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T-3817-73
La Reine (Demanderesse)
c.
Pollock Sokoloff Holdings Corp. (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh— Montréal, le 9 mai; Ottawa, le 29 mai 1974.
Impôt sur le revenu—Fonds non recouvrés aux termes de prêts consentis par une compagnie mère— Transfert de prêts de la compagnie mère à sa filiale—Transfert régulier contrai- rement à l'opinion du Ministre—Droit du cessionnaire de déduire une mauvaise créance—Code civil, articles 1570 et 1571— Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148 art. 11(1)e), f), 12(1)b), 137(1), 139(1)e).
Des prêts ont été consentis à C. de 1962 à 1965 par la M. H. Corporation, par l'intermédiaire de S., administrateur et président de cette compagnie et de sa filiale, la défende- resse. Les transactions relatives à ces prêts ont été menées par S. entre C. et la M. H. Corporation ou la défenderesse de façon alternative. Les intérêts afférents aux prêts ont été payés jusqu'en 1966. En 1967, la M. H. Corporation les a transférés à leur pleine valeur comptable, soit $50,000, à la défenderesse. La défenderesse réclame pour l'année d'impo- sition 1968 une déduction de $30,000 défalqués à titre de mauvaise créance, aux termes de l'article 11 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le Ministre n'a pas admis cette déduc- tion aux motifs que l'article 11 ne s'appliquait pas en l'es- pèce et qu'on devait considérer cette somme comme une perte de capital en vertu de l'article 12(1)b). La Commission de révision de l'impôt a accueilli l'appel de la défenderesse. Le Ministre a interjeté appel.
Arrêt: la Cour rejette l'appel et renvoie la cotisation au Ministre qui en établira une nouvelle. 1. Eu égard à la prétention du Ministre selon laquelle le transfert de la M. H. Corporation à la défenderesse était irrégulier aux termes des articles 1570 et 1571 du Code civil: le Ministre n'avait pas le droit d'intervenir pour annuler une telle vente de créances pour vice de forme alors que les parties concernées ont reconnu qu'elle avait eu lieu et que le débiteur en était informé. On n'a pas laissé entendre qu'il s'agissait d'une vente frauduleuse ou d'une évasion fiscale sous le régime de la Loi de l'impôt sur le revenu. On a justifié ce transfert de façon acceptable, à savoir qu'il entraînait une réduction de l'impôt provincial et ne concernait pas la demanderesse. 2. Eu égard à la prétention du Ministre selon laquelle la défen- deresse n'était pas habilitée à réclamer une déduction de la somme défalquée à titre de mauvaise créance, aux termes de l'article 11 de la Loi: la disposition de l'article 11(1)e), f) visant des «prêts consentis dans le cours ordinaire des affaires par un contribuable, dont l'entreprise ordinaire con- sistait à prêter de l'argent» s'appliquait à la défenderesse même si ses prêts ne représentaient qu'une faible proportion du total de ses activités. Assurément ces prêts ont été consentis au départ non par la défenderesse mais par la M. H. Corporation, dont l'activité ordinaire ne consistait pas à prêter de l'argent, mais ces prêts ont été transférés à leur pleine valeur comptable à la défenderesse, dont une partie des activités consistait à prêter de l'argent.
Distinction faite avec les arrêts Litchfield c. Dreyfus (1906) 1 K.B.D. 584 et Newton c. Pike (1908-09) 25 T.L.R. 127. Arrêts examinés: Orban c. M.R.N. 54 DTC 148; Valutrend Management Services Limited c. M.R.N. [1972] C.T.C. 2170; Wood c. M.R.N. [1969] R.C.S. 330; M.R.N. c. Machines [1962] R.C.É. 385, infirmé [1963] R.C.S. 299; Sun Securities Limited c. M.R.N. 64 DTC 821 et Western Wood Products Limited c. M.R.N. [1963] R.C.É. 380.
APPEL en matière d'impôt. AVOCATS:
Hughes Richard et Alban Garon pour la
demanderesse.
Michael D. Vineberg pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la demanderesse.
Phillips & Vineberg, Montréal, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés par
LE JUGE WALSH: Il s'agit d'un appel interjeté par la demanderesse d'une décision de la Com mission de révision de l'impôt, en date du 6 juin 1973, maintenant l'appel de la défenderesse interjeté d'une cotisation pour son année d'im- position 1968 et la déférant au ministre du Revenu national pour qu'il établisse une nou- velle cotisation. Le Ministre n'a pas admis une déduction de $30,000 que la défenderesse a réclamée cette année-là à titre de mauvaise créance, aux motifs qu'elle n'était pas due à la défenderesse, qu'elle n'était pas devenue mau- vaise en 1968, qu'elle n'avait pas été incluse dans le calcul du revenu de la défenderesse pour l'année 1968 ou pour une année antérieure, qu'une partie des activités ordinaires de la défenderesse ne se réduisait pas à prêter de l'argent et que, au cours de son année d'imposi- tion 1968, elle ne s'employait pas à négocier des effets à recevoir. Par conséquent, la demande- resse fait valoir qu'on aurait considérer cette somme comme une perte de capital au sens de l'article 12(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu'.
S.R.C. 1952, c. 148 et ses modifications.
D'après les éléments de preuve, la Mysam Holdings Corporation, dont la défenderesse est une filiale, a consenti à un certain F. L. Crystal, en 1962, 1963 et 1965, des prêts respectifs de $10,000, $30,000 et $10,000, portant intérêt au taux de 12%; les deux premiers prêts étaient garantis par le nantissement d'actions que Crys tal détenait dans trois compagnies immobilières, à savoir la Fanpal Realties Inc., la Riva Realty Inc., et la Delco Realty Inc., et le troisième, a-t-on prétendu dans la preuve, était simplement garanti par un billet à ordre qui, toutefois, n'a pas été déposé comme pièce. Cependant, il con- vient de remarquer que le montant prêté a été remis à Crystal par chèque émis le 27 janvier 1965 non par la Mysam Holdings Corporation, que l'on prétend être le prêteur, mais par la défenderesse Pollock Sokoloff Holdings Corp. Les témoins ont expliqué dans leur déposition que le dernier prêt n'avait pas fait l'objet d'un contrat formel parce que Crystal n'avait plus d'éléments d'actif à déposer en nantissement et que, de toute façon, on croyait que l'actif impor tant des compagnies immobilières dans lesquel- les il détenait les actions, déjà déposées en nantissement comme garantie des deux premiers prêts, constituait une garantie suffisante pour couvrir également le troisième prêt. Les déposi- tions révélèrent aussi que, bien que le premier prêt de $10,000 ait été remboursable le 26 juil- let 1962, soit six mois après avoir été consenti, que le second prêt de $30,000 ait été rembour- sable le 25 juillet 1965, soit deux ans après avoir été consenti et qu'aucune date n'ait été fixée pour le remboursement du troisième prêt de $10,000 accordé le 27 janvier 1965, les prê- teurs en ont prorogé oralement l'échéance puis- qu'ils estimaient la garantie satisfaisante et qu'en fait les intérêts portant sur ces trois prêts étaient dûment payés jusqu'aux versements échus en août 1966 inclusivement. Les actions déposées par Crystal en nantissement, tout en ne représentant pas la totalité des actions des trois compagnies en question, en constituaient néanmoins une fraction appréciable, soit un quart des actions de la Riva Realty Inc., un quart des actions de la Delco Realty Inc. et un sixième des actions de la Fanpal Realties Inc. Crystal témoigna qu'en 1962-63 l'ensemble de ses investissements dans ces trois compagnies
se chiffrait à environ $60,000 et qu'il estimait que sa participation dans les terrains que déte- naient ces trois compagnies représentait une valeur d'environ $200,000.
Samuel Sokoloff, qui occupait le poste de vice-président et de secrétaire-trésorier de la compagnie défenderesse ainsi que de président et d'administrateur de la Mysam Holdings Cor poration, témoigna que lesdites compagnies appartenaient en totalité à deux familles. Elles investissent dans des actions ordinaires, des obligations, consentent des prêts sur des biens immobiliers et sont également propriétaires de biens immobiliers, y compris des terrains non mis en valeur. Le bilan de la compagnie défen- deresse, au 31 décembre 1968, présente un actif de $15,288,383 incluant notamment des dépôts à court terme s'élevant à $6,000,000, des titres négociables acquis au coût de $1,021,559, des avances consenties à la Mysam Holdings Corpo ration, la compagnie mère, se chiffrant à $2,252,688, des actions dans la Fleetwood Cor poration représentant $1,122,450, des hypothè- ques et des billets à recevoir d'un montant de $116,211 et comprenant les $20,000 prêtés à Crystal et non encore défalqués à cette date, et enfin des biens immobiliers se chiffrant à $4,253,602. Pour l'année 1967, les hypothèques et les billets à recevoir s'élèvent à $185,816, chiffre fixé avant la défalcation à titre de mau- vaise créance des $30,000 qui font l'objet du présent appel.
Outre les prêts consentis à Crystal, la compa- gnie avait accordé un prêt de $20,000 à S. Jacobson; non remboursé de 1965 à 1968 et prétendument garanti par un nantissement d'ac- tions d'une compagnie foncière dans laquelle Jacobson avait une participation d'un tiers; un prêt de $20,000 à C. Redler et P. Waid, consenti en 1964, réduit à $3,514 en 1968 et garanti par un billet à ordre nominatif; un prêt de $75,000 à la M. Feinstein Inc. prétendument garanti par ses participations dans certains terrains, lequel prêt fût intégralement remboursé en 1967, et un autre prêt d'un montant de $70,526 à la M. Feinstein Inc. consenti en 1965 et non encore remboursé à la fin de 1968; un prêt de $50,000 consenti à un certain Harry Feifer en 1965, réduit à $2,141 à la fin de 1968 et prétendument
garanti par la cession des participations de ce dernier dans des biens immobiliers à titre d'hy- pothèque subsidiaire; un prêt de $100,000 accordé en 1964 à la Real Estate Investors Corporation, garanti par un billet à ordre et apparemment remboursé intégralement en 1965 tout comme un prêt de $7,500 consenti à Mme B. Feinstein, garanti par hypothèque sur un bien immeuble à la campagne. Il y avait enfin un prêt de $82,500 accordé à la J. T. Stone Cabinet Manufacturing Company Limited non rem- boursé en 1964 et acquitté intégralement en 1967. Le total des prêts non remboursés à la fin de 1964 s'élevait à $305,000 et, comme je l'ai indiqué précédemment, à la fin de 1968, ils avaient été réduits à $116,181 après la défalca- tion de $30,000 à titre de mauvaise créance sur le prêt consenti à Crystal. Sokoloff affirma qu'il s'agissait du seul prêt que la compagnie ait jamais défalqué à titre de mauvaise créance. Tous ces prêts portaient un intérêt variant entre 8i-10%, ce qui représentait un excellent taux à cette époque. Il déclara que la compagnie achète des immeubles et traite souvent avec des agents immobiliers qui lui font diverses propositions sachant que sa compagnie a de l'argent à prêter, mais qu'il exige toujours une bonne garantie, se rend sur les lieux et examine le bien foncier devant servir de garantie soit directement soit par cession d'actions des compagnies possédant le bien foncier, et que c'est précisément ce qu'il fit dans le cas des prêts consentis à Crystal.
Quant à la Mysam Holdings Corporation, à l'origine elle fût apparemment constituée sous la forme d'une compagnie de gestion et son bilan au 31 décembre 1966 indique un actif se com- posant principalement de prêts à recevoir, soit $50,000 (les prêts consentis à Crystal), d'actions dans la Pollock Sokoloff Holdings Corp. éva- luées à $6,505,000 et d'avances d'un montant de $174,873. Au 31 décembre 1967, le prêt à recevoir de $50,000 et les avances de $174,873 consenties à la Pollock Sokoloff Holdings Corp. n'apparaissaient plus dans son bilan, mais il comportait alors des titres négociables d'une valeur à l'achat de $954,081 et une débenture à intérêt conditionnel dans la Canadian Power and Paper Securities Limited d'une valeur de $1,000,000.
Le témoignage de Sokoloff indique clairement qu'il n'avait aucune idée des distinctions à faire en raison de la personnalité juridique distincte de la Pollock Sokoloff Holdings Corp. et de la Mysam Holdings Corporation (ci-après appelées respectivement la «Pollock Sokoloff» et la «Mysam») et qu'il utilisait de façon plus ou moins alternative les compagnies suivant les conseils de ses vérificateurs et de ses avocats en vue de réduire au minimum, dans les limites de la légalité, l'assujettissement des deux compa- gnies à l'impôt québécois sur le capital versé et à l'impôt québécois sur les compagnies. Il exis- tait, dans son esprit, une permutation telle au niveau des compagnies qu'il ne trouvait rien d'exceptionnel dans le fait, par exemple, que la Pollock Sokoloff ait émis le chèque de $10,000 en faveur de Crystal pour le troisième prêt, bien que ce prêt ait été consenti par la Mysam. De la même façon, le relevé d'honoraires que les avo- cats des compagnies ont adressé à la Mysam pour leurs services juridiques sur l'éventuelle faillite de Crystal en 1969 a été réglé par la Pollock Sokoloff, comme l'a affirmé Lipper, un de leurs avocats. Néanmoins, les registres comptables des deux compagnies déposés comme preuve reflètent les différentes transac tions entre les compagnies, et Louis Burstein, C.A., le vérificateur des deux compagnies, four- nit des explications sur ces documents dans son témoignage. C'est lui qui expliqua pourquoi les prêts à Crystal ont été consentis par la Mysam et non par la Pollock Sokoloff. Comme la Mysam s'était lancée dans le domaine de l'in- vestissement commercial, en consentant ce prêt elle pouvait déduire son investissement princi pal dans les actions de la Pollock Sokoloff aux fins du paiement de l'impôt québécois sur le capital des compagnies et Burstein croit avoir averti Sokoloff que, pour ce motif, la Mysam devrait consentir le prêt. Par la suite, en raison de modifications apportées aux lois fiscales du Québec, sur lesquelles il n'y a pas lieu d'insister, il devenait nécessaire, si on voulait considérer la Mysam comme une pure compagnie de place ments, de ne pas faire figurer son prêt à Crystal dans ses investissements, sinon elle aurait perdu le droit d'être considérée comme telle. Il a éga- lement expliqué cette situation à Sokoloff et, en conséquence, au début de 1967, ce prêt fût
transféré de la Mysam à la Pollock Sokoloff et, réciproquement, toutes les obligations de com- pagnies canadiennes détenues par la Pollock Sokoloff furent cédées à la Mysam. Les obliga tions ont été cédées à leur valeur au cours du marché et le prêt, à sa valeur nominale; il n'y eut ainsi aucun transfert d'argent, les transac tions se traduisant simplement par des écritures dans les comptes des différentes compagnies. On a déposé des copies des procès-verbaux des assemblées des administrateurs des deux com- pagnies tenues le 2 janvier 1967, premier jour ouvrable de l'année; elles font foi de la vente et de la cession par la Mysam à la Pollock Soko- loff de sa participation dans les prêts à recevoir de Samuel Crystal, soit $50,000, moyennant le paiement à la Mysam desdits $50,000 par la Pollock Sokoloff. A cette date il n'y avait plus aucun intérêt à percevoir sur le prêt et Burstein affirma qu'on n'avait constitué aucune réserve, car lui-même et Sokoloff estimaient que le capi tal du prêt était intégralement recouvrable. Crystal confirma qu'on l'avait informé orale- ment de ce transfert en temps utile et qu'il n'y avait formulé aucune objection. Lorsqu'en jan- vier 1967 un paiement des intérêts devint exigi- ble, il lui fut impossible de l'acquitter à ce moment mais, comme agent immobilier, il avait plusieurs affaires importantes en cours qui, selon ses prévisions, devaient lui rapporter: un revenu considérable et qui, malheureusement, ont échoué. Lui-même et son frère, son associé dans les affaires, avaient avancé des sommes considérables en 1964, 1965 et 1966 à la Fanpal, la Riva et la Delco, leurs compagnies propriétaires de terrains. Bien qu'il se soit agi d'un terrain vague, l'autoroute de la rive nord l'avait traversé et, à cette fin, on en avait expro- prié une partie, de sorte qu'il considérait avec optimisme que cela attirerait des promoteurs immobiliers. Cependant, il se produisit une grave récession dans les ventes immobilières au Québec après Expo 1967 et, en dépit de tous les efforts, ils n'ont pu réaliser de ventes et se sont endettés de plus en plus. L'échéance du rem- boursement en capital de ses prêts de la Mysam était dépassée depuis quelque temps mais il en avait discuté avec Sokoloff et ce dernier avait toujours consenti à la proroger pourvu que les intérêts soient payés, ce qu'il était en mesure de
faire jusqu'au remboursement d'août 1966. En juin 1969, l'état de ses finances était si bas qu'on avait débranché son téléphone et que, finalement, il fit une cession en faillite le 29 août 1969 et son frère, qui avait aussi garanti les prêts, fit une cession analogue une semaine plus tard.
Sokoloff demanda alors à ses avocats de prendre les dispositions nécessaires pour procé- der à la saisie-exécution des actions de la Fanpal Realties Inc., de la Riva Realty Inc. et de la Delco Realty Inc. cédées en garantie des prêts, mais il omit de leur dire qu'on avait effectué un transfert des prêts de la Mysam à la Pollock Sokoloff. L'avocat Lipper, agissant sim- plement en fonction des renseignements incom- plets contenus dans ses dossiers figuraient les deux contrats de prêts de la Mysam à Crys tal totalisant $40,000, présenta une requête en faillite au nom de la Mysam visant à faire vendre aux enchères publiques les actions dépo- sées en nantissement en se fondant sur les deux premiers prêts pour lesquels elles avaient été données en garantie; l'autorisation fut dûment accordée par un jugement en date du 20 novem- bre 1969. La saisie est intervenue le 30 décem- bre 1969 et la vente a eu lieu le 9 février 1970; la Mysam se porta acquéreur des actions pour $1 dans chaque cas. Comme ces compagnies immobilières existent encore, les actions peu- vent éventuellement avoir une valeur suffisante pour permettre à la Mysam de recouvrer le montant des pertes, mais ce point est étranger au présent litige. Il n'est pas non plus vraiment nécessaire de faire remarquer que le prix de $1 n'indique pas que les actions n'avaient aucune valeur à la date de la vente, mais simplement que tout autre acheteur intéressé savait que la Mysam en aurait offert un prix assez élevé pour couvrir son prêt, les arrérages d'intérêt ainsi que les frais de la vente et qu'elle n'était pas dispo sée à payer ce prix pour les obtenir.
Bien que Sokoloff ait signé l'affidavit accom- pagnant la requête visant à faire vendre les actions déposées en nantissement, je suis con- vaincu qu'il n'avait aucune idée de l'importance du fait que la requête était présentée par la Mysam quoiqu'elle eût déjà transféré les prêts à
la Pollock Sokoloff; apparemment, il avait sim- plement signé le document qui lui était présenté.
De toute évidence, la Pollock Sokoloff s'est considérée et a agi comme créancière des prêts que Crystal devait rembourser après leur trans- fert consenti par la Mysam le 2 janvier 1967. Dans une annexe jointe à l'état financier de la Pollock Sokoloff pour l'année se terminant le 31 décembre 1968 figure une note indiquant les intérêts dus par Crystal, à savoir $2,083 en 1966, $5,000 en 1967, $5,000 en 1968 et un vieil intérêt de $124.98, soit un total de $12,207.98. Il est également indiqué qu'une partie de ces arrérages, soit $7,207.98, était déjà accumulée au 31 décembre 1967 et que ce mon- tant a été défalqué des intérêts gagnés en 1968. Burstein expliqua dans son témoignage que la somme de $2,083 représentait l'intérêt accu- mulé à compter de la date du paiement des intérêts en août 1966 jusqu'au 31 décembre 1966. Par la suite, l'intérêt serait de $5,000 par an au taux de 10% 2 . La somme de $7,207.98 défalquée en 1968 a été inscrite à l'actif et on a payé l'impôt sur le revenu sur cette somme en 1967 puisqu'on ne l'a pas considérée comme une mauvaise créance avant 1968. Ceci ne semble pas être une pratique comptable dérai- sonnable ou incorrecte car il n'était nullement certain en 1967 qu'on pourrait recouvrer la créance et, si cette année-là on avait constitué une réserve pour l'intérêt ou le capital de la dette à titre de mauvaise créance, elle - aurait bien pu faire l'objet d'un refus. Une note de service jointe aux états financiers de la Pollock Sokoloff au 31 décembre 1969 indique, sous la rubrique «autres investissements», 171 actions ordinaires de la Delco Realty Inc. 3 , 25 actions ordinaires de la Riva Realty Inc. et 15 actions ordinaires de la Fanpal Realties Inc., d'une valeur de $1 chacune.
z Les contrats de prêts relatifs aux deux premiers prêts stipulent un intérêt de 12%. Il est possible que, lorsque le délai imparti pour le remboursement fut prorogé oralement, les intérêts furent également réduits à 10%, ce qui, de toute façon, représente le montant réclamé.
3 Seules 15 actions de cette compagnie ont été déposées en nantissement par Crystal dans le contrat de prêt passé avec la Mysam et seulement 15 actions ont été saisies et vendues par huissier, de sorte que la référence aux 174 actions peut constituer une erreur.
En outre, dans une autre annexe de l'état financier de la Pollock Sokoloff au 31 décembre 1969 nous découvrons, en plus des actions dans ces trois compagnies d'une valeur de $1 cha- cune, qu'on a consenti des avances de $248 à la Riva Realty Inc., de $248 à la Delco Realty Inc. et de $1 à la Fanpal Realties Inc. ce qui, avec les trois paiements de $1 pour les actions, repré- sente un montant total de $500 payé à H. Blauer en fiducie, avec la mention «pour inscrire l'ac- quisition de l'actif ci-dessus à la vente par huis- sier par l'intermédiaire de H. Blauer». La Pol- lock Sokoloff a émis un chèque de ce montant à Blauer le 9 octobre 1969 et les éléments de preuve y afférents ont indiqué que ces compa- gnies avaient certaines obligations fiscales et qu'une partie de ces obligations, proportionnelle aux actions détenues, devait faire l'objet d'une avance. Bien qu'il semble extraordinaire que cette avance ait été consentie en octobre et que les transactions aient figuré dans l'état financier de la compagnie au 31 décembre 1969, alors qu'on n'a acquis la propriété de ces actions que le 9 février 1970 lors de la vente par huissier (et c'est la Mysam qui s'en porta alors acquéreur), il n'existe certainement rien, en dépit de ces irrégularités apparentes, qui indique que la Pol- lock Sokoloff, à toutes les époques postérieures à l'acquisition de ces prêts de la Mysam, le 2 janvier 1967, ne les a pas fait figurer dans sa comptabilité comme étant des prêts qui lui étaient dus et ne les a pas traités comme tels. Je ne peux voir comment les procédures erronées introduites par la Mysam en 1969 aux fins de procéder à la saisie-exécution de la garantie fournie, alors que c'était la Pollock Sokoloff qui aurait le faire, ni comment l'achat des actions à la vente par huissier effectué par la Mysam et non par la Pollock Sokoloff peuvent affecter d'une quelconque façon la validité du transfert des prêts de la Mysam à la Pollock Sokoloff en 1967. A l'époque de la faillite de la Crystal, le prêt lui-même était nettement non pas à la Mysam mais à la Pollock Sokoloff et il fut liquidé par la faillite. La question de savoir si les actions des compagnies immobilières déposées en nantissement à titre de garantie ont été mises en vente par la Mysam de façon irrégulière et si cette dernière les a par conséquent achetées de façon irrégulière, ainsi que la question de savoir
si la Pollock Sokoloff avait le droit de se consi- dérer comme propriétaire de ces actions dans son état financier de 1969, pourraient créer des ennuis à la demanderesse seulement lorsque ces actions prendront une certaine valeur et seule- ment si elles prennent une certaine valeur dans l'avenir, mais cela ne concerne aucunement la défalcation d'une partie de ces prêts à titre de mauvaise créance dans la déclaration d'impôt de la défenderesse pour 1968, ce qui fait l'objet d'un litige en l'espèce.
La demanderesse invoque les articles 1570 et 1571 du Code civil du Québec qui dispose comme suit:
1570. La vente des créances et droits d'action contre des tiers est parfaite entre le vendeur et l'acheteur par l'exécu- tion du titre, s'il est authentique, ou sa délivrance, s'il est sous seing privé.
1571. L'acheteur n'a pas de possession utile à l'encontre des tiers, tant que l'acte de vente n'a pas été signifié et qu'il n'en a pas été délivré copie au débiteur; il peut cependant être mis en possession par l'acceptation du transport que fait le débiteur; sauf les dispositions contenues en l'article 2127.
et déclare qu'il n'y a eu aucun transfert régulier des prêts de la Mysam à la Pollock Sokoloff de nature à affecter la demanderesse qui fait valoir qu'elle est un tiers au sens de ces articles. Il s'agit d'une tentative pour déformer le sens de ces articles et les appliquer à une situation pour laquelle ils n'ont jamais été prévus. Bien qu'il n'y ait pas eu de contrat de vente réel entre la Mysam et la Pollock Sokoloff, les deux compa- gnies ont approuvé la vente par voie de résolu- tions et bien que, faute de contrat de vente en bonne et due forme, aucune copie n'en ait été délivrée au débiteur Crystal, celui-ci a reconnu avoir été informé oralement du transfert et l'avoir accepté. Il lui importait peu que les paie- ments futurs soient effectués à la Pollock ou à la Mysam. Ces articles concernent les droits à la possession de créances vendues et affectent les revendications des parties elles-mêmes, y com- pris les tiers directement affectés par la vente, mais, à coup sûr, le ministre du Revenu national n'a pas le droit d'intervenir et de chercher à annuler cette vente pour vice de forme, lorsque toutes les parties directement concernées ont reconnu qu'elle a eu lieu et que le débiteur en était informé et qu'il l'a acceptée, simplement parce qu'il serait plus avantageux pour le minis-
tère du Revenu national, du point de vue fiscal, que cette vente n'ait pas eu lieu. Ni les plaidoi- ries ni les arguments en l'espèce ne font valoir que la vente était frauduleuse ou a été effectuée aux fins d'éviter l'impôt fédéral sur le revenu. Une explication acceptable a été fournie pour justifier cette vente et la réduction d'impôt qui en est résultée entrait dans le cadre d'une impo sition provinciale et ne concernait pas la demanderesse.
La demanderesse a prétendu que ces prêts n'ont pas été consentis dans le cadre ordinaire des activités de la défenderesse et que les prêts d'argent ne font pas partie de ses activités habi- tuelles et, par l'intermédiaire d'un témoin, Henri Vernneau, comptable agréé au service du minis- tre du Revenu national, elle a analysé le bilan de la défenderesse au 31 décembre 1968 lequel indiquait que les hypothèques et les effets à recevoir ne représentaient que $116,211 sur un actif total de $15,288,000, c'est-à-dire une pro portion de .8% . De son côté, la défenderesse a fait valoir que ses dépôts en banque à court terme constituent une forme de prêt à la banque et que ses investissements sous forme d'obliga- tions équivalent à des prêts consentis aux gou- vernements et aux compagnies qui les ont émises et qu'en outre, quoique ses prêts consen- tis aux promoteurs immobiliers et autres, dont nous avons souligné les particularités précédem- ment, n'aient peut-être représenté qu'une faible proportion du total de ses activités dans le domaine immobilier, une partie de ses activités ordinaires consistait néanmoins à prêter de l'ar- gent au sens de l'article 11(1)e) et 11(1)O de la Loi dont voici les passages pertinents:
11. (1) Par dérogation aux alinéas a), b) et h) du paragra- phe (1) de l'article 12, les montants suivants peuvent être déduits dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition:
e) un montant raisonnable à titre de réserve pour
(i) les créances douteuses qui ont été incluses dans le calcul du revenu du contribuable pour cette année ou une année antérieure, et
(ii) les créances douteuses résultant de prêts consentis dans le cours ordinaire des affaires par un contribuable, dont l'entreprise ordinaire consistait en partie à prêter de l'argent;
j le montant total des créances du contribuable,
(i) dont il a prouvé qu'elles sont devenues de mauvaises créances dans l'année, et
(ii) qui (sauf dans le cas de créances résultant de prêts consentis dans le cours ordinaire des affaires par un contribuable, dont l'entreprise ordinaire consistait en partie à prêter de l'argent) ont été incluses dans le calcul de son revenu pour cette année ou pour une année antérieure;
Il n'est pas nécessaire que le nombre ou le montant des prêts consentis par une compagnie constitue une partie importante de l'ensemble de ses activités commerciales pour lui permettre d'affirmer que les prêts d'argent font partie de Ses activités; la Loi n'envisage aucune propor tion et on ne peut accepter l'argument de la demanderesse fondé sur la proportion relative- ment faible de l'actif de la défenderesse consa- cré à des prêts directs (excluant les dépôts ban- caires à terme et les investissements en obligations).
La demanderesse a cité une jurisprudence abondante mais la plupart des arrêts traitent de situations quelque peu différentes ou ne sont pas directement en rapport avec l'espèce. Les arrêts portant sur le point de savoir si une partie à l'instance est un prêteur de deniers au sens de la British Money Lenders Act 4 , comme les arrêts Litchfield c. Dreyfus 5 et Newton c. Pyke 6 ne sont guère pertinents puisqu'il ne s'agit pas ici de déterminer si la défenderesse exerçait une activité de prêteur d'argent et devait à ce titre détenir une licence, mais simplement si une partie de son activité consistait à prêter de l'ar- gent. Dans l'arrêt Orhan c. M.R.N. 7 , affaire relevant de la Commission d'appel de l'impôt, on a étudié ces jugements et déclaré que pour être un prêteur de deniers il fallait un certain degré d'organisation et de continuité au niveau des transactions. Dans cette affaire, l'appelant n'avait consenti que trois prêts et, étant donné que seules quelques personnes qu'il connaissait étaient au courant de ses disponibilités financiè- res et qu'il ne s'était jamais fait connaître ou qu'il n'était inscrit nulle part comme prêteur de
4 63-64 Vict., c. 51, art. 6.
5 [1906] 1 K.B.D. 584.
6 (1908-09) 25 T.L.R. 127.
7 54 DTC 148.
deniers, on a conclu que les pertes subies sur deux de ses trois prêts constituaient une perte en capital. Dans un arrêt plus récent, Valutrend Management Services Limited c. M.R.N. 8 , le même membre de la Commission, R.S.W. Ford- ham, c.r., a apporté une distinction à propos de la décision en déclarant à la page 2173:
Même si l'appelante ne pouvait affirmer qu'elle était un prêteur de deniers au sens restreint indiqué dans Orban c. M.R.N. (précitée), il n'en reste pas moins qu'elle était un prêteur de deniers, mais sur une bien plus grande échelle, puisqu'il s'agissait de sommes importantes et qu'elle ne consentait que des prêts qu'on peut qualifier de commer- ciaux. J'estime donc que ces prêts, objet du présent litige, ont été faits dans le cours normal des activités de l'appelante et que, dans les cas d'échec et de non-recouvrement, ils pouvaient être repris dans la catégorie des créances douteu- ses pour lesquelles il y avait eu lieu de constituer une réserve raisonnable.
Deux autres affaires qu'on m'a citées ont été tranchées sur le fondement de l'article 139(1)e) de la Loi et ne traitent pas de l'article 11(1)e) ou 11(1),O; il s'agissait alors de déterminer si des prêts consentis par un individu constituaient, dans les circonstances qui les ont entourés, une initiative de nature commerciale ou s'ils repré- sentaient des investissements. Dans la première de ces affaires l'arrêt Wood c. M.R.N. 9 un avocat, dont le cabinet témoignait lui-même d'une pratique hypothécaire importante, s'est porté personnellement acquéreur de 13 hypo- thèques en 8 ans. Pour l'une d'entre elles, l'ap- pelant bénéficia d'un rabais se chiffrant à $700 que la Cour suprême considéra comme un gain en capital dans la mesure le cadre de ses activités hypothécaires était compatible avec ses investissements personnels et non avec l'ex- ploitation d'une entreprise. La demanderesse a surtout cité cet arrêt en raison de la déclaration suivante du juge Abbott dans le prononcé du jugement à la page 334:
[TRADUCTION] Les acquisitions de l'appelant ne présentaient pas un caractère spéculatif et, selon son témoignage, elles ont été faites après avoir inspecté chaque bien et conclu que chaque hypothèque constituait pour lui un investissement sûr.
8 [ 1972] C.T.C. 2170.
9 [1969] R.C.S. 330.
Dans cette affaire, on ne contestait pas qu'une partie des activités ordinaires de l'appelant con- sistait à prêter de l'argent, contrairement à la présente affaire j'ai conclu qu'une partie des activités ordinaires de la Pollock Sokoloff con- sistait à prêter de l'argent et le fait que Sokoloff ait soigneusement examiné les biens des compagnies foncières dont les actions étaient apportées en garantie pour les prêts en cause et que, selon son témoignage, il procédait toujours ainsi, relativement à tous les prêts con- sentis, de même que le fait qu'il ne les ait pas considérés comme étant de nature spéculative, indiquent simplement qu'il était un homme d'af- faires prudent et n'ont pas pour effet de conver- tir des prêts consentis dans le cadre des activi- tés ordinaires de sa compagnie en des transactions d'investissement. Le même com- mentaire s'applique à l'arrêt M.R.N. c. Maclnn es 10 le juge Thurlow a déclaré, .quoi- que le contribuable ait acheté au rabais quelque 309 hypothèques que des agents immobiliers lui avaient offertes sans aucune sollicitation de, sa part et qu'il les ait détenues jusqu'à leur rem- boursement soit avant soit au moment de leur échéance, que ces rabais n'en constituaient pas moins des gains en capital provenant de la hausse de la valeur liée à la réalisation d'inves- tissements. La Cour suprême" infirma ce juge- ment en déclarant que le contribuable exerçait une activité à caractère hautement spéculatif consistant à acheter des hypothèques au rabais et à les détenir jusqu'à échéance afin de réaliser le maximum de profit sur la transaction. Il est assez significatif dans la présente affaire de remarquer que les prêts consentis portaient des intérêts nettement plus élevés que ceux en vigueur à cette époque, ce qui fournit une cer- taine indication sur le caractère spéculatif des prêts, en dépit du fait qu'aucun rabais n'était en jeu.
Le problème le plus épineux en l'espèce pro- vient du fait que les prêts, à l'origine, n'ont pas été consentis par la défenderesse mais plutôt par la Mysam puis ont été transférés à la défen- deresse à leur pleine valeur comptable en 1967. La demanderesse prétend qu'on ne peut affir- mer qu'une partie des activités ordinaires de la
10 [1962] R.C.É. 385. i 1 [1963] R.C.S. 299.
Mysam consistait à prêter de l'argent puisque ces trois prêts sont les seuls qu'elle a consentis. C'est peut-être exact, mais la Cour n'est pas saisie de l'imposition de la Mysam et ce n'est pas la Mysam qui a défalqué des prêts la somme de $30,000 titre de mauvaise créance en 1968. Puisque j'ai conclu qu'une partie des activités ordinaires de la défenderesse, la Pollock Soko- loff, consistait à prêter de l'argent et que préci- sément ce prêt devint une mauvaise créance en 1968 lorsqu'une partie en a été défalquée, ce que la faillite du débiteur en 1969 a amplement confirmé, il n'y aurait eu aucun problème si le prêt en cause avait été consenti à l'origine par la Pollock Sokoloff elle-même. Puisque les termes de l'article 11(1)f) visent toutefois les «créances résultant de prêts consentis dans le cours ordi- naire des affaires par un contribuable» il faut se demander si le cessionnaire peut défalquer des prêts qui n'ont pas été effectivement consentis par le contribuable lui-même mais acquis d'un autre contribuable par voie de transfert. Dans une décision de la Commission d'appel de l'im- pôt, l'arrêt Sun Securities Limited c. M.R.N. 12 , la compagnie appelante cherchait à constituer une réserve en vertu de l'article 11(1)e) pour une mauvaise créance qu'elle avait acquise par voie de transfert d'un de ses actionnaires mino- ritaires qui avait consenti les prêts; on a jugé que cela n'était pas possible en raison des termes mêmes de l'article 11(1)e) de la Loi. On relève dans la décision à la page 822:
[TRADUCTION] A la lecture de cet article, il appert indubi- tablement que la réserve doit être constituée par la personne qui a consenti les prêts. Dans le présent appel, les faits n'indiquent pas qu'il en a été ainsi. Les prêts ont été consentis par Lawrence E. Swinburne tandis que la réserve a été constituée par la Sun Securities Limited. En outre, les prêts en cause n'ont pas été consentis par l'appelante dans le cours ordinaire de ses affaires, en tant que prêteur de deniers. Au contraire, ils ont été consentis par un certain Lawrence E. Swinburne personnellement sans qu'il prenne les précautions habituelles qu'on attend d'un homme d'affai- res qui prête de l'argent.
Bien que cette affaire ait porté sur la constitu tion d'une réserve pour une créance douteuse en vertu de l'article 11(1)e) et non sur la défalca- tion d'une mauvaise créance en vertu de l'article 11(1)f), l'expression «prêts consentis dans le cours ordinaire des affaires par un contribua-
12 64 DTC 821.
ble» figure dans les deux articles et, si on devait suivre ce jugement, l'appel de la demanderesse serait accueilli. Je crois, toutefois, que nous devons examiner les circonstances dans lesquel- les les prêts ont été consentis en l'espèce. Les contrats de prêts ont été conclus après une enquête de Sokoloff qui, habituellement, agis- sait à la fois au nom de la Mysam et de la Pollock Sokoloff. Ils ont été consentis au nom de la Mysam de préférence à la Pollock Soko- loff en raison de la législation fiscale du Québec. Le chèque en faveur de Crystal repré- sentant le produit du troisième prêt, soit $10,000, était de fait un chèque émis par la Pollock Sokoloff 13 . Dire qu'une compagnie, dont une partie des activités ordinaires consiste à prêter de l'argent, ne peut également acquérir par transfert des prêts consentis par une autre compagnie, ou dire que, dans cette éventualité, il faut établir une distinction entre des mauvai- ses créances découlant de prêts qu'elle a con- sentis elle-même et qui peuvent être défalqués et des prêts qu'elle a acquis par transfert à leur pleine valeur nominale, dire enfin que ces der- niers prêts ne peuvent faire l'objet d'une défal- cation, même s'ils deviennent de mauvaises créances, tout cela me semble constituer une distinction déraisonnable et susceptible de porter grandement atteinte aux opérations com- merciales normales des compagnies dont l'acti- vité ou une partie des activités consiste à prêter de l'argent. On n'a sûrement pas pu vouloir que des prêts acquis à leur pleine valeur nominale, à un moment ils ne comportent pas d'arrérages et paraissent bien garantis, ne puissent jamais être défalqués par le cessionnaire à titre de mauvaises créances en vertu de l'article 11(1)f), ni vouloir qu'une réserve ne puisse être consti- tuée à leur égard en tant que créance douteuse en vertu de l'article 11(1)e) à la suite de cette acquisition. De plus, les intérêts sur ces prêts ont figuré dans la comptabilité de la Pollock Sokoloff en 1967, bien qu'ils n'aient pas été perçus et qu'ils aient fait l'objet d'une imposi tion, aucune réserve n'étant accordée à leur égard en tant que créance douteuse, et ce n'est qu'en 1968 qu'il se produisit un changement et
13 Aucune preuve ne permet d'établir quelle compagnie a émis les chèques pour les deux premiers prêts.
que ces intérêts non recouvrables furent défal- qués sur les intérêts perçus en 1968.
Une autre affaire qu'on ne m'a pas citée, à savoir l'arrêt Western Wood Products Limited c. M.R.N. 14 , pourrait, à première vue, apporter une contribution à la théorie de la demanderesse mais, après une lecture plus attentive, il est clair que cet arrêt a été tranché sur un autre point. Dans cette affaire, le contribuable a constitué une réserve pour une mauvaise créance acquise d'une filiale qui avait financé une troisième compagnie également contrôlée par le contri- buable à condition que toutes pertes en résultant soient supportées par le contribuable lui-même. On a jugé qu'en l'absence de pièces justificati- ves, on ne pouvait considérer le contribuable comme un créancier de la compagnie qui avait emprunté et dont la dette envers le prêteur découlait d'une transaction étrangère au contri- buable, et que ce dernier se trouvait par consé- quent exclu du champ de l'exception facultative visée à l'article 11(1)e)(1) de la Loi. Une lecture du jugement révèle toutefois qu'il se fondait sur l'article 137(1) de la Loi pour déclarer qu'on tentait de réduire «indûment ou de façon fac- tice» le revenu de l'appelant. Le jugement fait aussi allusion, à la p. 388, «l'absence de trans- fert ou de garantie». Rien ne laisse à penser d'une façon ou d'une autre dans la présente affaire, comme je l'ai déjà indiqué, qu'il y a eu des manoeuvres frauduleuses ou qu'on a effec- tué le transfert avec l'intention d'essayer de réduire indûment ou de façon factice le revenu de la défenderesse Pollock Sokoloff.
Par conséquent, je conclus que le montant de $30,000 a été à bon droit défalqué à titre d'une mauvaise créance de la défenderesse en 1968 et je rejette l'appel de la demanderesse interjeté contre la décision de la Commission de révision de l'impôt avec dépens, et défère la cotisation d'impôt sur le revenu de la défenderesse pour l'année 1968 au Ministre qui établira une nou- velle cotisation conforme au présent jugement.
14 [1963] R.C.É. 380.
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