Mart Steel Corporation (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance (T-597-71), le
juge Walsh—Montréal, les 23, 24 et 25 octobre;
le 19 novembre 1973; le 4 février 1974.
Responsabilité de la Couronne—Acier endommagé par de
la rouille—La formation de la rouille est due à la poussière
de grain provenant d'un élévateur voisin—La Couronne est
responsable de la gestion de l'élévateur—Loi sur le Conseil
des ports nationaux, S.R.C. 1970, c. N-8, art. 3(6)—La
responsabilité de la Couronne est engagée par une nuisan-
ce—Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, c.
C-38, art. 3(1)b).
La compagnie demanderesse s'occupe de l'achat et de la
vente d'acier, à Montréal. De 1965 à 1970, l'acier était
entreposé dans des terrains loués, situés près d'un élévateur
du Conseil des ports nationaux. La demanderesse réclame
des dommages-intérêts à la défenderesse pour les dégâts
causés par la formation de rouille sur l'acier, résultant du
dépôt de poussière de grain émanant d'ouvertures dans la
galerie. L'action a été intentée contre la défenderesse à titre
de mandant du Conseil des ports nationaux: Loi sur le
Conseil des ports nationaux, S.R.C. 1970, c. N-8, art. 3(2).
Arrêt: cette affaire relève du droit relatif aux nuisances
dont les principes essentiels sont les mêmes en droit anglais
et en droit français. Lorsqu'une personne, en exploitant ses
biens, cause, même de bonne foi, un préjudice aux biens
d'une autre personne, il est juste qu'elle soit la partie qui en
pâtisse. La Couronne peut être tenue responsable d'une
nuisance en vertu de la Loi sur la responsabilité de la
Couronne, S.R.C. 1970, c. C-38, art. 3(1)6).
La prescription invoquée en défense en vertu de l'article
4(4) de la Loi est mise en échec par les dispositions de
l'article 4(5). Cependant, les réclamations de la demande-
resse portant sur les dommages remontant à plus de deux
années avant la date du commencement des procédures sont
prescrites: articles 2224 et 2261 du Code civil de la province
de Québec. Le total des dommages subis, calculé sur la base
du coût du nettoyage de l'acier et des remises accordées aux
clients pendant cette période de deux années, est fixé à
$80,230, avec intérêt, et dépens.
ACTION.
AVOCATS:
David Angus et Vincent Prager pour la
demanderesse.
Robert Cousineau pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier et Robb,
Montréal, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour
la défenderesse.
LE JUGE WALSH—Ces procédures ont été
engagées au nom de la Mart Steel & Metal
Corporation, dont le nom devint par la suite
Mart Steel Corporation, et une requête, visant à
modifier en conséquence l'intitulé de la cause,
fut accordée au début de l'audience. Une autre
modification portant le montant des dommages-
intérêts demandés de $57,208 à $96,328 fut
autorisée. La demanderesse prétend que le fon-
dement juridique de son action en dommages-
intérêts est la nuisance. De juillet 1965 à sep-
tembre 1970, la demanderesse a occupé des
locaux loués consistant en un entrepôt, d'une
superficie d'environ 8,000 pieds carrés, et une
cour située derrière celui-ci, d'une superficie
d'environ 4,000 pieds carrés. Ils se trouvent au
870, rue Mill à Montréal, près de la galerie
utilisée au transport du grain par bande trans-
porteuse. Le transport s'effectue de l'élévateur
n° 5, appartenant au Conseil des ports natio-
naux, dont la défenderesse est responsable, jus-
qu'aux Ogilvie Flour Mills situés presqu'à l'au-
tre extrémité de la galerie et, à l'occasion,
jusqu'aux navires en chargement sur le canal,
du côté opposé de la galerie. Une route et des
voies de chemin de fer séparent la galerie de la
propriété occupée par la demanderesse, située
vers le sud à environ 100 pieds de la première.
La demanderesse, dont l'entreprise consiste à
acheter des charpentes métalliques à l'étranger
et à des aciéries du pays, puis à les vendre à des
entrepreneurs, entreposait cet acier, de formes
et de modèles variés, en partie à l'intérieur mais
surtout à l'extérieur, dans la cour de sa pro-
priété ainsi que dans une cour louée située à
environ 400 pieds vers l'est, où étaient entrepo-
sés les plus gros chargements. La demanderesse
exploitait la même entreprise à une autre
adresse, rue Roberval, d'où elle fut expropriée
en mars 1965 et elle fut forcée de s'installer à ce
nouvel emplacement, rue Mill, près de l'éléva-
teur à grain et de la galerie. Elle remarqua peu
après que l'acier était couvert d'une substance
d'une teinte claire et brunâtre qui le faisait
s'écailler et rouiller plus que d'habitude. Cette
substance était difficile à enlever et il fallait la
gratter et parfois même la décaper avant que
l'acier ne soit dans un état acceptable pour la
livraison. Selon I. Sacks, président de la deman-
deresse, une certaine formation de rouille est
prévisible et admissible, mais il faudrait norma-
lement deux ans pour que l'acier atteigne le
degré de rouille qu'il atteint actuellement en
trois ou quatre mois. Bien que leurs stocks
soient renouvelés deux ou trois fois par an,
certains articles de dimensions moins courantes
pouvaient rester entreposés pendant huit mois.
Bien que le grattage et le nettoyage de l'acier
fussent en partie effectués par des employés
permanents, il fut nécessaire aussi d'engager des
ouvriers supplémentaires pour le faire. Ses
employés lui ont signalé que cette substance
pouvait provenir des galeries à grain et, au
début de 1966, il téléphona au Conseil des ports
nationaux où on lui répondit que l'affaire serait
examinée; mais en dépit d'appels répétés, per-
sonne ne vint jusqu'à ce que finalement
Edmund Kristoffy, ingénieur chargé de l'éléva-
teur à grain, employé par le Conseil des ports
nationaux, se rende sur les lieux, en mai ou juin
1968, et examine l'acier. Kristoffy ne fit aucun
prélèvement de cette substance pour analyse,
mais déclara qu'à son avis, sa couleur n'indi-
quait pas à première vue qu'il s'agissait de pous-
sière de grain, mais il ne nia pas qu'il pouvait y
en avoir un peu. Il suggéra qu'il pouvait s'agir
en partie d'une substance inorganique comme la
poussière d'amiante provenant d'un navire qui,
au moment de sa visite, déchargeait de l'amiante
à une distance d'environ 350 pieds de l'autre
côté du canal. Il témoigna qu'il n'avait pas eu
connaissance de plaintes antérieures.
Au cours des deux années pendant lesquelles
il adressa des plaintes, Sacks vit à plusieurs
reprises de la poussière sortant des ouvertures
dans la paroi latérale de la galerie, à tel point
parfois que ses employés travaillant au chantier
avaient des difficultés à respirer et avaient mal
aux yeux. Enfin, le 8 mai 1968, après une vaine
conversation téléphonique avec Lichtermote, du
Conseil des ports nationaux, qui lui répondit que
sa plainte n'était pas valable puisque la deman-
deresse s'était installée récemment sur la pro-
priété de la rue Mill et que les élévateurs à grain
étaient à cet endroit et fonctionnaient de la
même manière depuis 50 ans, Sacks envoya une
lettre recommandée à S. C. Oppen, directeur
adjoint du port, l'informant que la substance
éjectée de la galerie endommageait l'acier de la
demanderesse et requérant une inspection afin
d'évaluer les dommages. Le 27 juin 1968,
Oppen répondit que l'affaire avait été examinée,
que la poussière provenait fréquemment non
seulement des élévateurs à grain, mais aussi de
la manutention de marchandises en vrac sur le
quai Bickerdike, qu'il en était ainsi depuis des
années et qu'il était impossible d'y mettre fin
complètement; enfin il ajouta qu'à son avis, rien
ne démontrait que la poussière de grain endom-
mageait l'acier et que, même s'il en était ainsi, le
requérant aurait dû en avoir connaissance et le
prévoir.
A la suite de cette lettre, Sacks se mit en
relation avec la St. Lawrence Stevedoring Com
pany qui déchargeait des navires sur le quai
Bickerdike; Stanley Krul, employé par cette
compagnie à cette époque, qui, auparavant,
avait été employé pendant quatorze ans par la
C. D. Howe Company en temps que directeur
des quais et, en cette qualité, avait travaillé à la
rénovation des galeries du Conseil des ports
nationaux qu'il connaît donc bien, se rendit sur
les lieux et examina la substance recouvrant
l'acier. Il témoigna que, bien que la St. Law-
rence Stevedoring Company manutentionnât
des marchandises en vrac sur le quai Bicker-
dike, on ne pouvait y décharger des matières
pulvérulentes, comme des sulphates. Il affirma
qu'en examinant la substance, il pouvait voir
qu'il s'agissait de poussière de grain et suggéra
de la faire analyser. L'acier avait été endom-
magé par cette poussière; il pouvait voir des
fuites dans la paroi latérale des galeries à grain
et remarqua lui-même à différentes reprises de
la poussière qui en sortait une fois par semaine
ou toutes les deux semaines, pendant une heure
à la fois. Au cours des sept années pendant
lesquelles il avait travaillé dans les galeries, au
service de la C. D. Howe Company, il a person-
nellement vu des balayeurs ouvrir des orifices
dans les parois latérales et balayer la poussière
vers l'extérieur., mais il ne peut pas affirmer que
c'était encore le cas en 1965 ou en 1966, puis-
qu'il avait quitté la C. D. Howe Company à
cette époque.
Après sa visite, Sacks appela le Service de
Santé de la ville de Montréal ce qui entraîna la
visite de Marc Roberge, employé de la ville de
Montréal, accompagné d'un certain Émilien
Lalonde, le 12 juillet 1968. Il témoigna qu'il vit
sur l'acier la poussière qui devait retenir l'humi-
dité. Ce qu'ils virent correspondait aux photo-
graphies qu'on leur avait montrées; il vit de la
poussière provenant de la galerie, mais ce jour
là, le vent ne l'emportait pas dans la direction de
la propriété de la demanderesse. Il fit un rapport
à la suite duquel, apparemment, la ville de
Montréal communiqua par téléphone avec les
fonctionnaires du Conseil des ports nationaux
pour se plaindre de la nuisance produite par le
nettoyage des galeries à grain et leur demander
de prendre les mesures nécessaires pour y remé-
dier. Comme Roberge l'a expliqué, c'était tout
ce qu'ils pouvaient faire puisqu'ils n'avaient pas
compétence sur la propriété du Conseil des
ports nationaux. Roberge déclara que la sub
stance qu'il vit provenir de la galerie le jour de
sa visite, était éjectée par nuées intermittentes
de poussière, mais il ne put se rappeler si elle
sortait des fenêtres ou de trous dans les murs.
Sacks appela aussi les laboratoires Warnock
Hersey qui prélevèrent quatre échantillons de la
substance couvrant l'acier. Robert Bergeron,
technicien en métallurgie, prit des échantillons
de la rouille le 21 mai 1968. Il ne procéda pas à
l'analyse qui fut effectuée par E. Nyman, chi-
miste en chef de cette compagnie, qui, malheu-
reusement, à cause d'une grave maladie, n'a pu
témoigner. Cependant, son rapport, daté du 5
juillet 1968, fut déposé à titre de pièce et fut
expliqué par Christopher Mapp, chef des servi
ces de métallurgie et de chimie de la Warnock
Hersey. Le rapport utilise l'expression [TRADUC-
TION] «protéine considérée comme provenant
de la farine», présumant apparemment que la
substance en question était de la farine. L'utili-
sation du mot «flour» a peut-être résulté d'une
difficulté de langue. Bergeron qui est franco-
phone utilisa le mot «farine» dans son sens
général, qui inclut à la fois la poussière de grain
et la farine à proprement parler, sans avoir
l'intention de qualifier cette substance de farine
par opposition à la poussière de grain, alors que
Nyman, anglophone, traduisit le mot «farine»
par «flour» et s'y réfère dans ce sens strict dans
son analyse. D r Solomon Lipsett, expert-témoin
de la demanderesse, a déposé que la farine et la
poussière de grain contiennent à peu près la
même quantité de protéine; par la suite, après
l'ajournement de l'affaire pour permettre à la
défenderesse de faire procéder par un expert à
l'analyse de la poussière de grain prélevée dans
la galerie lors d'une visite de celle-ci par la Cour
accompagnée des avocats des deux parties, la
défenderesse indiqua qu'il n'était pas nécessaire
d'appeler le témoin qui procéda à cette analyse
car ses conclusions ne différaient pas substan-
tiellement des chiffres présentées dans le rap
port du D r Nyman. On ne peut donc conclure de
manière scientifique que la substance couvrant
l'acier était de la farine à proprement parler,
plutôt que de la poussière de grain qui aurait pu
provenir de la galerie de l'élévateur alors que la
farine n'aurait pu en provenir.
Quelle que soit la substance, Bergeron con-
vint avec Sacks que la corrosion de l'acier
résulte de l'humidité et que le fait de couvrir
l'acier entreposé dans la cour avec une bâche
n'aurait rien arrangé car la bâche aurait eu ten-
dance à retenir l'humidité. L'acier qui s'écaillait,
ne pouvait être peint car la peinture se serait
détachée très rapidement et cet acier, dans l'état
où il vit, était certainement invendable à un
client, avant que la plus grande partie de la
rouille soit enlevée. Sacks avait témoigné que
les pièces d'acier, de dimensions et formes dif-
férentes, étaient entreposées à divers endroits
du chantier principal et dans la propriété louée
et qu'on devait, souvent déplacer plusieurs arti
cles à la fois, en fonction des commandes des
clients; il aurait donc été pratiquement impossi
ble de couvrir l'acier, parce qu'il aurait fallu
déplacer quotidiennement les bâches qui
auraient gelé en hiver et cessé d'être pliables. Il
aurait coûté plus cher de les enlever et de les
remettre que d'enlever la rouille de l'acier.
Le 17 juillet 1968, Sacks envoya au Service
de Santé de la ville de Montréal une copie du
rapport de la Warnock Hersey sur les quatre
échantillons de rouille. Le 5 novembre 1968, la
demanderesse envoya un avis de quatre-vingt-
dix jours à la défenderesse l'informant de la
demande de $57,208 de dommages-intérêts pour
les dommages subis entre 1967 et 1968 et l'avi-
sant que les procédures seraient engagées en
temps utiles. Un certain nombre de photogra-
phies de l'acier et de la galerie ont été produites.
Certaines furent prises récemment au cours de
la préparation du procès, d'autres par Walter
Sacks en avril et mai 1968 et quelques-unes par
un photographe professionnel. Les plus impor-
tantes sont les photos prises par Sacks en 1968,
montrant de la poussière sortant effectivement
en grande quantité de la galerie. Bien que, lors
de son témoignage, il ait déclaré n'avoir jamais
vraiment suivi la course de la poussière dans
l'air jusqu'à ce qu'elle se dépose sur l'acier, il l'a
souvent vue venir de la galerie et a vu la pous-
sière sur l'acier.
Environ trois ouvriers étaient constamment
chargés du nettoyage de l'acier entreposé sur le
chantier et, lorsque la demanderesse déménagea
enfin à un autre endroit, elle fut en mesure de
les licencier et n'eut plus d'ennuis avec l'acier,
se retrouvant dans la même situation qu'avant
son déménagement rue Mill. Le nettoyage est
un processus coûteux car il faut une grue pour
soulever chaque pièce d'acier qui doit être grat-
tée et éventuellement nettoyée avec une
machine à décaper. Il faut alors la tourner afin
de nettoyer les côtés car la poussière s'insinue
entre les pièces d'acier de sorte qu'on en trouve
sur les côtés comme sur le dessus; le nettoyage
d'une seule pièce en acier exige donc parfois
quatre manoeuvres de la grue. Il fallait nettoyer
environ 15% de l'acier de cette manière.
Selon Sacks et d'autres témoins, dont l'expert
D r Lipsett, la pluie ou la neige mélangées avec la
poussière la faisait s'agglutiner et adhérer à
l'acier et l'humidité ainsi retenue, au lieu de
sécher, accélérait donc la formation de la
rouille. Même si I. Sacks a déclaré ne pouvoir
certifier qu'il voyait quotidiennement de la
poussière provenant des galeries, il a remarqué,
à la fin 1965 et certainement au début 1966,
qu'il en sortait par les fentes de la paroi latérale
en tôle ondulée et aussi par les fenêtres lors-
qu'elles étaient ouvertes.
Les échantillons de grattures donnés au Dr
Lipsett du Laboratoire J. T. Donald pour être
analysés, après le début des procédures en
1970, sont des échantillons que Sacks affirme
avoir prélevés en 1968. Le rapport du Dr Lip-
sett, témoin expert, fut accepté en preuve
comme s'il avait été lu et D r Lipsett témoigna.
Selon son rapport, la substance avait la struc
ture cellulaire de fragments végétaux compor-
tant de nombreux granules d'amidon et, d'après
son apparence, consistait essentiellement en
balles de grains. Il y avait une petite quantité de
sulphate soluble dans l'eau mais pas de chlo-
rure. Le rapport cite des manuels sur le sujet et
précise:
[TRADUCTION] A notre avis, l'importante formation de rouille
inhabituelle pourrait être imputée à un dépôt de balles ou de
poudre fine d'origine végétale (probablement du grain) sur
l'acier.
Dans son témoignage il indiqua qu'à son avis, le
secteur était peu pollué par le soufre et que
l'acier n'aurait donc pas subi une corrosion plus
importante qu'ailleurs sans ce dépôt de pous-
sière de grain. Ayant examiné les chiffres
donnés dans le rapport sur l'analyse chimique
effectuée par la Warnock Hersey, il affirma que
la proportion de sulphate était dans des limites
normales et la proportion de chlorure trop faible
pour être le produit de la corrosion par eau
salée. On calcule la proportion d'azote, puis on
la multiplie par un certain facteur afin de déter-
miner la proportion de protéine. L'azote ne pro-
vient pas de l'acier lui-même ni de l'atmosphère,
mais de la poussière de grain qui contient 12 à
14% de protéine. Il avait fait une analyse chimi-
que de la substance présumée être du sulphate
et avait trouvé qu'elle avait une teneur en
cendre de 12.89% alors que la farine ordinaire
en contient moins de la moitié de 1% et que la
teneur en cendre de la poussière de grain est
d'environ 5.6%; il en conclut que s'il y avait de
la farine en tant que telle dans la substance, ce
n'était qu'en très petite quantité. Il examina
aussi les échantillons prélevés dans la galerie, le
jour de l'inspection effectuée au cours du
procès et déclara que l'échantillon qu'il avait
analysé en 1970 correspondait à trois de ces
échantillons. La substance pouvait couvrir une
certaine distance, portée par le vent, mais il en
faudrait une quantité importante, 668 livres à
son avis, pour couvrir un secteur de 4,000 pieds
carrés (la superficie approximative du chantier)
d'une couche épaisse d'un vingtième de pouce.
Francesco Ricciotti, contremaître de chantier
de la demanderesse, témoigna qu'il voyait fré-
quemment de la poussière venant de la galerie
de l'élévateur et qu'il invectivait les employés
de l'élévateur lorsqu'elle venait vers lui. Parfois,
il y avait tellement de poussière venant de la
galerie de l'élévateur qu'ils devaient mettre des
mouchoirs sur leurs bouches. Il affirma qu'ils
n'avaient jamais eu de problèmes semblables
avec l'acier avant le déménagement rue Mill ou
après que la demanderesse a quitté cet emplace
ment. Bien qu'il ait vu parfois de la poussière
provenant des fenêtres lorsqu'elles étaient
ouvertes, pendant l'été, elle provenait la plupart
du temps d'orifices dans la paroi latérale de la
galerie, au niveau du plancher. Même s'il ne
pouvait pas vraiment voir si quelqu'un balayait
la poussière au dehors, il la voyait sortir.
Irving Weisberg, courtier en acier qui impor-
tait de l'acier d'Europe et en vendait à la deman-
deresse et à d'autres clients, rendait fréquem-
ment visite au chantier comme à d'autres
entrepôts d'acier situés en ville. Il remarqua la
poussière sur l'acier, ce qu'il trouva très singu-
lier, et prit quelques photographies de l'acier en
juillet 1968. Il remarqua que la formation de
rouille était importante et que l'acier était piqué
et s'écaillait à tel point que, lorsqu'une poutre
était légèrement frappée, des particules en
tombaient.
Kristoffy, ingénieur de l'élévateur à grain,
employé par le Conseil des ports nationaux, qui,
comme nous l'avons déjà indiqué, fit une brève
visite sur les lieux le 21 juin 1968, témoigna
que, 85% du temps, les vents dominants vien-
nent de l'ouest et qu'ils tendent donc à souffler
dans la direction opposée aux locaux commer-
ciaux de la demanderesse et en direction du
canal. Il affirma aussi que la poussière de grain
est légère et que les particules peuvent couvrir
une distance de deux ou trois milles si la vitesse
du vent est de 10 à 15 milles à l'heure. Il
témoigna que la perte moyenne sur la bande
transporteuse est d'environ trois dixièmes de
livre sur 1,000 livres et expliqua que, théorique-
ment, même si l'on transportait 10 millions de
boisseaux sur la bande, il n'y aurait qu'un très
mince dépôt de poussière si celle-ci était disper
sée sur une surface de 50 acres par exemple. La
propriété de la demanderesse occupait cepen-
dant une superficie très inférieure à ce chiffre
et, même s'il est possible que quelques particu-
les soient transportées à une distance de deux
ou trois milles, il est raisonnable de supposer
que la plus grande partie de la poussière tombe
à proximité de l'élévateur et de la galerie, les
retombées diminuant rapidement avec l'augmen-
tation de la distance. Je ne pense pas que des
calculs théoriques de cette nature, pas plus que
les calculs théoriques similaires demandés au D r
Lipsett qui a établi qu'il faudrait environ 668
livres de poussière pour former un dépôt de un
vingtième de pouce sur la superficie de la pro-
priété de la demanderesse, soient très utiles
comparés a la preuve concrète présentée par les
témoins concernant la présence d'une substance
pulvérulente sur l'acier. L'analyse de la matière
recueillie ne corrobore pas la théorie de Kris-
toffy selon laquelle il pourrait s'agir de pous-
sière d'amiante provenant d'un navire en
déchargement de l'autre côté du canal le jour de
sa visite, ou d'autres substances transportées
par le vent dans un secteur industriel, et il est
significatif qu'il n'ait pas essayé de prélever un
peu de la substance qu'il vit sur l'acier le jour de
sa visite pour la faire analyser par le Conseil des
ports nationaux et établir ainsi le bien-fondé de
son point de vue portant qu'il ne s'agissait pas
seulement de poussière de grain.
Luigi DiCesare, qui était chargeur de la bande
transporteuse, témoigna qu'il avait travaillé dans
la galerie n° 5, trois ou quatre jours par mois
pendant la période en cause. Deux ou trois
ouvriers à la fois pouvaient s'occuper du net-
toyage de la galerie, ce qui consistait à ramasser
la poussière dessous la bande qu'on arrête à ce
moment-là et à la charger sur la bande qui
l'emporte jusqu'à un réservoir placé à son extré-
mité. Il n'a jamais jeté la poussière par les
fenêtres ou par les orifices se trouvant entre le
plancher et les murs, mais a admis qu'au cours
du balayage, une certaine quantité puisse être
éjectée. Il portait un masque pendant le net-
toyage et utilisait un racloir, une pelle ou un
balai. La poussière atteignait une épaisseur de
un ou deux pouces à certains endroits et même
de trois ou quatre pouces sous la bande, mais
cela pouvait représenter une accumulation d'un
mois. Un autre témoin de la défense, Benny
Carp, témoigna dans le même sens, disant qu'il
n'avait jamais jeté de poussière par les fenêtres
ou par les orifices et n'avait jamais vu quelqu'un
le faire, admettant pourtant que, parfois, une
petite quantité de poussière pouvait être éjectée
de cette manière. Roland Boulay témoigna que,
normalement, les bandes fonctionnaient d'envi-
ron 8h00 à 16h30 et que l'on procédait au
nettoyage lorsqu'elles étaient arrêtées. Si, pour
une raison quelconque, on arrêtait les bandes à
15h30, ils commençaient le nettoyage aussitôt.
La poussière s'accumulait en particulier aux
raccords, là où le grain passait d'une bande à
une autre. On ne procédait à un nettoyage com-
plet de la galerie qu'environ deux fois par an et,
le reste du temps on ne nettoyait que la zone
des bandes, et non entre elles et le mur. Emile
Roy et Gerard Fiorelli témoignèrent aussi que le
nettoyage n'avait pas lieu lorsque la bande fonc-
tionnait, que la poussière n'était jamais éjectée
par les fenêtres et qu'elle était récupérée dans
un réservoir situé à l'extrémité de la bande.
Marcel Robitaille, le surveillant de l'élévateur
n° 5, témoigna que seulement 3 à 5 navires par
an utilisent _ cette partie du port pour charger du
grain. La plus grande partie du grain est réser-
vée à la consommation intérieure et sert à
approvisionner, entre autres, la Ogilvie Flour, la
Canada Malt et la Maple Leaf Milling. La gale-
rie en cause mène aux locaux de la Ogilvie
Flour qui consomme environ 10 millions de
boisseaux par an, les livraisons étant ininterrom-
pues, sauf peut-être deux ou trois jours par mois
et une semaine environ pendant l'hiver lorsque
la compagnie fait son inventaire. La Canada
Malt reçoit aussi des livraisons une fois par
mois environ. Tout le nettoyage est effectué
après 16h30 excepté les jours où la bande ne
fonctionne pas parce qu'il n'y a pas eu de livrai-
son. La poussière, ramassée lors du balayage,
est mise sur la bande et recueillie dans les
réservoirs situés à l'extrémité; on la vend $10 la
tonne pour servir, une fois mélangée à d'autres
produits, de nourriture pour le bétail. En 1972,
on en a vendu 892,960 livres, dont environ
70,700 provenaient de la galerie de l'élévateur
n° 5. Il admit cependant que, parfois, au cours
des nettoyages partiels, deux ou trois fois par
semaine, le grain est balayé vers le centre et
n'est pas toujours chargé sur la bande qui doit le
transporter jusqu'au réservoir. Il concéda qu'i-
névitablement, un peu de poussière s'échappe
de la galerie qui mesure 800 ou 1,000 pieds de
long. Même les 32 élévateurs de Thunder Bay
ne sont pas hermétiques et laissent de la pous-
sière s'échapper. Il faut ouvrir les fenêtres des
galeries afin de voir les signaux des bateaux
qu'on est en train de charger. Il concéda que les
trous dans la paroi latérale de la galerie ne sont
pas toujours réparés ou bouchés avec des
chiffons.
Une visite des lieux effectuée par la Cour
pendant le procès, en compagnie des représen-
tants des deux parties et de leurs avocats fut
très utile et a permis de faire une meilleure
évaluation de la preuve donnée par divers
témoins et de mieux situer l'élévateur à grain et
la galerie par rapport aux anciens locaux com-
merciaux de la demanderesse, rue Mill. La
bande fonctionnait au moment de la visite de la
galerie et il est évident que cette opération
créait inévitablement une grande quantité de
poussière, au point qu'il était désagréable et
difficile de respirer dans la galerie. Il est tout à
fait manifeste qu'il serait dangereux d'essayer
de nettoyer la galerie, sauf de façon très limitée,
lorsque la bande fonctionne. Il était tout aussi
manifeste que la poussière s'accumule en
grande quantité sur le plancher, souvent sur une
épaisseur de deux à trois pouces, en particulier
aux endroits où le grain passe d'une bande à une
autre. Il semble apparemment nécessaire de
balayer et de nettoyer assez régulièrement et il
est difficile d'admettre le témoignage de Boulay
selon lequel le côté extérieur à la bande, du côté
du mur, n'était nettoyé qu'une ou deux fois par
an, car la poussière s'accumule de la même
manière des deux côtés de la bande; à moins
qu'on ne balaie le côté extérieur assez régulière-
ment, l'accumulation serait plus grande à cet
endroit que du côté intérieur à la bande où se
trouve le passage. Toutefois, le jour de la visite
la poussière était moins épaisse dans la zone de
passage. Rien n'empêche apparemment de
balayer régulièrement le côté extérieur à la
bande lorsque celle-ci ne fonctionne pas car il y
a un espace suffisant pour travailler de ce
côté-là, , si l'on passe d'abord par-dessus la
bande. On pouvait voir un certain nombre de
fentes à la jonction de la paroi métallique et du
plancher ainsi que des ouvertures dans la paroi
latérale à travers lesquelles il était possible de
pelleter ou de balayer la poussière de grain;
cependant, le jour de l'inspection, certains d'en-
tre eux au moins étaient bouchés avec des chif-
fons. Dans l'ensemble la galerie semblait être
relativement bien entretenue et la paroi latérale
en assez bon état.
Même s'il est certainement normal, puisqu'on
peut vendre la poussière de grain, de demander
aux balayeurs de la mettre en tas, puis de la
pelleter sur la bande alors à l'arrêt, pour la
transporter jusqu'au réservoir situé à l'extrémité
où elle est recueillie, on peut comprendre aisé-
ment qu'une certaine quantité de poussière de
grain, sans doute relativement faible comparée à
l'accumulation totale, soit balayée ou poussée
vers l'extérieur à travers les fentes du côté, en
particulier quand l'accumulation à certains
endroits n'est pas suffisante pour que le
balayeur se sente obligé de la rassembler et de
la pelleter sur la bande. Bien qu'aucun des
employés du Conseil des ports nationaux n'ait
voulu admettre dans son témoignage que ceci se
faisai-t� il-est-évident que-puisque la-galer-ie-a-une-
longueur de 800 à 1,000 pieds et que seulement
deux ou trois balayeurs travaillent en même
temps, ces derniers travaillent fréquemment
seuls, sans trop de surveillance. Ceci est appa-
remment la seule explication raisonnable des
nuées de poussière qu'un certain nombre de
témoins dignes de foi ont vues de temps en
temps sortir par les fentes de la paroi latérale de
la galerie, ce qui fut corroboré au moins une fois
par des photographies. En outre, il est évident
qu'à cause de la quantité de poussière dans l'air,
il est difficile de respirer dans la galerie et qu'on
ouvre donc fréquemment les fenêtres lorsque
des ouvriers y travaillent, en particulier en été,
et qu'en raison des courants d'air, une certaine
quantité de poussière peut sortir par ces fenê-
tres, même s'il semble peu probable qu'elle ait
été délibérément jetée à la pelle, comme la
demanderesse le suggère.
On pouvait voir de la poussière de grain sur
les terrains avoisinants, occupés auparavant par
la demanderesse, et, en fait, un peu de grain,
s'étant apparemment planté tout seul, y pous-
sait. Le jour de la visite, à titre d'expérience, on
a délibérément poussé de la poussière de grain à
travers les trous de la paroi latérale ce qui
produisit des nuées de poussière de grain visi-
bles de l'extérieur et semblables à celles que
montrent les photographies produites comme
pièces; je suis convaincu que, dans les cas où le
vent souffle vers la propriété de la demande-
resse (même si ce n'est pas le vent le plus
habituel), une partie de cette poussière de grain
atteint cette propriété. Même s'il est difficile de
concevoir que cette quantité suffisait à produire
le dommage apparemment subi par l'acier de la
demanderesse, il semble n'y avoir aucune autre
explication raisonnable de l'origine de la pous-
sière, qui s'est effectivement accumulée sur
l'acier; il faut en outre se rappeler que la couche
de poussière recouvrant l'acier et ayant causé la
formation de rouille s'accumulait sur une
période pouvant aller de trois à six mois, ou
même un an. La demanderesse admit que seule-
ment 15% de son acier devait être gratté; il peut
donc s'agir de l'acier qui restait le plus long-
temps sur le chantier et était le plus exposé à
l'accumulation de poussière.
Cette demande doit nécessairement se fonder
sur les dispositions de la Loi sur la responsabi-
lité de la Couronne, S.R.C. 1970, c. C-38. L'arti-
cle 3(1) de cette loi se lit comme suit:
3. (1) La Couronne est responsable des dommages dont
elle serait responsable, si elle était un particulier majeur et
capable,
a) à l'égard d'un délit civil commis par un préposé de la
Couronne, ou
b) à l'égard d'un manquement au devoir afférent à la
propriété, l'occupation, la possession ou la garde d'un
bien.
et la responsabilité encourue en vertu de l'arti-
cle 3(1)a) dépend de l'applicabilité de l'article
4(2) qui se lit comme suit:
4. (2) On ne peut exercer de recours contre la Couronne,
en vertu de l'alinéa 3(1)a), à l'égard d'un acte ou d'une
omission d'un préposé de la Couronne, sauf si, indépendam-
ment de la présente loi, l'acte ou l'omission eût donné
ouverture à une poursuite en responsabilité délictuelle
contre ce préposé ou sa succession.
La demanderesse s'appuie en partie sur ce
qu'elle considère comme des actes manifestes
de négligence, qu'il s'agisse d'actes ou d'omis-
sions des préposés du Conseil des ports natio-
naux pour lesquels la défenderesse est respon-
sable et prétend que:
a) au cours du balayage, on a négligemment
poussé de la poussière de grain par des ouver-
tures de la paroi latérale de la galerie pour
s'en débarrasser;
b) les responsables de la surveillance des
employés ne l'ont pas efficacement empêché;
et
c) les responsables de l'entretien de la galerie
n'ont pas veillé à ce qu'on ne pratique pas
d'ouvertures ou à ce qu'on les bouche après
qu'on les a remarquées.
Toutefois, la preuve qu'en balayant, on a poussé
la poussière de grain à travers les ouvertures est
plus indirecte que directe (excepté la déposition
de Krul qui affirma avoir vu des balayeurs
pratiquer des ouvertures dans la paroi latérale et
balayer la poussière au dehors, mais ce témoi-
gnage se rapportait cependant à une époque
antérieure à la période en cause); il n'y a pas
non plus de preuve directe que les galeries n'ont
pas été entretenues normalement et correcte-
ment; en outre, on n'a pas déterminé quels
préposés de la Couronne auraient pratiqué des
ouvertures dans la paroi latérale de la galerie,
poussé la poussière par ces ouvertures ou
auraient omis de surveiller correctement les
autres préposés qui le faisaient ou auraient omis
d'entretenir correctement la galerie, ce qui rend
plus difficile de conclure de la façon prévue au
paragraphe 4(2) de la Loi, conclusion dont
dépend l'application de l'article 3(1)a). La
demande de dommages-intérêts doit donc se
fonder principalement sur l'article 3(1)b) et
relève du droit concernant les nuisances.
Comme l'avocat de la demanderesse l'a fait
remarquer, celui-ci va plus loin que le droit
fondé sur la doctrine res ipsa loquitur qui ne fait
que renverser la charge de la preuve et créer
une présomption réfutable; en effet, si l'activité
d'une entreprise sur une propriété cause un
dommage à une propriété voisine, cette nui
sance peut, dans certaines circonstances, faire
l'objet d'une poursuite même si le propriétaire
de l'entreprise démontre qu'il a pris toutes les
mesures nécessaires pour l'éviter ou y mettre
fin et qu'il n'a pu l'éliminer complètement. Il est
donc nécessaire d'examiner la jurisprudence
concernant le droit relatif aux nuisances et de
déterminer s'il s'applique à la Couronne en
vertu des dispositions de la Loi sur la responsa-
bilité de la Couronne.
Le droit relatif aux nuisances, fondé sur la
maxime sic utero tuo ut alienum non laedas, est
très ancien et il est possible de remonter jus-
qu'au Case of the Thorns (1466), Y.B. 6 Ed. IV,
7a. pl. 18 qui décida que:
[TRADUCTION] En cas d'actes dommageables, le droit tient
moins compte de l'intention de l'auteur que de la perte et du
dommage subi par l'autre partie ... car si un individu, tout
en agissant de manière conforme à la loi, cause pourtant un
dommage à une autre personne, il devra en être tenu respon-
sable, dans le cas où il lui aurait été possible de l'éviter.
Le fait qu'il n'est possible d'éviter le dommage
qu'en cessant l'activité elle-même n'est pas un
moyen de défense utilisable selon l'arrêt Rapier
c. London Tramways [1893] 2 Ch. D. 588 la p.
602, où le juge déclare:
[TRADUCTION] S'ils ne peuvent garder deux cents chevaux à
la fois, même en prenant les précautions nécessaires, tout ce
que je puis dire est qu'ils doivent s'en abstenir.
L'affaire Rylands c. Fletcher (1868) E. & I.
App. 3 H. L. 330 fréquemment citée, expose le
principe fondamental à la page 340:
[TRADUCTION] La personne dont l'herbe ou le grain devien-
nent la pâture du bétail échappé de la propriété de son
voisin, ou dont la mine est inondée par de l'eau provenant
du réservoir de son voisin, ou dont la cave est envahie par
des immondices provenant des lieux d'aisance de son voisin,
ou dont la demeure est rendue insalubre par les fumées et
les vapeurs nocives de l'usine d'alcali de son voisin, subit un
préjudice sans qu'il y ait aucune faute de sa part; il semble
raisonnable et juste que le voisin qui a apporté dans sa
propriété une chose (qui n'y était pas à l'origine), inoffensive
pour les autres tant qu'elle reste sur sa propriété, mais qui, à
sa connaissance, serait nuisible sur la propriété de son
voisin, soit obligé de réparer les dommages causés s'il ne
réussit pas à la maintenir sur sa propriété. Toutefois, s'il
n'avait pas apporté cette chose, il n'y aurait pas eu de
dommages, et il semble juste qu'il doive la garder à cet
endroit à ses risques et périls, afin qu'aucun dommage n'en
découle, ou assumer la responsabilité des conséquences
naturelles et prévisibles. Nous estimons que, d'après la
jurisprudence, tel est le droit en la matière, que les choses
ainsi transportées soient des animaux, de l'eau, des immon-
dices ou des odeurs désagréables.
La Cour suprême se référa à cet arrêt, et rendit
un jugement dans le même sens dans l'affaire
The Chandler Electric Company c. H. H. Fuller
& Co. (1893) 21 R.C.S. 337; dans cette affaire,
le tuyau d'un condenseur d'un moteur à vapeur
utilisé pour la fabrication d'électricité dégageait
de la vapeur à environ 20 pieds d'un entrepôt
voisin dans lequel elle s'infiltrait et endomma-
geait les marchandises. Il fut décidé que le pro-
priétaire d'un terrain ne peut y avoir d'activité
légale en soi si elle nuit nécessairement à un
autre. En rendant le jugement, le juge Patterson
mentionna (à la page 340) un autre arrêt britan-
nique très ancien, Lambert c. Bessey (1680) Sir
T. Raym 421; 83 E.R. 220, dans lequel était cité
le passage du Case of the Thorns (précité). Il
cita aussi un extrait du jugement rendu par le
juge Denman dans l'affaire Humphries c. Cous
ins (1877) 2 C.P.D. 239 à la p. 243 que voici:
[TRADUCTION] De prime abord, tout occupant d'un terrain
a le droit de jouir de ce terrain libre de tout envahissement
par les ordures ou autres objets provenant de toute structure
installée sur un terrain avoisinant. En outre, ce droit dont
tout occupant d'un terrain jouit découle de la possession et
ne dépend pas des actes ou des omissions d'autres person-
nes; il ne dépend pas de ce qu'ils peuvent savoir ou ne pas
savoir sur l'état de leur propriété, ni du bon ou du mauvais
entretien de ces terres par le propriétaire. A mon avis, les
arrêts Smith c. Kenrick (7 C.B. 515); Baird c. Williamson
(15 C.B.N.S. 376); Fletcher c. Rylands (3 H. & C. 774; L.R.
1 Ex. 265; L.R. 3 H.L. 330) et les arrêts plus anciens
mentionnés ici ainsi que l'arrêt récent Broder c. Saillard (2
Ch. D. 692) ont établi que tels sont les droits de l'occupant
d'un terrain.
Dans l'arrêt Humphries c. Cousins, il est aussi
déclaré, à la page 245, que:
[TRADUCTION] En fait, une fois qu'on a établi que le défen-
deur a violé les droits du demandeur et qu'en conséquence
ce dernier a subi un préjudice, le défendeur ne peut, dans
une action intentée par le demandeur, invoquer en défense
qu'il a violé ces droits sans le savoir et sans avoir commis de
négligence.
L'affaire ontarienne Russell Transport Ltd. c.
Ontario Malleable Iron Co. Ltd. [1952] 4 D.L.R.
719 concernait la détérioration de la carrosserie
des voitures de la demanderesse, rongée, corro
dée et rouillée par les émanations d'anhydride
sulfureux provenant de la fonderie exploitée sur
une propriété avoisinante. Le juge McRuer, juge
en chef de la Haute Cour, en prononçant le
jugement en faveur de la demanderesse, se
référa à son étude approfondie du droit applica
ble à des affaires de cette nature dans l'arrêt
Walker c. McKinnon Industries Ltd. [1949] 4
D.J .R._ 739, confirmé par le Conseil privé
[1951] 3 D.L.R. 577, et, à la page 728, se référa
aussi à Salmond on Torts, 10e édition, pages
228-231, qui donne le résumé récapitulatif des
moyens de défense inefficaces de la façon
suivante:
[TRADUCTION] 1. Le fait que les demandeurs eux-mêmes
se sont installés près de la source de nuisance n'est pas un
moyen de défense.
2. Le fait que la nuisance, bien que préjudiciable aux
demandeurs, bénéficie au grand public n'est pas un moyen
de défense.
3. Le fait que l'endroit d'où provient la nuisance convient
à la poursuite des opérations incriminées, et qu'il n'y a pas
d'autre endroit disponible où le préjudice serait moindre,
n'est pas un moyen de défense.
4. Le fait que toutes les précautions nécessaires et tous
les moyens techniques sont utilisés afin d'empêcher l'acti-
vité incriminée de devenir une nuisance n'est pas un moyen
de défense. La nuisance n'est pas une branche du droit
relatif à la négligence.
5. Le fait que l'activité du défendeur ne causerait pas une
nuisance si d'autres personnes, sans lien de dépendance
avec lui, ne faisaient pas la même chose au même moment,
n'est pas un moyen de défense.
6. Celui qui produit la nuisance ne peut invoquer comme
défense qu'il ne fait qu'utiliser sa propriété de manière
raisonnable.
A la page 733, il déclare:
[TRADUCTION] ... Je ne pense pas qu'entreposer des auto
mobiles à l'air libre sur les terrains en cause soit une
opération particulièrement compliquée. Le finissage d'une
automobile est prévu pour résister à une pollution atmosphé-
rique raisonnable et il serait manifestement injuste de déci-
der que les propriétaires voisins des installations de la
défenderesse n'ont aucun recours devant les tribunaux pour
faire protéger leurs automobiles des émanations de la fonde-
rie pour la simple raison qu'ils ne les mettent pas à l'abri.
Aux pages 730-731, il affirme:
[TRADUCTION] Même si la doctrine de l'usage raisonnable
des terrains de la défenderesse pouvait être appliquée pour
couvrir le cas où la propriété de la demanderesse subit un
préjudice matériel important, je ne pense pas qu'on pourrait
l'appliquer à cette affaire. On doit distinguer le terme «rai-
sonnable» tel qu'utilisé dans le droit relatif aux nuisances de
ses autres usages dans le droit relatif aux délits civils et, en
particulier, son usage dans les actions en matière de négli-
gence. «En ce qui concerne la négligence, en supposant
qu'on ait établi l'obligation de diligence, la question capitale
devient «le défendeur a-t-il fait preuve de diligence raison-
nable?», alors que dans le cas de nuisance, le défendeur
n'est pas nécessairement dégagé de sa responsabilité, même
s'il a fait preuve de diligence raisonnable. Il est vrai qu'il
ressort d'une longue série de décisions que c'est le caractère
déraisonnable de l'acte qui fut le facteur déterminant de la
responsabilité pour nuisance. Mais ici le terme «raisonna-
ble» vise une diligence qui est plus étendue que la «diligence
normale». Il englobe les relations des parties en droit,
compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire. Sou-
vent, certaines de ces circonstances sont telles qu'un homme
de la rue ne serait pas à même de les évaluer»: Winfield on
Torts, 5e édition, page 448. «En common law, si l'on est
poursuivi en justice pour nuisance, et que la nuisance est
démontrée, il ne suffit pas d'établir en défense qu'on a fait
preuve de diligence raisonnable afin de l'éviter: voir le lord
juge Lindley dans l'arrêt Rapier c. London Tramways Co.,
[1893] 2 Ch. 588, aux pages 599-600. Il ne faut pas en
conclure que le fait de prendre des précautions n'est pas
pertinent en matière de responsabilité pour nuisance. Dans
certains cas, le défendeur peut invoquer pour sa défense le
fait qu'il a exploité son commerce ou son entreprise comme
un homme raisonnable l'aurait fait, il établit ainsi sa défense
en partie, mais en partie seulement: Stockport Waterworks
Co. c. Potier (1861),7 H. & N. 160, 158 E.R. 433.
Le droit est fondamentalement le même au
Québec. Dans l'affaire assez ancienne Dame
Chartier c. British Coal Corporation (1938) 76
C.S. 360, le juge McDougall a décidé en faveur
de la demanderesse dans des circonstances très
similaires à celles de l'affaire présente: une
compagnie exploitant une gare de déchargement
et un dépôt de charbon dans le secteur du port
de Montréal, causait des dommages à une pro-
priété avoisinante et, en laissant s'échapper de
la poussière de charbon et d'autres impuretés,
provoquait une nuisance illégale. En prononçant
son jugement, il se référa à l'arrêt faisant auto-
rité, Drysdale c. Dugas, rendu par la Cour
suprême en 1896 (26 R.C.S. 20) qui décida:
[TRADUCTION] Même lorsqu'une écurie est construite avec
tous les accessoires modernes de drainage et de ventilation,
si l'odeur désagréable en provenant et le bruit des chevaux
incommodent et dérangent les résidents du voisinage, le
propriétaire doit réparer les dommages ainsi causés.
En page 23 du recueil, le juge en chef, Sir
Henry Strong, souligna que les principes direc-
teurs en droit anglais et français sont les mêmes
et les résuma de la manière suivante:
[TRADUCTION] En règle générale, les occupants de terrains
et de maisons ont le droit de poursuivre en dommages-inté-
rêts pour toute immixtion dans la jouissance paisible de leur
propriété. Cependant en appliquant le droit, il faut tenir
compte de l'état et l'environnement de la propriété afin de
déterminer si l'on doit considérer les actes incriminés
comme des nuisances. Il serait bien sûr absurde - de dire que
celui qui installe une usine dégageant, de grandes quantités
de fumées à côté d'une usine très similaire appartenant à un
voisin et dégageant aussi de la fumée, cause une nuisance à
ce dernier, alors que s'il installait l'usine tout près d'une
demeure située dans un quartier résidentiel d'une ville
importante, il devrait sans aucun doute réparer le préjudice
causé au voisin par cette utilisation de sa propriété.
En réponse à l'argument selon lequel on avait
pris toutes les précautions nécessaires afin
d'éviter le dommage, le juge en chef déclara,
(pages 25 et 26 du recueil):
[TRADUCTION] On a souligné à plusieurs reprises pendant
ces débats et devant le tribunal d'instance inférieure que le
fait que l'appelant a exploité son entreprise avec une dili
gence extrême et les précautions nécessaires, constituait une
justification des actes incriminés. Cependant l'arrêt Bam-
ford c. Turnley (3 B. et S. 62), précité, a établi que cette
prétention est sans aucun fondement.
Le juge McDougall se réfère aussi à l'arrêt de la
Cour suprême Canada Paper Co. c. Brown
(1922) 63 R.C.S. 243 décidant que:
[TRADUCTION] On peut à bon droit demander l'arrêt des
émanations et des vapeurs nauséabondes et très désagréa-
bles se dégageant d'une fabrique de pâte à papier, au préju-
dice d'une propriété voisine, incommodant d'une manière
intolérable ses occupants et rendant parfois la propriété
inhabitable; dans un tel cas, les tribunaux ne sont pas tenus
d'accorder seulement une réparation par voie de dommages-
intérêts, mais peuvent rendre une injonction définitive et
permanente interdisant à l'entrepreneur de laisser cette nui
sance se continuer ou se répéter.
Bien que cette nuisance gêne l'ensemble de la population
du voisinage et que les autorités municipales n'aient pas jugé
opportun d'intervenir en son nom, même si l'intimé est la
seule personne à protester, il est en droit de demander cette
injonction, si le préjudice qu'il subit est d'un caractère
suffisamment distinct du préjudice subi par l'ensemble des
habitants.
Ce raisonnement semble s'appliquer tout parti-
culièrement à l'affaire présente ou seule la
demanderesse, en raison de la nature de son
entreprise, subit un préjudice sérieux imputable
à la poussière de grain. Le juge McDougall
ajoute (pages 365 et 366):
[TRADUCTION] Le préjudice incriminé n'est pas simplement
temporaire ou occasionnel. On a démontré la continuité, la
répétition et l'importance du dommage. Des procédures
visant à mettre fin à la nuisance ont été engagées à la
demande des autorités de la ville, mais n'ont apparemment
pas réussi à amener une amélioration de la situation. La
défenderesse n'offre aucune solution au problème, ne sug-
gère aucun moyen d'y remédier et se contente apparemment
d'affirmer que la demanderesse doit tolérer l'atteinte à son
droit incontestable de jouir librement et sans entrave de sa
propriété. Rien dans la preuve n'indique qu'il peut être mis
fin à cette nuisance totalement ou partiellement.
Le président Jackett, tel était alors son titre, a
examiné une question semblable dans l'affaire
Duncan c. La Reine [1966] R.C.É. 1080. Dans
cette affaire, le puits des requérants était conta-
miné par des eaux d'égouts provenant d'une
fuite de l'égout collecteur construit pour le
ministère de la Défense nationale. Le sommaire
se lit en partie comme suit:
[TRADUCTION] 11. Une personne privée est responsable
envers les requérants en vertu de la doctrine énoncée dans
l'arrêt Rylands c. Fletcher, car cette doctrine est fondée sur
l'obligation légale issue du concept selon lequel une per-
sonne doit utiliser sa propriété de façon à ne pas nuire à la
propriété des autres (Rylands c. Fletcher, L.R. 3 H.L., p.
341, Lord Cranworth: «En effet, lorsqu'une personne, dans
le cours de ses affaires, cause, même de bonne foi, un
préjudice à une autre, il découle de la simple imtice qu'elle
soit la partie qui en pâtisse. Elle est liée par la maxime sic
uti suo ut non laedat alienum».)
12. Il est clair qu'il s'agit d'un cas dans lequel la Couronne,
«si elle était un particulier en état de majorité et capacité»,
serait responsable «à l'égard d'un manquement au devoir
afférent à la propriété, l'occupation, la possession ou le
contrôle de bien». La Couronne est donc responsable en
vertu de l'alinéa b) du paragraphe (1) de la Loi sur la
responsabilité de la Couronne.
Dans l'affaire québécoise récente, Katz c.
Reitz [1973] C.A. 230, une action avait été
intentée contre des propriétaires qui avaient
engagé un entrepreneur indépendant pour faire
creuser une excavation mettant en danger la
propriété voisine à cause de la présence d'une
nappe d'eau. Bien que les propriétaires ne puis-
sent être tenus responsables de la faute de l'en-
trepreneur indépendant, ils pouvaient être tenus
responsables de leur propre faute. La Cour
décida qu'on pouvait hésiter à déclarer que des
travaux d'excavation à proximité d'un immeuble
voisin comportent des risques inhérents de dom-
mages. Cependant il fut décidé, à la page 237.
S'il est vrai qu'en vertu de l'article 406 C.C., les appe-
lants, détenteurs de l'immeuble voisin de celui de Reitz,
avaient le droit de jouir et de disposer de leur chose de la
manière la plus absolue, ce droit était limité par la prescrip
tion contenue au même article qu'ils n'en fassent pas un
usage prohibé par la loi ou les règlements. Reitz avait les
mêmes droits, et ceux de Katz et de Centretown cessaient là
où ceux de Reitz débutaient.
S'il est vrai que neminem laedit qui suo jure utitur, il est
aussi vrai que sic utero tuo ut alienum non laedas.
L'exercice de droit de propriété, si absolu soit-il, com-
porte l'obligation de ne pas nuire à son voisin et de l'indem-
niser des dommages que l'exercice de ce droit peut lui
causer. Cette obligation existe, même en l'absence de faute,
et résulte alors du droit du voisin à l'intégrité de son bien et
à la réparation du préjudice qu'il subit, contre son gré, de
travaux faits par autrui pour son avantage et profit.
Dans l'affaire Nord-Deutsche Versicherungs-
Gesellschaft c. La Reine [1969] 1 R.C.É: 117, le
juge Noël, alors juge puîné, rejeta l'argument
selon lequel, puisque l'article 3(1)a) de la Loi
sur la responsabilité de la Couronne utilise l'ex-
pression «acte préjudiciable» *, il ne couvre que
le cas des délits civils selon la common law et
que i article 1u54 du Code civil de la province
de Québec, qui n'a pas d'équivalent en common
law, ne peut être invoqué contre la Couronne.
Ledit article 1054 se lit comme suit:
1054. Elle est responsable non seulement du dommage
qu'elle cause par sa propre faute, mais encore de celui causé
par la faute de ceux dont elle a le contrôle, et par les choses
qu'elle a sous sa garde;
Le père, et après son décès, la mère, sont responsables du
dommage causé par leurs enfants mineurs;
Les tuteurs sont également responsables pour leurs
pupilles;
Les curateurs ou autres ayant légalement la garde des
insensés, pour le dommage causé par ces derniers;
L'instituteur et l'artisan, pour le dommage causé par ses
élèves ou apprentis, pendant qu'ils sont sous sa surveillance;
La responsabilité ci-dessus a lieu seulement lorsque la
personne qui y est assujettie ne peut prouver qu'elle n'a pu
empêcher le fait qui a causé le dommage;
Les maîtres et les commettants sont responsables du
dommage causé par leurs domestiques et ouvriers dans
l'exécution des fonctions auxquelles ces derniers sont
employés.
et établit une présomption contre le propriétaire
que ce dernier peut renverser en démontrant
qu'il a pris toutes les précautions raisonnables
pour prévenir le dommage. (Voir Québec Rail
way, Light, Heat & Power Co. Ltd. c. Vandry
[1920] A.C. 662.) Une présomption légale de ce
genre n'existe pas en common law. Cependant,
puisque à l'article de la Loi donnant les défini-
tions, le terme «tort» est défini comme un délit
ou un quasi-délit s'il s'applique à un fait ayant
eu lieu dans la province de Québec, le juge Noël
conclut qu'il doit comprendre un recours fondé
sur l'article 1054. Au vu de la jurisprudence
antérieure concernant l'ancien article 19 de la
Loi de la Cour de l'Échiquier, il conclut qu'en
vertu de cet article, la négligence devait être
prouvée et qu'aucune présomption légale, telle,
que celle prévue à l'article 1054 du Code civil de
la province de Québec, ne pouvait remplacer
cette preuve, mais que, puisque [TRADUCTION]
«La nouvelle loi n'établit aucune restriction et
comme il est prévu que la Couronne peut être
tenue responsable comme un particulier majeur
et capable, il semble qu'il n'y ait aucune- raison
pour que la présomption légale de l'article 105.4
*Cette expression, qui traduit le mot «tort», était rendue
par «acte préjudiciable» dans les Statuts 1952-53; dans les
Statuts révisés 1970, elle est rendue par «délit civil».
du Code civil ne s'applique pas à la Couronne
dans certains cas, comme il s'applique à tout
particulier majeur et capable dans la province
de Québec». ([1969] 1 R.C.E. 117, aux pages
170 et 171.) Bien que l'action en question ne se
fonde pas sur une nuisance, le juge Noël déclare
à la page 201:
[TRADUCTION] En ce qui concerne la responsabilité de la
Couronne, je n'ai examiné jusqu'ici qu'un certain nombre de
décisions rendues en vertu de la common law. A mon sens,
les solutions en vertu du droit civil sont les mêmes. En vertu
du droit en vigueur au Québec, une abstention ou une
omission peut aussi engager la responsabilité.
Il convient de remarquer que, même en vertu
de l'ancien droit, il avait été décidé dans cer-
tains cas qu'un préposé de la Couronne avait
une obligation envers un tiers engageant la res-
ponsabilité de la Couronne. Voir par exemple
l'arrêt Grossman c. Le Roi ([1952] 1 R.C.S.
571). Il faut faire une distinction entre cet arrêt
et les arrêts Le Roi c. Anthony ([1946] R.C.S.
569) et The Cleveland -Cliffs Steamship Com
pany c. La Reine ([1957] R.C.S. 810) où il fut
décidé que, vu les faits dans ces affaires, le
préposé de la Couronne n'avait pas d'obligation
envers des tiers.
Même si les préposés du Conseil des ports
nationaux n'avaient aucune obligation en tant
que telle de protéger l'acier de la demanderesse
des dommages résultant des émanations de
poussière de grain provenant de la galerie, les
arrêts en matière de nuisance indiquent que,
même en l'absence de toute obligation précise
envers le tiers, le Conseil est responsable du fait
même qu'il est propriétaire de l'immeuble qui a
causé la nuisance, et ne peut être autorisé à
invoquer comme moyen de défense, à supposer
qu'il puisse l'établir, qu'il était incapable d'em-
pêcher l'acte ayant causé les dommages, au sens
des dispositions de l'article 1054 du Code civil
de la province de Québec. En outre, il semble
que la jurisprudence en common law relative
aux réclamations en matière de nuisance résul-
tant de la propriété d'un bien puisse aussi s'ap-
pliquer aux actions intentées dans la province
de Québec.
Si l'action de la demanderesse se base sur
l'article 3(1)b) de la Loi, la défenderesse pré-
tend qu'elle ne peut être intentée contre la Cou-
ronne, car il n'existe pas de «devoir» envers les
tiers en raison de la propriété, l'occupation, la
possession ou la garde du bien en cause. Je ne
pense pas que la jurisprudence en matière de
nuisance corrobore ce moyen de défense. Si un
particulier construit un bâtiment sur sa pro-
priété, dans ce cas des élévateurs à grain et des
galeries, et y exerce des activités licites, il a une
obligation envers les occupants de la propriété
voisine: la façon dont il utilise sa propriété ne
doit pas leur causer de dommage. Le fait qu'il
s'est installé le premier et que le voisin n'est
venu dans le secteur que plus tard n'est pas un
moyen de défense, à moins qu'il ne soit établi
que le voisin savait qu'il s'installait dans un
endroit où les conditions existantes causeraient
un préjudice à son entreprise ou à sa propriété.
En l'espèce, rien dans la preuve n'indique que la
demanderesse pouvait prévoir les dommages
que la poussière de grain causerait à l'acier,
lorsqu'elle installa son entreprise rue Mill dans
le voisinage de l'élévateur et de la galerie. Ce
n'est pas non plus un moyen de défense de dire
qu'il s'agissait d'un secteur industriel où l'on
pouvait prévoir l'existence de poussières dans
l'atmosphère ou de dire que les élévateurs à
grain fonctionnaient de la même manière depuis
nombre d'années sans qu'il y ait eu de plaintes
ou de réclamations de la part des propriétaires
voisins. Le fait que personne d'autre n'ait de
recours valables contre la défenderesse n'empê-
che pas la demanderesse de faire valoir ses
droits, puisqu'il a été établi que la poussière de
grain, qui pouvait n'être qu'un inconvénient
mineur pour les propriétaires du voisinage, a
causé un dommage matériel réel à l'acier; au vu
de la preuve, je suis convaincu que la substance
ayant causé ce dommage provenait de l'éléva-
teur et de la galerie en question. La défende-
resse ne pourrait invoquer comme défense le
fait qu'elle ne pouvait empêcher ces émanations
de poussière de grain en provenance de l'éléva-
teur et de la galerie, même si c'était le cas; or, je
ne conclus pas dans ce sens car je ne suis pas
du tout convaincu qu'un entretien plus cons-
ciencieux de la galerie et une surveillance plus
rigoureuse lors de son nettoyage ne pouvaient
pas éliminer cette nuisance; apparemment, il ne
serait pas impossible de rendre cette galerie
pratiquement hermétique, bien que cela risque
d'être coûteux et d'augmenter la gêne des
employés forcés d'y travailler, à moins d'y ins-
taller un meilleur système de ventilation.
Cependant si la demanderesse se fonde sur
l'article 3(1)b) de la Loi sur la responsabilité de
la Couronne, la défenderesse prétend alors que
l'action est prescrite entièrement ou partielle-
ment en vertu de l'article 4(4) de la Loi qui se lit
comme suit:
4. (4) On ne peut exercer de recours contre la Couronne
en vertu de l'alinéa 3(1)b) sauf si, dans les sept jours après
que la réclamation a pris naissance, un avis écrit de la
réclamation et du préjudice subi
a) est signifié à un fonctionnaire compétent du ministère
ou de l'organisme qui gère le bien ou à l'employé du
ministère ou de l'organisme qui a la garde dudit bien, et
b) copie de l'avis est envoyée par courrier recommandé au
sous-procureur général du Canada.
Cependant la Cour peut dispenser de cet avis si
elle estime que le défaut de donner cet avis ou
l'insuffisance de l'avis n'a pas causé de préju-
dice à la défense de la Couronne et qu'il serait
injuste de prononcer l'irrecevabilité du recours,
même si l'on n'a établi aucune excuse raisonna-
ble du défaut de signification ou de son insuffi-
sance. Cela découle de l'article 4(5) qui se lit
comme suit:
4. (5) Au cas de décès de la victime, le défaut de donner
l'avis requis par le paragraphe (4) n'empêche pas d'exercer
le recours. Le défaut de donner cet avis ou l'insuffisance de
l'avis donné n'empêche pas l'exercice du recours (sauf si la
neige ou la glace a causé le dommage), si le tribunal ou le
juge devant lequel le recours est intenté estime, bien que
l'on n'ait établi aucune excuse raisonnable de l'absence ou
de l'insuffisance de l'avis, que la Couronne n'en a pas subi
préjudice dans sa défense et qu'il serait injuste de prononcer
l'irrecevabilité du recours.
Cette disposition fut invoquée par le juge Noël,
alors juge puîné, dans l'affaire Dame Deslau-
riers-Drago c. La Reine [1963] R.C.É. 289. Aux
pages 301-302, il déclare:
II semble bien que dans la présente cause l'intimée n'ait
subi aucun préjudice par suite de ce manquement. En effet,
la preuve révèle que quelques instants après l'accident le
gérant de l'aérogare, ou du moins un des préposés en charge,
en ait été immédiatement averti de sorte que, si une enquête
était nécessaire, elle aurait pu se faire immédiatement. Je
suis aussi d'avis que dans le présent cas le fait d'empêcher
les procédures dans les circonstances constituerait une
injustice à l'égard de la requérante. J'en viens donc à la
conclusion que le défaut de se conformer à cette formalité
importante de la Loi ne doit pas empêcher la requérante
d'obtenir une compensation de l'intimée si par ailleurs elle y
a droit.
La réclamation actuelle ne découle pas d'un
seul acte causant un dommage, mais d'une situa
tion causant un dommage continu, sur une
longue période. La demanderesse a commencé à
se plaindre par téléphone au Conseil des ports
nationaux au début de 1966 et le témoignage de
Sacks à cet effet n'a pas été contesté de manière
satisfaisante, si ce n'est pas Kristoffy qui a
déclaré que, lorsqu'il se rendit sur les lieux pour
la première fois en mai ou juin 1968, il n'avait
pas connaissance de plaintes antérieures à sa
visite, qui semble avoir été provoquée par une
lettre recommandée envoyée par la demande-
resse à Oppen, le 8 mai, à la suite d'une vaine
conversation téléphonique avec Lichtermote.
Lorsque Kristoffy se rendit enfin sur les lieux, il
essaya de se débarrasser de la plainte en disant
qu'elle était sans fondement et suggéra que les
dommages pouvaient résulter de la poussière
d'amiante provenant d'un navire en décharge-
ment de l'autre côté du canal. Il ne préleva pas
de substance pour l'analyser, mais affirma qu'à
son avis, la couleur n'indiquait pas à première
vue que c'était de la poussière de grain. La
lettre d'Oppen datée du 27 juin 1968, par suite
de la visite de Kristoffy, continuait de rejeter
toute responsabilité pour le dommage subi par
l'acier et affirmait à nouveau que, de toute
façon, cette situation existait depuis plusieurs
années et qu'il était impossible d'y mettre com-
plètement fin. Sacks était plus objectif et, à la
suite de la visite de M. Kristoffy, il alla voir
Krul de la St. Lawrence Stevedoring Company,
entreprise de déchargement de cargaisons en
vrac, et il examina la substance afin de détermi-
ner si Kristoffy avait raison et si ce pouvait être
autre chose que de la poussière de grain. A son
avis c'était de la poussière de grain et il suggéra
qu'on l'analyse. C'est à la suite de cette analyse,
qui aboutit au rapport du 5 juillet 1968, que
Sacks fut finalement convaincu que, comme il
l'avait toujours soupçonné, la substance était
celle qu'on avait vu se dégager de la galerie de
l'élévateur à grain, à savoir, de la poussière de
grain.
Des représentants du Conseil des ports natio-
naux auraient pu faire une enquête beaucoup
plus tôt à la suite des plaintes par téléphone et,
lorsqu'ils le firent enfin, en mai ou juin 1968,
leur enquête fut très superficielle et aboutit à la
lettre d'Oppen indiquant qu'ils n'étaient en rien
responsables et n'avaient pas l'intention de faire
quoi que ce soit à ce sujet. Assurément rien
dans la preuve n'indique que, s'ils avaient reçu
plus tôt un avis en bonne et due forme, ils
auraient agi différemment qu'ils le firent à la
suite de la lettre recommandée de la demande-
resse datée du 8 mai 1968. J'estime donc que la
défenderesse n'a subi aucun préjudice imputa-
ble au défaut de donner l'avis de sept jours
prévu à l'article 4(4) de la Loi qui, de toute
façon, semble couvrir principalement le cas où
un acte isolé a causé le dommage et où il faut
donc procéder immédiatement à une enquête
afin d'éviter tout préjudice à la défense, à la
différence de l'affaire présente où l'état de l'élé-
vateur et de la galerie à grain est demeuré le
même pendant toute cette période et où l'on
pouvait examiner l'acier de la demanderesse et
prélever des échantillons de la substance pour
une analyse en laboratoire à n'importe quel
moment avant ou après la lettre recommandée.
D'autre part, opposer une fin de non-recevoir
aux procédures à cause de l'insuffisance de
l'avis serait une grave injustice à l'égard de la
demanderesse. J'estime donc que le défaut de
donner l'avis par écrit avant le 8 mai 1968, bien
que deux ans avant cette date, la situation incri-
minée existât déjà, ne peut entraîner l'irreceva-
bilité des procédures en vertu de l'article 4(4) de
la Loi; j'applique donc les dispositions de l'arti-
cle 4(5) qui permettent d'exercer le recours.
La demanderesse a envoyé à la défenderesse,
le 5 novembre 1968, un avis de 90 jours l'infor-
mant de son intention de demander des domma-
ges-intérêts de $57,208, mais ce n'est que le 19
février 1969 que les procédures furent engagées
pour obtenir ce montant. Au début de l'au-
dience, le 23 octobre 1973, une requête fut
déposée, en vertu de la règle 424, demandant
que ce montant soit porté à $95,148'. Bien que
dans sa première pétition de droit produite le 19
février 1969, et dans sa pétition modifiée pro-
duite le 13 mars 1969, la demanderesse ne se
1 Compte tenu de la preuve rapportée ultérieurement, ce
montant fut évalué à $96,328.
soit pas réservé de demander des dommages-
intérêts additionnels, et bien qu'elle ait fondé sa
demande sur le montant de $57,208 mentionné
dans l'avis de 90 jours envoyé le 5 novembre
1968, l'augmentation s'explique par le fait qu'au
moment de cet avis les dommages avaient été
calculés sur le coût de nettoyage de l'acier jus-
qu'à la fin de juin 1968 seulement. De fait, à
cette époque, il restait sur le chantier une
grande quantité d'acier qui n'avait pas été
encore nettoyé et la poussière de grain a conti-
nué de s'accumuler jusqu'au moment où les
poursuites furent engagées; ce montant addi-
tionnel de dommages-intérêts visé par la requête
en modification correspondait donc aux dépen-
ses continues engagées pour les nettoyages de
juillet 1968 à février 1969 et pour le nettoyage
de l'acier endommagé après qu'il a été démé-
nagé du chantier sis au 940 rue Mill à celui sis
au 1153 rue Mill afin de l'éloigner des émana-
tions de poussière de grain; ce dernier nettoyage
eut lieu après juin 1968. Cette modification ne
vise donc pas à ajouter une nouvelle cause, mais
ne fait qu'augmenter le montant de la demande
de dommages-intérêts pour le préjudice subi
jusqu'au début des procédures, même si l'on n'a
calculé ces montants qu'ultérieurement. La
modification est donc accordée.
Le débat a aussi porté sur la question de
savoir si l'action intentée par la demanderesse
était prescrite en partie à la date du commence
ment des procédures. L'article 2261 du Code
civil de la province de Québec prévoit que l'ac-
tion se prescrit par deux ans lorsqu'il s'agit de
dommages «résultant de délits et quasi-délits, à
défaut d'autres dispositions applicables». Puis-
que la cause des dommages a un caractère con-
tinu, seules les actions portant sur des domma-
ges datant de plus de deux ans avant la date de
l'interruption de la prescription sont prescrites.
L'article 2224 du Code civil de la province de
Québec se lit en partie comme suit:
2224. Le dépôt d'une demande en justice au greffe du
tribunal forme une interruption civile, pourvu que cette
demande soit signifiée conformément au Code de procédure
civile à celui qu'on veut empêcher de prescrire, dans les
soixante jours du dépôt.
Cette interruption se continue jusqu'au jugement définitif
et elle vaut en faveur de toute partie à l'action pour tout
droit et recours résultant de la même source que la
demande.
L'interpellation extrajudiciaire, même par notaire ou huis-
sier et accompagnée de titres, et même signée de la partie
interpellée, n'opère pas l'interruption s'il n'y a eu reconnais
sance du droit.
La prescription ne fut donc pas interrompue par
la lettre recommandée du 8 mai 1968, ni par
l'avis de 90 jours daté du 5 novembre, mais
seulement par la signification de la demande, le
19 février 1969. Puisque j'ai déjà décidé que,
dans les circonstances de cette affaire, on peut
ne pas tenir compte du défaut d'avis, prévu à
l'article 4(4) de la Loi, je ne peux, vu les articles
du Code civil susmentionnés, accepter la préten-
tion de la défenderesse selon laquelle la récla-
mation ne peut porter sur les dommages anté-
rieurs à l'avis écrit daté du 8 mai 1968, mais je
conclus toutefois que les réclamations portant
sur les dommages remontant à plus de deux
années avant le 19 février 1969, date du com
mencement des procédures, c'est-à-dire avant le:
19 février 1967, sont prescrites. Le total des •
dommages-intérêts demandés par la demande-
resse et calculés par Bernard Leebosh, vérifica-
teur de la compagnie, n'est pas ventilé, mais il
comprend un montant de $7,200 correspondant
aux frais de main-d'oeuvre pour le nettoyage
effectué au cours des six derniers mois de 1966,
qui doit être rejeté et un montant de $17,600
pour toute l'année 1967. Si nous éliminons les
50 premiers jours de 1967, soit jusqu'au 19
février, donc 13.7% de l'année, et si nous calcu-
lons ce pourcentage des $17,600, nous enlevons
ainsi $2,411.20 à la somme revendiquée pour
1967. Ceci, ajouté aux $7,200 rejetés pour l'an-
née 1966, donne un total de $9,611.20. Puis-
qu'on a ajouté 10% au coût total de la main-
d'oeuvre pour les frais généraux, il convient de
soustraire aussi du total -la somme de $961.12,
ce qui donne une déduction globale de
$10,572.32 au titre des frais de main-d'oeuvre.
La rubrique suivante comprend le matériel uti-
lisé pour le nettoyage, soit les frais de location
de la grue à $15 l'heure pour lesquels la récla-
mation s'élève à $3,375 pour 1966, ce qu'on
doit rejeter, et $8,250 pour toute l'année 1967.
Une fois déduit 13.7% de $8,250, ce chef de
demande est réduit de $1,130.25, ce qui, ajouté
aux $3,375 rejetés pour 1966, donne une réduc-
tion totale de $4,505.25 de la réclamation au
titre du matériel. La troisième et dernière rubri-
que mentionnée dans la demande concerne des
remises faites à des clients, $765 pour 1966 et
$1,869 pour toute l'année 1967. Soustraction
faite à nouveau de 13.7% de ces $1,869, nous
obtenons une réduction de $256.05, ce qui,
ajouté à $765 pour 1966, donne une réduction
totale de $1,021.05. sous cette rubrique. En
additionnant la part des frais de main-d'oeuvre
atteinte par la prescription, soit $10,572.32, la
part des frais d'utilisation de matériel atteinte
par la prescription, soit $4,505.25, et la part des
remises faites aux clients atteinte par la pres
cription, soit $1,021.05, nous arrivons à un total
de $16,098.62 qui peut être arrondi à $16,098
qui, déduit de la somme totale de $96,328
demandée dans la pétition modifiée, laisse un
solde de $80,230 qu'à mon avis la demande-
resse est en droit de réclamer.
Dans son témoignage, Leebosh affirma qu'il
pouvait déterminer les quantités vendues à
partir des livres de la demanderesse car il con-
naissait les majorations de prix et pouvait faire
ses calculs sur cette base; il affirma aussi que
les documents relatifs aux stocks montrent quel
pourcentage d'acier se trouvait à l'extérieur.
Aucun document précis n'appuie ses chiffres
relatifs à la quantité d'acier nettoyé et les fiches
de présence des employés n'indiquent pas ce
qu'ils faisaient à un moment donné. Aucun
document ne permet de vérifier que la demande-
resse aurait pu employer trois ouvriers de
moins, s'il n'y avait pas eu de nettoyage, sur
environ dix ouvriers qui travaillaient au chantier
à la fin de 1966 et en 1967, et il n'y a pas non
plus de chiffres détaillés pour appuyer le coût
du nettoyage fixé à $16 la tonne, ni pour confir-
mer qu'on doit évaluer les frais d'utilisation de
la grue compte tenu d'une demi-heure par tonne
à nettoyer; or, ce sont les chiffres qu'il a utilisés
comme base pour ses calculs. Il fit remarquer
cependant que le chiffre de $17,600 établi pour
1967, par exemple, pour les frais de main-d'oeu-
vre correspond au nettoyage de 15% du tonnage
entreposé à l'extérieur au prix de $16 la tonne et
équivaut à peu près au salaire de trois employés,
ce qui tend à confirmer les indications de la
direction, à savoir que le nettoyage représentait
le travail à plein temps d'environ trois
employés. En outre, son témoignage concernant
l'emploi de trois ouvriers au nettoyage ainsi que
l'hypothèse selon laquelle environ deux tiers des
stocks étaient entreposés à l'extérieur furent
corroborés par Walter Sacks. I. Sacks donna le
chiffre de 15% pour l'acier qui devait être net-
toyé et la défenderesse n'a pas contesté ce
témoignage. Le montant de la demande établi
par Leebosh fut calculé sur la base que deux
tiers du tonnage étaient entreposés à l'extérieur,
que 15% de celui-ci devait être nettoyé au coût
de $16 la tonne, que le coût de la grue, opéra-
teur compris, était de $15 l'heure et qu'il fallait
une demi-heure pour nettoyer une tonne d'acier.
Quant au tonnage qui n'a été ni entreposé à
l'intérieur ni nettoyé, à savoir les 85% restant
du tonnage entreposé à l'extérieur, on estima
qu'il fut effectué une remise de $3 la tonne aux
clients sur environ 10% de cet acier à la suite de
plaintes des clients; c'était le troisième élément
de la réclamation, d'un montant relativement
faible. Dans l'ensemble, je pense donc que la.
demande a été calculée de manière raisonnable,,
et comme aucune preuve n'a été apportée pour
la contester, je conclus que la demanderesse est
en droit de recouvrer le montant de $80,230
avec intérêt à compter du 19 février 1969, date
du début des procédures, et les dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.