jones pour lui était toujours la compagnie Jones:
Mc Potvin:
D. En dernière question, M. Hurtibise, vous mentionniez tout à l'heure que vous ne saviez pas trop avec qui vous faisiez affaires lorsque M. Jones signait des docu ments, si c'était avec lui personnellement ou sa compagnie?
R. Ce que je veux dire, à notre avis, F. H. Jones était présent partout, tout simplement.
LE PRÉSIDENT:
D. Pour vous M. Jones s'identifiait à F. H. Jones
Company?
R. Oui, c'est ça.
De plus, il semble bien, selon le témoignage de Hurtibise, que le représentant du prêteur, un dénommé Pilonnière, ne connaissait pas Jones personnellement, qu'il lui fut présenté par le témoin, ce dernier ajoutant, en réponse à une question du procureur de la demanderesse, que Pilonnière n'était nullement au courant du fait que Jones avait de la fortune et que cela lui permettait d'endosser le montant de $200,000.
Comment, dans ces circonstances, peut-on dire que le montant de $115,369.33 (soit le $136,000 moins certains montants payés par des co-endosseurs) payé par la compagnie défenderesse n'était qu'une dette personnelle de Jones et non pas de sa compagnie. Il faut ici, me semble-t-il, considérer la situation comme le ferait un homme d'affaires et ne pas s'arrêter à des technicalités qui pourraient peut-être avoir leur raison d'être dans d'autres procédures où, par exemple, la compagnie contesterait l'obliga- tion, mais qui n'ont pas leur place ici. Le paie- ment fait par la compagnie Jones du montant de $115,369.33 l'a été sûrement pour les fins de son commerce selon les principes ordinaires du commerce. Voir à ce sujet l'arrêt L. Berman & Co. Ltd. c. M.R.N. [1961] C.T.C. 237 par le président Thorson à la page 247:
[TRADUCTION] Il ne fait aucun doute, à mon avis, que l'appelante a effectué les paiements en question comme l'aurait fait un commerçant dans la poursuite de son com merce et, par conséquent, ces paiements ont été effectués selon les principes ou les usages commerciaux ordinaires. Je
ne peux trouver dans l'article 12(1)a) aucun motif de les exclure.
Le seul fait que l'appelante n'ait pas eu l'obligation juridi- que d'effectuer ces paiements ne veut pas dire qu'ils n'ont pas été faits dans le cadre des principes commerciaux ordi- naires. Cette déclaration s'appuie sur l'arrêt Usher's Wilt- shire Brewery, Limited c. Bruce, [1915] A.C. 433. Dans cette affaire, les locataires des débits de boisson appartenant aux demandeurs et affiliés à leurs brasseries s'étaient engagés à effectuer les réparations ainsi qu'à payer certaines taxes et charges. Ils ne l'ont pas fait et les appelants, bien qu'ils n'aient eu aucune obligation juridique ou morale de le faire, ont payé les réparations ainsi que les charges et les taxes. Ils ne l'ont pas fait par charité mais par intérêt commercial, afin de ne pas perdre leurs locataires et, partant, un débouché pour leur bière car c'est à ce titre qu'ils avaient acheté ces maisons. Il a été décidé que, bien qu'ils n'aient pas été obligés juridiquement ou moralement d'effectuer ces paie- ments, ils avaient le droit, aux fins de la cotisation à l'impôt, de déduire, dans le calcul de leurs bénéfices à titre de dépenses nécessaires à leur commerce, toutes les sommes versées.
Il me paraît donc que c'est à bon droit que la défenderesse a soldé la réclamation provenant de l'endossement du $200,000.
Examinons maintenant la dernière proposition de la demanderesse soit que le montant de $115,369.33 constitue une somme déboursée, une perte ou un remplacement de capital ou un paiement à compte de capital et qu'en vertu des dispositions de l'art. 12(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu, il ne peut être déduit dans le calcul du revenu de la défenderesse.
L'article 12(1)a) et b) se lit comme suit:
12. (1) Dans le calcul du revenu, il n'est opéré aucune déduction à l'égard
a) d'une somme déboursée ou dépensée, sauf dans la mesure elle l'a été par le contribuable en vue de gagner ou de produire un revenu tiré de biens ou d'une entreprise du contribuable,
b) d'une somme déboursée et d'une perte ou d'un rempla- cement de capital, d'un paiement à compte de capital ou d'une allocation à l'égard de dépréciation, désuétude ou d'épuisement, sauf ce qui est expressément permis par la présente Partie, ... .
Il est clair que le paiement fait par la compa- gnie Jones, comme je l'ai déjà dit, en fut un qui tombe dans l'exception prévue à l'alinéa a) de l'article 12(1). Il a été, en effet, déboursé en vue de gagner ou de produire un revenu de l'entre- prise de la défenderesse et, en fait, la preuve révèle qu'effectivement, et jusqu'à la faillite de la Société des Tabacs de Québec Inc., il lui rapporta des revenus considérables par les
ventes de tabac faites par la compagnie à cette dernière société.
La seule question à déterminer maintenant c'est celle de décider si le paiement de ce mon- tant tombe sous l'alinéa b) de l'article 12(1) comme un déboursé ou comme un paiement, à compte de capital ou perte de capital. Le procu- reur de la demanderesse le soutient et il est possible que dans certaines circonstances l'on puisse considérer qu'il le soit.
Depuis quelques années, cependant, nos tri- bunaux ont été enclins à accepter certaines dépenses ou pertes comme déductibles en se fondant, non pas tellement sur la transaction du point de vue juridique mais bien plutôt du point de vue pratique et commercial.
Il suffit, pour s'en rendre compte, de considé- rer ce que disait le juge en chef de la Cour suprême lorsqu'il rejeta l'appel de la décision du président Jackett dans l'arrêt Algoma Central Rly. c. M.R.N. [1967] 2 R.C.É 88, dans laquelle ce dernier avait permis la déduction de certains montants dépensés pour une étude destinée à permettre à des industries de s'établir dans la région desservie par le chemin de fer d'Algoma Central Railway et qui pouvait, par conséquent, apporter des revenus à son entreprise ferroviaire.
Le juge en chef Fauteux, à la page 449 de l'arrêt de M.R.N. c. Algoma Central Rly. ([1968] R.C.S. 447) se reportait en effet en y souscri- vant à la déclaration suivante de Lord Pearce dans l'arrêt B.P. Australia Ltd. c. Commissioner of Taxation of Australia [1966] A.C. 224, à la page 264:
[TRADUCTION] On ne peut pas trouver la solution du pro- blème en appliquant un critère ou une description rigide. Elle doit découler de plusieurs aspects de l'ensemble des circonstances dont certaines peuvent aller dans un sens et d'autres dans un autre. Une observation peut se détacher si nettement qu'elle domine d'autres indications plus vagues dans le sens contraire. C'est une appréciation saine de toutes les caractéristiques directrices qui doit apporter la réponse finale.
C'est cependant dans l'arrêt Hallstroms Pty. Ltd. c. F.T.C. 8 A.T.D. 190 à la page 196 que l'on déclara qu'il fallait pour la déduction de dépenses ou de pertes, adopter une attitude réaliste. Il y est, en effet, dit que la solution
dans de tels cas [TRADUCTION] «dépend de l'ef- fet envisagé de la dépense d'un point de vue pratique et commercial plutôt que de la classifi cation juridique des droits, s'il en est, garantis, employés ou épuisés en cours de route».
Certains arrêts de notre Cour ainsi que de la Cour suprême furent cités à l'audience. Il me paraît suffisant pour décider de la déductibilité du montant de $115,369.33 payé par la défende- resse, de citer largement une décision de la Cour suprême par le juge Pigeon dans M.R.N. c. Freud [1969] R.C.S. 75 aux pp. 81-84, dans laquelle il avait accepté comme déductible des sommes avancées à une compagnie pour la construction d'un prototype d'automobile, sommes qui avaient malheureusement été englouties inutilement puisque l'aventure n'eut pas de succès:
[TRADUCTION] L'appelant prétend aussi qu'il faut considé- rer comme un prêt à la compagnie les versements effectués par l'intimée. Ceci est discutable car, bien qu'on ait pu prétendre que tout remboursement des sommes avancées à la compagnie constituait une somme reçue, on pourrait très bien dire que des sommes versées directement à des tiers sont des versements volontaires et donc non récupérables. (Halsbury's Laws of England, 3e éd., vol. 8, p. 231).
A supposer que l'on puisse, à bon droit, considérer que cette somme constitue une dette de la compagnie, cela n'implique pas nécessairement qu'il s'agissait d'un place ment. L'obligation d'effectuer un versement en espèces peut être, au même titre que d'autres choses, considérée comme un élément d'actif commercial (Scott c. M.R.N. [1963] R.C.S. 223, [1963] C.T.C. 176; M.R.N. c. Maclnnes [1963] R.C.S. 299, [1963] C.T.C. 311; M.R.N. c. Curlett [1967] R.C.S. 280, [1967] C.T.C. 62). Il est vrai que si dans ces affaires on a décidé que l'acquisition d'hypothèques au rabais constituait une opération spéculative, et non un place ment, c'est parce qu'en l'espèce un grand nombre de ces opérations avaient été effectuées. Cependant, vu la défini- tion du mot «entreprise» on peut trouver d'autres motifs à cette décision. Comme nous l'avons déjà signalé, une seule opération de nature commerciale constitue une entreprise au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu, [TRADUCTION] «tant dans le cas d'un particulier que dans le cas d'une compagnie».
Il est clair qu'on devra en général qualifier de placement un prêt consenti par une personne qui ne fait pas commerce de l'argent. Ce n'est que tout à fait exceptionnellement qu'une telle opération devrait être jugée de nature spécula- tive. Toutefois, les circonstances de cette affaire font qu'elle sort de l'ordinaire. Il est incontestable qu'au début l'opéra- tion engagée était de nature commerciale. Ce caractère commercial s'est maintenu jusqu'à la faillite de l'opération. Au vu de ces circonstances, les sommes qui ont été enga gées dans la dernière année de l'opération, alors que les difficultés financières rendaient le caractère spéculatif de
l'entreprise encore plus évident, ne peuvent être considérées comme un placement. Il importe peu que l'on considère ces sommes comme le paiement anticipé d'actions à émettre ou comme une avance remboursable au cas le projet réussi- rait. Visiblement, l'argent ne fut pas investi afin de produire un revenu mais plutôt dans l'espoir de tirer un bénéfice de l'opération toute entière.
Il importe ici d'examiner la décision de cette Cour dans l'affaire M.R.N. c. Steer [1967] R.C.S. 34, [1966] C.T.C. 731. Dans cette affaire, il a été jugé que la caution donnée à une banque en garantie de la créance d'une compagnie constituait un prêt différé à cette compagnie et qu'une forte somme versée à la banque afin de solder cette créance constituait une perte de capital. Cette décision ne veut pas dire que les prêts constituent toujours des placements mais seulement que tel était le caractère de ce prêt particulier; comme nous l'avons vu, dans au moins trois arrêts récents cette Cour a jugé que des prêts constituaient des opérations commerciales et que, par conséquent, les profits et pertes étaient à compte de revenu et non à compte de capital. Il faut ajouter que cet arrêt ne doit pas faire supposer que toute dépense engagée afin d'acquérir une participation dans une affaire de prospection pétrolière, telle que la compagnie en cause dans l'affaire Steer, ne peut jamais constituer une opération commerciale car, dans l'arrêt Dobieco Ltd. c. M.R.N. [1966] R.C.S. 95, [1965] C.T.C. 506, on a jugé qu'une telle participation constituait un actif commercial d'une entreprise de courtage. Nous avons vu qu'il existe à l'égard d'une opération isolée effectuée par un particulier une présomption qu'elle n'est pas à caractère commercial, mais cette présomption peut être réfutée et l'on peut faire la preuve qu'une seule opération constitue en fait une opéra- tion à caractère commercial et, par conséquent, une «entre- prise» aux fins de l'impôt sur le revenu.
Dans la présente affaire, nous avons vu que le but premier de l'entreprise n'était pas la construction d'une voiture de sport afin de vendre des voitures et de produire un bénéfice mais que l'idée était de tirer un bénéfice de la vente du prototype. Par conséquent, le but de l'affaire dès sa mise sur pied n'était pas de tirer un revenu d'un investissement mais plutôt de tirer un bénéfice de la revente, ce qui, précisément, caractérise les opérations de nature commerciale. Rien n'in- dique de changement dans la nature de l'opération quand furent effectuées les dépenses en question. Au contraire, l'affaire avait acquis un caractère spéculatif encore plus évident car il était tout à fait clair que l'intimé ne pouvait pas espérer recouvrer quoi que ce soit à moins que le prototype soit vendu. Les dépenses ne peuvent pas être considérées hors du contexte de l'ensemble de l'affaire; elles n'avaient rien d'un prêt ordinaire.
Vu les circonstances, les versements effectués par l'inti- mée ne pouvaient pas, à mon avis, être considérés comme un investissement. C'était de la spéculation pure. Si elle en avait tiré un bénéfice, celui-ci aurait été imposable nonob- stant la manière dont il avait été réalisé. Ces sommes doivent donc être considérées comme des dépenses engagées afin de produire un revenu d'une entreprise de nature commerciale, à savoir d'une entreprise au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu. Elles ne peuvent pas être considérées comme des pertes à compte de capital.
Il me paraît aussi que la perte subie par la défenderesse lorsqu'elle fut appelée à se porter caution doit être considérée comme un déboursé fait dans le but de gagner un revenu dans l'exer- cice du commerce de son entreprise et non pas un déboursé ou une perte à compte de capital.
En effet, la preuve révèle que depuis plu- sieurs années, avant 1966, la défenderesse ven- dait du tabac à la compagnie Tabacs Trans- Canada Ltée pour des centaines de milliers de dollars. Réalisant la mauvaise situation finan- cière de la compagnie Tabacs Trans -Canada Ltée, et que cette dernière ne pouvait payer et prendre livraison d'importantes quantités de tabac commandées la défenderesse par son pré- sident, accepta de se porter caution en faveur de la compagnie la Société des Tabacs Québec Inc. pour un montant de $200,000 afin de permettre à cette dernière de se porter acquéreur des actions de la compagnie Tabacs Trans -Canada Ltée sans quoi la société obtiendrait la caution de compétiteurs ontariens de la défenderesse et la défenderesse perdrait ainsi une bonne cliente.
La défenderesse a voulu, en effet, par cette caution, maintenir la croissance de ses ventes à la compagnie Tabacs Trans -Canada Ltée et s'as- surer en même temps que cette dernière pour- rait donner suite aux importantes commandes de tabacs passées.
Il est clair, en effet, que les actes posés par Jones pour sa compagnie étaient de nature à bénéficier à cette dernière pour un temps du moins. Ils avaient uniquement pour but d'aug- menter ses ventes et, par conséquent, ses profits et c'est d'ailleurs ce qui en est résulté pour une certaine période de temps du moins, soit jusqu'à ce que la Société Tabacs Québec Inc. cesse ses opérations.
Il est vrai qu'en signant la convention du 27 septembre, la compagnie défenderesse obtenait une certaine priorité dans l'approvisionnement de tabac de la Société des Tabacs Québec Inc. mais c'était toujours «au meilleur prix possible selon les conditions du marché» tel que men- tionné à la clause un de la convention.
Le procureur de la demanderesse y voit une exclusivité qui donnait à la défenderesse un actif permanent et soutient que pour cette
raison, le paiement de $115,369.33 devrait être considéré comme un paiement capital.
Cette exclusivité pour la fourniture de tabac au prix du marché est d'abord bien relative puisque la défenderesse n'y a droit que si elle vend son tabac au meilleur prix du marché. Elle est, par conséquent, à la merci de ses compéti- teurs. Quant à la période durant laquelle cette exclusivité doit exister, elle me paraît être, si l'on s'en tient aux circonstances décrites dans la preuve, d'assez courte durée. Jones déclare qu'elle ne devait durer que quelques mois soit comme on le lui avait déclaré, le temps néces- saire pour rembourser le montant de $200,000 par le produit de la vente d'actions de la Société des Tabacs Québec Inc. D'ailleurs, cette période en fait n'a duré que jusqu'à la déconfiture de la société, soit quelques mois après la convention.
Je ne puis, dans ces circonstances, y voir une exclusivité ou une permanence suffisante pour qu'on puisse déclarer que la défenderesse obte- nait par sa caution un avantage de longue durée.
L'appel est par conséquent rejeté avec les dépens.
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