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A-115-73
Rapistan Canada Limited (Appelante)
c.
Le ministre du Revenu national (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges suppléants Mackay et Sweet—Toronto, le 24 janvier 1974.
Impôt sur le revenu—Acte accordant à la «donataire» les «connaissances» pour fabriquer et commercialiser les pro- duits de la «donatrice»—Il ne s'agit pas d'une donation portant sur des «biens» au sens des dispositions permettant de demander une déduction pour amortissement—Loi de l'impôt sur le revenu, art. 139(1)ag)—Règlements de l'impôt sur le revenu, Ann. B, Catégorie 14—Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23, art. 15.
La compagnie appelante, en vertu d'un «Acte de dona tion», a reçu d'une compagnie américaine la jouissance pendant une période déterminée d'avantages relatifs à la fabrication et à la commercialisation des produits de la «donatrice». La demande de l'appelante visant à obtenir, relativement à ces avantages, une déduction pour amortisse- ment, fut rejetée dans ses cotisations établies pour les années d'imposition 1966, 1967 et 1968. La Division de première instance confirma la décision du Ministre.
Arrêt: l'appel est rejeté; on doit interpréter la donation comme une promesse faite par la donatrice portant que l'appelante recevait les informations sur la façon d'entre- prendre et de poursuivre une certaine activité, ou ce que la donation intitule «connaissances, techniques, compétence et expérience». On peut appeler cette acquisition «actif» et «droit» relevant de la définition du mot «biens» à l'art. 139(1)ag) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Mais il ne s'agit pas de «biens c'est-à-dire un brevet, une concession ou un permis de durée limitée à l'égard des biens» au sens de la Catégorie 14 de l'Annexe B des Règlements de l'impôt sur le revenu. Il ne peut donner droit à une déduction pour amortissement.
Arrêts examinés: Moreau c. St. Vincent [1950] R.C.É. 198 et Hollinrake c. Truswell [1894] 3 Ch. D. 420.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
W. D. Goodman, c.r., pour l'appelante.
N. A. Chalmers, c.r., et S. Pustogorodsky
pour l'intimé.
PROCUREURS:
Goodman et Carr, Toronto, pour l'appe- lante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit d'un appel d'un jugement de la Division de première instance rejetant un appel des cotisations de l'appelante établies en vertu de la Partie I de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1966, 1967 et 1968.
Les faits en cause se trouvent largement exposés dans les motifs du jugement du savant juge de première instance et je n'ai pas l'inten- tion de les reprendre sauf dans la mesure il est nécessaire de le faire pour montrer pour- quoi, selon moi, l'appel doit être rejeté.
Le l er février 1957, l'appelante et la Rapids- Standard Company Inc. ont passé un contrat intitulé «Acte de donation». Dans ce document la Rapids-Standard Company Inc. est appelée «Rapistan», la «donatrice», et l'appelante est appelée «la donataire». Voici la partie essen- tielle du document:
[TRADUCTION] LE PRÉSENT ACTE DE DONATION FAIT FOI DE CE QUI SUIT:-
1. La RAPISTAN donne, accorde et cède à la RAPISTAN CANADA par voie de donation, sous réserve des dispositions ci-dessous, le droit d'avoir, de détenir et de jouir pendant 10 ans ou durant la période pendant laquelle la RAPISTAN est actionnaire de la RAPISTAN CANADA, la plus courte période étant à retenir, de la totalité de son capital actuel de connais- sances, de techniques, de compétence et d'expérience en matière de fabrication, d'organisation de la production, de gestion et de vente, ainsi que, mais sans s'y limiter, de la totalité de ses bleus et plans et de ses concessions, droits et permis suivants, à titre exclusif pour le Canada, à savoir:
a) de fabriquer ou assembler et de commercialiser toute la gamme des produits RAPISTAN;
b) d'utiliser tous les plans et demandes de brevets relatifs aux produits RAPISTAN, les données, méthodes et techni ques de production, de vente et de commercialisation, la bibliographie, la bibliothèque, les rapports de recherche, les procédés et données de vente;
c) d'utiliser les systèmes de vente canadiens mis sur pied par la RAPISTAN;
d) d'utiliser tous les noms et marques de la RAPISTAN, déposés ou non, y compris le droit d'utiliser les noms et marques qui seront acquis ultérieurement, et de devenir un usager inscrit des marques canadiennes déposées;
e) d'utiliser et de mettre en oeuvre les procédés divulgués dans tous les brevets et demandes de brevets de la RAPISTAN.
Toutefois, jusqu'au moment la RAPISTAN CANADA sera en mesure de fabriquer et fabriquera effectivement un produit
RAPISTAN spécifique, la RAPISTAN peut continuer à fabriquer ses produits américains RAPISTAN spécifiques et à approvi- sionner le marché canadien de façon i; y répondre adéquate- ment et aucun des dons précédents n'interdit à la RAPISTAN de le faire.
2. La RAPISTAN CANADA accepte la donation précédente et reconnaît, convient et accepte ce qui suit:
a) Que, par suite de l'acceptation de la donation précé- dente, elle obtiendra de la RAPISTAN des renseignements confidentiels et la divulgation de données et, sauf dans la mesure cela peut être nécessaire relativement à ses propres droits de fabrication et de vente, elle ne divul- guera à aucune tierce personne le moindre renseignement, information ou donnée de vente qu'elle détient de la RAPISTAN et elle s'emploiera activement à empêcher à tout moment la divulgation desdits renseignements, données ou informations par ses employés ou autres personnes y ayant accès;
b) Que, par suite de l'exercice des droits qui lui sont conférés par les présentes, elle n'obtiendra ni ne cher- chera à obtenir quelque droit de propriété que ce soit ou toute autre chose portant sur un nom ou marque de commerce, un brevet ou une demande de brevet que détient ou contrôle maintenant la RAPISTAN en dehors des droits qui lui sont conférés par l'acte de donation;
c) Que, si la RAPISTAN enregistre en vertu des lois d'un pays autre que le Canada des marques visées par les présentes, cet enregistrement et ces marques seront la propriété exclusive de la RAPISTAN et la RAPISTAN CANADA n'en contestera à aucun moment et d'aucune façon la validité;
d) Que, si la RAPISTAN fait une demande de brevet ou se fait délivrer un brevet, en vertu des lois d'un pays autre que le Canada, concernant tout produit visé par la pré- sente convention, la RAPISTAN CANADA n'en contestera à aucun moment et d'aucune façon la validité;
e) Que les droits, concessions et permis acquis par elle en vertu des présentes, ne feront en aucune manière l'objet d'un transfert sans le consentement préalable de la
RAPISTAN;
f) Que, dès la fin de la période fixée précédemment, tous les bleus, les données et les renseignements écrits revien- dront à la RAPISTAN.
La question fondamentale à trancher dans cette affaire est celle de savoir si l'objet de cette soi-disant «donation» représente des «biens» c'est-à-dire «un brevet, une concession ou un permis ... à l'égard des biens» au sens de ces mots figurant dans la Catégorie 14 de l'Annexe B des Règlements de l'impôt sur le revenu, à l'égard desquels l'appelante peut demander une déduction pour amortissement. Si les acquisi tions de l'appelante en vertu de l'«Acte de dona-
tion» ne constituent pas des «biens» relevant de cette catégorie, il est évident que l'appel doit être rejeté.'
La Catégorie 14 se lit comme suit:
CATÉGORIE 14
Les biens constitués par un brevet, une concession ou un permis de durée limitée à l'égard des biens, mais ne compre- nant pas
a) une concession ou permis à l'égard de minéraux, de pétrole, de gaz naturel, d'autres hydrocarbures connexes ou de bois et des biens y afférents (excepté une conces sion pour la distribution de gaz aux consommateurs ou un permis d'exportation de gaz du Canada ou d'une province) ou à l'égard d'un droit d'exploration, de forage, de prise ou d'enlèvement concernant des minéraux, du pétrole, du gaz naturel, d'autres hydrocarbures connexes ou du bois.
b) une tenure à bail, ou
c) les biens compris dans la catégorie 23.
D'après l'exposé des points de droit et de fait de l'appelante, le fond même de la «donation» portait sur «la technologie et les connaissances actuelles» de la donatrice. Par conséquent, il s'agit de savoir si «la technologie et les connais- sances» constituent des «biens» relevant de l'expression «un brevet, une concession ou un permis ... à l'égard des biens».
Le mot «biens» est défini comme suit à l'arti- cle 139(1)ag) de la Loi de l'impôt sur le revenu:
«biens» signifie des biens de toute nature, qu'ils soient réels ou personnels, corporels ou incorporels, et, sans restreindre la généralité de ce qui précède, comprend un droit de quelque nature que ce soit, une action ou un droit incorporel; 2
Même si l'«Acte de donation» se présente comme une donation, un octroi et une cession de «connaissances, de techniques, de compé- tence et d'expérience» ces connaissances, com- pétence ou expérience, pour autant que je sache, ne constituent pas, au regard d'aucun système juridique au Canada, des «biens» pou- vant faire l'objet d'une donation, d'un octroi ou d'une cession, sauf dans la mesure où, s'il en est, ils peuvent constituer un droit ou une partie d'un droit à l'égard duquel il existe des biens
Aucune réclamation n'a été faite à l'égard de brevets déterminés de noms ou de marques ide commerce ou choses matérielles dont il est fait mention accessoirement dans la description de la «donation».
2 Aux termes de l'article 15 de la Loi d'interprétation, le mot «biens» dans ce règlement a le même sens que dans la Loi.
relevant de la catégorie des biens industriels. Par conséquent, d'après ma conception de la «donation» en l'espèce et à la lumière des élé- ments de preuve, on doit l'interpréter comme une promesse faite par la donatrice aux termes de laquelle l'appelante recevra de la «donatrice» les informations et les instructions sur la façon d'entreprendre et de poursuivre une certaine activité de fabrication. Évidemment, elle ne se fonde sur aucun des droits afférents aux biens industriels comme les brevets d'invention, les droits d'auteur, les marques de commerce et les plans industriels'. Si je comprends bien la loi, les connaissances ou les idées en tant que telles, ne constituent pas des biens. Assurément, ils ne peuvent pas faire l'objet de droits d'auteur. Comparez, par exemple, avec l'arrêt Moreau c. St. Vincent 4 rendu par le président Thorson aux pages 204 et 205:
[TRADUCTION] De même qu'un auteur n'a aucun droit d'au- teur sur les idées qu'il a exprimées même si elles sont originales, mais seulement sur la présentation qu'il en a donnée, de même nul n'a le droit d'auteur sur un arrange ment, un système, une théorie ou une méthode permettant de faire quelque chose, même s'il l'a personnellement mise au point. Le droit d'auteur ne porte que sur la description qu'on en fait ou la présentation formelle qu'on lui donne. Lord Lindley a donné de ce principe une formulation suc- cincte dans l'arrêt Hollinrake c. Truswell [1894] 3 Ch. D. 420, à la p. 427, qui fait jurisprudence en la matière:
Le droit d'auteur ne porte cependant pas sur des idées, des théories, des systèmes ou des méthodes; il ne con- cerne que la présentation qu'on leur donne; et il n'y a violation du droit d'auteur que s'il y a plagiat de cette présentation.
On ne s'est par la suite jamais écarté de ce principe. Par conséquent, je suis d'avis qu'en cherchant à protéger son système visant l'organisation d'un concours, le demandeur tentait d'utiliser le droit relatif aux droits d'auteur à une fin à laquelle il ne s'appliquait pas. Ses prétentions dépassaient celles qu'autorise la loi.
Dans une certaine mesure, les connaissances ou les idées peuvent faire l'objet d'un monopole conféré par un brevet d'invention ou par l'enre- gistrement d'un dessin ou modèle industriel et, par conséquent, dans cette mesure, constituer des «biens» tels que peuvent l'être, à mon avis, dans un certain sens, les techniques, la compé- tence et l'expérience. Comme telles cependant, et en l'absence de tout monopole légal, les «con-
3 Certains de ces droits susceptibles d'être en jeu étaient accessoires et ne constituaient pas le fondement de la «donation».
4 [1950] R.C.É. 198.
naissances, les techniques, la compétence et l'expérience», selon moi, ne constituent pas des «biens» et ne peuvent par conséquent être des «biens» relevant de la Catégorie 14 ci-dessus.
Il est vrai, bien sûr, qu'un homme d'affaires peut acquérir d'un autre ce qu'on a coutume d'appeler des «connaissances» tout comme il peut acquérir ce qu'on a coutume d'appeler un «achalandage» et, lorsqu'il s'agit d'une acquisi tion à titre onéreux, l'objet de l'acquisition peut à bon droit être appelé «actif» et figurer comme tel dans son bilan. Reste encore la question de savoir si, dans un cas particulier, il a acquis des «biens» relevant de la définition de ce mot dans la Loi. Voici un passage de l'exposé des points de fait et de droit de l'appelante qui explique la différence en l'espèce:
[TRADUCTION] La compagnie américaine aurait pu remplir ses obligations aux termes de l'acte de donation en remet- tant tous ses bleus, rapports de recherche, données techni ques, manuels d'entretien, etc. existant au mois de février 1957 et en accordant une semaine environ aux représentants de la compagnie canadienne pour visiter l'usine, puis refuser d'en faire plus.
L'actif acquis par l'appelante en l'espèce consis- tait à savoir comment entreprendre et poursui- vre l'activité déterminée de fabrication. Du point de vue commercial, il s'agissait d'un «actif». Il ne s'agissait toutefois pas de «biens».
Il est vrai que l'appelante a acquis implicite- ment par l'«Acte de donation» une promesse selon laquelle la donatrice ferait certaines choses et que cette promesse est un «droit» relevant de la définition du mot «biens». Toute- fois, ce droit ne porte pas sur les «connaissan- ces» qui font l'objet de la demande de déduction pour amortissement. Le passage de l'exposé des points de fait et de droit de l'appelante qui vient d'être cité, montre que la promesse pouvait être tenue rapidement. Toutefois, les «connaissan- ces» constitueraient un actif immobilisé d'une durée indéfinie. 5 . Comme tels il ne s'agit cepen-
dant pas de «biens».
s Une fois l'«Acte de donation» signé, l'appelante avait le «droit» d'être informée et instruite. S'il y avait eu un man- quement dans l'obligation l'appelante aurait eu un «droit incorporel» relativement à ce manquement. Une fois ces informations dûment transmises, l'appelante obtenait ce qu'elle avait négocié, c'est-à-dire les «connaissances ...».
Selon moi, l'appel doit être rejeté avec dépens.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY a souscrit à l'avis.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT SWEET a souscrit à l'avis.
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