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A-83-74
Carmel Edwina Winmill (Appelante) (Demande- resse)
c.
William L. Winmill (Intimé) (Défendeur)
Cour d'appel, les juges Thurlow et Ryan, le juge suppléant Sheppard—Vancouver, le 28 juin; le 6 août 1974.
Compétence de la Cour—Divorce—La demanderesse invo- que la compétence en première instance de la Division de première instance—Loi sur la Cour fédérale, art. 25—Seuls les tribunaux provinciaux sont compétents, excepté dans un cas particulier bien défini—Loi sur le divorce, S.R.C. 1970, c. D-8, art. 2 à 5.
L'appelante (demanderesse) a intenté une action en divorce fondée sur la cruauté, en vertu de l'article 3d) de la Loi sur le divorce. Aucune des parties n'a résidé dans une province pendant une période d'un an précédant l'introduc- tion de l'action, comme l'exige l'article 5(1)b) de la Loi. L'appelante soutient que l'article 25 de la Loi sur la Cour fédérale, en vertu duquel la Division de première instance est compétente en première instance «si aucun autre tribunal ... n'a compétence», s'applique. Le juge de première ins tance a rejeté l'action pour défaut de compétence. L'appe- lante interjette appel de cette décision.
Arrêt: l'appel est rejeté; l'article 2 de la Loi sur le divorce définit le terme «tribunal» dans le cas de chaque province et exclut la Cour fédérale du Canada. Les articles 3 et 4 de la Loi confèrent le droit de présenter une requête en divorce fondée sur l'une des causes spécifiées, sous réserve de l'article 5 qui donne à certains tribunaux la compétence pour entendre la requête et accorder le redressement demandé, mais seulement si les conditions énoncées à l'article 5(1)a) et b) sont remplies.
Lorsque ni le requérant ni son conjoint n'ont ordinaire- ment résidé dans une province pendant une période d'au moins un an, comme l'exige l'article 5(1)b), ils n'ont aucun droit à présenter une requête. Lorsqu'un tel droit existe, il y a toujours un tribunal provincial qui a compétence pour connaître de la requête. Il n'y a pas lieu d'appliquer l'article 25 de la Loi sur la Cour fédérale. Le fait que la Cour fédérale soit une cour supérieure d'archives ne lui confère aucune compétence particulière. On ne peut y avoir recours qu'en vertu des dispositions particulières de l'article 5(2)b).
Distinctions établies avec les arrêts: Board c. Board (1919) 48 D.L.R. 13; Mayor of London c. Cox (1867) 2 E. & I. App. 239; arrêts suivis: Shuttleworth c. Seymour (1914) 28 W.L.R. 444; Margach c. Le Roi [1933] R.C.E. 97.
APPEL. AVOCATS:
W. O'Malley Forbes pour l'appelante. Lorne A. Montaine pour l'intimé.
PROCUREURS:
Owen, Bird, Vancouver, pour l'appelante. Montaine, Black & Davies, Vancouver, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés par
LE JUGE THURLOW: Par les présentes, il est interjeté appel d'un jugement de la Division de première instance rejetant l'action en divorce intentée par l'appelante à l'encontre de l'intimé.
Les parties se sont mariées en avril 1969 à Vancouver ils vécurent jusqu'en octobre 1972, date à laquelle ils déménagèrent à Edmon- ton. Le 30 juillet 1973, l'appelante quitta l'in- timé et repartit à Vancouver elle réside depuis lors. Au début d'août 1973, l'intimé revint aussi à Vancouver et y réside depuis. Les deux parties ont été domiciliées au Canada à toutes les époques en cause. Le 21 septembre 1973, l'appelante a introduit son action en divorce, qui fut rejetée le 28 mars 1974, au motif que la Cour n'avait pas compétence pour connaître de cette affaire.
L'appelante se fonde sur l'article 25 sur la Loi sur la Cour fédérale pour avancer que la Divi sion de première instance de cette cour est compétente. Cet article se lit comme suit:
25. La Division de première instance a compétence en première instance, tant entre sujets qu'autrement, dans tous les cas une demande de redressement est faite en vertu du droit du Canada si aucun autre tribunal constitué, établi ou maintenu en vertu de l'un des Actes de l'Amérique du Nord britannique, 1867 à 1965 n'a compétence relativement à cette demande ou ce redressement.
L'appelante soutient, si je comprends bien, qu'elle remplit les conditions de fond pour demander le divorce, et que, puisqu'aucune des deux parties n'a résidé ordinairement dans une province pendant une période d'un an précédant immédiatement l'introduction de son action devant cette cour (ni depuis cette date) aucun autre tribunal, au sens de l'article 25, n'a com- pétence pour accorder le redressement auquel elle déclare avoir droit.
iLe droit concernant le divorce a vinculo est à l'origine un droit statutaire et, en Angleterre comme dans ce pays, les lois qui ont conféré un droit à un tel redressement l'ont fait en attri-
buant à un ou plusieurs tribunaux donnés la compétence pour examiner l'affaire et accorder le redressement. Les lois en vigueur à cet égard au Canada ont été abrogées lors de l'entrée en vigueur de la Loi sur le divorce, S.C. 1967-68, c. 24 (voir l'article 23), qui remplaça toutes les lois antérieures et constitue depuis le code applica ble à cet égard. C'est à mon avis dans ce con- texte, ou peut-être plus exactement, en fonction de cette absence de contexte, qu'il convient de lire et interpréter la Loi.
Les parties essentielles des articles 3, 4 et 5 de la Loi se lisent comme suit:
CAUSES DE DIVORCE
3. Sous réserve de l'article 5, l'un des conjoints peut présenter à un tribunal une requête en divorce parce que, depuis la célébration du mariage, l'autre conjoint
d) a traité le requérant avec une cruauté physique ou mentale qui rend intolérable la continuation de la cohabi tation des époux.
4. (1) En sus des causes spécifiées à l'article 3, et sous réserve de l'article 5, un conjoint peut présenter une requête en divorce à un tribunal lorsque les conjoints vivent séparés l'un de l'autre, parce que leur mariage a subi une rupture définitive à cause de l'une ou plusieurs des circonstances suivantes que spécifie la requête, savoir:
COMPÉTENCE DU TRIBUNAL
5. (1) Un tribunal de n'importe quelle province a compé- tence pour entendre une requête en divorce et pour pronon- cer sur les conclusions des parties
a) si la requête est présentée par une personne domiciliée au Canada; et
b) si le requérant ou l'intimé a ordinairement résidé dans cette province pendant une période d'au moins un an précédant immédiatement la présentation de la requête et a réellement résidé dans cette province pendant au moins dix mois au cours de cette période.
(2) Lorsque des requêtes en divorce sont pendantes, entre des conjoints, à la fois devant deux tribunaux qui, autre- ment, auraient respectivement compétence, en vertu de la présente loi, pour les entendre et pour prononcer sur les conclusions des parties,
a) si les requêtes ont été présentées à des dates différen- tes et s'il n'y a pas eu désistement de la requête qui a été présentée la première dans les trente jours de sa présenta- tion, le tribunal auquel une requête a été présentée en premier lieu a compétence exclusive pour prononcer sur les conclusions des parties, et l'autre requête est censée avoir fait l'objet d'un désistement; et
b) si les requêtes ont été présentées à la même date et s'il n'y a aucun désistement dans les trente jours qui suivent, la Division de première instance de la Cour fédérale a
compétence exclusive pour prononcer sur les conclusions des parties, et la requête ou les requêtes pendantes devant l'autre tribunal ou les autres tribunaux sont, sur l'ordre de la Division de première instance de la Cour fédérale, renvoyées à cette Cour.
Le «tribunal» pour chaque province est nommé- ment désigné à l'article 2 qui n'inclut pas la Cour fédérale du Canada.
On remarquera que la formulation des articles 3 et 4 ne confère pas expressément à un mari ou une épouse le droit à un divorce fondé sur les causes mentionnées dans ces articles. En fait, il ne confère que le droit de présenter à un tribu nal une requête en divorce fondée sur l'une des causes spécifiées et il ne s'agit pas d'un droit absolu. Dans le cas de ces articles, ce droit est conféré sous réserve de l'article 5, qui, à son tour, donne à certains tribunaux la compétence pour entendre la requête et d'accorder le redres- sement demandé, mais seulement lorsque sont remplies les conditions énoncées aux alinéas a) et b) du paragraphe (1). Aucun autre tribunal n'est autorisé à accorder un tel redressement. Il me semble en découler qu'une partie ne peut exercer son droit de présenter une requête en divorce que sous réserve des conditions sus- mentionnées et en fonction de celles-ci, et que la partie ne peut faire valoir son droit au redres- sement demandé dans la requête, vu les motifs sur lesquels elle se fonde, que si lesdites condi tions sont remplies. A mon sens, il découle donc de la Loi que le requérant, à moins qu'il ne soit domicilié au Canada et que lui, ou son conjoint, ait ordinairement résidé dans une province pen dant une période d'au moins un an précédant immédiatement la présentation de la requête au tribunal de ladite province, n'a ni droit au divorce, ni à la présentation d'une requête en divorce, ni au redressement demandé au tribunal.
En corollaire à ce principe, lorsqu'on est auto- risé par la législation à présenter une requête, il y a toujours un tribunal d'une province qui a compétence pour connaître de cette requête et accorder le redressement approprié.
Il s'ensuit donc, à mon avis, qu'il n'y a pas lieu d'appliquer l'article 25 de la Loi sur la Cour fédérale et que le savant juge de première ins-
tance avait à juste titre rejeté l'action de l'appelante.
Subsidiairement, se fondant sur l'arrêt Board c. Board (1919) 48 D.L.R. 13, l'appelante pré- tend que, puisque la Cour fédérale est une Cour supérieure d'archives (voir l'article 3 de la Loi sur la Cour fédérale), elle a compétence pour faire appliquer le droit positif y compris le droit positif relatif au divorce, en vertu du principe énoncé par le juge Willes, dans l'arrêt Mayor of London c. Cox (1867), 2 E. & I. App. 239 la page 259. Il déclarait que rien ne doit être réputé hors de la compétence d'une cour supé- rieure excepté ce qui semble l'être de façon précise. Le fait même d'énoncer ce principe démontre à mon avis qu'il ne peut aucunement appuyer la prétention de l'appelante, car il n'existe aucun droit positif relatif au divorce a vinculo, hors de la Loi sur le divorce, et ce droit positif créé par la Loi est expressément soumis aux conditions de l'article 5, qui n'autorise la présentation d'une requête que devant certaines cours supérieures provinciales et pose comme condition que le requérant ou son conjoint ait résidé dans la province pendant une période d'un an précédant immédiatement la présenta- tion de la requête. En supposant à cette fin que l'on puisse présumer que la Cour fédérale aurait autrement compétence en matière de divorce, ce qui est pour le moins douteux, il me semble en découler «de façon précise» que l'intention du Parlement était de ne pas conférer à la Cour fédérale de compétence en matière de divorce, et cette interprétation est à mon avis étayée par la disposition spéciale de l'alinéa 5(2)b) en vertu duquel la Cour fédérale est compétente dans certaines circon s tances particulières qui y sont définies.
Je rejette donc l'appel sans dépens.
* * *
LE JUGE RYAN—Je souscris à ces motifs.
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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés par
LE JUGE SUPPLÉANT SHEPPARD: Je souscris
aux motifs du juge Thurlow jusqu'à la fin du paragraphe qui se lit comme suit:
Le «tribunal» pour chaque province est nommément désigné à l'article 2 qui n'inclut pas la Cour fédérale du Canada.
Le divorce est une émanation de la Loi et, en tant que telle, est similaire aux privilèges du constructeur; en conséquence, le tribunal dési- gné par la Loi créant le droit au divorce est le seul tribunal compétent.
Dans l'affaire Shuttleworth c. Seymour (1914) 28 W.L.R. 444, le juge Brown déclarait à la page 446:
[TRADUCTION] Le privilège du constructeur n'était ni reconnu en common law ni accordé en equity. Le privilège est une simple émanation de la Loi et bien qu'il soit reconnu et prévu au Canada et dans tous les États-Unis, le droit relatif au privilège du constructeur n'existe pas en Angle- terre: 27 Cyc. 17. Étant donné qu'il découle entièrement de la loi, le droit à ce privilège lui-même ainsi que le moyen de l'exercer doivent dépendre de la législation et ne peuvent être exercés qu'en stricte conformité des termes de la loi. Si " un tribunal particulier a été désigné pour accorder le redres- sement, il n'y a de recours que devant ce tribunal et la compétence du tribunal est exclusive: 27 Cyc. 317.
En conséquence, en vertu de l'article 5, le seul tribunal d'instance compétent est, selon le para- graphe (1), un tribunal provincial et, selon seule- ment le paragraphe (2) de la Loi sur le divorce, la Cour fédérale du Canada.
Le principe Expressio unius est exclusio alte- rius exclut l'application de l'article 25 de la Loi sur la Cour fédérale. Dans l'arrêt Margach c. le Roi [1933] R.C.É. 97, la Loi d'établissement de soldats prévoyait un droit d'appel à la Cour de l'Échiquier pour certaines questions et il fut décidé que le fait que l'appel était prévu expres- sément dans la Loi d'établissement de soldats excluait les dispositions générales de l'article 19d) de la Loi sur la Cour de l'Échiquier. A la page 102, le juge Angers déclarait:
[TRADUCTION] On a prétendu au nom du requérant que la présente réclamation relève de la catégorie des réclamations définies à l'alinéa d) de l'article 19 de la Cour de l'Échiquier (S.A.C. 1927, ch. 34); cet alinéa dispose que:
19. La cour de l'Échiquier a aussi juridiction exclusive en première instance pour entendre et juger les matières suivantes:
d) toute réclamation contre la Couronne fondée sur quelque loi du Canada ou sur quelque règlement édicté par le gouverneur en son conseil;
Cet alinéa a une portée très générale. II énonce une règle générale applicable à tous les cas il n'y a ni restriction ni exception explicite ou implicite.
La Loi d'établissement de soldats ne contient aucune disposition générale conférant une compétence à la Cour de l'Échiquier. II y a cependant des questions qui, aux termes de la Loi, sont expressément du ressort de la Cour:
et à la page 103,
[TRADUCTION] Si les législateurs avaient eu l'intention de donner aux juges de cette cour ou d'une autre le pouvoir de connaître de cette question de crédit, il me semble qu'ils l'auraient mentionnée comme ils l'ont fait pour d'autres questions, par exemple le cas de la rescision d'un accord, prévu à l'article précédent, à savoir l'article 69.
Les législateurs ont estimé qu'il était utile, nonobstant l'alinéa d) de l'article 19 de la Loi sur la Cour de l'Échiquier de spécifier dans la Loi d'établissement de soldats les ques tions qui, selon eux, devaient relever de la compétence de cette cour. Ce faisant, il me semble qu'ils ont restreint les pouvoirs de la Cour aux questions spécifiquement mention- nées dans la Loi. II me semble que les législateurs ont voulu conférer à l'Office une compétence exclusive et péremptoire sur toutes les questions qui ne sont pas expressément ren- voyées pour décision à la Cour ou à un juge de la Cour. A mon avis, il s'agit d'un cas s'applique la maxime Expres- sto unius est exclusio alterius.
Le fait que l'article 5(2) de la Loi sur le divorce prévoie un cas dans lequel la Cour fédé- rale du Canada a compétence en matière de divorce exclut l'application de l'article 25 de la Loi sur la Cour fédérale en matière de divorce.
Le savant juge de première instance a donc rejeté à juste titre l'action comme ne relevant pas de la compétence de la Cour fédérale et l'appel doit donc être rejeté mais, dans les cir- constances, sans dépens.
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