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Edgar Nader (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh— Montréal, le 26 juin; Ottawa, le 27 juillet 1973.
Douanes—Confiscation de marchandises passées en con- trebande et de la voiture les transportant—Acquittement de l'inculpé—Saisie confirmée par le Ministre—Compétence de la Cour—Loi sur les douanes, art. 165, 166(1).
Le demandeur fut acquitté de l'accusation portée en vertu de l'article 192(3) de la Loi sur les douanes, soit d'avoir passé en contrebande ou introduit clandestinement au Canada des bijoux valant plus de $200, mais fut trouvé coupable d'avoir introduit de la sorte d'autres objets valant moins de $200. La voiture et les bijoux du demandeur furent saisis par les douanes lors de son passage et la saisie fut ultérieurement confirmée par le Ministre conformément à l'article 163 de la Loi sur les douanes. Le demandeur a alors intenté la présente action pour obtenir la restitution de la voiture et des bijoux.
Arrêt: (1) L'action doit être rejetée. D'après les faits, la voiture et les bijoux pouvaient à bon droit faire l'objet d'une confiscation pour violation des dispositions de la Loi sur les douanes, même si le demandeur ne les avaient pas passés en contrebande.
(2) Le droit de la Cour d'examiner la question n'est pas influencé par le fait que le demandeur, pour s'opposer à la décision du Ministre, n'a pas procédé de la façon prescrite par l'article 165, mais a intenté la présente action.
Arrêt suivi: Le Roi c. Bureau [1949] R.C.S. 368. ACTION.
AVOCATS:
Claude Deneault pour le demandeur. Robert Cousineau pour la défenderesse. PROCUREURS:
C. Deneault, St-Jean (P.Q.), pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
LE JUGE WALSH—Par la présente action, le demandeur réclame qu'on lui restitue les articles suivants:
1. une automobile Peugeot 1962;
2. 170 articles variés de bijouterie compre- nant des boucles d'oreille, des colliers, des
bracelets, des boutons de manchette, des médaillons, etc.;
3. 11 montres avec des bracelets de cuir;
4. 41 bagues;
saisis le 10 décembre 1971 au bureau de douane de Blackpool (Québec) avec d'autres objets, notamment une paire de bottes, un manteau et un disque, le tout énuméré dans l'acte de saisie des douanes du 26 avril 1972 et portant le 21741/2261 et évalué par le ministre du Revenu national (pour les douanes et l'accise) à la somme de $9,328.51. Subsidiairement, si l'on ne peut lui rendre les objets saisis, le demandeur réclame que la défenderesse soit condamnée à lui payer la somme de $9,328.51 avec intérêt à compter du 24 mars 1972, date à laquelle il a dûment demandé qu'on lui restitue les articles saisis. Le 11 décembre 1971, soit le lendemain de la saisie, des procédures pénales ont été engagées contre lui en vertu de l'article 192(3) de la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, c. Ç-40 qui se lit ainsi:
192. (3) Quiconque passe en contrebande ou introduit clandestinement au Canada des marchandises frappées de droits, d'une valeur imposable de plus de deux cents dollars, est coupable d'un acte criminel et passible, sur déclaration de culpabilité, en sus de toute autre peine à laquelle il est assujetti pour une infraction de cette nature, d'une amende d'au plus mille dollars et d'au moins deux cents dollars, ou d'un emprisonnement d'au plus quatre ans et d'au moins un an, ou à la fois de l'amende et de l'emprisonnement, et ces marchandises, si elles sont trouvées, sont saisies et confis- quées sans faculté de recouvrement, ou, si elles ne sont pas trouvées, mais que la valeur en ait été constatée, la personne ainsi coupable doit remettre la valeur établie de ces mar- chandises sans qu'il lui soit possible de la recouvrer.
Finalement, par jugement du 6 mars 1972, il a été acquitté de l'inculpation d'avoir passé en contrebande ou introduit clandestinement au Canada les bijoux en question bien que la Cour l'ait par ailleurs trouvé coupable d'avoir intro- duit de la sorte des marchandises valant moins de $200, savoir, la paire de bottes, le manteau et le disque. C'est par suite de son acquittement qu'il a dûment demandé, le 24 mars 1972, qu'on lui restitue la voiture et les bijoux ainsi saisis. Cette démarche fut suivie d'un avis officiel de saisie en date du 26 avril 1972 l'avertissant que les marchandises étaient sous saisie, qu'il avait 30 jours pour s'y opposer et qu'il pouvait, s'il le désirait, présenter sa preuve, le tout conformé-
ment à l'article 161 de la loi qui se lit comme suit:
161. (1) Dès lors, le sous-ministre peut notifier au pro- priétaire ou au réclamant de la chose saisie ou détenue, ou à son agent, ou à l'individu censé avoir encouru l'amende ou la confiscation, ou à son agent, les motifs de cette saisie, détention, amende ou confiscation, et exiger de lui qu'il fournisse, dans les trente jours de la date de l'avis, la preuve qu'il désire apporter dans l'affaire.
(2) Cette preuve peut être faite par affidavit ou par affir mation, devant un juge de paix, un receveur, un commissaire autorisé à recevoir les affidavits dans toute cour, ou devant un notaire public.
Le 25 mai 1972, le demandeur, par l'intermé- diaire de son avocat, a avisé officiellement le Ministre qu'il s'opposait à la décision et a pré- senté sa preuve. Les articles 163 et 164 de la loi se lisent comme suit:
163. (1) Dès lors, le Ministre peut rendre sa décision dans l'affaire concernant la saisie, la détention, l'amende ou la confiscation, et, s'il y a lieu, prescrire les conditions aux- quelles la chose saisie ou détenue peut être restituée, ou l'amende ou la chose confisquée remise, ou il peut déférer la question à la décision de la cour.
(2) Le Ministre peut, par règlement, autoriser le sous- ministre ou un autre fonctionnaire, selon qu'il l'estime opportun, à exercer les pouvoirs conférés au Ministre par le présent article.
164. Si le propriétaire ou réclamant de la chose saisie ou détenue, ou la personne censée avoir encouru l'amende, ne donne pas, dans les trente jours après que la décision du Ministre lui a été notifiée, avis par écrit au Ministre que cette décision ne sera pas acceptée, cette décision est définitive.
Conformément à l'article 163, le 31 juillet 1972, le Ministre a fait savoir au demandeur que les effets saisis ne lui seraient restitués que s'il versait un dépôt de $9,328.51, montant qui serait alors confisqué. Il ne semble pas que le demandeur se soit conformé aux dispositions de l'article 164; au lieu de ce faire, il a intenté la présente action le 27 décembre 1972, deman- dant que la décision du sous-ministre du Revenu national en date du 31 juillet 1972 soit annulée et que les marchandises en question lui soient restituées.
Le principal argument du demandeur peut être résumé comme suit: puisque l'avis du 26 avril 1972 fait état d'une accusation d'avoir violé la Loi sur les douanes en passant en con- trebande ou en introduisant clandestinement des marchandises au Canada et que la voiture était utilisée à cette fin, et que ledit avis l'informe
aussi que si cette saisie ou ces inculpations sont confirmées les marchandises y mentionnées et l'argent accepté à titre de dépôt à cet égard seront passibles de confiscation, et qu'il a été acquitté, il s'ensuit que la voiture et les mar- chandises en question ne sont plus passibles de confiscation. Toutefois, il convient de noter que l'imprimé normalisé qu'on a utilisé mentionne la saisie ou subsidiairement les accusations et qu'en tout cas, c'est un lieu commun en droit de dire qu'un acquittement d'une inculpation pénale n'implique pas nécessairement que l'ac- cusé ne peut être tenu responsable dans des procédures civiles relatives aux mêmes faits.
A ce stade, il convient de citer certains autres articles de la loi qui me semblent se rapporter à la décision à rendre en l'espèce. A l'article 2(1), on trouve la définition suivante des termes «saisi et confisqué»:
2. (1) Dans la présente loi ou toute autre loi relative aux douanes,
«saisi et confisqué», «passible de confiscation» ou toute autre expression qui pourrait par elle-même impliquer la nécessité d'un acte quelconque postérieur à l'infraction, en vue d'opérer la confiscation, ne doit pas s'interpréter comme rendant cet acte postérieur nécessaire, mais la confiscation résulte du fait même de l'infraction à l'égard de laquelle la peine de confiscation est imposée, à-comp- ter du moment l'infraction est commise;
Les alinéas b) et c) de l'article 18 sont rédigés ainsi:
18. Toute personne ayant la charge d'un véhicule, autre qu'une voiture de chemin de fer, arrivant au Canada, comme toute personne arrivant au Canada à pied ou autrement, doit
b) avant d'en effectuer le déchargement ou d'en disposer de quelque façon, faire connaître par écrit au receveur ou préposé compétent, à ce bureau de douane ou à ce poste, tous les effets dont elle a la charge ou garde ou dans le véhicule, et les garnitures, équipements et accessoires du véhicule, et tous animaux qui le traînent ainsi que leurs harnais et attelages, de même que les quantités et les valeurs des effets, équipements, accessoires, harnais et attelages en question; et
c) sur-le-champ répondre véridiquement à telles ques tions, relatives aux articles mentionnés dans l'alinéa b), que lui pose le receveur ou préposé compétent et faire à ce sujet une déclaration en bonne forme ainsi que l'exige la loi.
L'article 180(1) renvoie à l'article 18 et se lit comme suit:
180. (1) Lorsque la personne ayant la charge ou garde de quelque article mentionné à l'alinéa 18b) a omis de se conformer à l'une des exigences de l'article 18, tous les articles mentionnés à l'alinéa b) susdit et dont ladite per- sonne a la charge ou garde, sont acquis légalement et peuvent être saisis et traités en conséquence.
L'article 183(1) de la loi couvre la saisie de la voiture. Il se lit comme suit:
183. (1) Tous les navires, avec leurs canons, palans, agrès, apparaux et équipements, et les véhicules, harnais, gréements, chevaux et bestiaux qui ont servi à importer, décharger, débarquer ou enlever ou à transporter subsé- quemment des effets passibles de confiscation en vertu de la présente loi, doivent être saisis et confisqués.
L'article 205(1) prévoit que:
205. (1) Si quelque personne, propriétaire ou non, sans excuse légitime dont la preuve incombe à l'accusé, a en sa possession, recèle, garde, cache, achète, vend ou donne en échange des effets illégalement importés au Canada, que ces effets soient ou non frappés de droits, ou sur lesquels les droits légitimes exigibles n'ont pas été acquittés, ces effets, s'ils sont trouvés, sont saisis et confisqués sans faculté de recouvrement, et, si ces effets ne sont pas découverts, la personne ainsi coupable doit remettre la valeur de ces marchandises sans qu'il lui soit possible de la recouvrer.
L'article 231(1) traite aussi de la confiscation. Il est rédigé comme suit:
231. (1) Tous effets embarqués ou débarqués, importés ou exportés, portés ou transportés, contrairement à la pré- sente loi ou à un règlement, et tous effets ou véhicules, et tous navires à l'égard desquels les prescriptions de la pré- sente loi ou d'un règlement n'ont pas été observées, ou au sujet desquels il y a eu tentative de violer dispositions de la présente loi ou d'un règlement, peuvent être confisqués.
L'article 248(2) traite du fardeau de la preuve. Il est rédigé comme suit:
248. (2) De la même manière, si des procédures sont intentées contre Sa Majesté ou contre un préposé pour recouvrer des marchandises saisies ou de l'argent déposé sous l'autorité de la présente loi ou de quelque autre sembla- ble loi, si une telle contestation se présente, le fardeau de la preuve incombe à celui qui réclame ces marchandises saisies ou cet argent déposé, et non à Sa Majesté ou au représen- tant de Sa Majesté.
La preuve révèle que Nader, un Haïtien qui réside à Brooklyn, (États-Unis) depuis douze ans, travaille de jour dans un parc de stationne- ment. Le soir et durant les fins de semaine, il vend des bijoux comme travail d'appoint. Sa femme travaille comme caissière dans un hôpi- tal de New York si bien que, dans la journée, il n'y a personne chez eux. Il achète ses bijoux chez différents grossistes et les vend principale- ment à des particuliers que d'autres clients lui
envoient. Il visite ses clients potentiels le soir pour leur vendre ou leur livrer les bijoux. Il n'a pas de magasin ni de place d'affaire et son stock n'était pas assuré, bien qu'il se soit renseigné à ce sujet, car il appert que les primes seraient exorbitantes. Par sécurité, il transportait tou- jours sa valise de bijoux avec lui qu'il aille, car il craignait de la laisser chez lui d'autant plus qu'il y avait eu beaucoup de vols avec effraction dans son quartier. D'après son témoignage, peu de temps avant sa visite au Canada il avait trouvé un coup de poing américain derrière chez lui alors qu'il déposait les ordures et il l'avait mis dans sa poche en pensant qu'il pourrait lui servir pour se protéger. Apparemment, il ne lui était jamais venu à l'esprit de louer un coffre à la banque pour y déposer ses bijoux et peut-être que, de toute façon, ce système n'aurait pas été très pratique puisqu'il faisait le gros de ses affaires le soir et en fin de semaine. De toute façon, au cours des différents voyages qu'il avait effectués au Canada, ce qu'il faisait envi- ron une fois par an avec sa femme et ses enfants au cours de l'été en rapport avec un pèlerinage annuel à Notre-Dame du Cap près de Trois-Rivières, il avait toujours apporté sa valise de bijoux avec lui. Il avait toujours indi- qué au préposé aux douanes qu'il n'avait .,rien d'autre que ses effets personnels, il n'avait jamais été fouillé et n'avait jamais eu de problè- mes auparavant. Lors de ses voyages, il séjour- nait chez différents amis, d'autres ex-Haïtiens qui ont témoigné qu'il ne leur avait jamais montré les bijoux ni essayé de leur vendre quoi que ce soit. Tant sa femme que lui même ont juré qu'il n'avait jamais rien vendu au Canada. Il avait en fait quelques clients canadiens qui lui achetaient des articles lorsqu'ils passaient par New York. Lors de ce voyage du 10 décembre 1971, c'est la première fois qu'il venait au Canada sans sa femme et la première fois en hiver. Un de ses amis, Germain Bruneau, un Haïtien qui habite aux États-Unis depuis 1969 et qui occupe un emploi permanent dans ce pays, l'accompagnait; ce dernier, n'étant jamais venu au Canada, avait indiqué à Nader qu'il aimerait l'accompagner lorsqu'il y ferait un voyage. Nader a déclaré qu'il avait beaucoup travaillé et qu'il était fatigué et pensait qu'une longue fin de semaine à Montréal avec des amis
le reposerait. A New York, un autre ami dont la femme et l'enfant habitaient à Montréal lui a demandé de leur apporter certains articles ce qu'il a accepté de faire. Il s'agissait de vête- ments pour le bébé, d'aliments pour le bébé, d'un disque, d'un manteau d'enfant et de bottes pour la femme. Il les avait mis dans le coffre de sa voiture. La valise de bijoux était sur le siège arrière et c'était apparemment la seule valise qu'il emportait, mais il avait quelques vêtements et chemises dans un sac de voyage, un complet suspendu à un crochet le long de la porte arrière et les autres pliés sur le siège arrière. Son ami Bruneau avait posé sa valise sur le plancher de la voiture du côté du passager. Il a témoigné que les sacs de voyage pliés sur le siège arrière ne recouvraient pas la valise de bijoux mais qu'il se pouvait que le complet suspendu à l'arrière la cache en partie.
Vers 15h30, ils arrivèrent au bureau de douane et au premier arrêt, après avoir montré leurs pièces d'identité, se virent demander ce qu'il y avait dans la voiture et s'ils avaient des cadeaux. Nader répondit qu'il n'avait que des effets personnels et quelques «commissions», terme qu'il a apparemment utilisé pour désigner les articles qu'il apportait à la femme de son ami. La preuve est quelque peu contradictoire sur le point de savoir s'il a fait cette déclaration au premier arrêt ou s'il a seulement mentionné les commissions au deuxième arrêt quand le préposé aux douanes a entrepris d'examiner sa voiture. Les préposés aux douanes ont déclaré formellement qu'ils lui avaient demandé, de la façon habituelle, s'il avait d'autres objets que ses vêtements. Nader soutient qu'ils avaient uti- lisé le terme effets personnels et qu'il considère les bijoux comme faisant partie de ses effets personnels. Quoiqu'il en soit, on leur a alors dit de passer par la voie 2 qui est celle empruntée par les voitures qui poursuivent leur route après un examen superficiel. La voie 3 est celle desti née aux voitures des Canadiens rentrant au Canada avec quelque chose à déclarer, voitures qui sont garées sur le côté et examinées. Ceci dit, le préposé aux douanes n'était apparemment pas immédiatement libre et, après avoir attendu cinq minutes environ, Nader a stationné sa voi- ture sur le côté et est entré dans le bureau de douane. Il attira l'attention d'un préposé qui
sortit et, comme la voiture était maintenant dans la zone on les examine de plus près, lui demanda d'ouvrir le coffre. La preuve est quel- que peu contradictoire sur le point de savoir exactement ce qui s'est alors produit; le préposé aux douanes Lavoie a déclaré que Nader n'avait pas mentionné qu'il avait des commissions jus- qu'à ce qu'il l'ait questionné dans le bureau, après avoir découvert les bijoux. Nader déclare qu'avant d'ouvrir le coffre, il a retiré la valise du siège arrière et l'a montrée au préposé aux douanes après que ce dernier eut regardé les articles dans le coffre. On lui a demandé d'ou- vrir la valise, révélant les bijoux; il fut alors amené dans le bureau et fouillé. C'est alors qu'on découvrit la présence du coup de poing américain et d'autres bijoux dans l'une de ses poches; il déclara qu'il s'agissait de bijoux cassés qu'un client lui avait donnés à réparer et qu'il avait gardés dans sa poche pour ne pas les confondre avec les bijoux de la valise. Le pré- posé aux douanes déclare que la valise était sous les vêtements dans le sac en plastique sur le siège arrière et non dans la main de Nader et qu'il lui a demandé de la sortir pour l'examiner. Nader soutient qu'avant d'ouvrir la valise il a dit au préposé des douanes qu'elle contenait ses effets personnels.
Le demandeur Nader soutient qu'il n'avait absolument pas l'intention d'entrer les bijoux en contrebande au Canada ou de les y vendre, mais qu'il les transportait simplement avec lui comme d'habitude, par mesure de sécurité. Il a déclaré que le prix des bijoux était plus élevé aux États- Unis qu'au Canada, qu'il aurait de toute façon été illogique d'essayer de les vendre au Canada et qu'il n'avait jamais effectué de telles ventes. En fait, rien dans la preuve indique qu'il l'a fait par le passé ou qu'il avait l'intention de le faire à cette occasion, même si le motif de ce voyage au Canada peu de temps avant la saison des Fêtes, époque où, normalement, les bijoux se vendent le mieux, accompagné d'un ami au lieu de sa femme comme à l'accoutumée, alors qu'il n'avait jamais fait un voyage de ce genre à cette saison les années précédentes, ne semble vrai- ment pas convaincant puisqu'un voyage de trois jours de New York à Montréal en voiture en hiver ne semble pas vraiment être le meilleur moyen de se reposer. De toute façon, je trouve
difficile de croire qu'un homme d'affaire qui achète des bijoux dans la région de New York à titre d'emploi à temps partiel depuis plusieurs années et qui, du moins ces dernières années, a obtenu le permis approprié, qui garde des docu ments et des livres comptables bien tenus à cet égard et qui achète les bijoux, en grande partie d'origine italienne, à des grossistes et des impor- tateurs à New York, ait été assez peu familier avec les douanes pour croire qu'il pouvait entrer légalement une valise contenant une quantité importante de bijoux au Canada, sans droit de douanes et sans les déclarer, même s'il n'avait pas l'intention de les vendre au Canada. Il me semble aussi difficile de croire qu'un homme d'affaire puisse considérer une valise de bijoux, constituant son stock de marchandises, comme étant assimilable à ses effets personnels. D'après la preuve portée à ma connaissance, je ne considère pas que les marchandises étaient cachées ou dissimulées de quelque façon que ce soit dans la voiture et il est très possible qu'il n'y ait aucune intention coupable d'entrer les marchandises en contrebande au Canada. Il semble donc que son acquittement de toute accusation criminelle portée contre lui en vertu de l'article 192 de la loi soit tout à fait appro- prié. Ceci ne veut toutefois pas dire, comme le soutient le demandeur, que les marchandises et la voiture ne sont pas susceptibles d'être saisies. Pour interpréter la loi, on doit en examiner toutes les dispositions et il ressort clairement que le demandeur a contrevenu à certains autres articles de la loi, tels que ceux cités ci-dessus. Il a déclaré qu'il savait ne pas avoir le droit d'im- porter des marchandises au Canada à titre de cadeau à la femme de son ami pour rendre service à cet ami et qu'il était prêt à payer tout droit de douane imposé à cet égard. Il admet avoir fait plusieurs opérations de ce genre à d'autres occasions. Sans aucun doute, il a omis de faire connaître par écrit toutes les marchan- dises dont il avait la charge ou la garde ou qui se trouvaient dans le véhicule, comme l'exige l'arti- cle 18b) de la loi. Ainsi, les marchandises deviennent passibles de confiscation en vertu de l'article 181 et la voiture en vertu de l'article 183(1). Sans aucun doute, il avait en sa posses sion des effets importés illégalement au Canada sans excuse légitime au sens de l'article 205(1).
Invoquer la crainte d'être volé s'il laissait les bijoux chez lui pour expliquer leur transport peut être une justification raisonnable à son point de vue, mais ce n'est certainement pas une excuse légitime pour leur importation illégale. Sans aucun doute, il avait des effets au sujet desquels il y a eu tentative de violer les disposi tions de la loi, les rendant par là-même passibles de confiscation en vertu de l'article 231(1).
La prétention du demandeur selon laquelle, s'étant limitée à l'article 192(1)a) de la loi dans son avis de saisie du 26 avril 1972, la défende- resse ne peut maintenant se prévaloir d'autres dispositions de la loi, a été rejetée de manière catégorique dans l'arrêt Le Roi c. Bureau [1949] R.C.S. 368. Il est vrai que, dans ce cas-là, la contrebande était plus évidente puisqu'après avoir simplement déclaré un revolver, on a trouvé dans la voiture de l'intimé une quantité très importante de cigarettes qu'il importait au Canada à une époque il fallait un permis spécial d'importation; l'intimé n'avait ni excuse légitime ni justification pour ce faire. Il est aussi vrai que, dans ce cas-là, le Ministre avait déféré la question à la Cour pour faire trancher le litige conformément aux dispositions de l'article 176 de la loi, tel qu'il existait alors, et, qu'en tran- chant la question, la Cour s'est rapportée à l'article 177 de la loi lui donnant des pouvoirs étendus pour examiner l'affaire d'après les documents et la preuve soumis et toute autre preuve qui pouvait lui être présentée et pour décider suivant le bien-fondé de l'affaire, mais ces articles sont identiques aux présents articles 165 et 166(1) de la loi:
165. Si le propriétaire ou réclamant de la chose saisie ou détenue, ou la personne censée avoir encouru l'amende, donne au Ministre, dans les trente jours après que la déci- sion du Ministre lui a été notifiée, avis par écrit que cette décision n'est pas acceptée, le Ministre peut déférer la question à la cour.
166. (1) Lorsque le Ministre a déféré pareille question à la cour, cette dernière entend et examine l'affaire d'après les papiers et témoignages soumis, et d'après toute autre preuve que produit, sur les ordres de la cour, le propriétaire ou réclamant de la chose saisie ou détenue, ou la personne censée avoir encouru l'amende, ou la Couronne, et la cour décide suivant le bien-fondé de l'affaire.
Le fait que le demandeur, au lieu d'aviser le Ministre dans les trente jours que sa décision du 31 juillet 1972 ne serait pas acceptée, confor-
mément à la procédure établie à l'article 165, permettant par là-même au Ministre de déférer la question au tribunal s'il le désirait, a décidé plutôt d'intenter directement une action contre la défenderesse pour obtenir la restitution des marchandises ou le paiement de leur valeur telle que fixée par le Ministre, n'influe pas, à mon avis, sur le droit de la Cour d'examiner à fond la question conformément à l'article 166(1) sans se limiter à l'examen du seul article de la loi en vertu duquel on a effectué la saisie. Une fois la question déférée à la Cour, soit par le Ministre soit, comme en l'espèce, par le demandeur lui- même, on ne peut limiter le droit de la Cour d'examiner la question dans son ensemble. En conséquence, je ne pense pas qu'on puisse dis- tinguer l'affaire Bureau (précitée) de l'affaire actuelle. Dans cette affaire-là, après avoir men- tionné les différents articles de la loi que l'in- timé avait violés, outre l'article 217(3), après son acquittement de l'accusation portée en vertu de cet article, le juge en chef Rinfret a déclaré, aux pages 377 et 378:
[TRADUCTION] Revenons à nouveau à l'alinéa p) de l'arti- cle 2; les expressions «saisi et confisqué», «passible de confiscation» ou «frappé de confiscation», ou toutes les autres expressions qui pourraient en elles-même impliquer qu'il est nécessaire de faire quelque chose à la suite de la contravention pour qu'il puisse y avoir confiscation, ne doivent pas s'interpréter de façon à rendre cette chose subséquente nécessaire. La confiscation s'impose dès que l'infraction a été commise et résulte du fait même de l'in- fraction à l'égard de laquelle la peine de la confiscation est imposée. En conséquence, en agissant comme il l'a fait, l'intimé s'est rendu passible de saisie et de confiscation des cigarettes et de l'automobile, même s'il n'a pas été par la suite au-delà du bureau de douane avec ses marchandises.
En conséquence, il n'est pas nécessaire de chercher si l'action de l'intimé relève de la définition de «contrebande». Le fait de contrevenir aux différents articles que j'ai men- tionnés suffisait à justifier la saisie des cigarettes et de l'automobile et leur confiscation. En vertu de l'alinéa p) de l'article (2)—«la confiscation s'impose dès que l'infraction a été commise et résulte du fait même de l'infraction»—il n'est pas besoin d'action ultérieure de l'intimé. Toute action ultérieure devient inutile et la confiscation s'impose même en son absence et donc même s'il n'est pas réellement allé au-delà du bureau de douane avec les cigarettes en sa possession.
Et à nouveau, aux pages 378 et 379:
[TRADUCTION] Et, en toute déférence, je ne suis pas d'ac- cord avec le savant président ([1948] R.C.É. 257) selon lequel, devant la Cour de l'Échiquier du Canada, on devait
trancher la question exclusivement d'après les motifs donnés par le Ministre quand il a ordonné la saisie et la confiscation des cigarettes et de l'automobile. En vertu de l'article 177, qui porte que, dès que le Ministre a déféré pareille question à la Cour, cette dernière doit examiner l'affaire d'après les documents et témoignages soumis, et d'après toute autre preuve que le propriétaire ou réclamant de la chose saisie ou détenue, ou la personne censée avoir encouru l'amende, ou la Couronne, produisent sur les ordres de la cour. Ensuite, elle «décide suivant le droit et la justice». A mon avis, cet article autorise la Cour de l'Échi- quier à étudier l'ensemble de la question et les circonstances qu'on lui a exposées. En l'espèce, c'est précisément ce que la preuve soumise à cette Cour présentait et l'intimé ne s'y est pas opposé. Dans les circonstances, la Cour de l'Échi- quier avait la compétence voulue pour déclarer la saisie et la confiscation valables au vu de toutes les contraventions à la loi qui ont été prouvées en l'espèce.
Voici la déclaration du juge Kellock, aux pages 383 et 384:
[TRADUCTION] Le savant juge de première instance a décidé que l'intimé n'avait pas entré les cigarettes en contre- bande au Canada et il a ordonné la restitution des marchan- dises et de la voiture. Il a refusé de suivre la prétention de la Couronne selon laquelle, bien qu'on n'ait pas établi la preuve de la contrebande, si la preuve établissait une infrac tion à toute autre disposition statutaire la Couronne pouvait trouver un fondement à la saisie effectuée en vertu de l'avis donné. Le savant juge s'est aussi élevé contre la prétention de l'intimé selon laquelle, vu son acquittement en vertu de l'article 217(3), c'était maintenant chose jugée entre les parties que les cigarettes n'avaient pas été «illégalement importées» et qu'en conséquence, la saisie ne pouvait être confirmée.
Considérant les derniers arguments en premier lieu, bien qu'il puisse être valable de soutenir qu'un acquittement en vertu de l'article 217(3) empêche par la suite de décider que les cigarettes ont été «entrées en contrebande» au Canada au sens de l'article 203, j'estime, pour les raisons que j'exposerai, que ceci n'empêche pas la Couronne de justifier la saisie en invoquant d'autres dispositions de la loi.
Voici ce que le juge Estey déclarait à l'égard des articles 174, 176 et 177 (actuellement, les arti cles 163, 165 et 166(1)), à la page 391:
[TRADUCTION] Il ressort donc clairement que ces articles n'imposent pas que le renvoi porte seulement sur un examen des motifs du Ministre et qu'ils ne prévoient pas non plus que, si sa décision est fondée sur un article précis de la loi, on doit la confirmer, la modifier ou l'infirmer sur ce même article. En l'espèce, le Parlement prévoit un renvoi à la Cour pour faire trancher la question au fond. Il envisage un procès de novo devant la Cour de l'Échiquier «d'après toute autre preuve que ... (l'une quelconque des parties peut produire) ... sur les ordres de la cour» (art. 177) et, à cet égard, la rédaction de la conclusion prend une signification particulière «et (la cour) décide suivant le droit et la justice» (art. 177).
J'estime donc que, d'après les faits de la pré- sente affaire, les marchandises en question et l'automobile qui les transportait, ont été confis- quées à bon droit. En confirmant cette décision, il ne semble pas que le Ministre ait agi en vertu de l'article 205(1), auquel cas les marchandises en question auraient été saisies «sans faculté de recouvrement» ni qu'il se soit prévalu de l'arti- cle 204(2) qui est rédigé comme suit:
204. (2) Est coupable d'une acte criminel et passible de dix ans d'emprisonnement tout individu qui, portant sur lui des armes offensives, est trouvé en possession d'effets sujets à saisie ou à confiscation en vertu de la présente loi ou de toute loi relative aux douanes, et sachant qu'ils y sont sujets.
bien qu'on ait trouvé un coup de poing améri- cain dans la poche de Nader. Le Ministre a adopté une position plus modérée, prévue à l'article 163(1) de la loi, en exposant dans son avis du 31 juillet 1972 les conditions permettant de recouvrer les marchandises saisies ou déte- nues, soit le versement d'un dépôt de $9,328.51, montant qu'il estime représenter la valeur des marchandises, dépôt qui sera alors confisqué. Au cours de sa déposition, le demandeur a mis ce montant en doute déclarant qu'il devait s'agir du prix de détail puisqu'il n'aurait pas payé plus de $4,000 pour les bijoux saisis. Je n'estime toutefois pas que cette preuve non étayée suf- fise à contredire l'évaluation du Ministre et, en fait, les dispositions de l'article 164 prévoient catégoriquement que, si dans les trente jours le Ministre n'est pas avisé par écrit que sa décision ne sera pas acceptée, cette décision devient définitive. Or le demandeur a omis de le faire, bien qu'il ait effectivement donné un avis sem- blable en réponse à l'avis officiel de saisie signi- fié en vertu de l'article 161. De toute façon, la question du montant que le demandeur doit payer pour récupérer les marchandises ne m'a pas été soumise au cours de ces procédures.
Il y a donc lieu de rejeter l'action du deman- deur avec dépens.
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