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Wellington Hotel Holdings Limited (Appelante)
c.
Le ministre du Revenu national (Intimé)
Division de première instance, le juge Urie— London, le 28 juin; Ottawa, le 23 juillet 1973.
Impôt sur le revenu—Calcul du revenu d'entreprise—Pertes subies sur des titres par la compagnie hôtelière—Est-ce déductible à titre de pertes commerciales?
La principale activité de la compagnie appelante était l'exploitation d'un hôtel et d'un restaurant. En 1969, elle s'est lancée dans l'achat et la vente de titres, ce qui lui a valu une perte de plus de $20,000 qu'elle a cherché à déduire de ses autres revenus dans le calcul de ses impôts sur le revenu pour 1969.
Arrêt: étant établi que l'appelante a acheté ces titres dans un but spéculatif et non à titre d'investissement, les pertes sont à bon droit déductibles en tant que pértes commerciales.
Arrêts suivis: Canada Permanent Mortgage Corp. c. M.R.N. 71 DTC 5409; Admirai Investments Ltd. c. M.R.N. 67 DTC 5114; Gairdner Securities Ltd. c. M.R.N. [1954] C.T.C. 24; distinction faite avec l'arrêt Irrigation Industries Ltd. c. M.R.N. [1962] R.C.S. 346.
APPEL d'une décision de la Commission de révision de l'impôt.
AVOCATS:
J. A. Giffen, c.r., pour l'appelante.
R. B. Thomas pour l'intimé.
PROCUREURS:
Giffen et Pensa, London, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
LE JUGE UR1E—Appel est interjeté d'une décision de la Commission de révision de l'im- pôt, datée du 30 mai 1972, qui avait rejeté un appel interjeté par l'appelante de sa nouvelle cotisation relative à l'année d'imposition 1969 dans laquelle l'intimé avait refusé de déduire les pertes que l'appelante avait subies lors de la vente de titres négociables.
L'appelante a été constituée en vertu des lois de la province de l'Ontario par lettres patentes en date du 8 novembre 1962; depuis cette date, sa principale entreprise a été l'exploitation d'un hôtel et d'un restaurant sis en la ville de London
et dont voici les ventes brutes pour l'année se terminant le 31 décembre 1969:
Friar's Cellar, nourriture et boissons $407,892.00
Hôtel, nourriture et boissons 339,642.00
Service de traiteur 65,074.00
Chambres ......... ..... ...... 352.00
Revenus divers 16,879.00
Total .. .. ...... $829,839.00
Le chef d'exploitation de la compagnie, Edward J. Escaf, est diplômé en commerce et gestion des affaires de l'Université Western; il est associé à l'appelante depuis sa création. Auparavant, il s'était occupé de l'entreprise hôtelière familiale qui, si je comprends bien, a précédé l'entreprise actuelle. Les autres diri- geants de la compagnie sont son frère, Fred Escaf, et sa sœur Adeline qui ne prend pas activement part à la gestion de l'entreprise. Fred Escaf est avant tout chargé des services de traiteur et du contrôle général de l'exploitation; il doit rendre compte à Edward Escaf.
L'un des objets de la compagnie, tel qu'é- noncé dans ses lettres patentes, se lit comme suit:
[TRADUCTION] a) Acheter ou autrement acquérir et détenir, vendre, échanger ou autrement céder et négocier des droits de propriété mobiliers ou immobiliers, des actifs et des obligations, des débentures, des obligations sans garantie, des actions de toutes catégories et des titres de toutes formes ou genres émis par des particuliers, des corporations ou compagnies, publiques ou privées, constituées en corpo ration ou non;
Edward Escaf a déclaré qu'en raison de sa formation universitaire, il s'était toujours inté- ressé au marché des valeurs et qu'il avait per- sonnellement boursicoté achetant et vendant des titres sur une petite échelle pendant quel- ques années. En 1967, les administrateurs de l'appelante ont décidé de lancer la compagnie dans le commerce des titres, conformément aux pouvoirs qu'on lui avait donnés, comme on l'a mentionné plus haut. En 1968, les opérations de l'appelante, à cet égard, se soldaient par une légère perte de $125 ou $130 qui n'a pas été réclamée à titre de perte commerciale dans le bilan de la compagnie. Escaf a déclaré qu'il
n'était pas lui-même analyste de profession mais qu'il achetait des actions sur le conseil de per- sonnes associées aux compagnies dans lesquel- les il investissait sur le conseil de parents, de son avocat ou de courtiers. La plupart des actions étaient achetées en fournissant une cou- verture, et constituaient des valeurs spéculati- ves achetées en vue d'accroître le capital, non en vue d'en retirer des dividendes; toutes ces actions, sauf une, étaient cotées à la Bourse de Toronto. Il a déclaré qu'en ce qui le concernait, les valeurs qu'il achetait au nom de la compa- gnie étaient intégrées à ses stocks en vue de la revente. Les ventes se faisaient généralement sur le conseil de courtiers ou parce que, par suite d'un fléchissement des cours, il était nécessaire de verser la couverture obligatoire à la maison de courtage avec qui il avait traité. Les seuls conseils officiels qu'il a reçus relative- ment à la composition du portefeuille prove- naient de maisons de courtage.
Voici ci-dessous un état des achats et des ventes de titres effectués par l'appelante au cours des années 1968 et 1969 (partie de la pièce A-3):
WELLINGTON HOTEL HOLDINGS LIMITED
TRANSACTIONS IN MARKETABLE SECURITIES TRANSACTIONS DE TITRES NÉGOCIABLES
1969 AND /ET 1968
Purchases —Achats Sales— Ventes
Profit
# of # of or
shares shares (loss)
Date Amount Date Amount -
- # # profit ou
Date d'actions Montant Date d'actions Montant (perte)
Numac Oil & Gas
Ltd Apr.—Avr. 23/69 300 $ 3,494.64 Sept.—Sept. 5/69 500 $ 4,159.50
Apr.—Avr. 29 /69 200 2,152.00
500 $ 5,646.64 500 $ 4,159.50 $(1,487.14)
I.T.L.Industries May—Mat 12/69 200 $ 4,418.76 Nov.—Nov. 12/69 500 $ 8,335.00
May—Mai 12/69 300 6,703.50 Aug. —Août 21/69 400 6,767.48
May—Mat 14/69 300 Aug. —Août 21 /69 400 6,767.48
May—Mai 14 /69 100 . 11, 059.46
May—Mai 14/69 100,
July—Juil. 24 /69 100 1,757.13
July—Juil. 24 /69 100 1,757.13
July—Juil. 28 /69 400 7,028.52
July—Juil. 28/69 400 7,028.52
2,000 $ 39,753.02 1,300 $ 21,869.96 (5,583.15)
Ontario Store
Fixtures Aug. -Août 19/69 500 $ 9,413.75 Aug. -Août 22/69 100 $ 1,766.50
Aug. -Août 25/69 500 9,916.25 Aug. -Août 2 2 / 6 9 300 5,038.32
Aug. -Août 22/69 100 1,741.62
Sept.-Sept. 10/69 100 1,381.37
Sept.-Sept. 10/69 100 1,455.62
Sept.-Sept. 10/69 100 1,418.50
Sept.-Sept. 12/69 200 2,713.24
Adj. /Aj. (1.40)
1,000 $ 19,330.00 1,000 $ 15,513.77 (3,816.23)
Brascan Limited Nov.-Nov. 14/69 3001 $ 8,057.02
2005
Nordic Explora
tions Ltd Mar.-Mar. 6/69 500 1,048.20 Sept.-Sept. 5/69 200 $ 371.04
Mar.-Mar. 6/69 500 1,048.20 Sept.-Sept. 8/69 250 439.49
Mar.-Mar. 6/69 1,000 2,147.80 Sept.-Sept. 9/69 200 371.04
Mar.-Mar. 6/69 1,000 2,147.80 Sept.-Sept. 9/69 1,016 1,884.88
May-Mai 6/69 500 1,125.25
May-Mai 6/69 500 1,125.25
May-Mai 6/69 500 1,125.25
May-Mai 6/69 500 1,125.25 Adj. /Aj. 60.00
5,000 $ 10,893.00
Consolidated 3 to 1
Consolidation 3 à 1 1,666 $ 10,893.00 1,666 $ 3,126.45 (7,766.55)
Bluewater Oil &
Gas Ltd Apr.-Avr. 11/69 5,000 $ 2,955.00
Capital Diversified
Industries Sept.-Sept. 15/69 100) Dec.-Déc. 23/69 300 $ 848.31 _ (444.88)
Sept.-Sept. 15/69 700 } $ 4,310.64
Sept.-Sept. 15/69 200J
1,000 $ 4,310.64 300 $ 848.31
Pinnacle
Petroleums Ltd Oct.-Oct. 1 7 / 6 8 1,000 $ 2,610.10 Apr.-A vr. 25 /69 2001 $ 3 ' 809.74
Oct.-Oct. 25/68 800 1, 759.28 Apr.-Avr. 25/69 1, 800J
Oct.-Oct. 29/68 200 440.26
2,000 $ 4,809.64 2.000 $ 3,809.74 (999.90)
Ulster Petroleum Dec.-Déc. 20/68 100 $ 225.00 /69 100 $ 550.00 325.00
Versatile Manu
facturing Limited /68 100 $ 1,366.88 May-Mai 5/69 100 $ 925.00 (441.88)
Loss on sale of marketable securities
Perte sur la vente de titres négociables $20,214.73
1969
Numac Oil &
Gas Limited Aug. -Août 8/68 300 $ 2,278.05 Dec.-Déc. 6/68 600 $ 4,317.90
Aug. -Août 2/68 700 5,279.47 Dec.-Déc. 6/68 200 1,439.30
Dec.-Déc. 6/68 200 1,439.30
1,000 $ 7,557.52 1,000 7,196.50
500 rights —droits 106.75
500 rights —droits 116.75
$ 7,420.00 $ (137.52)
Dividends —Dividendes 12.00
1968:
Loss on sale of marketable securities
Perte sur la vente de titres négociables $ (125.52)
Escaf a déclaré qu'il achetait souvent des actions parce qu'il connaissait un peu la compa- gnie en cause. Ainsi, par exemple, la Capital Diversified Industries est une compagnie dont le siège social se trouve à London (Ontario) et dont Escaf connaissait le président. C'était le concessionnaire de la chaîne de restaurants Red Barn et Escaf estimait qu'en raison de la nature de l'entreprise, de sa gestion et de ses projets, elle avait des chances raisonnables de prospérer.
De même, Escaf connaissait le président de l'Ontario Store Fixtures pour avoir acheté à cette entreprise le matériel nécessaire à l'hôtel et au restaurant de l'appelante; il avait acheté de ses actions sur recommandation du président.
ITL Industries avait son siège social à Wind- sor et, par l'intermédiaire d'un parent qui habi- tait cette ville, il avait appris que la compagnie allait mettre sur le marché un bouchon de sécu- rité pour les bouteilles de médicament, ce qui, pour lui, semblait susceptible de donner à la compagnie de bonnes perspectives de réussite financière; il a donc acheté, de temps en temps, des actions de cette compagnie comme l'indique le tableau en annexe. Il a déclaré avoir tout vendu lorsqu'il a appris que la compagnie ne pouvait pas faire breveter le bouchon de sécu- rité et que ses perspectives de réussite finan- cière s'étaient ainsi considérablement affaiblies.
Il a acheté les actions des compagnies Nordic Explorations Limited, Ulster Petroleum, Ver satile Manufacturing Limited et Pinnacle Petro leum sur recommandation de courtiers.
Escaf a acheté les actions de la Numac Oil and Gas Limited car il savait que la famille Ivey, de London, bien connue des milieux d'af- faires, s'intéressait beaucoup à cette compagnie et qu'à son avis, cela devait se traduire par une bonne gestion et des possibilités de croissance.
Les actions de la Bluewater Oil and Gas ont été achetées sur recommandation de son avocat.
Il a souligné qu'en 1969, l'appelante avait négocié des titres pour un montant approximatif de $135,000, soit environ 16% des ventes brutes de la compagnie. Lors d'un contre-inter- rogatoire, il a déclaré qu'au cours des années 1968, 1969 et 1970, il avait consacré environ 10% de son temps aux transactions de valeurs mobilières et qu'il ne se passait que peu de jours sans qu'il ne se rende à une ou plusieurs mai- sons de courtage ou qu'il ne téléphone à des courtiers au moins cinq ou six fois. Il a égale- ment admis avoir eu un portefeuille personnel au cours de cette période mais l'a décrit comme étant peu important comparé à celui de l'appe- lante. Comme on peut le voir d'après le relevé et comme en a témoigné Escaf, l'appelante n'agis- sait pas à titre de syndicat de garantie et n'es- sayait pas de pousser la vente des actions en question, elle n'avait le contrôle d'aucune com- pagnie et n'avait pas l'intention de soutenir le marché d'un groupe d'actions quel qu'il soit. En outre, l'appelante n'a pas eu de relations d'affai- res avec les compagnies énumérées sur la liste après en être devenue actionnaire.
Ward Fowler, vendeur de titres pour la Nes- bitt, Thompson Limited, a déclaré que toutes les transactions inscrites au tableau ci-dessus por- taient sur des titres négociables qu'il a décrits comme des «valeurs mobilières de nature com- merciale» pour hommes d'affaires désireux d'in- vestir dans des capitaux comportant des risques. Il s'agissait de transactions spéculatives faites dans l'espoir d'obtenir une plus-value de capital plutôt que d'en retirer des dividendes. Cela comportait plus de risques que d'investir dans des valeurs de premier ordre, placement qui procure avant tout des bénéfices et des dividen- des modestes assortis d'une sécurité du capital. De toutes les actions énumérées à la pièce A-3, seules celles de la Brascan Limited rapportaient un dividende.
Toutes les transactions mentionnées ci-dessus ont entraîné en 1969 une perte de $20,214.73 sur la vente des valeurs mobilières et cette somme a été réclamée à titre de perte commer- ciale déductible du revenu de l'appelante aux fins d'impôt pour 1969. La pièce A-3 révèle qu'au cours de l'année financière 1969, l'appe- lante a réalisé 26 achats et 20 ventes de titres.
Ce nombre de transactions risque d'être quelque peu trompeur car, dans un certain nombre de cas, il se peut qu'il n'y ait eu qu'un seul ordre d'achat de parts du capital-actions mais qu'il ait été couvert par un certain nombre d'achats. Par exemple, le 6 mars 1969, il y a eu quatre achats d'actions de la Nordic Explorations Limited répartis en deux tranches de 500 actions cha- cune et deux tranches de 1000 actions chacune. Escaf n'a pu se rappeler s'il avait passé ce jour-là quatre ordres d'achat distincts bien qu'il lui semble qu'il s'agissait plutôt d'ordres d'achat individuels. Il existe naturellement sur la liste d'autres cas l'on rencontre la même situation, même si les achats d'actions de l'ITL Industries le 14 mai 1969, de la Brascan Limited le 14 novembre 1969 et de la Capital Diversified Industries le 15 septembre 1969 ont été respec- tivement regroupés sur la liste en un seul achat. On peut donc supposer que les autres, qui n'ont pas été regroupés, étaient des ordres indivi- duels, même si Escaf n'a pas pu l'affirmer.
Le Ministre a refusé de déduire du revenu de l'appelante, pour l'année d'imposition 1969, la perte de $20,214.73 aux motifs que les pertes qu'elle avait subies étaient des pertes de capital, au sens de l'article 12(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Voici les articles pertinents de la loi:
3. Le revenu d'un contribuable pour une année d'imposi- tion, aux fins de la présente Partie, est son revenu pour l'année de toutes provenances à l'intérieur ou à l'extérieur du Canada et, sans restreindre la généralité de ce qui pré- cède, comprend le revenu pour l'année provenant
a) d'entreprises,
b) de biens, et
c) de charges et d'emplois.
4. Sous réserve des autres dispositions de la présente Partie, le revenu provenant, pour une année d'imposition, d'une entreprise ou de biens est le bénéfice en découlant pour l'année.
139. (1) Dans la présente loi,
e) «entreprise» comprend une profession, un métier, un commerce, une fabrication ou une activité de quelque genre que ce soit et comprend une initiative ou affaire d'un caractère commercial, mais ne comprend pas une charge ou emploi; . . .
12. (1) Dans le calcul du revenu, il n'est opéré aucune déduction à l'égard
b) d'une somme déboursée, d'une perte ou d'un remplace- ment de capital, d'un paiement à compte de capital ou d'une allocation à l'égard de dépréciation, désuétude ou d'épuisement, sauf ce qui est expressément permis par la présente Partie, ... .
L'avocat de l'appelante a soutenu que ces pertes ne constituaient pas des pertes de capital au sens de l'article 12(1)b) puisque sa cliente se consacrait au commerce des valeurs mobilières ainsi qu'à l'exploitation de l'hôtel et du restau rant et que, par conséquent, les pertes subies dans ce genre d'entreprise étaient déductibles; à l'appui de sa thèse, il a déclaré ce qui suit:
1. que les buts déclarés de la compagnie incluaient les transactions de valeurs mobilières;
2. qu'au cours de l'année 1969, l'appelante avait effectué 26 achats de tranches d'actions et qu'elle en avait vendu 20;
3. que la majorité, sinon tous les titres achetés et vendus, étaient des valeurs spéculatives non productives de revenu;
4. que l'appelante considérait ces valeurs comme des biens que l'on pouvait acheter et vendre et qu'elle envisageait la vente des actions avec bénéfice, tout comme elle vendrait avec bénéfice les stocks de nourriture et de boisson utilisés dans le cadre de l'exploitation de l'hôtel et du restaurant;
5. que la valeur, en dollars, des achats et des ventes s'est élevée à 16% environ des ventes brutes provenant de l'exploitation du restaurant et de l'hôtel;
6. que le délai séparant les achats et les ventes était relativement court;
7. que les valeurs étaient habituellement ache- tées en fournissant une couverture, comme le prouve la pièce A-4, et qu'en fait il s'agissait de capital emprunté sur lequel elle versait un intérêt;
8. que pour faire ses placements l'appelante ne louait pas les services d'un conseiller particulier mais obtenait ses renseignements de différentes sources;
9. que ce n'était pas l'excédent de capital de la compagnie que l'on utilisait pour investir et réin-
vestir mais celui que l'on a décrit comme étant le fond de roulement ou capital emprunté.
A l'appui de sa thèse, l'avocat de l'appelante a principalement invoqué deux arrêts: Canada Permanent Mortgage Corporation c. M.R.N. 71 DTC 5409 et Admiral Investments Limited c. M.R.N. 67 DTC 5114.
Par contre, l'avocat de l'intimé s'est appuyé sur l'arrêt Irrigation Industries Limited c. M.R.N. [1962] R.C.S. 346 l'on a décidé que les parts du capital-actions d'une compagnie dif- fèrent des autres produits et biens et que, même si elles sont achetées avec l'intention précise d'en retirer un bénéfice, tout profit ou perte découlant de leur vente ne peut entraîner qu'un gain ou une perte de capital. Il a soutenu que jusqu'à la décision rendue dans l'affaire Irriga tion Industries (précitée), en 1962, le Ministre aurait vraisemblablement accepté de déduire les pertes mais cet arrêt a modifié le droit. D'après sa plaidoirie, lorsque des personnes ou des com- pagnies s'occupent de manière occasionnelle de transactions de valeurs mobilières, ces dernières ne sont pas imposables puisqu'elles représentent un placement dans une compagnie créée elle- même aux fins d'exploiter une entreprise, même si les dirigeants de l'appelante ne manifestent pas l'intention d'investir dans des valeurs mobi- lières mais d'en faire le commerce.
Le Lord juge Clerk dans un arrêt de principe cité dans des affaires de ce genre, à savoir Californian Cooper Syndicate c. Harris (1903- 1911) 5 T.C. 159, énonce clairement aux pages 165 et 166 les deux catégories d'entreprises qu'il faut distinguer dans chaque cas à partir de la preuve:
[TRADUCTION] C'est un principe bien établi quand il s'agit de questions de cotisations d'impôt sur le revenu que, lorsque le propriétaire d'un placement ordinaire décide de le réaliser et obtient un prix plus élevé que le prix d'acquisition, la hausse du prix ne constitue pas un bénéfice ... soumis à l'impôt sur le revenu. Mais il est également bien établi que les plus-values résultant de la réalisation ou de la conversion de titres peuvent aussi être soumises à l'impôt, lorsqu'il ne s'agit pas simplement d'une réalisation ou d'un changement de placement mais d'un acte fait dans le cadre de ce qui constitue véritablement la poursuite ou la réalisation d'une
entreprise;
La ligne de démarcation entre les deux peut être difficile à établir et chaque cas doit être examiné à la lumière des circonstances qui l'entoures il s'agit de répondre à la
question—Le bénéfice tiré est-il une simple plus-value due à la réalisation d'un titre, ou est-ce un bénéfice tiré dans le cadre d'une entreprise en mettant à exécution un plan à but lucratif? (C'est moi qui souligne.)
Il semble donc clairement ressortir de cet extrait que la question de savoir si une série de transac tions entraîne un gain ou une perte de capital ou un bénéfice ou une perte commerciale est une question de fait qu'il faut trancher après avoir examiné toutes les circonstances qui entourent l'affaire.
Est-ce que le fait que les lettres patentes d'une compagnie lui confèrent le pouvoir d'acheter ou de vendre des titres a quelque importance pour déterminer dans quelle catégo- rie de cas se classe la présente affaire? Dans l'affaire Canada Permanent Mortgage Corpora tion (précitée), le juge Heald, à la page 5417, renvoie à l'affaire The Commissioners of Inland Revenue c. The Scottish Automobile and Gener al Insurance Company Limited et, en particu- lier, au jugement rendu par le Lord président Clyde aux pages 389 et 390:
[TRADUCTION] Cependant, il faut, à mon sens, reconnaître que, dans les limites des sommes non exigibles immédiate- ment, les clauses du mémoire et des règlements, selon leur interprétation, n'excluent pas les opérations semblables, de par leur nature et leur objet, à celles qui caractérisent l'entreprise d'une compagnie de placement. Mais ceci ne nous avance guère car il ne s'agit pas de savoir si la compagnie aurait éventuellement pu agir comme une compa- gnie de placement mais si elle a effectivement agi en tant que telle et si cette transaction précise entrait dans ces activités. (C'est moi qui souligne.)
Dans l'affaire Sutton Lumber and Trading Company Limited c. M.R.N. [1953] 2 R.C.S. 77 à la page 83, le juge Locke énonçait avec conci- sion l'importance de l'objet de la compagnie pour trancher des questions de cette nature:
[TRADUCTION] La question à trancher n'est pas celle de savoir à quelle entreprise ou à quel commerce la compagnie pouvait se consacrer en vertu de ses statuts, mais plutôt de savoir quelle était véritablement l'entreprise à laquelle elle s'adonnait. Pour y parvenir, il est nécessaire d'étudier soi- gneusement les faits.
Par conséquent, me fondant sur les extraits cités, je n'attache pas d'importance particulière au fait que l'appelante ait été autorisée, de par ses lettres patentes, à faire des transactions de valeurs mobilières. J'estime qu'il faut plutôt examiner l'ensemble de ses démarches à l'égard de ses transactions d'actions pour déterminer le
but réel desdites transactions et, comme le déclarait le juge Heald à la page 5418 de l'arrêt Canada Permanent Mortgage Corporation (pré- cité) «cet ensemble de démarches devrait, lors- qu'il y a conflit, prévaloir contre les dépositions des dirigeants de la compagnie relatives à l'in- tention de celle-ci».
Dans l'affaire Gairdner Securities Limited c. M.R.N. [1954] C.T.C. 24 à la page 26, le juge Rand résumait comme suit les différentes démarches suivies dans cette affaire:
[TRADUCTION] Du 30 avril 1938 au 31 décembre 1946, il y a eu environ 124 achats et 200 ventes.
Au cours de cette dernière période, sur huit achats totali- sant 32,920 actions, 17,180 ont été revendues le jour même, 2,475 l'ont été moins d'un mois après, 5,000 en moins de deux mois, 5,000 en moins de trois mois, 1,000 en moins de quatre mois et 2,265 en moins de dix-huit mois. Sur neuf achats effectués après 1946 soit au total 22,260 actions, 2,000 ont été revendues le jour même, 1,000 l'ont été, en un mois, 2,500 en deux mois, 3,500 en six mois, 2,000 en moins d'un an, 9,260 en moins de deux ans et 2,000 en moins de trois ans.
Ces transactions additionnelles d'achats et de ventes ont l'apparence de démarches faites dans le but de tirer un bénéfice de leur résultat final; ... .
Les investissements, dans le sens proposé, visaient, d'abord au maintien d'un revenu annuel en dividendes ou en intérêts. Il y a des substitutions de titres mais elles ont pour but de poursuivre cet objectif principal et elles lui sont accessoires. D'après les faits qui nous ont été présentés, on ne peut, à mon avis, douter sérieusement qu'il n'y ait pas eu, en l'espèce, une motivation principale de ce genre. (C'est moi qui souligne.)
J'estime que les transactions faites par l'appe- lante, telles que présentées à la pièce A-3 «ont l'apparence de démarches faites dans le but de tirer un bénéfice ...
Cette opinion est en outre renforcée par le témoignage d'Escaf qui, bien que pertinent, n'est pas nécessairement concluant. Je pense que l'on peut croire le témoignage d'Escaf et j'estime que, lorsqu'on l'examine compte tenu des démarches de l'appelante, en ce qui con- cerne l'achat et la vente des titres qui n'étaient manifestement pas des «valeurs de placement de premier ordre» mais des «valeurs spéculati- ves», on peut, comme je le fais, l'accepter comme venant confirmer ces démarches.
Escaf ne recherchait pas des placements sûrs mais un rendement plus élevé grâce à une plus-
value de ses titres. Malheureusement cette plus- value n'a pas eu lieu et l'appelante a, par consé- quent, subi des pertes qui, à mon avis, sont déductibles du revenu de l'appelante dans le calcul de son revenu imposable.
L'avocat de l'intimé, comme on l'a mentionné ci-dessus, s'est référé au passage suivant de l'arrêt Irrigation Industries (précité) à la page 352:
[TRADUCTION] Les actions de compagnie sont dans une situation différente parce qu'elles constituent quelque chose dont l'achat, en lui-même, est un investissement. En elles- mêmes, ce ne sont pas des articles de commerce; elles représentent plutôt un intérêt dans une corporation créée dans un but commercial. Leur acquisition est une méthode bien reconnue d'investir du capital dans une entreprise commerciale.
Pour replacer le passage cité dans son propre contexte, il est nécessaire, à mon avis, d'étudier le problème soulevé dans l'affaire tel que le définit le juge Martland à la page 349:
[TRADUCTION] Le problème à trancher dans cet appel est celui de savoir si l'achat isolé d'actions sur les réserves d'une compagnie et leur vente subséquente avec bénéfice, activité qui ne fait pas partie de l'entreprise exploitée par l'acheteur des actions ou qui ne lui est en rien rattachée, constituent une initiative d'un caractère commercial propre à assujettir ce bénéfice à l'impôt sur le revenu.
De cette délimitation du problème, il ressort clairement que les circonstances de cette affaire diffèrent en grande partie de celles de la pré- sente espèce. Il ne s'agissait pas d'un achat isolé d'actions et de leur vente subséquente mais de l'un des nombreux achats et ventes effectués au cours d'une année d'imposition dans le cadre de l'entreprise exploitée par l'acheteur des actions. Dans l'arrêt Irrigation Industries (précité), l'ap- pelante était restée en grande partie inactive alors qu'en l'espèce, l'appelante s'adonnait acti- vement à l'exploitation de l'hôtel et du restau rant ainsi qu'à l'achat et à la vente de titres. Bien que ces deux entreprises ne soient pas liées, je ne pense pas que ce fait exclut en soi que l'appelante puisse s'adonner à un commerce différent de sa principale entreprise. Par consé- quent, je ne comprends pas pourquoi le juge Martland a rejeté la possibilité qu'une compa- gnie puisse s'adonner au commerce des titres même s'il ne s'agit pas de son entreprise
principale et même si elle n'est pas une maison de courtage, au sens courant du terme.
En fait, le juge Martland, en rédigeant le jugement de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Whittall c. M.R.N. [1967] C.T.C. 377, concluait que l'appelante en l'espèce avait, en acquérant les valeurs en question, cherché à tirer un bénéfice d'un commerce ou d'une entre- prise pendant toute la période en cause et que, par conséquent, les bénéfices provenant des ventes étaient imposables. Il a conclu que les échanges de titres ne constituaient pas la substi tution d'une forme de placement à une autre. Bien qu'il n'ait pas établi de distinction avec son jugement dans l'affaire Irrigation Industries (précitée), il s'y est référé dans l'affaire Whittall (précitée) et, par déduction, je pense qu'on peut considérer qu'il admet qu'en certaines circon- stances, des personnes ou des compagnies qui ne s'adonnent pas uniquement au commerce des titres et qui négocient des actions de compa- gnies peuvent s'adonner à une initiative d'un caractère commercial au sens de l'article 139(1)e) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Si c'est le cas, les bénéfices résultant de ce com merce sont, par conséquent, imposables dans les mains des personnes ou des compagnies négo- ciant ces titres et les pertes subies sont évidem- ment déductibles dans le calcul de leur revenu imposable.
Les faits supplémentaires apportés en preuve sur lesquels je me fonde pour étayer mon point de vue, sont que les titres achetés et vendus étaient des valeurs de nature spéculative, non productives de revenu et conservées pour des périodes relativement courtes; ces transactions de valeurs constituaient de plus une part impor- tante de l'ensemble de l'entreprise de l'appe- lante. Le fait qu'elles ne faisaient pas partie de l'entreprise principale de l'appelante n'a, comme je le disais ci-dessus, pas une importance parti- culière. Toutes les démarches de l'appelante nous poussent inévitablement à conclure qu'elle achetait et vendait des titres en vue d'en tirer un bénéfice.
Je ne peux admettre les arguments de l'avocat de l'intimé lorsqu'il se fonde sur l'affaire Irriga tion Industries pour appuyer sa thèse selon laquelle les pertes subies constituaient des
pertes de capital; je conclus que les actions en question dans le présent appel n'étaient pas des placements au sens mentionné dans l'affaire Irrigation Industries et que les changements de composition du portefeuille de l'appelante ne constituaient pas simplement une substitution d'une forme de placement à une autre. Les achats étaient purement spéculatifs et conclus avec l'intention de céder les actions avec béné- fice dès qu'une occasion raisonnable se présentait.
L'extrait suivant du jugement du juge Catta- nach, rendu dans l'affaire Admiral Investments Limited c. M.R.N. [1967] 2 R.C.É. 308, à la page 319, énonce succinctement mon point de vue sur la présente affaire:
[TRADUCTION] Ce qu'il faut considérer c'est ce que l'appe- lante faisait, si l'on veut poser la question dans les termes de Lord président Clyde dans l'affaire C.LR. c. Livingston et autres (11 T.C. 538, à la page 542):
... les opérations impliquées (dans les transactions de la compagnie) sont-elles de même nature et menées de la même façon que celles qui caractérisent le commerce ordinaire d'une même catégorie d'entreprise.
Bien que l'appelante n'ait jamais fait le commerce des titres, en ce sens qu'elle n'a jamais agi à titre de syndicat de garantie ni détenu de siège à une bourse de valeurs mais qu'elle faisait plutôt ses achats et ses ventes par l'intermé- diaire d'une bourse de la façon habituelle, les agissements de l'appelante correspondaient néanmoins, en fait, aux opéra- tions normales d'une personne qui s'occupe de transactions mobilières.
Par conséquent, j'estime que l'appelante a le droit de déduire la perte de $20,214.73 qu'elle a subie au cours de son année d'imposition 1969.
L'appel est donc accueilli avec dépens.
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