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A-110-72
Les navires Kathy K (connu également sous le nom de Storm Point) et S.N. 1, Egmont
Towing & Sporting Ltd., Leonard David Helsing et James Iverson (Appelants) (Défendeurs)
c.
Marjorie Hexter Stein, en son nom ainsi qu'en qualité de veuve de feu Charles Simenon Stein et de co-exécutrice de la succession de ce dernier, Maurice Schwarz et William I. Stein, co-exécu- teurs de ladite succession (Intimés) (Demandeurs)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges Thurlow et Pratte—Vancouver, les 6-10, 13 et 17 mai 1974.
Accident maritime—Abordage entre un voilier et une péni- che tirée par un remorqueur—Partage de la responsabilité— Seul le voilier est responsable—Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, c. S-9, art. 635 et Règles 20-24, 26-29 des Règles sur les abordages, art. 638, 639, 647, et suiv., 718-726—Loi sur le Conseil des ports nationaux, S.R.C. 1970, c. N-8, art. 14 et Règlements, art. 25(1), 35(1) et 37(1).
Le remorqueur Kathy K, dont l'appelant (défendeur) Hel - sing était le capitaine et l'appelant (défendeur) Iverson mate- lot de pont, touait la péniche sans équipage, S.N. No 1, dans la baie English, dans le port de Vancouver, lorsque survint un abordage entre la péniche et un voilier sur lequel se trouvaient Charles Simenon Stein et son fils âgé de 16 ans. Le père fut tué dans l'accident. Les exécuteurs testamentai- res de feu Stein intentèrent une action en dommages-intérêts contre les appelants (défendeurs), au nom de l'épouse et des enfants du défunt, en vertu de la Partie XIX de la Loi sur la marine marchande du Canada. Le juge de première instance attribua 75% de la responsabilité au remorqueur des défen- deurs et 25% au voilier du défunt. Les défendeurs ont interjeté appel.
Arrêt (le juge Thurlow dissident): l'appel est accueilli. L'abordage n'est imputable qu'à la négligence du défunt et de son fils dans la manoeuvre du voilier et l'action aurait être rejetée. Même si l'on pouvait appliquer les Règles 20a) et 21 des Règles sur les abordages, selon lesquelles le voilier avait priorité sur le navire à propulsion mécanique, ces règles ne permettent pas de déterminer la question de la responsabilité civile. Ni le remorqueur ni le voilier ne navi- guait en conformité des règles. En outre, la règle de priorité est inapplicable puisqu'en vertu de la Règle 27, elle dépend des circonstances. En l'espèce, un voilier de 16 pi., très maniable, effectuerait une manoeuvre incorrecte s'il obligeait un bâtiment commercial, volumineux et difficile à manoeu- vrer (comme un remorqueur tirant une péniche), à se mettre dans une situation telle qu'il serait tenu de «s'écarter de la route» du voilier de la manière prévue aux Règles 20a) et 21. Une fois la confusion résultant de la prise en considéra- tion de la Règle 20a) éliminée, on peut conclure que l'abor-
dage résulte du fait que les personnes se trouvant à bord du voilier ont totalement négligé de surveiller leur route. La Règle 29 prévoit que rien dans les règles ne doit exonérer un navire «des conséquences d'une négligence ... dans la mise en œuvre d'une veille appropriée.
Vu la conclusion, selon laquelle l'abordage est totalement imputable au défunt, il est inutile de trancher la question de savoir si, en se fondant sur la négligence contributive, on pouvait répartir la responsabilité en vertu de l'article 638 de la Loi sur la marine marchande du Canada invoqué par les parties, ou si, au contraire, cet article ne s'appliquait pas à une réclamation résultant d'un décès, aux termes de l'article 639(2).
Le juge Thurlow (dissident): Il conviendrait de confirmer la conclusion du juge de première instance selon laquelle une des causes de l'abordage est imputable aux personnes se trouvant à bord du voilier, car elles ont omis de mettre en ouvre une veille appropriée et de faire à temps les manoeu vres nécessaires pour éviter un abordage avec le remorqueur et la péniche. Les personnes pilotant le remorqueur et la péniche ont également commis des fautes qui ont contribué à l'abordage. En laissant filer une trop grande longueur de câble de remorque et en avançant à trop grande vitesse, le défendeur Helsing s'est mis dans l'impossibilité de rester maître de la péniche ou de l'arrêter complètement sur une distance raisonnable de sorte que, lorsqu'est apparu le risque d'abordage, il n'a pu prendre les mesures nécessaires pour l'éviter. Il faudrait donc modifier la répartition de la responsabilité établie par le juge de première instance en attribuant 50% de la responsabilité au voilier et 50% au remorqueur.
Arrêts examinés: H.M.S. Sans Pareil [1900] P. 267; Le Lionel c. Manchester Merchant [1970] R.C.S. 538; SS. Cape Breton c. Richelieu and Ontario Navigation Co. (1905) 36 R.C.S. 564; S.S. Devonshire (Owners) c. Barge Leslie (Owners) [1912] A.C. 634; Sparrows Point c. Greater Vancouver Water District [1951] R.C.S. 396; Algoma Central & Hudson Bay Ry. Co. c. Manitoba Pool Elevators Ltd. [1964] R.C.É. 505.
APPEL. AVOCATS:
D. B. Smith et W. Esson pour les appelants. J. R. Cunningham pour les intimés.
PROCUREURS:
Bull, Housser & Tupper, Vancouver, pour les appelants.
Macrae, Montgomery, Spring & Cunning- ham, Vancouver, pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Appel est inter- jeté d'un jugement de la Division de première
instance décidant que la péniche S.N. No 1, appelante, et le remorqueur Kathy K, appelant, étaient responsables à 75% du décès de Charles Simmon Stein à la suite d'un abordage, dans le port de Vancouver, entre la péniche et un voilier manoeuvré par Stein et son fils âgé de seize ans.
La Division de première instance (siégeant en amirauté en vertu des dispositions relatives aux accidents mortels de la Loi sur la marine mar- chande du Canada (Partie XIX) et une demande reconventionnelle afin de limiter la responsabi- lité en vertu des articles 647 et suivants de la Loi) décida non seulement que le remorqueur et la péniche étaient responsables de l'abordage 75% et le voilier à 25%, mais aussi que:
a) le propriétaire et l'exploitant du remor- queur et de la péniche n'étaient pas autorisés à limiter leur responsabilité, et que
b) le défendeur Helsing, qui pilotait le remor- queur, pouvait limiter sa responsabilité en se fondant sur une jauge de 600 tonneaux,
et renvoya la question du montant des domma- ges-intérêts à un arbitre.'
L'appel conteste la conclusion fixant les res- ponsabilités dans l'abordage, la conclusion que le propriétaire et l'exploitant ne pouvaient limi- ter leur responsabilité et la conclusion que le
Le passage suivant des motifs prononcés par le savant juge de première instance [[1972] C.F. 585], explique la forme de ce jugement la page 586]:
Les avocats de toutes les parties ont accepté à l'instruc- tion de limiter la preuve aux questions portant sur (1) la responsabilité de l'abordage et (2) le point de savoir si les défendeurs ont le droit de limiter leur responsabilité en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada. Les avocats sont également convenus de reporter à une audience ultérieure (1) la question de l'évaluation des dommages-intérêts auxquels les demandeurs ont droit et, s'il est rendu une décision limitant la responsabilité, (2) celle de la détermination de la valeur équivalente en monnaie canadienne du «franc or» défini dans la Loi sur la marine marchande du Canada.
Il faut donc présumer que d'autres faits, comme par exem- ple le fait que le décès de Stein -résulte de l'abordage, n'étaient pas en litige au moment du procès. Le fondement de la responsabilité du propriétaire du remorqueur et de la péniche n'est pas manifeste, mais ce point n'est aucunement en litige en appel et il ne le fut apparemment pas en première instance.
défendeur Helsing pouvait limiter sa responsabi- lité en se fondant sur une jauge de 600 tonneaux au lieu de 300 tonneaux?
Au cours des débats portant sur la question de savoir si la responsabilité avait été correcte- ment répartie, on se reporta à l'article 638 de la Loi sur la marine marchande du Canada sur lequel les deux parties s'appuient à cet égard, ce qui révéla que cette disposition ne s'applique pas à une réclamation résultant d'un décès; cette catégorie de réclamations est apparem- ment régie par l'article 639, dont le paragraphe (2) semble maintenir les moyens de défense valables dans les autres cas. On a mentionné, sans les approfondir, certains arrêts tels que S.S. Devonshire (Owners) c. Barge Leslie (Owners), 3 Sparrows Point c. Greatèr Vancouver Water District' et Algoma Central & Hudson Bay Ry. Co. c. Manitoba Pool Elevators Ltd. 5 . Ces arrêts soulèvent la possibilité que le juge de première instance, après avoir conclu en l'es- pèce sur la question de la faute, aurait rejeter l'action en se fondant sur la négligence contribu- tive du défunt. 6 A mon avis, cependant, comme je l'ai indiqué aux avocats à la fin des débats, si nos conclusions sur les questions discutées ren- dent nécessaires une décision sur ce point, les parties devraient avoir l'occasion de présenter leurs prétentions par écrit à cet égard.
2 La Cour fit savoir à la fin des plaidoiries des appelants qu'elle ne demanderait pas à l'avocat des intimés de présen- ter sa plaidoirie sur le troisième point.
3 [1912] A.C. 634.
[1951] R.C.S. 396, rendu par le juge Rand, à la p. 411.
5 [1964] R.C.É. 505, rendu par le juge suppléant Wells, aux pp. 518-19.
6 Comparer avec l'article 719 de la Loi sur la marine marchande du Canada, qui confère le droit d'intenter une action par suite d'un décès, «contre les mêmes défendeurs à l'égard desquels le défunt aurait eu droit de soutenir une action devant la Cour d'amirauté. On pourrait s'arrêter aux motifs prononcés par lord Atkinson dans l'affaire S.S. Devonshire, il déclare aux pp. 650 et 651:
[TRADucnox] La controverse entre les parties porte sur le point de savoir comment traiter ces cas particuliers et quelle conclusion il convient d'en tirer. L'avocat des appelants soutient qu'il ne s'agit que d'applications d'un ancien principe général d'amirauté, différant totalement du principe applicable en common law, selon lequel les coauteurs d'un délit civil sont tenus de le réparer et que la réparation de chacun est fonction de son degré de culpabi- lité dans la faute commune; que, pour plus de commodité, les dommages-intérêts ont été divisés en parts égales, mais que le principe susmentionné est la véritable origine de la
Je vais examiner maintenant les questions plaidées.
Il faut déterminer d'abord si l'abordage sur- venu le 27 juin 1970, entre la péniche de l'appe- lant, mesurant 30 pi. par 80 pi., et le voilier de Stein, mesurant 16 1 pi. de long, résulte de la faute du capitaine du remorqueur de l'appelant, mesurant 15 pi. par 49 pi., ou de celle des personnes manoeuvrant le voilier ou bien de leur faute commune.
Toute tentative de retracer ou déterminer avec précision les trajets et vitesses respectifs du remorqueur (tirant la péniche) et du voilier, l'un par rapport à l'autre, et de déterminer avec précision les manoeuvres à bord des navires respectifs à certains moments donnés, est vouée à l'échec compte tenu de l'état de la preuve. Je vais donc me limiter à exposer dans les grandes lignes ce qui est arrivé, vu ce que j'ai pu déduire en me fondant sur la prépondérance des proba- bilités. Lorsque je mentionnerai une vitesse donnée ou autre élément chiffré, ce chiffre sera celui généralement utilisé dans la preuve, et, dans mes conclusions je tiendrai compte du fait qu'il s'agit au mieux d'approximations très grossières.
Immédiatement avant les manoeuvres qui ont causé l'abordage, le remorqueur et la péniche sont entrés dans la baie English en provenance de False Creek, la péniche étant à ce moment attachée au remorqueur au plus près; on a alors laissé filer le câble de remorque sur une lon- gueur de 150 pi. et augmenté leur vitesse jus-
limitation des dommages-intérêts telle qu'elle est prati- quée. Par contre, l'avocat des intimés soutient que ces exemples ne sont que des exceptions à la règle ou au principe de droit commun aux tribunaux de common law et d'amirauté, selon lequel les coauteurs d'un délit civil sont solidaires, chacun étant responsable de l'ensemble des dommages subis par une personne innocente et résul- tant de leur faute commune.
et à la page 657:
[TRADUCTION] ... J'estime que les intimés ont raison d'affirmer que les affaires sur lesquelles les appelants s'appuient comme étant des applications du prétendu prin- cipe d'amirauté, sont en fait des exceptions à la règle générale appliquée de la même manière dans les tribunaux de common law et d'amirauté, savoir, que les coauteurs d'un délit civil sont solidaires et que toutes ces exceptions sont prévues, protégées et maintenues par l'art. 25, par. 9 de la Judicature Act de 1873.
qu'à 7 ou 7 & noeuds alors qu'ils avançaient dans le chenal indiqué sur la carte comme allant de False Creek dans la direction générale de la pointe Ferguson. Le capitaine du remorqueur s'aperçut alors qu'un des voiliers se trouvant à tribord avant s'était détaché du groupe et s'avançait selon une direction qui pouvait faire craindre un abordage.'
Immédiatement avant les manoeuvres qui ont causé l'abordage, le voilier, en compagnie de deux voiliers de course semblables, effectuait des manoeuvres d'entraînement sans exercer une veille appropriée, la vue vers l'avant étant pratiquement bloquée par le spinnaker. C'est à peu près au même moment que le capitaine du remorqueur remarqua le voilier et que le patron du voilier aperçut le remorqueur, mais pas la péniche (ce qui est inexplicable vu la disposition réelle des choses).'
Lorsque le capitaine du remorqueur a pris conscience du danger possible que présentait le voilier, il vira de 15° vers bâbord et commença à faire ralentir le remorqueur; lorsque le patron du voilier aperçut le remorqueur, il vira de 20° vers bâbord.
Entre le virage de 20° vers bâbord et l'abor- dage, le patron du voilier ne fit aucun effort pour s'assurer de ce qui se trouvait en avant de lui. Il était sûr d'avoir évité le remorqueur sans difficulté. Il n'était toujours pas conscient de la présence de la péniche.
La question de savoir si le voilier a continué sa route dans la direction amorcée par le virage de 20° vers bâbord, comme l'affirme le patron, ou si, après avoir dépassé le remorqueur, le voilier a viré vers tribord afin de reprendre sa route initiale, comme le prétendent les appe- lants, reste douteuse. De toute manière, deux ou trois minutes après le virage de 20° vers bâbord,
7 Bien que, selon le savant juge de première instance, le capitaine du remorqueur ait déclaré qu'apparemment l'un des voiliers avait viré de bord et filait à peu près dans sa direction «alors qu'il était à environ 4/10 de mille de lui», cette question a été examinée en appel et rien ne démontre que le voilier a suivi une direction pouvant faire craindre un abordage pendant une période de temps importante, avant de virer de 20° vers bâbord. Il semble aussi, après examen minutieux de la preuve, que le voilier avait auparavant viré au vent, ce qui apparemment l'avait mis dans une direction pouvant faire craindre un abordage.
le voilier se retrouva entre le remorqueur et la péniche, puis heurta celle-ci presqu'au milieu de l'avant. (Selon les prétentions des appelants, l'abordage s'est produit après que le voilier eut effectué un nouveau virage vers bâbord dans un mouvement de panique.)
Il faut souligner que les personnes se trouvant à bord du voilier n'ont vu la péniche qu'au moment celui-ci se trouvait déjà entre le remorqueur et la péniche dans une position telle que l'abordage était inévitable—et ce, bien que dans les circonstances, un simple coup d'oeil vers l'avant eût suffi à leur faire remarquer la péniche.
Au moment de l'abordage, la péniche avait énormément ralenti comme le démontre le fait que le patron du voilier, après être tombé par- dessus bord n'eût à nager que 10 à 15 pieds pour revenir à son bateau et le fait qu'un voilier semblable ait pu faire le tour de la péniche tout de suite après l'abordage.
D'après la preuve, le voilier se trouvait à environ 1,000 pi. du remorqueur lorsqu'il vira de 20° vers bâbord. Le patron du voilier estime sa vitesse à 3 noeuds avant de virer et à 2 noeuds après. Comme toutes les autres approximations, on doit considérer ces données comme sujettes à de larges marges d'erreur.
Le résumé que je viens de donner représente, à mon avis, l'ensemble des faits saillants, du moins en ce qui concerne la question des res- ponsabilités dans l'abordage.
La décision sur cette question dépend, à mon avis, de savoir si l'on peut, de quelque façon, lui appliquer la Règle 20a) des Règles sur les abor- dages. La Règle 20a) et la Règle 21, qui doivent être lues en corrélation, se lisent en partie comme suit:
Règle 20.
a) Lorsque deux navires l'un à propulsion mécanique et l'autre à voiles, courent de manière à risquer de se rencon- trer, le navire à propulsion mécanique doit s'écarter de la route du navire à voiles, sauf exceptions prévues aux Règles 24 et 26.
Règle 21.
Lorsque d'après les présentes Règles, l'un des deux navi- res doit changer sa route, l'autre navire doit conserver la sienne et maintenir sa vitesse.
Il me semble qu'on peut examiner la question en deux temps. En premier lieu, on peut suppo- ser que la Règle 20a), correctement interprétée, était applicable aux circonstances de l'espèce. A mon avis, même à partir d'une telle hypothèse, elle ne permet pas de déterminer la question de la responsabilité civile. En second lieu, on peut examiner la question du point de vue de l'appli- cation, le cas échéant, de la Règle 20-a), correc- tement interprétée, aux circonstances de l'af- faire. A mon avis, la Règle 20a), correctement interprétée, ne s'applique pas aux circonstances.
Je vais d'abord examiner la première de ces deux approches.
A tort ou à raison, ni les personnes se trou- vant à bord du voilier ni le capitaine du remor- queur ne naviguaient en se conformant aux Règles 20a) et 21. Le patron du voilier témoigna qu'il avait l'habitude de laisser le passage aux gros navires et le capitaine du remorqueur indi- qua clairement dans son témoignage qu'il présu- mait en manoeuvrant que les petits voiliers lui laisseraient le passage. En outre, le voilier, sans doute un peu tardivement, mais certainement à temps, a laissé le passage au remorqueur, et n'a pas «conservé sa route ni maintenu sa vitesse» comme il aurait le faire en vertu de la Règle 21 s'il avait navigué en présumant que les Règles 20a) et 21 s'appliquaient alors.'
Je suis d'avis qu'un voilier de 16 pi., très manœuvrable, aurait effectué «des manoeuvres incorrectes» s'il avait obligé un bâtiment commercial, volumineux et difficile à manœu- vrer (comme un remorqueur tirant un navire) à se mettre dans une situation telle que ce bâtiment important et diffici- lement manoeuvrable serait tenu de «s'écarter de la route» du voilier de 16 pi. de la manière prévue à la Règle 20a) et à la Règle 21, même si la Règle 20a), correctement interpré- tée, s'appliquait en l'espèce. La Règle 27 s'appliquerait dans ce cas. Elle se lit en partie comme suit:
Règle 27.
En appliquant ... les présentes Règles, on doit tenir compte de tous les dangers de navigation et d'abordage, ainsi que de toutes circonstances particulières, y compris les possibilités des navires et hydravions en jeu, qui peuvent entraîner la nécessité de s'écarter des Règles ci-dessus pour éviter un danger immédiat.
Comparez avec les arrêts: «H.M.S. Sans Pareil», [1900] P. 267, aux pp. 282 et 283, et Le Lionel c. Le Manchester Merchant, [1970] R.C.S. 538, jugement rendu par le juge Ritchie, aux pp. 544 et suiv.
A mon avis, on ne peut donc pas s'appuyer sur la Règle 20a) pour déterminer les responsa- bilités dans cet abordage.'
Une fois la confusion résultant de la prise en considération de la Règle 20a) éliminée, l'affaire devient, à mon avis, relativement simple. L'abordage résulte du fait que les personnes se trouvant à bord du voilier ont totalement négligé de surveiller leur route de quelque façon. Si elles avaient assuré une veille raisonnable, elles se seraient rendues compte de la présence de la péniche au moment où. elles ont aperçu le remorqueur. Si elles s'étaient aperçues de la présence de la péniche et si le virage de 20° vers bâbord n'avait pas suffi pour l'éviter, ils auraient pu faire les manoeuvres nécessaires à l'évitement pendant le temps qu'il fallait aux navires s'approchant l'un de l'autre pour par- courir la distance d'environ 1000 pieds les sépa- rant, même s'il avait été nécessaire de mettre le voilier vent debout de manière à l'arrêter jus- qu'à ce que la péniche soit passée. Si par contre, le virage de 20° vers bâbord suffisait pour éviter la péniche et si l'abordage a résulté, comme le prétendent les appelants, d'un autre virage vers tribord pour permettre au voilier de reprendre sa route initiale, il est clair que, si une veille raisonnable vers l'avant avait permis de repérer la péniche, cette manoeuvre imprudente aurait été évitée. 10
9 A mon avis, il s'ensuit donc que les différentes conclu sions quant aux fautes considérées comme «causes» de l'abordage, dans la mesure elles ont provoqué l'incapacité du remorqueur à se conformer à la Règle 20a), ne sont pas pertinentes. Je pense tout particulièrement à la conclusion du savant juge de première instance selon laquelle le remor- queur allait trop vite et avait laissé filer le câble trop tôt.
10 On n'a pas démontré, à mon avis, que certaines des fautes relevées par le savant juge de première instance, qui auraient pu avoir leur influence sur les événements au moment critique, ont causé cet abordage. Même si le remor- queur avait, à ce moment, actionné le sifflet ou produit d'autres sons, ce signal n'aurait pas suffi, selon la prépondé- rance des probabilités, à attirer à temps l'attention de l'équi- page du voilier sur la présence de la péniche, alors distante de 150 pieds, pour qu'il évite l'abordage. Il semble tout à fait hypothétique et contraire à la prépondérance des probabili- tés que cinq coups de sifflet du remorqueur, au moment les navires étaient éloignés de plus de 1000 pieds (c: à-d., juste avant que le patron du voilier n'aperçoive le remor- queur) auraient pu avoir comme résultat de signaler à l'équi- page du voilier la présence de la péniche tirée par le remorqueur.
Pour toutes ces raisons, je suis d'avis que l'abordage est imputable à la faute des person- nes manoeuvrant le voilier.
Après avoir conclu que l'abordage est imputa- ble à la faute des personnes mànoeuvrant le voilier, compte tenu du fait que les deux navires n'étaient pas pilotés de la manière prévue aux Règles 20a) et 21 et que, nonobstant l'effet technique de la Règle 20a), le recours à cette règle pour déterminer quelle partie est fautive aux fins de la responsabilité civile, serait con- traire à tout réalisme, je me propose d'examiner la question d'un point de vue plus technique.
Il faut à mon avis lire la Règle 20a) en corré- lation avec les Règles 27 et 29. Pour plus de commodités, je cite à nouveau la Règle 20a):
Règle 20.
a) Lorsque deux navires l'un à propulsion mécanique et l'autre à voiles, courent de manière à risquer de se rencon- trer, le navire à propulsion mécanique doit s'écarter de la route du navire à voiles, sauf exceptions prévues aux Règles 24 et 26.
Les Règles 27 et 29 se lisent comme suit:
Règle 27.
En appliquant ... les présentes Règles, on doit tenir compte de tous les dangers de navigation et d'abordage, ainsi que de toutes circonstances particulières, y compris les possibilités des navires et hydravions en jeu, qui peuvent entraîner la nécessité de s'écarter des Règles ci-dessus pour éviter un danger immédiat.
Règle 29.
Rien de ce qui est prescrit dans les présentes Règles ne doit exonérer un navire, ou son propriétaire, ou son capi- taine, ou son équipage, des conséquences d'une négligence quelconque, soit au sujet des feux ou des signaux, soit dans la mise en oeuvre d'une veille appropriée, soit enfin au sujet de toute précaution que commandent l'expérience ordinaire du marin et les circonstances particulières dans lesquelles se trouve le navire.
A mon avis l'obligation pour un navire à pro pulsion mécanique de «s'écarter de la route» d'un voilier lorsque les deux navires «courent de manière à risquer de se rencontrer» n'existe pas quand le voilier choisit une route compor- tant un risque d'abordage par rapport à celle du
navire à propulsion mécanique à un moment il n'est pas raisonnablement possible que le navire à propulsion mécanique s'écarte de la route suivie par le voilier. Interpréter la Règle 20a) de cette manière serait contraire à la Règle 27. 11 II convient d'interpréter la Règle 20a) comme n'exigeant pas que le navire à propul sion mécanique fasse l'impossible, du moins lorsque c'est le voilier qui est à l'origine de la situation qui autrement donnerait lieu à l'appli- cation de cette règle.
Vu mon appréhension des faits de l'espèce, la Règle 20a), telle que je l'interprète, n'a jamais été applicable. Bien qu'on ne puisse déterminer avec précision le moment le voilier a com- mencé à suivre une route comportant un risque d'abordage avec le remorqueur touant la péni- che (ces navires ayant suivi la même route depuis leur entrée dans la baie English), la pré- pondérance des probabilités, vu la preuve, indi- que que c'était sans doute peu avant le moment le remorqueur a viré de 15° vers bâbord et le voilier de 20° vers bâbord. Ceci étant, il ressort clairement de la preuve, à mon avis, qu'au moment le voilier commença à suivre une route comportant un risque d'abordage, le remorqueur ne pouvait raisonnablement pas faire arrêter la péniche de manière à «s'écarter de la route» du voilier, qu'il lui était évidem- ment impossible de «s'écarter de la route» du voilier en virant de quelque façon vers tribord, et que, bien qu'on n'ait pas déterminé ce qui serait arrivé s'il avait viré plus franchement vers bâbord, on n'a pas déterminé non plus qu'un tel virement l'aurait écarté de la route du voilier. 12
11 Comparez avec l'ouvrage de John Wheeler Griffin, The American Law of Collision (1949), il affirme à la page 390:
[TRADUCTION] ... Il est clair que l'obligation pour le navire à vapeur de s'écarter de la route signifie simple- ment qu'il doit prendre toutes les mesures appropriées pour le faire. Il ne peut en garantir l'effet. S'il y a eu une veille adéquate, le navire n'est pas responsable lorsqu'il n'a pas réussi à s'écarter de la route d'un voilier qui est apparu si soudainement que le navire à vapeur n'a pas pu l'éviter, pourvu bien sûr qu'on n'ait pas pu prévoir la présence de ce voilier ...; le navire à vapeur n'est pas obligé non plus de prendre des mesures à un moment la route suivie par le voilier n'entraîne aucun risque d'abor- dage....
12 En outre, il est probable qu'un changement de direction aussi radical vers bâbord, vu la vitesse du remorqueur et de la péniche, aurait créé un danger pour d'autres bâtiments, même si le secteur était «assez dégagé».
A mon avis, dans les circonstances, le remor- queur ne pouvait, à toutes fins utiles, s'écarter alors de la route du voilier et les dispositions de la Règle 20a) n'ont jamais été applicables.
Par contre, à mon avis, c'est l'équipage du voilier qui, a changé une situation ne présentant aucun danger en une situation potentiellement dangereuse en plaçant le voilier dans une direc tion comportant un risque d'abordage avec le remorqueur, à un moment les deux navires étaient si proches que le remorqueur ne pouvait pas s'écarter de sa route, par une manoeuvre normale. 13 Un tel acte, s'il a été délibéré, com- porte évidemment le défaut de prendre les pré- cautions «que commandent l'expérience ordi- naire du marin» et «les circonstances particulières dans lesquelles se trouve le navire». Il appert en l'espèce qu'il s'agissait plutôt du résultat direct d'un «défaut de veille appropriée». De toute façon, la Règle 29 interdit à l'équipage du voilier de s'appuyer sur la Règle 20a) pour se dégager, en totalité ou en partie, des conséquences d'une négligence qui fut en fait la seule cause immédiate de l'abordage.
Il reste la question de savoir si la présence dans la baie d'un certain nombre de petits voi- liers au moment le remorqueur y est entré, obligeait ce dernier à traverser la baie d'une manière différente de celle qui aurait été autre- ment tout à fait appropriée. Plus précisément, bien qu'il semble tout à fait certain que, s'il n'y avait eu aucun voilier dans la baie, le remor- queur était en droit de laisser filer son câble sur une distance de 150 pi. et de naviguer à vitesse maximum, on nous a demandé de décider qu'en raison de la présence de petits voiliers dans la baie, le fait de laisser filer le câble et d'augmen- ter la vitesse constituait des fautes qui ont causé l'abordage. 14
13 I1 ressort de la décision du savant juge de première instance que le capitaine Greenfield a témoigné qu'on pou- vait arrêter la péniche [TRADucrloN] «si elle était attachée au plus près et si la vitesse ne dépassait pas 2 ou 3 nœuds», mais «avec un câble de remorque long de 150 pieds, c'était impossible».
10 A mon avis la situation, telle que l'a vue le capitaine du remorqueur avant de laisser filer le câble et d'augmenter la vitesse, ressort des extraits suivants de son témoignage:
Une fois admis qu'au moment le remor- queur a laissé filer le câble et a accéléré, aucun bâtiment se trouvant dans la baie ne suivait une direction telle qu'il pouvait entraîner un abor- dage avec le remorqueur, on ne peut prétendre que la présence des petits voiliers dans la baie imposait au remorqueur d'être toujours en mesure de s'arrêter soudainement que s'il lui incombait d'être en mesure d'éviter les dangers qu'un voilier pouvait créer en raison de manoeu vres incorrectes. A mon avis, un remorqueur tirant un bâtiment, comme tout autre navire
[TRAnucTIoN] Q. Ma question est un peu embrouillée. Arrivé au niveau de la pointe, avez-vous remarqué du trafic au-delà de la pointe ou n'y en avait-il pas?
R. Le trafic s'est alors considérablement dégagé, en parti- culier dans la direction que j'allais prendre ou que je devrais surveiller à l'exception du côté tribord il y avait un certain nombre de voiliers allant ce cet endroit et de la baie English jusqu'à la Second Beach.
Q. Y avait-il d'autres navires à ce moment?
R. Il y avait peut-être d'autres navires, mais du côté bâbord de la route que je suivais, il n'y en avait pas autant. Il y avait quelques bateaux, mais aucun n'était—ne pouvait, à mon avis, gêner mon avance.
LA COUR: ... Revenez en arrière et utilisez tout ce dont vous pouvez avoir besoin—utilisez les compas s'il le faut, mais je vous prie de me dire aussi précisément que possible à quelle distance se trouvait cet encom- brement de voiliers lorsque vous l'avez d'abord aperçu.
R. Je vais faire le point—je ne vois pas le cercle sur la carte, mais sachant à peu près il se trouve par rapport à l'endroit que j'indique sur la carte, à quelle distance se trouvait-il, je ne sais pas, 5 encablures et trois quarts.
D'après mon interprétation de cette preuve, si l'on tient compte des imprécisions verbales, le capitaine a déclaré qu'avant qu'il n'accélère, la route qu'il devait suivre ou les secteurs qu'il devait surveiller s'étaient dégagés excepté le fait qu'à tribord, il y avait «une concentration de voiliers» à une distance d'environ 51 encablures «dans la direction de Second Beach» et, à bâbord, un certain trafic, mais rien ne devant gêner son passage. A mon avis, ce témoignage, considéré en corrélation avec les cartes déposées en preuve, n'indique aucune raison pour laquelle un marin raisonnable- ment prudent ne pourrait naviguer à une bonne vitesse. En outre, je ne trouve aucun témoignage dans le reste de la preuve qui contredise de quelque façon la description ainsi donnée. Notamment je ne trouve aucune preuve que la baie était «encombrée»; apparemment il y avait seulement une «concentration» de petits bateaux dans la direction de Second Beach. La preuve que la baie était habituellement encombrée pendant les fins de semaine n'est pas pertinente, à mon avis. Il fallait déterminer quelle était la situation dans la baie à ce moment-là.
dans le port, peut supposer que les autres navi- res navigueront en conformité de la loi et des principes de bonne navigation et naviguer en se fondant sur cette hypothèse. Comparer avec l'arrêt SS. Cape Breton c. Richelieu and Ontario Navigation Co. 15 rendu par le juge en chef, à la page 574. Les fautes retenues contre le remor- queur, qu'on a considérées comme «cause» de l'abordage parce qu'elles étaient de nature à empêcher le remorqueur de s'arrêter afin d'évi- ter le danger créé par le voilier, sont, à mon avis, fondées sur une interprétation injustifiée de la Règle 20a). A mon avis, la Règle 20a) n'impose pas un devoir absolu de «s'écarter de la route» quelle que soit la cause du danger d'abordage. C'est pourquoi elle ne peut donner naissance à aucune obligation implicite de navi- guer de manière à être toujours en mesure de «s'écarter de la route» dès qu'apparaît un danger d'abordage. 1 6
En conséquence, je suis d'avis que l'appel doit être accueilli avec dépens, le jugement de la Division de première instance annulé et l'action rejetée avec dépens; il est inutile que j'exprime mon opinion en ce qui concerne les questions de la prescription.
Si l'action est rejetée, il n'y aura aucun juge- ment en ce qui concerne la demande reconven- tionnelle relative à la limitation de responsabi-
's (1905) 36 R.C.S. 564.
16 Si j'ai tort et si, selon l'interprétation correcte de la Règle 20a), elle impose un devoir absolu au navire à moteur de «s'écarter de la route» dès qu'un voilier décide de suivre une route comportant un danger d'abordage, il en résulterait à mon avis qu'un navire à moteur doit être manoeuvré de manière à pouvoir s'arrêter ou «s'écarter de la route» d'une autre manière, dès lors qu'il est possible qu'un voilier emprunte une route comportant un danger d'abordage. D est inutile d'illustrer les graves conséquences d'un tel point de vue. Je suis convaincu que la Règle 20a) ne peut être interprétée de cette manière. Mon collègue Thurlow va exposer les opinions contradictoires de nos assesseurs sur ce point. Je ne souscris pas à l'opinion que l'usage courant peut justifier l'imprudence ou la mauvaise navigation, et pourtant j'estime qu'il est pertinent de faire remarquer que nos assesseurs conviennent que la plupart des capitaines de remorqueurs n'auraient pas adopté une attitude aussi pru- dente que le capitaine St. Clair relativement aux questions une et deux que nous leur avons posées. En outre, à mon avis, il n'y a pas de moyen terme, car il ressort de la preuve qu'il est impossible d'effectuer un arrêt d'urgence à moins que la péniche soit remorquée - au plus près ou la vitesse beaucoup plus faible.
lité, mais, puisque les questions en litige à cet égard auraient pu être soulevées à juste titre comme moyen de défense, il convient de consi- dérer, à mon avis, pour la question des dépens, que ces questions ont été traitées comme faisant partie de l'action principale.
Au nom de la Cour, je remercie les asses- seurs, le capitaine C. H. St. Clair et le capitaine J. McNeill, car leur collaboration nous a aidés à comprendre les questions particulièrement diffi- ciles soulevées dans cet appel.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement, prononcés oralement par
LE JUGE THURLOW (dissident): Il s'agit d'un appel d'une décision de la Division de première instance relative à une action en dommages- intérêts intentée par les intimés en vertu de ce qui est maintenant la Partie XIX de la Loi sur la marine marchande du Canada pour les domma- ges résultant du décès du D r Charles Simmon Stein. Le D r Stein est décédé le 27 juin 1970 à la suite d'un abordage entre le voilier de 16 pieds, sur lequel il se trouvait avec son fils, Ross Stein, et une péniche sans équipage, la S.N. 1, qui était alors tirée par le remorqueur Storm Point, dans la baie English dans le port de Vancouver.
L'abordage s'est produit vers 15h35, un samedi après-midi, par temps clair et ensoleillé. Il y avait de légers vents variables soufflant généralement de l'est. C'était environ une heure après la pleine mer pendant le jusant; le courant était encore faible, et n'avait donc encore que peu d'effet sur la navigation.
Domiciliés en Californie, Stein et son fils étaient arrivés la veille à Vancouver afin de participer à des régates devant commencer le 28 juin 1970 dans la baie English. Pendant l'après- midi en cause, ils ont participé, avec 20 ou 30 autres personnes, dont certaines venaient aussi de Californie, à une course d'essai non offi- cielle; par la suite, les Stein et quelques autres ont continué à naviguer à titre d'entraînement supplémentaire. Au voisinage de la pointe Fer- guson, au moins trois d'entre eux ont, à - un certain moment, viré et navigué par la suite pendant dix à vingt minutes, le voilier de Stein en tête, avec vent de travers à bâbord, à la vitesse de 3 ou 31 milles à l'heure, suivant une
direction générale sud-est, leurs grands voiles, leurs focs et spinnakers dehors. Les Stein étaient des marins expérimentés, mais ils n'étaient pas habitués à voir de grandes péni- ches tirées par des remorqueurs relativement petits, ce qui est commun dans le port de Van- couver. Ils allaient amener leur spinnaker, pour se préparer à rentrer au Kitsilano Yacht Club, et en avaient largué les écoutes lorsque Ross Stein vit à bâbord la proue et le côté tribord d'un remorqueur, qui s'avéra être le Storm Point, mais il ne remarqua pas la péniche que le remor- queur tirait à une distance d'environ 150 pieds derrière lui. Il vira immédiatement vers bâbord et ne prévoyait aucune difficulté à éviter le remorqueur par cette manoeuvre et en fait il n'en rencontra aucune; mais, selon son témoignage, que le savant juge de première instance semble avoir admis, alors que le bateau venait juste de retrouver son équilibre et de prendre sa nou- velle route, il aperçut la péniche pour la pre- mière fois, directement devant lui. Il tendit alors tous ses efforts pour éviter la péniche en essayant de virer un peu plus à bâbord, mais son spinnaker s'était affaissé et, compte tenu de l'erre, il fut incapable de lofer de manière à faire route tribord amure. La proue du voilier heurta celle de la péniche juste à tribord du centre de celle-ci, le voilier pivota de sorte que son côté bâbord vint au contact de la partie tribord de la proue de la péniche; le voilier alors chavira, le Dr Stein fut jeté à l'eau et fut tué.
A toutes les époques en cause, la péniche S.N. 1 mesurait 80 pieds de long, 30 pieds de large et 6 pieds de haut, du pont jusqu'au fond, et était munie d'une rampe d'accostage de 15 pieds, située à la proue, s'avançant vers l'avant et vers le haut approximativement dans l'aligne- ment de l'inclinaison de la proue et pouvant être abaissée sur les quais pour le chargement ou le déchargement de la cargaison. Déchargée plus tôt cette même après-midi à la Johnston Termi nals, à False Creek, le remorqueur Storm Point la touait à travers la baie English pour l'amener à un chantier naval dans l'Inlet Burrard en con- tournant le parc Stanley. Le Storm Point était long de 49 pieds et large de 15 pieds. Sa vitesse maximum était d'environ 9 noeuds et, à toutes les époques en cause, son équipage comprenait
le capitaine Helsing qui en avait le commande- ment, et un matelot de pont, un certain Iverson, décédé avant le procès. Il y avait une passerelle haute comprenant les commandes des machines, de l'embrayage et des gouvernails, mais aucun moyen de faire fonctionner le sifflet.
Selon le témoignage du capitaine Helsing, lorsqu'ils quittèrent la Johnston Terminals, la péniche était attachée au plus près à l'arrière du Storm Point, et lorsqu'ils se trouvaient dans le ruisseau False, il pilotait le remorqueur et le bâtiment en remorque à partir de la passerelle haute, naviguant à une vitesse de trois à quatre noeuds. Dans le ruisseau False, il y avait un certain nombre de petits navires de plaisance, et, avant de quitter le ruisseau, il put voir qu'il y en avait d'autres dans la baie English. Il s'assura par radio-téléphone qu'aucun navire commercial ne venait en sens inverse et au moment il atteignit la baie, il remarqua qu'il y avait quel- ques bateaux sur la route qu'il devait suivre, mais aucun, à son avis, ne pouvait gêner son passage; il aperçut aussi un certain nombre de bateaux à bâbord de sa route; il y avait aussi ce qu'il décrivit comme une concentration de voi- liers à tribord de sa route, savoir, entre sa route et la rive est de la baie. A peu près au moment il passait la pointe Kitsilano ou entrait dans la baie, il quitta la passerelle haute et retourna à la timonerie, il laissa filer 150 pieds du câble de touage et augmenta sa vitesse, mais n'avait pas encore atteint sa vitesse maximum lorsqu'il remarqua un groupe de voiliers à tribord avant, dont l'un d'eux vira et s'éloigna du groupe, commençant à naviguer dans sa direction. L'ap- proche du voilier l'inquiéta quelque peu et il se demanda si le voilier essaierait de couper sa route ou de passer à tribord; mais à environ 1,000 pieds de distance, le voilier vira à bâbord. Par la suite sa route fut modifiée à différentes reprises et, à un moment donné, il sembla que le voilier essaierait de passer entre le remorqueur et la péniche. Lorsqu'il se trouva par le travers du remorqueur, ses mouvements devinrent désordonnés et il vira à fond à tribord, ce qui l'amena entre le remorqueur et la péniche. Le voilier vira de nouveau à fond vers bâbord, ce qui l'amena proue contre proue avec la péniche.
Le capitaine Helsing déclara aussi qu'il avait déjà entrepris de ralentir le remorqueur lorsque le voilier commença à causer quelques inquiétu- des, et qu'il modifia sa route de 15° vers bâbord et ralentit de nouveau ses machines, alors que le voilier se trouvait encore à une distance de 1000 pieds. Par suite du changement de route, la péniche fit une légère embardée vers tribord, mais elle revint ensuite dans le prolongement du remorqueur. Il ne signala pas le changement de route, mais après celui-ci, il quitta la timonerie et se rendit sur la passerelle haute pour avoir un meilleur point de vue sur la situation et il demanda en même temps au matelot de se rendre près du treuil et d'être prêt à laisser filer le câble de remorque. A ce moment, il pensait que le voilier essaierait peut-être de passer entre le remorqueur et la péniche et son intention était de laisser couler le câble en lui donnant du mou de manière à ce que le voilier puisse passer au-dessus. Lorsque le voilier tourna franche- ment vers tribord, ce qui l'amena entre le remor- queur et la péniche, le câble avait été effective- ment relâché. Il estima qu'au moment de l'abordage, le remorqueur était arrêté et que ra péniche continuait à avancer à une vitesse de 1 nœuds.
Vu la preuve, telle que je l'ai résumée, il semble évident que la péniche devait être tout à fait visible au moment Ross Stein aperçut le remorqueur et que, bien sûr, le remorqueur et la péniche devaient être tout à fait visibles depuis quelques minutes. A mon avis, il semble aussi que l'abordage est imputable au fait que les personnes se trouvant à bord du voilier ont omis d'exercer une veille appropriée et de prendre plus tôt les mesures nécessaires pour éviter de heurter le remorqueur et la péniche. Le voilier était un petit bateau rapide et très manoeuvrable, qui aurait pu s'écarter facilement de la route des autres navires si les personnes à bord avaient aperçu la péniche un peu plus tôt, et il n'y a aucun doute que c'est ce qu'ils auraient fait si l'un d'eux l'avait vue à temps. Il n'a jamais été question de dire que le voilier était un navire privilégié dans le cas de la situation prévue à la Règle 21 17 , comme le démontre Ross Stein et sa
17 Règle 21.
Lorsque d'après les présentes Règles, l'un des deux navi- res doit changer sa route, l'autre navire doit conserver la
réaction immédiate en apercevant le remor- queur. En conséquence, que ce soit le virage de 20° vers bâbord seulement ou ce virage plus un autre virage vers tribord qui amena le voilier à l'arrière du remorqueur et entre celui-ci et la péniche, l'accident est essentiellement au fait que les Stein, en raison de la veille inadéquate, n'ont pas vu la péniche à temps pour prendre les mesures permettant de l'éviter. Le savant juge de première instance a conclu que les personnes manoeuvrant le voilier avaient commis une faute en omettant d'exercer une veille appropriée et que cette omission était une des causes de l'abordage; à mon avis il faut confirmer ces conclusions.
Il reste cependant la question de savoir si les personnes manoeuvrant le remorqueur ont commis une faute qui a contribué à l'abordage et au décès. Le savant juge de première instance décida que c'était le cas. Après avoir examiné attentivement la conduite du capitaine Helsing entre le moment il quitta Johnston Terminals et celui de l'abordage, il conclut que le capitaine Helsing avait fait preuve de négligence:
(1) en laissant filer le câble de remorque trop tôt et sur une trop longue distance vu les circonstances, notamment la présence d'un groupe important de voiliers, devant lui; ces deux actions, d'après lui, ont contribué dans une large mesure à l'abordage;
(2) en manoeuvrant le remorqueur et le bâti- ment en remorque à une vitesse excessive vu les circonstances, à compter du moment il avait laissé filer le câble de remorque; selon ses conclusions, la vitesse était de 7 à 7 noeuds jusqu'au moment le remorqueur ralentit juste avant l'abordage de sorte qu'elle le mettait dans l'impossibilité d'arrêter la péniche et contribua aux conséquences graves de l'abordage;
(3) en ne virant pas assez tôt à bâbord et cette négligence a contribué dans une large mesure à l'accident;
sienne et maintenir sa vitesse. Quand pour une cause quel- conque, ce dernier navire se trouve tellement près de l'autre qu'une collision ne peut être évitée par la seule manœuvre du navire qui doit laisser la route libre, il doit de son côté faire telle manoeuvre qu'il jugera la meilleure pour éviter la collision (voir Règles 27 et 29).
(4) en omettant de se conformer aux exigen- ces de la Règle 20a) des Règles sur les aborda- ges, selon laquelle il doit s'écarter de la route d'un voilier; ce manquement de la part du remorqueur est manifestement une cause de l'abordage;
(5) en omettant d'exercer une veille appro- priée, contrairement aux exigences de la Règle 29; l'abordage a résulté dans une cer- taine mesure de cette violation;
(6) en omettant de signaler son changement de route vers bâbord comme l'exige la Règle 28a); toutefois, l'effet de cette violation sur l'abordage a été considérée comme discuta- ble; en omettant de virer plus tôt vers bâbord et de signaler à ce moment la manoeuvre, ce qui fut considéré comme une cause de l'abor- dage, et en négligeant d'émettre cinq sons brefs alors que le voilier se trouvait à 50 ou 100 pieds du remorqueur ou de crier pour le signaler au voilier, ce qui fut " considéré comme une violation de la Règle 12. Il con- clut aussi que le Storm Point a violé d'autres règles: a) les règles préliminaires relatives à l'application et interprétation des règles de manoeuvre et de navigation, b) la Règle 22 et c) la Règle 23 des Règles sur les abordages et les Règles 35(1) et 37(1) des Règlements du Conseil des ports nationaux relatives à la navigation dans le port de Vancouver. En concluant quant à la faute, il attribua 75% de la responsabilité de l'abordage au Storm Point et 25% au voilier des Stein.
Examinons d'abord le paragraphe 5 de ces conclusions, en toute déférence, je ne peux con- clure que le capitaine Helsing, a négligé d'exer- cer une veille appropriée ou qu'un tel manque- ment de sa part a été de quelque façon à l'origine de l'abordage. Son témoignage quant à ce qu'il a vu et ce qu'il a fait aux différents stades desdits événements, indique à mon avis qu'à toutes les périodes en cause, il a personnel- lement et constamment surveillé le trafic pou- vant se trouver sur son passage, et notamment le voilier en cause à partir du moment od sa présence et ses manoeuvres pouvant avoir un effet sur la navigation- du remorqueur et de la péniche. A mon sens, on ne peut pas non plus déduire de la preuve qu'il n'a pas exercé une
veille appropriée ni qu'un tel manquement de sa part a pu constituer l'une des causes de l'abordage.
En toute déférence, je ne peux non plus sous- crire à l'opinion que le capitaine Helsing a commis une négligence en ne virant pas plus tôt et plus franchement vers bâbord de manière à s'écarter de la route des voiliers. A ce sujet, le capitaine St. Clair et le capitaine McNeill, les assesseurs nommés pour aider la Cour, ont répondu de façon identique à la question sui- vante qu'on leur avait posée:
[TRADUCTION] Q. Dans les circonstances telles que décrites à la question (1), l'usage en matière de navigation aurait-il exigé que le capitaine Helsing modifie sa route de 30° vers bâbord au moment il dou- blait Crystal Pool et continue sa route dans le secteur ouest de la baie English afin de s'écarter de la route des voiliers se trouvant à l'est du chenal marqué par des balises sur les cartes?
R. Non, à cause du secteur dangereux proche du côté bâbord du navire.
Il convient d'ajouter qu'à moins que le capi- taine Helsing ait choisi de sortir à grande vitesse, je ne suis pas persuadé qu'une telle manoeuvre lui aurait permis d'éviter les voiliers se trouvant à tribord de sa route, puisque cer- tains d'entre eux naviguaient dans la direction du Yacht Club de Kitsilano. En outre, s'il avait effectué cette manoeuvre à pleine vitesse, il aurait pu, à mon avis, se trouver en présence d'autres bâtiments, en plus de faire faire une embardée à la péniche avec tous les dangers que cela comporte pour les autres. En outre, même s'il avait été raisonnable de virer plus tôt et franchement à bâbord afin d'éviter «toute possi- bilité d'abordage avec un des voiliers, je ne peux considérer le fait de n'avoir pas effectué un tel virement comme étant une cause immé- diate de l'abordage en question, pas plus qu'on ne peut considérer le fait de ne - pas être resté à Johnston Terminals comme une cause immé- diate dudit abordage. A mon avis, on ne doit pas considérer le fait qu'il n'ait pas effectué, ni signalé ce virement comme une faute ou des fautes à l'origine de l'abordage.
J'estime en outre que ce serait faire fi de tout réalisme et appliquer trop strictement la Règle 20a) 18 des Règles sur les abordages que de con- clure que le capitaine Helsing était tenu en vertu de cette règle de s'écarter de la route d'un tel voilier. A mon avis, une telle application de la règle entraînerait dans la pratique l'impossibilité d'effectuer des transports commerciaux par péniches dans ces eaux dès qu'il y aurait un certain nombre de navires de plaisance, car dès qu'un remorqueur tirant une péniche manoeuvre- rait de manière à s'écarter de la route de l'un d'entre eux, il devrait s'attendre à en rencontrer un autre ou plusieurs autres sur sa route, de sorte que la manoeuvre même visant à éviter l'un pourrait fort bien le mettre en contravention de la règle relativement à d'autres. On ne peut certainement pas s'attendre à ce qu'un remor- queur tirant une péniche, même dans les meil- leures conditions, soit aussi manoeuvrable qu'un petit voilier très maniable et, à mon avis, la solution à la question de la priorité dans une situation du genre de celle qui semble s'être produite, en l'espèce, consiste à dire que les circonstances particulières, savoir la grande maniabilité du voilier et l'absence de manoeuvra- bilité ou de moyen d'arrêter rapidement la péni- che, imposent au voilier, en vertu des Règles 27 19 et 29 20 , l'obligation d'effectuer à temps
le Règle 20.
a) Lorsque deux navires l'un à propulsion mécanique et l'autre à voiles, courent de manière à risquer de se rencon- trer, le navire à propulsion mécanique doit s'écarter de la route du navire, à voiles, sauf exceptions prévues aux Règles 24 et 26.
19 Règle 27.
En appliquant et en interprétant les présentes Règles, on doit tenir compte de tous les dangers de navigation et d'abordage, ainsi que de toutes circonstances particulières, y compris les possibilités des navires et hydravions en jeu, qui peuvent entraîner la nécessité de s'écarter des Règles ci-des- sus pour éviter un danger immédiat.
20 Règle 29.
Rien de ce qui est prescrit dans les présentes Règles ne doit exonérer un navire, ou son propriétaire, ou son capitaine, ou son équipage, ces conséquences d'une négligence quelcon- que, soit au sujet des feux ou des signaux, soit dans la mise en oeuvre d'une veille appropriée, soit enfin au sujet de toute précaution que commandent l'expérience ordinaire du marin et les circonstances particulières dans lesquelles se trouve le navire.
les manoeuvres nécessaires pour éviter un abor- dage avec le remorqueur et la péniche. Que ce soit ou non pour de bonnes raisons, il semble que le capitaine Helsing et Ross Stein soient du même avis quant à celui des deux navires ayant priorité; d'ailleurs, Ross Stein, il n'y a aucune raison d'en douter, se serait écarté de la route de la péniche si il l'avait vue à temps ce qui ne fut malheureusement pas le cas. A mon avis, il découle aussi de ce point de vue qu'on ne doit pas considérer que le capitaine Helsing a violé les règles préliminaires relatives à l'application et à l'interprétation des règles de manoeuvre et de route, ni les Règles 22 21 et 23 22
En ce qui concerne le paragraphe 6 des con clusions, bien que les assesseurs nous informent que le capitaine Helsing aurait signaler par deux sons brefs le virage de 15° bâbord, je ne pense pas qu'on puisse considérer l'omission de le faire comme une cause de l'abordage. Le signal requis par la Règle 28 a) 23 n'a pas pour but de réveiller, mais seulement de signaler un changement de route, et conclure qu'un tel signal aurait attiré l'attention des Stein sur la présence de la péniche relève du domaine de l'hypothèse.
21 Règle 22.
Tout navire qui est tenu, d'après les présentes Règles, de s'écarter de la route d'un autre navire, doit, autant que possible, manoeuvrer de bonne heure et franchement pour répondre à cette obligation et doit, si les circonstances le permettent, éviter de couper la route de l'autre navire sur l'avant de celui-ci.
22 Règle 23.
Tout navire à propulsion mécanique qui est tenu d'après les présentes Règles de s'écarter de la route d'un autre navire, doit, s'il s'approche de celui-ci, réduire au besoin sa vitesse ou même stopper ou marcher en arrière si les circon- stances le rendent nécessaire.
23 Règle 28.
a) Lorsque des navires sont en vue l'un de l'autre, un navire à propulsion mécanique faisant route doit, en chan- geant sa route conformément à l'autorisation ou aux pres criptions des présentes Règles indiquer ce changement par les signaux suivants émis au moyen de son sifflet:—
Un son bref pour dire: «Je viens sur tribord»; Deux sons brefs pour dire: «Je viens sur bâbord»;
Trois sons brefs pour dire: «Mes machines sont en arrière».
b) Lorsqu'un navire à propulsion mécanique qui, confor- mément aux présentes Règles, doit conserver sa route et maintenir sa vitesse, est en vue d'un autre navire et ne se sent pas assuré que l'autre navire prend les mesures néces-
(Suite à la page suivante)
Il reste à examiner maintenant les fautes décrites aux paragraphes (1) et (2) des conclu sions ainsi que celle découlant du fait que le capitaine Helsing n'a pas émis cinq sons brefs alors qu'il ne pouvait plus déterminer quelle manoeuvre le voilier allait effectuer.
A ce propos, la Cour posa une série de ques tions aux assesseurs et reçut les réponses suivantes:
[TRADUCTION] Q. (1) Le capitaine Helsing a-t-il manoeuvré de façon appropriée en laissant filer 150 pieds de câble de remor- que et en entreprenant d'accélérer à fond après avoir doublé la pointe et s'être assuré que le trafic était dégagé sur la route qu'il devait suivre ou qu'il devait surveiller, excepté le fait que:
a) à tribord, il y avait une concentration de voiliers à environ 5i encablures de distance, dans la direction de Second Beach, et
b) à bâbord il y avait quelques autres bâti- ments, mais aucun ne pouvant le gêner?
R. Le capitaine St. Clair—Non. Le capitaine McNeill—Oui.
Q. (2) Dans les circonstances décrites à la question (1), de quelle manière aurait-il été prudent de manoeuvrer le remorqueur et la péniche?
R. Le capitaine St. Clair—La péniche tirée au plus près et à vitesse réduite.
Le capitaine McNeill—Si les voiliers se trouvant par tribord ne présentaient appa- remment aucun danger, je me serais dirigé vers le chenal dégagé vers l'avant et j'au- rais surveillé attentivement les voiliers.
(Suite de la page précédente)
saires pour éviter l'abordage, il peut exprimer son doute en émettant au sifflet une série rapide d'au moins cinq sons brefs. Ce signal ne doit pas dispenser un navire des obliga tions qui lui incombent conformément aux Règles 27 et 29 ou à toute autre Règle, ni de l'obligation de signaler toute manoeuvre effectuée conformément aux présentes Règles, en faisant entendre les signaux sonores appropriés, prescrits par la présente règle.
Q. (3) Quelle serait la réponse à la première question si la situation était la même, mais en l'absence de voilier dans la baie?
R. Le capitaine St. Clair—Oui.
Le capitaine McNeill—Oui, un câble de 150 pieds et vitesse maximum.
Q. (4) En ce qui concerne la prudence à exer- cer dans les circonstances décrites à la question (1), aurait-il fallu utiliser le sifflet du Storm Point et, dans ce cas, de quelle manière,
a) lorsque le voilier suivait une route com- portant un danger d'abordage, mais à plus de 1,000 pieds de distance? et
b) à un stade ultérieur?
R. Le capitaine St. Clair a)-5 sons brefs: Règle 28.
Le capitaine McNeill a)-5 sons brefs, pour exprimer son doute quant aux inten tions de l'autre navire.
Les deux assesseurs b)-2 sons brefs lors- que le remorqueur a viré vers bâbord, Règle 28.
Puisque les assesseurs ont répondu de manière différente aux questions (1) et (2), il faut que la Cour se fasse sa propre opinion sur ce qui semble être un point décisif de l'affaire. Pour ma part, je souscris à l'opinion du capi- taine St. Clair selon lequel, vu les circonstances, il était fautif de laisser filer le câble de remor- que sur une longueur de 150 pieds et d'accélérer jusqu'à la vitesse maximum; à son avis, la péniche aurait être tirée au plus près et le remorqueur aurait naviguer à vitesse réduite. Ce point de vue est à mon avis étayé, du moins dans une certaine mesure, par le témoignage du capitaine Greenfield et apparemment par l'opi- nion des assesseurs qui ont comparu devant le savant juge de première instance. En laissant filer une trop grande longueur de câble de remorque et en avançant à trop grande vitesse, le capitaine Helsing s'est, à mon avis, mis dans l'impossibilité de rester maître de la péniche ou de l'arrêter complètement sur une distance rai-
sonnable de sorte que, lorsqu'est apparu le risque d'un abordage, il n'a pu prendre les mesu- res nécessaires pour l'éviter soit en arrêtant la péniche, soit en s'écartant de la route. En consé- quence, la péniche avançait encore au moment de l'abordage. A mon avis, la vitesse de la péniche peu avant l'abordage réduisit le temps dont les Stein disposaient pour prendre au der- nier moment des mesures propres à l'éviter et, en fin de compte, c'est la vitesse acquise de la péniche et son mouvement qui ont causé les dommages. En outre, je suis d'avis qu'à partir du moment le capitaine Helsing a remarqué la concentration de voiliers à tribord de sa route, il aurait prévoir que ces bateaux ou certains d'entre eux n'allaient pas rester ils étaient, soit à tribord de sa route, et qu'il aurait être prêt à parer à la situation l'un ou plusieurs d'entre eux lui couperaient la route. A mon sens, il n'aurait été capable de le faire que s'il avait continué de remorquer la péniche au plus près de manière à garder une maîtrise maximum et à avancer à une vitesse qui lui permettrait de s'arrêter si nécessaire sur une distance raisonnable. Je conclus donc qu'il a commis une faute qui constitue une cause de l'abordage.
Je suis aussi d'avis que le capitaine Helsing a commis une faute en n'émettant pas un signal de 5 sons brefs lorsque le voilier se trouvait à plus de 1,000 pieds de distance, alors qu'il lui avait déjà causé quelques inquiétudes quant à ses manoeuvres ultérieures, d'autant plus du fait qu'il avait laissé filer le câble de remorque et accéléré à fond; toutefois, j'estime spéculatif de supposer que le signal aurait attiré l'attention sur la péniche, à la différence du remorqueur et, dans les circonstances je ne peux conclure que le fait qu'il ait omis d'émettre un tel signal constitue une cause de l'abordage.
Je dois ajouter que la conclusion du savant juge de première instance selon laquelle le capi- taine Helsing a aussi violé le paragraphe 35(1 )24 des Règlements du Conseil des ports nationaux n'est, à mon avis, pas défendable, car je ne vois
24 35. (1) Aucun navire ne peut marcher dans le port à une allure susceptible de mettre en danger la vie humaine ou la propriété.
rien dans la vitesse du remorqueur et de la péniche qui serait susceptible de mettre en danger la vie humaine ou la propriété.
Je suis aussi d'avis que la conclusion selon laquelle le capitaine Helsing a agi en violation du paragraphe 37(1) 25 des Règlements du Con- seil des ports nationaux n'ajoute rien à la con clusion relative à la faute consistant à avoir laissé filer le câble de remorque sur une trop grande longueur et à avoir navigué à trop grande vitesse.
Ceci m'amène maintenant à la question de la répartition des responsabilités. A mon avis, les différences entre mes propres conclusions et celles du savant juge de première instance en ce qui concerne la faute imputable au capitaine Helsing justifient la substitution par la Cour d'appel de sa propre répartition de la responsa- bilité et je ne vois rien qui puisse justifier une répartition inégale de la responsabilité; j'attri- buerais donc 50% de la responsabilité au voilier et 50% au remorqueur.
C'est dans cette mesure seulement que j'ac- cueillerais l'appel et modifierais le partage des responsabilités établi par le savant jugé de pre- mière instance.
Cependant, ma conclusion sur les faits rend nécessaire d'examiner et, bien sûr, de trancher la question de savoir si les intimés ont droit à des dommages-intérêts en raison d'un décès alors qu'on a établi la négligence contributive du voilier et de son propriétaire à cet égard. Puis- que la question n'a pas été plaidée de manière exhaustive et qu'on a informé les avocats que cette question ne ferait l'objet d'aucune décision avant qu'ils aient eu l'occasion de soumettre des plaidoiries écrites, je n'exprimerai aucune opi nion sur ce sujet, si ce n'est que les affaires Sparrows Point 26 et Algoma Central & Hudson Bay Railway Co. 27 soulèvent apparemment des doutes sérieux quant à la possibilité de recou- vrer une indemnité quelconque. Cependant puis- que la majorité de la Cour est d'avis que l'action
25 37. (1) Tout navire qui en remorque un autre doit posséder une puissance suffisante pour lui permettre de bien accomplir ce travail et doit, en tout temps, rester aussi maître que possible du remorqué.
26 [1951] R.C.S. 396.
27 [1964] R.C.É. 505.
doit être rejetée pour un motif différent, il me semble tout à fait inutile d'examiner plus à fond ce point ou d'examiner la question du droit des compagnies défenderesses de limiter leur responsabilité.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE PRATTE: Il ne fait aucun doute, comme l'a conclu le juge de première instance, que le D r Stein et son fils ont tous deux fait preuve de négligence en naviguant sans exercer une veille appropriée. A mon avis, cette négli- gence est la seule cause de cet accident malheu- reux. Le juge de première instance en a décidé autrement. Il était d'avis que la cause principale de l'abordage était la négligence du capitaine du remorqueur. On peut résumer en quatre points ses conclusions principales à cet égard. Il a reproché au capitaine du remorqueur:
1. d'avoir laissé filer le câble de remorque et d'avoir navigué à une vitesse de 7 1 noeuds; (ce faisant, le capitaine du remorqueur s'est mis dans une situation telle qu'il était incapa ble de se conformer à la Règle 20a) des Règles sur les abordages qui exigent qu'un navire à propulsion mécanique s'écarte de la route d'un voilier);
2. de n'avoir pas viré plus tôt et plus nette- ment à bâbord;
3. de n'avoir pas signalé au voilier à l'aide du sifflet ou autrement la présence de la péniche; et
4. de n'avoir pas exercé une veille appropriée.
Je dois dire en toute déférence que la preuve, telle que je la conçois, ne démontre aucunement que les personnes à bord du remorqueur ont omis d'exercer une veille appropriée. En outre, je ne peux déduire de la preuve que le remor- queur aurait évité l'accident s'il avait modifié sa route vers bâbord ou s'il avait utilisé son sifflet.
En supposant que le juge de première ins tance ait eu raison de conclure que le capitaine du remorqueur aurait avancer plus lentement et remorquer la péniche au plus près, il faut néanmoins déterminer si l'abordage résulte
effectivement du fait qu'il a omis de le faire. La négligence d'un défendeur ne peut être considé- rée comme étant la cause du dommage subi par le demandeur à moins qu'il n'existe un certain lien de causalité entre la négligence invoquée et le dommage. Et, à mon avis, un tel lien n'existe pas si le défendeur ne pouvait raisonnablement prévoir que l'acte ou l'omission constitutifs de négligence risquaient d'entraîner un accident semblable à celui survenu au demandeur.
En l'espèce, je suis d'avis qu'une personne raisonnable n'aurait pas prévu que la conduite du capitaine du remorqueur pouvait entraîner un accident tel que celui au cours duquel le D * Stein fut tué. On ne pouvait raisonnablement prévoir à mon avis que, par un jour clair et ensoleillé, des personnes se trouvant à bord d'un voilier ne verraient pas la péniche tirée par un remorqueur; on ne pouvait raisonnablement prévoir non plus que le pilote d'un petit voilier très manoeuvrable naviguerait, dans un secteur tel que la baie English, si près d'un remorqueur avançant à une vitesse supérieure à 7 noeuds et tirant une péniche et qu'il se trouverait dans l'impossibilité d'éviter un abordage avec cette dernière.
Pour ces motifs, ainsi que les motifs énoncés par le juge en chef, je me prononce dans cet appel de la manière suggérée par le juge en chef.
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