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T-2130-72
Valley Camp Ltd. (Appelante)
c.
Le ministre du Revenu national (Intime)
Division de première instance, le juge Urie— Toronto, le 14 mai; Ottawa, le 30 mai 1974.
Impôt sur le revenu—Entente entre un contribuable et une compagnie de chemins de fer pour le déchargement et autres opérations—Paiement au contribuable pour la manuten- tion—Paiement subséquent pour la construction des installa- tions—Le second paiement constitue-t-il un capital ou un revenu—Loi de l'impôt sur le revenu, art. 20(6)h).
Le Ministre a établi une nouvelle cotisation à l'égard de la compagnie appelante, pour inclure dans son revenu imposa- ble à titre de revenu, le montant de $520,655 que la Compa- gnie des chemins de fer nationaux du Canada («C.N.») lui a versé aux termes d'un accord intervenu entre elles. La Commission de révision de l'impôt a confirmé la nouvelle cotisation et le contribuable a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de cette entente avec le C.N., l'appelante s'engageait à fournir et à exploiter des installations complè- tes, à l'usage exclusif du C.N., sur une propriété du C.N. pour le déchargement de wagons de chemins de fer conte- nant des pastilles de minerai de fer concentré, pour leur entreposage et leur chargement à bord de navires en vue du transport. En contrepartie, le C.N. acceptait, aux termes du paragraphe 10, de payer à l'appelante des frais de manuten- tion pour chaque tonne forte et, aux termes du paragraphe 9, de payer à l'appelante un pourcentage annuel du coût en capital réel final des installations. Le montant présentement en litige correspond au montant reçu en vertu du paragraphe 9 pour l'année 1968.
Arrêt: l'appel est rejeté; pour déterminer la responsabilité de l'appelante, on ne doit pas tenir compte du fait que, dans sa déclaration originale, elle a considéré comme un «revenu» le paiement fait en vertu du paragraphe 9; la mention, dans l'entente, du «coût en capital réel» ne déter- mine pas non plus la nature véritable des paiements faits en vue d'amortir ce coût. Il est nécessaire d'analyser l'ensemble de l'opération avant qu'apparaisse la nature du paiement. Une telle analyse ne permet pas de conclure que le C.N. a subventionné la construction ou qu'en fait, l'appelante a pris les dispositions nécessaires pour emprunter des fonds desti- nés à la constitution d'un avoir en capital pour le compte du C.N., que ce dernier devait rembourser sur toute la durée de l'entente. On arrive à la conclusion inverse pour un certain nombre de raisons, dont l'une est contraignante: lorsque le C.N. aura payé le montant total afférent aux installations à l'expiration de l'entente, il n'en sera pas pour autant proprié- taire, mais il aura seulement droit à sa discrétion d'achèter' les installations (paragraphe 17) sans porter à son crédit les paiements annuels faits en vertu du paragraphe 9. Ce motif s'insère dans le plan d'ensemble en vertu duquel les frais de manutention et le paiement annuel uniforme ne sont pas des
ententes séparées, mais font partie de la même opération et constituent un revenu pour l'appelante.
Distinction faite avec les arrêts: St. Jqhn Dry Dock & Shipbuilding Company c. M.R.N. [1944] R.C.É. 186; The Seaham Harbour Dock Co. c. Crook (H.M. Inspec tor of Taxes) (1931) 16 T.C. 333. Arrêt appliqué: Ottawa Valley Power Company c. M.R.N. [1969] 2 R.C.É. 64.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
L. T. Forbes et C. W. Lewis, c.r., pour l'appelante.
R. B. Thomas et R. C. Cancellara, pour l'intimé.
PROCUREURS:
Miller, Thomson et Cie, Toronto, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
LE JUGE URIE—Il s'agit d'un appel d'une décision de la Commission de révision de l'im- pôt rendue le 8 juin 1972 aux termes de laquelle la Commission a rejeté l'appel interjeté par l'ap- pelante des cotisations établies par l'intimé; ce dernier avait inclus dans le revenu imposable de l'appelante pour l'année 1968 le montant de $520,655.00 versé à cette dernière par la Com- pagnie des chemins de fer nationaux du Canada (ci-après appelée le «C.N.») aux termes d'un accord intervenu entre ces parties pour la four- niture et l'exploitation de dispositifs de manu- tention de pastilles de minerai de fer concentré qui étaient acheminées par des trains du C.N. au bassin exploité par l'appelante à Fort William, maintenant Thunder Bay, en Ontario.
La Valley Camp Coal Company of Canada Limited, dont 'le nom devint Valley Camp Lim ited (ci-après appelée quelquefois la «Valley Camp») en vertu de lettres patentes supplémen- taires du 12 décembre 1968, a conclu une entente avec le C.N. en date du 8 août 1967; aux termes de cette entente, la Valley Camp acceptait de fournir et d'exploiter sur une pro- priété du C.N. à Fort William (Ontario) des installations complètes (ci-après appelées «ins- tallations») pour le déchargement des wagons de chemins de fer contenant des pastilles de mine- rai de fer concentré, pour leur entreposage et
leur chargement à bord de navires en vue du transport. La durée de l'entente est de 25 ans et, à cette fin, le C.N. a loué à la Valley Camp, moyennant un loyer annuel de $1.00, les ter rains dont cette dernière a besoin pour fournir et exploiter lesdites installations. Le C.N. a con- venu de payer pendant la durée de l'entente toutes les taxes, y compris les taxes locales sur la plus-value, évaluées en fonction des installa tions ou de toutes autres additions, agrandisse- ments ou modifications apportés audit terrain. La Valley Camp a convenu que les installations seraient libres de tous privilèges, réclamations ou servitudes, autres que ceux créés par elle pour emprunter des fonds, qui, de toutes façons, seraient de rang inférieur aux droits du C.N.
Le C.N. a l'usage exclusif desdites installa tions et s'il arrivait qu'il soit nécessaire de les agrandir ou de les modifier, la Valley Camp devait, aux termes de l'entente, en assumer le coût.
Pendant la durée de l'entente, le C.N. est tenu, par les dispositions du paragraphe 10 de l'entente, de payer à la Valley Camp des frais de manutention, conformément au barème des prix porté en annexe, pour chaque tonne forte de pastilles manipulée à l'aide des installations mises sur pied pour le C.N. En plus, le paragra- phe 9 de l'entente stipule que, pendant la durée de ladite entente, le C.N. doit payer chaque année à l'appelante un montant annuel égal à 101% du coût en capital réel final des installa tions sans que le C.N. ait aucun droit «d'annu- ler, réduire, diminuer le paiement, de s'y oppo- ser, ou de le retarder, de l'utiliser pour compenser ou retenir toute partie dudit montant annuel». En fait, si la Valley Camp ne se con- forme pas aux dispositions de l'entente en ques tion et que le C.N. reprend l'exploitation des installations, comme il lui est permis de le faire dans de telles circonstances, il devra néanmoins acquitter le solde des montants annuels prévus. L'entente prévoit également que l'appelante pourra, à l'occasion, hypothéquer, transférer et céder son droit aux versements annuels à tout établissement de prêt ou fiducie désignée en vertu d'un contrat ou d'un acte de fiducie par elle préparé. De fait, la Valley Camp a passé un contrat de fiducie en date du l er avril 1968 aux
termes duquel elle a émis des obligations garan- ties par ce contrat pour le montant total de $4,500,000. L'article III du contrat de fiducie prévoit précisément le transfert et la cession au fiduciaire, les détenteurs des obligations obte- nant le même avantage, de tous ses droits, titres, intérêts et bénéfices découlant des paiements annuels incombant au C.N. en vertu de l'en- tente. Conformément aux dispositions de l'en- tente, le C.N. a reconnu avoir été avisé de l'hypothèque et de la cession par l'appelante au Montreal Trust Company à titre de fiduciaire de tous les droits de la Valley Camp aux paiements annuels qu'il devait faire; il acceptait de faire ces paiements au Montreal Trust Company à titre de fiduciaire.
L'appelante n'a assigné qu'un seul témoin, son président, Kenneth David Mooney; ce der- nier a déclaré que les paiements annuels incom- bant au C.N., conformément à l'entente, amor- tissaient le coût en capital des installations de Thunder Bay sur toute la durée du contrat, c'est-à-dire, 25 ans, à un taux d'intérêt de 9%. L'entente prévoyait le paiement de chacun de ces montants annuels en 12 versements men- suels égaux et consécutifs, le premier étant le 31 janvier 1968, date à laquelle il fut payé. A ce moment-là, le coût en capital réel final des ins tallations n'avait pas encore été établi parce que la construction n'en était pas encore terminée. Le paiement effectué le 31 janvier, et certains paiements subséquents, étaient donc calculés d'après l'évaluation du coût en capital réel final des installations et les ajustements qui s'impo- saient à l'égard des paiements mensuels ou annuels devaient être faits une fois définitive- ment fixé le coût en capital réel final. La preuve n'a pas révélé le jour exact ot l'on a déterminé ce coût, mais, de toutes façons, pour l'année 1968, le C.N. a versé $520,655 à la Valley Camp. Il semble que les versements mensuels aient été imputés aux revenus de la compagnie parce que dans l'état des revenus de l'appelante pour l'année se terminant le 31 décembre 1968, sous la rubrique «revenu» figure le montant de $909,439 à titre de revenu provenant des instal lations de manutention des pastilles. Mooney a déclaré que ce calcul incluait le paiement annuel de $520,655 susmentionné.
Dans leur déclaration d'impôt sur le revenu des corporations pour l'année d'imposition 1968, l'appelante et l'intimé ont inclus à titre de revenu le montant de $520,655 payé par le C.N. L'avis de cotisation concernant cette déclara- tion ne révèle aucune dette d'impôt.
Subséquemment, l'appelante a produit une déclaration d'impôt sur le revenu des corpora tions modifiée pour l'année d'imposition 1968; par un avis de nouvelle cotisation en date du 30 décembre 1969, l'intimé a modifié le revenu imposable de l'appelante pour l'année en ques tion en le portant à $10,008.84 et a réclamé un impôt de $1,155.02 ainsi que des intérêts de $47.64, c'est-à-dire la somme totale de $1,202.66. L'appelante et l'intimé ont à nouveau inclus le paiement annuel dans le calcul du revenu imposable de l'appelante pour l'année 1968. L'appelante interjette appel de cette nou- velle cotisation, qui fut confirmée par la Com mission de révision de l'impôt.
Après l'expiration du délai imparti pour dépo- ser un avis d'opposition à la nouvelle cotisation, l'appelante a déposé une seconde déclaration modifiée dans laquelle elle n'a pas inscrit le paiement annuel de $520,655 à titre de revenu ce qui a eu pour résultat de faire apparaître un déficit de $114,221.86. Cette déclaration semble n'avoir aucune valeur étant donné que l'appe- lante n'avait pas déposé un avis d'opposition à la nouvelle cotisation dans le délai imparti. Cependant, elle nous aide à mieux comprendre le point de vue que l'appelante adopte désor- mais à l'égard de son revenu imposable pour 1968.
Je pourrais souligner que, dans l'état des reve- nus déposé avec chacune des trois déclarations, on avait déduit à titre de dépenses l'intérêt payé sur les obligations susmentionnées, soit le mon- tant de $243,570. De plus, à l'annexe 2a) de la déclaration originale et de la déclaration modi- fiée, l'appelante réclamait une déduction pour amortissement à l'égard des installations sus- mentionnées. Cependant, dans la seconde décla- ration modifiée, il ne lui était pas nécessaire de réclamer de déduction pour amortissement parce que, comme on l'a exposé ci-dessus, du point de vue fiscal, l'appelante subissait une perte.
L'appelante prétend que le paiement de $520,655 n'aurait pas être inclus dans le calcul de son revenu imposable pour l'année 1968 au motif qu'il s'agissait d'une dépense de capital destinée à subventionner la construction de l'installation de manutention de pastilles et qu'il ne s'agissait donc pas de recettes. Dans son avis d'appel, l'appelante a déclaré qu'elle fon- dait notamment sa prétention sur l'article 20(6)h) de la Loi de l'impôt sur le revenu, mais ses avocats n'ont pas insisté en cour sur cet argument, admettant qu'ils avaient utilisé cet article dans le seul but d'étayer leur prétention par voie d'analogie, alléguant que le terme «sub- vention» utilisé à cet article signifiait la même chose que «apport de capital». Selon eux, le C.N. avait versé en 1968 un apport de capital à l'appelante et il continuerait à le faire par la suite pendant toute la durée de l'entente; c'est-à-dire que le paiement fait en 1968 et les paiements subséquents étaient et continueraient d'être des dépenses de capital destinées à rem- bourser à l'appelante la construction des instal lations susmentionnées.
D'autre part, les avocats de l'intimé ont sou- tenu avec force que le paiement ne constituait pas une subvention au sens que l'article 20(6)h) prête à ce mot ou selon le langage ordinaire des affaires, et qu'une analyse de l'entente, ne révé- lait pas non plus qu'il s'agissait d'un rembourse- ment de capital ou le remboursement de ce qu'on pourrait appeler un prêt à la construction et par conséquent un paiement à titre de capital. L'entente, à leur avis, constituait une opération commerciale ordinaire conclue entre les deux parties au contrat dans le cours des affaires et, par conséquent, le revenu qui en découlait cons- tituait un •revenu pour le bénéficiaire. Ce n'était pas une subvention, un octroi, ou une autre aide d'une autorité publique au sens de l'article 20(6)h) ni une subvention autre que celles pré- vues à cet article. Cependant, même s'il en était ainsi, à leur avis cela ne créait pas automatique- ment une dépense de capital. Ils ont soutenu qu'il fallait considérer le but dans lequel ce paiement était fait pour en déterminer la nature véritable et, dans cette mesure, ils se ralliaient aux avocats de l'appelante puisque tous préten- dent qu'on doit déterminer la nature véritable de
l'opération commerciale pour déterminer s'il s'agit d'un paiement à titre de capital ou de revenu. Par conséquent, seules diffèrent les conclusions qu'ils ont tirées de leurs analyses respectives.
Peut-être convient-il tout d'abord de rappeler que l'assujettissement à l'impôt sur le revenu ne dépend pas de la façon dont le bénéficiaire inscrit un montant dans ses livres de comptes ou en dispose après l'avoir reçu, ni de savoir si le montant est cédé à un créancier aux fins de remboursement d'un prêt avant d'être encaissé, comme c'est le cas en l'espèce. Ceci étant, le fait qu'il s'avère que l'appelante ait tout d'abord considéré le paiement annuel de 1968 comme un revenu ne la prive en aucune façon de son droit de soutenir qu'il s'agit en fait d'un paie- ment à compte de capital lors du calcul du revenu imposable en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. De même, je ne pense pas que, parce qu'on mentionne le «coût en capital réel des installations» dans l'entente intervenue entre la Valley Camp et le C.N., le mot «capi- tal», ainsi utilisé, soit nécessairement détermi- nant quant à la nature véritable des paiements faits en vue d'amortir ce coût. La description adoptée par les parties ne présume pas de l'exactitude de la désignation aux fins de l'im- pôt. Il est nécessaire d'analyser l'ensemble de l'opération avant de déterminer la nature du paiement.
En l'espèce, après avoir analysé l'entente principale et l'entente annexe avec le bureau d'ingénieurs engagé par l'appelante pour tracer les plans et diriger la construction des installa tions, je ne peux pas conclure que le C.N. a subventionné la construction ou qu'en fait, la Valley Camp a pris les dispositions nécessaires pour emprunter des fonds destinés à la constitu tion d'un avoir en capital pour le compte du C.N. que ce dernier devait rembourser sur toute la durée de l'entente. En fait, on arrive à la conclusion inverse pour un certain nombre de raisons dont l'une est contraignante. En effet, lorsque le C.N. aura payé le montant total affé- rent aux installations à l'expiration de l'entente, il n'en sera pas pour autant propriétaire, mais, à ce moment-là, ainsi que le prévoit le paragraphe 7 de l'entente, il [TRADUCTION] «pourra à sa
discrétion, après avoir donné un avis préalable de 12 mois à la Valley Camp, acheter les instal lations en bloc, sans porter à son crédit lesdits paiements annuels effectués en vertu du para- graphe 9:- ...» [c'est moi qui souligne]. Si le C.N. exerce son droit d'option, le prix sera fixé par entente entre les parties ou par arbitrage.
Dans l'hypothèse d'un recours à l'arbitrage, il est prévu que le prix devra correspondre à [TRA- DUCTION] «la valeur des installations (détermi- née d'après le coût de remplacement, y compris l'aménagement des lieux et la technogénie, en prenant en considération l'état des bâtiments, du matériel et des lieux en date du 31 décembre 1992)», plus les produits de toute police d'assu- rance détenue et payable au C.N. à cette date. Si le C.N. n'exerce pas son droit d'option, la Valley Camp a un délai de 12 mois pour démon- ter les installations sans quoi le C.N. en devien- dra propriétaire absolu. A mon avis, le fait que le C.N. ne soit pas propriétaire des installations à l'expiration de l'entente, mais puisse les ache- ter pour un montant représentant le coût de remplacement révisé contredit clairement les prétentions de l'appelante portant que les paie- ments faits en vertu du paragraphe 9 constituent un remboursement de capital avancé par l'appe- lante. Cette opinion est confirmée par un examen de la teneur générale de l'entente qui oblige l'appelante [TRADUCTION] «à fournir et exploiter» les installations, à les maintenir, répa- rer et garder en bon état de même qu'à les assurer.
Il est manifeste que le C.N. avait besoin des connaissances techniques de l'appelante en matière de chargement et de déchargement. A ce titre, il était prêt à assumer non seulement les frais de la manutention des pastilles, mais aussi les montants nécessaires au remboursement des dépenses engagées par l'appelante pour «four- nir» les installations nécessaires à l'exécution des travaux. Il va de soi que chaque partie voulait protéger sa responsabilité dans le recou- vrement de ces dépenses. Le C.N., pour sa part, devait être sûr de payer uniquement le coût réel des installations et, par conséquent, l'entente assujettissait la détermination du coût à des conditions strictes. La Valley Camp, de son côté, devait être sûre que les dépenses impor-
tantes requises seraient intégralement rembour- sées même si, pour quelques raisons imprévisi- bles, la résiliation de l'entente survenait avant l'expiration du terme. Les parties se s'ont alors entendues sur des dispositions strictes relatives au calcul du coût et au paiement, même si l'entente était résiliée et les installations reprises et exploitées par le C.N. Il est clair que c'est pour cette raison qu'en cas de perte, le C.N. devait toucher une indemnité payable en vertu de la police d'assurance; autrement dit, cette indemnité visait à protéger le C.N. en cas de destruction totale ou partielle des installations tant qu'il était responsable du paiement du solde. Prise dans son ensemble, il s'agit nette- ment d'une opération commerciale dans laquelle la Valley Camp s'assurait prudemment le rem- boursement des dépenses engagées pour ces installations ayant apparemment une seule fin, tandis que le C.N. s'assurait que des experts les construiraient et les exploiteraient à un coût annuel déterminé à l'avance, du moins en partie.
Par conséquent, les paiements effectués en vertu des paragraphes 9 et 10 ont, à mon avis, le caractère de revenu. Tel qu'indiqué auparavant, le paiement exigé aux termes du paragraphe 9 fut cédé, avec l'accord du C.N., au fiduciaire des obligataires pour garantir le prêt consenti à l'appelante. Il est fort probable que les paie- ments mensuels étaient, en vertu des disposi tions de l'entente, divisés en deux parties de façon à assurer que ce paiement annuel fixe puisse être fait directement au fiduciaire. La cession de ce paiement aux fins de rembourse- ment du prêt destiné à financer la constitution d'un avoir en capital ne change pas le caractère de revenu à l'égard de l'entente intervenue entre le C.N. et la Valley Camp. Considérer les paie- ments d'une façon indépendante les uns des autres équivaut à ne pas tenir compte du fait que, sans l'inclusion des paiements faits confor- mément au paragraphe 9 dans l'état du revenu de l'appelante, cette dernière aurait subi un défi- cit de $114,221.86 pour l'année 1968.
Lors du contre-interrogatoire, Mooney a admis qu'il en était ainsi, mais il a fait remar- quer qu'au début de la période d'amortissement, l'intérêt représentait la plus grande partie du paiement et qu'il s'amenuiserait au cours des
7 nées. Cependant, j'estime être en droit de enir compte du fait qu'il faudra un certain //nombre d'années pour que la réduction soit suf- fisante pour avoir une influence quelconque sur les bénéfices, à moins que le paiement annuel ne soit inclus globalement à titre de revenu. De plus, les avocats de l'intimé ont admis que l'ap- pelante avait droit de déduire à titre de dépense la partie intérêt du paiement et, évidemment, de réclamer une déduction pour amortissement sur les installations. Comme on l'a précisé antérieu- rement, l'appelante a, dans sa première déclara- tion d'impôt modifiée pour l'année 1968, non seulement inclus le paiement annuel à titre de revenu, mais elle a aussi déduit l'intérêt payé sur les obligations à titre de dépense et l'amor- tissement des installations, lors du calcul de son revenu imposable. Il est manifeste que l'appe- lante ne peut se prévaloir de ces deux moyens, —e està - dire==qu'elle ne peut omettre d'inclure le paiement annuel dans ses recettes et néanmoins déduire les intérêts de même que l'amortisse- ment dans le calcul de son revenu imposable. En substance, dans cette opération, les deux paiements, savoir les frais de manutention et le paiement annuel uniforme, font partie de la même opération et constituent des dépenses de revenu pour l'appelante.
Les avocats de l'appelante se sont fondés en grande partie sur l'arrêt St. John Dry Dock & Shipbuilding Company Limited c. M.R.N. [1944] R.C.É. 186, rendu par le président Thor- son. Il s'agissait d'un appel de la décision de l'intimé portant que certaines subventions allouées à l'appelante en l'espèce constituaient un revenu et étaient imposables en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. En 1918, l'appe- lante avait conclu un accord avec Sa Majesté le Roi conformément à la Loi des subventions aux bassins de radoub, en vue de la construction d'un bassin de radoub, après avoir convaincu le gouverneur en conseil que la construction d'un tel bassin était d'intérêt public. Une fois le bassin construit, on devait accorder une subven- tion basée sur le coût de construction. Cette subvention consistait en un montant n'excédant pas 4i% du coût des travaux tel que déterminé par le gouverneur en conseil, payable deux fois par an durant au plus 35 ans. Ces paiements furent cédés à un fiduciaire en faveur d'obliga--
taires. A l'origine, l'appelante avait inclus à titre de revenu, ces paiements annuels dans ses déclarations d'impôt sur le revenu des corpora tions et avait réclamé la déduction des intérêts de même que l'amortissement. Cependant, elle s'est ultérieurement opposée à une cotisation qui incluait le paiement, ce qui a donné lieu à cet appel devant la Cour de l'Échiquier.
A la page 193 le président Thorson a fait l'observation suivante:
[TRADUCTION] Le fait qu'un montant soit présenté comme une subvention gouvernementale ne détermine pas en soi sa nature aux fins d'imposition, à l'égard du bénéficiaire. Dans chaque cas, il faut déterminer la nature véritable de la subvention et, ce faisant, on peut à bon droit considérer le but dans lequel elle a été accordée.
Il s'est appuyé sur la décision de la Chambre des lords dans l'affaire The Seaham Harbour Dock Co. c. Crook (H.M. Inspector of Taxes) (1931)• 16 T.C. 333, comme fondement de la thèse suivante, savoir lorsqu'un paiement est fait sous l'autorité d'une loi du Parlement, il faut considérer le but pour lequel on autorise ainsi ce paiement pour déterminer si l'on doit le considé- rer comme un bénéfice net annuel ou un gain et un revenu imposable à l'égard du bénéficiaire; il a conclu que le but dans lequel la subvention avait été accordée se trouvait dans la Loi, le contrat et les ordonnances édictées sous son empire. Il conclut à la page 205 que [TRADUC- TION] «l'ensemble de la Loi démontre que le Parlement s'intéresse à la construction d'un tel bassin de radoub qui répondrait aux besoins du public». Les paiements n'avaient pas pour but d'augmenter les revenus d'exploitation de l'ap- pelante. Ils visaient un but particulier, dans l'in- térêt de la nation, indépendamment du com merce ou de l'entreprise de l'appelante et sans aucun rapport avec ceux-ci.
Sur ce point, cette affaire diffère du présent cas. En l'espèce, les paiements n'étaient pas indépendants du commerce ou de l'entreprise de l'appelante, mais ils en faisaient partie à titre de contrepartie de la fourniture et de la gestion des installations de manutention de pastilles. Il ne s'agissait pas d'un paiement ou d'une série de paiements ayant le caractère d'un octroi ou d'une subvention payée par une autorité publi- que aux fins de stimuler l'emploi comme dans l'affaire Seaham ou pour encourager la cons-
truction d'un bassin de radoub comme dans l'affaire St. John Dry Dock (précitée). S'il en était ainsi, l'argument de l'appelante pourrait avoir quelque valeur. Cependant, à mon avis, le raisonnement du président Jackett (maintenant juge en chef), dans l'arrêt Ottawa Valley Power Company c. M.R.N. [1969] 2 R.C.E. 64 s'appli- que davantage à la présente affaire que celui utilisé dans la situation de faits particulière de l'affaire St. John. Appliquant l'article 20(6)h) aux faits de cette affaire, il conclut à la page 71:
[TRADUCTION] II semble que cette règle vise le cas un contribuable a acquis des biens moyennant un coût en capital et a aussi reçu un octroi, une subvention ou autre aide d'une autorité publique «à l'égard ou en vue de l'acqui- sition de biens», auquel cas le coût en capital est censé être «le montant que ces biens ont coûté en capital au contribua- ble moins ... le montant de l'octroi, de la subvention ou autre aide». Il ne semble pas que cette règle puisse s'appli- quer au cas une autorité publique a effectivement accordé à un contribuable des avoirs en capital pour les fins de son commerce sans qu'il ne lui en coûte rien. Nonobstant le fait que la règle ainsi interprétée ne s'applique pas au présent cas, je ne pense pas qu'elle puisse s'appliquer aux opérations commerciales ordinaires entre une autorité publi- que et un contribuable, dans le cas l'autorité publique (je prends pour acquis, pour les fins de la discussion, que l'Hydro-Ontario est une autorité publique au sens de l'alinéa h) sans me prononcer sur cette question) fait affaire et négocie avec un particulier de la même façon que toute autre personne exerçant une telle entreprise le ferait. Je ne pense pas que les mots utilisés à l'alinéa h) -»un octroi, une subvention ou une autre aide d'une autorité publique»— puissent s'appliquer à une entente commerciale ordinaire conclue entre les deux parties à l'entente pour des raisons commerciales. Si la législature se servait de l'Hydro-Ontario pour réaliser quelque projet d'ordre législatif visant à accor- der des octrois pour encourager les hommes d'affaire à se lancer dans certains types d'entreprises, il me serait alors aisé d'appliquer l'alinéa h) aux octrois en cause. Ici, cepen- dant, me semble-t-il, la législature a simplement autorisé l'Hydro-Ontario à accomplir certaines choses jugées favora- bles à la réussite de certains changements dans ses métho- des d'exploitation; ce que l'Hydro-Ontario fut ainsi autorisé à accomplir était de même nature que ce que d'autres personnes exploitant une entreprise semblable et obligées de faire des changements similaires pourraient juger utile de faire. Je ne peux considérer ce qui est fait dans de telles circonstances comme étant «une aide» accordée par une autorité publique en tant qu'autorité publique. A mon avis, l'article 20(6)h) ne s'applique pas aux circonstances de cette espèce. [C'est moi qui souligne.]
Ces quelques lignes, me semble-t-il, sont en tous points applicables à l'espèce présente. En outre, à la page 77, en analysant la nature de l'opération dont il était saisi, il a imaginé la
situation suivante qui s'apparente à la situation de fait de la présente affaire:
[TRADucnox] L'analyse me paraît un peu plus facile si l'on considère le cas relativement plus simple d'un fournis- seur passant un contrat à terme avec un acheteur en vertu duquel ce dernier convient de procurer au fournisseur ses installations et de payer un prix fixe par unité pour les marchandises achetées au lieu de payer un prix plus élevé par unité sans procurer les installations au fournisseur. En ce cas, selon ma première impression,
a) le prix que l'acheteur verse pour ce qu'il obtient corres pond à la valeur des installations fournies plus le prix par unité payée et le montant total doit être inscrit dans le revenu du fournisseur et
b) le fournisseur n'obtient pas les installations sans con- trepartie, mais il les paie en passant un contrat de fourni- tures à bas prix et prima facie, ce qu'il paie pour les installations correspond à leur valeur.
Le président Jackett n'a pas pu tirer quelque conclusion que ce soit sur cet ensemble de faits parce que l'avis d'appel ne soulevait pas ces problèmes. Cependant, à la page 78, il a exprimé le point de vue que si l'on acceptait d'agrandir et d'améliorer les avoirs en capital en contrepartie d'un accord de livraison d'électricité, que l'ap- pelante était tenue de fournir, à un prix inférieur à ce qu'il aurait été autrement, ceux-ci étaient probablement reçus à titre de revenu suivant les principes commerciaux ordinaires.
Comme je l'ai déclaré auparavant, les frais de manutention facturés pour les services assurés par l'appelante en l'espèce n'en faisaient pas une opération rentable. En fait, ils étaient si faibles qu'il en résultait une perte et il me paraît évident, par conséquent, que les paiements annuels, faits conformément au paragraphe 9 et dûment cédés au fiduciaire en faveur des obliga- taires pour rembourser une dette créée dans le but de constituer un avoir en capital, étaient reçus en contrepartie de la fourniture de service à un prix inférieur à ce qui serait autrement économiquement viable. Les deux contreparties accordées à l'appelante ne résultaient pas de marchés distincts et indépendants, mais fai- saient partie d'une même opération commer- ciale, conclue de cette façon particulière pour les raisons que j'ai évoquées antérieurement. Les paiements faits en vertu du paragraphe 9 faisaient partie du revenu de l'appelante tout autant que ceux faits en vertu du paragraphe 10. Ils constituaient un revenu pour le bénéficiaire
et, par conséquent, il faut en tenir compte dans le calcul du revenu imposable de l'appelante pour l'année 1968 en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu.
L'appel, par conséquent, est rejeté avec dépens.
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