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T-1201-74
Phillip Cavanaugh (Demandeur)
c.
Le commissaire des pénitenciers (Défendeur)
Division de première instance, le juge Catta- nach—Saskatoon, le 19 mars; Ottawa, le 4 avril 1974.
Pénitenciers—Détenu demandant un jugement déclaratoire portant qu'il est détenu illégalement et doit être remis en liberté—La Cour est-elle compétente pour rendre un tel juge- ment déclaratoire—Le détenu purge sa peine en vertu d'une condamnation et d'un mandat de dépôt—Le certificat délivré d la suite d'une nouvelle condamnation constitue un docu ment valide en vertu duquel il peut être incarcéré de nou- veau—Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, c. P-6, art. 13(7), Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34, art. 500(5)—Loi sur la Cour fédérale, articles 18 et 28.
Le demandeur, condamné à deux peines confondues, entra au pénitencier en vertu d'un mandat de dépôt et y purgea sa peine. Il conteste sa nouvelle détention résultant d'une condamnation ultérieure pour une autre infraction à une «peine d'emprisonnement d'un an devant être purgée dans une prison provinciale consécutivement à la période d'emprisonnement actuelle», selon les termes de la mention apposée par le juge à l'acte d'accusation. Le juge modifia par la suite l'acte d'accusation en substituant le mot «péni- tencier» aux mots «prison provinciale». La Cour délivra un nouveau certificat de condamnation reflétant cette modifica tion. Aucun mandat de dépôt ne fut émis. Le demandeur prétend que l'article 500(5) du Code criminel l'exigeait.
Arrêt: l'action est rejetée. La condamnation par un tribu nal compétent justifie en droit l'emprisonnement et le certi- ficat de condamnation délivré par ce tribunal, identifiant le prévenu et certifiant qu'il a été déclaré coupable d'un acte criminel précis et a été condamné à une période d'emprison- nement donnée, constitue un document dont le gardien du pénitencier peut à bon droit se prévaloir pour détenir le prévenu pendant la période d'emprisonnement à laquelle il a été condamné.
Arrêts suivis: Goldhar c. La Reine [1960] R.C.S. 431 et In re Darby [1964] R.C.S. 64.
ACTION. AVOCATS:
Peter V. Abrametz pour le demandeur. D. F. Friesen pour le défendeur.
PROCUREURS:
Eggum & Dynna, Prince Albert, Saskatche- wan, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
LE JUGE CArrANAcx—Par sa déclaration, le demandeur réclame un jugement déclaratoire adressé au défendeur portant que le demandeur est illégalement détenu par le défendeur dans le pénitencier de la Saskatchewan, à Prince Albert (Saskatchewan), et que le demandeur doit être immédiatement remis en liberté.
Le demandeur est présentement détenu au pénitencier susmentionné.
Le 20 janvier 1972, à Thunder Bay (Ontario), le demandeur fut jugé et déclaré coupable d'in- troduction par effraction et coups et blessures intentionnels. Le même jour, le demandeur fut dûment condamné à un emprisonnement de deux ans pour chaque chef d'accusation avec confusion des peines.
On délivra le mandat de dépôt approprié.
Le demandeur a maintenant purgé la peine de deux ans à laquelle il avait été condamné.
Cependant, le 2 mai 1972, le demandeur fut jugé et déclaré coupable de possession de choses volées par la Cour de district de North Bay (Ontario) et condamné à un emprisonne- ment d'un an, cette peine devant être purgée consécutivement à la peine de deux ans déjà imposée.
Il ressort clairement du dossier qui m'a été présenté qu'à l'origine, le juge président, Mon- sieùr le juge F. L. Gratton, voulait que le demandeur purge la peine d'un an d'emprison- nement prononcée par lui le 2 mai 1972 dans une prison provinciale. Il apposa à l'acte d'accu- sation une mention qui se lit comme suit:
[TRADUCTION] Le prévenu est condamné à une peine d'em- prisonnement d'un an devant être purgée dans une prison provinciale consécutivement à la période d'emprisonnement actuelle.
Le certificat de condamnation, joint comme pièce «A» à l'exposé conjoint des faits, délivré le 2 mai 1972, portait la signature du greffier de la Cour ainsi que le sceau de la Cour. Ce certifi- cat porte que le prévenu, qui est le demandeur en l'espèce, a été dûment déclaré coupable de l'infraction de «possession», lors d'une audience de la Cour de district du district de Nipissing, tenue à North Bay (Ontario) et a été condamné
par Monsieur le juge F. L. Gratton à [TRADUC- TION] «une peine d'emprisonnement d'un an devant être purgée consécutivement à la période d'emprisonnement actuelle».
Le 8 décembre 1972, la demande de fonc- tionnaires du pénitencier de la Saskatchewan, Monsieur le juge Gratton modifia la mention susmentionnée apposée par lui sur l'acte d'accu- sation, en rayant les mots «prison provinciale» et en les remplaçant par le mot «pénitencier».
On délivra un nouveau certificat de condam- nation, joint comme pièce «B» à l'exposé con joint des faits, qui portait le sceau de la Cour ainsi que la signature du greffier de la Cour et reprenait cette modification.
On ne délivra aucun mandat de dépôt concer- nant la déclaration de culpabilité ainsi que la condamnation imposée au demandeur le 2 mai 1972.
En substance, on soutient, au nom du deman- deur, que la délivrance d'un mandat de dépôt à l'égard d'un prévenu déclaré coupable est obli- gatoire en vertu de l'article 500(5) du Code criminel qui se lit comme suit:
500. (5) Lorsqu'un prévenu, autre qu'une corporation, est condamné, le juge ou le magistrat, selon le cas, doit décerner ou faire décerner un mandat de dépôt suivant la formule 18, et l'article 461 s'applique à l'égard d'un mandat de dépôt décerné sous le régime du présent paragraphe.
La formule 18 mentionnée dans cet article se trouve en annexe à la Loi et en fait donc partie.
Cette formule est adressée aux agents de la paix et au gardien de la prison; elle ordonne aux agents de la paix, au nom de Sa Majesté, de conduire le prévenu déclaré coupable et con- damné au gardien de la prison et de le remettre entre ses mains, et ordonne au gardien de rece- voir le prévenu sous garde et de l'incarcérer pour la durée de la condamnation. La formule se termine par les mots suivants: «et, pour ce faire, les présentes vous sont un mandat suffisant».
Compte tenu de la thèse soutenue au nom du demandeur selon laquelle, en l'absence d'un mandat de dépôt, il était détenu illégalement, la réclamation subsidiaire par laquelle on deman-
dait au défendeur le transfèrement immédiat du demandeur à une prison provinciale pour purger le reste de la période d'emprisonnement d'un an fut abandonnée au motif qu'elle était incompati ble avec ladite thèse et, à la demande des avo- cats, la déclaration fut amendée de manière à supprimer cette réclamation subsidiaire.
Dans l'affaire Goldhar c. La Reine', la Cour suprême du Canada, lors d'un appel interjeté du rejet d'une demande de bref d'habeas corpus, examina la question d'un prévenu détenu dans un pénitencier en vertu d'un certificat de con- damnation délivré par le tribunal qui avait pro- noncé la condamnation. Il fut décidé que la condamnation prononcée par un tribunal com- pétent justifie en droit l'emprisonnement et qu'une liste de déclarations de culpabilité cons- tituait un certificat en bonne et due forme et que, pour toutes ces raisons, la demande de bref avait été rejetée à bon droit.
Le prévenu avait été déclaré coupable par la Cour des sessions générales de la paix du comté de York, pour complot en vue de faire du trafic de drogues et fut condamné à 12 ans de prison.
Le prévenu était détenu au pénitencier de Kingston en vertu d'une liste de condamnations. Cette liste était un certificat signé par le greffier adjoint des sessions de la paix, à York, et por- tait le sceau de la Cour; il certifiait que le prisonnier avait été déclaré coupable de complot en vue de faire du trafic de drogues et avait été condamné le 4 mai 1956 à 12 années de prison. On a établi que la liste des condamnations cons- tituait le seul document en vertu duquel Goldhar était détenu.
Le juge en chef Kerwin cita les articles 49(1) et 51 de la Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1952, c. 206, disposant que:
49. (1) Le shérif ou le sous-shérif d'un comté ou d'un district, ou tout huissier, constable ou autre agent ou toute autre personne, agissant sur son ordre ou sur l'ordre d'une cour, ou tout fonctionnaire nommé par le gouverneur en conseil et attaché au personnel d'un pénitencier pour cet objet, peut conduire au pénitencier désigné dans la sentence tout individu condamné à l'emprisonnement ou passible d'emprisonnement dans ce pénitencier, et doit le livrer au directeur, sans autre mandat qu'une copie de la sentence,
' [1960] R.C.S. 431.
extraite du procès-verbal du tribunal qui a jugé le condamné, et certifiée par un juge ou par le greffier ou le greffier suppléant de ce tribunal.
51. Le directeur doit recevoir au pénitencier tout con- damné dont la sentence d'emprisonnement dans ce péniten- cier lui a été légalement attestée, à moins que le certificat du médecin du pénitencier ne déclare le condamné atteint de quelque dangereuse maladie infectieuse ou contagieuse, et il doit l'y détenir sous réserve des règles, des règlements et de la discipline de l'établissement jusqu'à l'expiration de sa peine ou jusqu'à ce qu'il soit par ailleurs légalement libéré, mais un condamné, lorsque le certificat du médecin le déclare atteint de quelque maladie dangereuse susmention- née, peut demeurer et être détenu en son ancien lieu d'incar- cération jusqu'à ce que son état de santé puisse, sur l'avis du médecin, justifier le retrait du certificat.
Il déclare à la page 435:
[TRADUCTION] Cette liste est un certificat en bonne et due forme attestant que l'appelant a été déclaré coupable par un tribunal compétent en matière criminelle. On ne peut donc pas en mettre la validité en question au moyen d'une demande d'habeas corpus; voir les arrêts Re Trepanier ((1885) 12 R.C.S. 111); Re Sproule ((1886) 12 R.C.S. 140); In re Henderson ([1930] R.C.S. 45, 1 D.L.R. 420, 52 C.C.C. 95).
La Cour suprême du Canada examina à nou- veau une demande de bref d'habeas corpus dans l'arrêt In re Richard George Darby 2 . Le juge Cartwright (tel était alors son titre) déclara au nom de la Cour la page 65]:
[TRADUCTION] Il s'agit d'une demande de bref d'habeas corpus ad subjiciendum, présentée tout d'abord devant le juge Spence et renvoyé par lui à la Cour en conformité de la Règle 72. La demande a été faite par écrit et le requérant n'a pas comparu personnellement et n'était pas représenté par un avocat.
Il ressort du certificat de condamnation que le requérant a été jugé en Cour suprême de la Colombie-Britannique par le juge Hutcheson et un jury sur les chefs d'accusation suivants:
(1) Vol d'une somme d'argent à même le courrier.
(2) Vol d'une montre à même le courrier.
(3) Possession d'une somme d'argent volée à même le courrier.
(4) Possession d'une montre volée à même le courrier. qu'il a été déclaré coupable des quatre chefs d'accusation et, le 1W février 1963, a été condamné pour chacun des chefs d'accusation (1) et (2) à quatre ans d'emprisonnement dans un pénitencier et pour chacun des chefs d'accusation (3) et (4) à deux ans d'emprisonnement dans un pénitencier, les quatre peines devant être confondues.
Il semble donc que le requérant soit détenu en conformité de déclarations de culpabilité fortes par un tribunal compé- tent en matière criminelle et les peines imposées en consé- quence. Le certificat de déclaration de culpabilité est valide
2 [1964] R.C.S. 64.
en lui-même. Les motifs du jugement prononcés par cette cour dans l'affaire Goldhar c. La Reine ([1960] R.C.S. 431) et la jurisprudence discutée lors de cette affaire, indiquent clairement que, dans ces circonstances, on ne peut accorder aucun redressement au requérant par voie d'habeas corpus.
II s'ensuit donc que la demande de bref d'habeas corpus doit être rejetée et je rends une ordonnance en ce sens.
L'avocat du demandeur a fait remarquer que, dans l'affaire Goldhar (précitée), le juge en chef Kerwin avait mentionné spécifiquement les arti cles 49(1) et 51 de la Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1952, c. 206, que nous avons déjà cités. Dans l'intervalle fut adoptée une nouvelle Loi sur les pénitenciers, c. 53 des Statuts du Canada 1960-61, entrée en vigueur le 1e1 avril 1962. La nouvelle loi abrogea l'ancienne, mais compre- nait l'article 14(7) qui se lit comme suit:
14. (7) Une personne est réputée être en détention légi- time en tout endroit au Canada
a) si, ayant été condamnée ou envoyée à un pénitencier elle est en la garde d'une personne agissant sous l'autorité de la cour qui l'a condamnée ou envoyée au pénitencier.
L'article 14(7) des Statuts du Canada 1960- 61, c. 53, est reprise mot pour mot par l'arti- cle 13(7) du c. P-6 des Statuts révisés du Canada 1970.
Cette législation était donc en vigueur au moment le juge Cartwright rendit sa décision dans l'affaire In re Richard George Darby (pré- citée) et déclara que les motifs du jugement de l'affaire Goldhar c. La Reine (précitée) étaient applicables.
Le principe énoncé dans l'affaire Goldhar (précitée) et applicable à la présente était celui qu'avait exprimé le juge en chef Kerwin dans l'extrait que j'ai cité plus haut et par le juge Fauteux (tel était alors son titre) lorsqu'il décla- rait à la page 439:
[TRADUCTION] Je souscris à l'opinion que l'appelant a été déclaré coupable et condamné par une cour compétente, que la liste est un certificat en bonne et due forme attestant que l'appelant a effectivement été déclaré coupable et condamné et qu'au vu du dossier soumis, le juge Martland a rejeté à bon droit la demande de bref d'habeas corpus.
La décision du juge 'Martland qui faisait l'ob- jet de l'appel à la Cour suprême du Canada est publiée sous l'intitulé In re Jack Goldhar [1958] R.C.S. à la page 692.
Après avoir fait remarquer que le seul docu ment en vertu duquel Goldhar était détenu par
le gardien du pénitencier était le document inti- tulé [TRADUCTION] «liste des condamnations- sessions» (et le gardien ne détenait aucun mandat de dépôt à l'encontre du prisonnier) et qu'on prétendait que ce document n'était pas suffisant pour justifier la détention du prison- nier, le juge Martland affirma alors, à la page 696:
[TRADUCTION] Il me semble que le document en litige [c: à-d. la liste des condamnations] certifie que le requérant a été condamné à l'emprisonnement au pénitencier de Kingston pour une période de douze années.
La jurisprudence établit que, lors d'une demande de ce genre, je ne suis pas autorisé à examiner le fond de l'affaire, mais que je dois me limiter à un examen de la Cause de l'incarcération telle qu'elle ressort des documents autorisant la détention. Rien dans le document en cause ne révèle que l'incarcération du requérant au pénitencier de Kingston était de quelque façon irrégulière. [Les parenthèses sont de moi.]
A mon sens, la jurisprudence susmentionnée implique qu'un document, délivré sous le sceau de la Cour ayant compétence en la matière et signé par le fonctionnaire approprié de cette cour, identifiant le prévenu et certifiant qu'il a été déclaré coupable d'un acte criminel précis et a été condamné à une période d'emprisonne- ment donnée, constitue un document dont le gardien du pénitencier peut à bon droit se préva- loir pour détenir le prévenu pendant la période d'emprisonnement à laquelle il a été condamné.
A mon avis, si le document en cause constate tous ces points essentiels, son intitulé n'a aucune importance. Dans l'affaire Goldhar (pré- citée), le document était intitulé «liste des con- damnations», mais on l'appelait aussi certificat de condamnation. Dans l'affaire In re Richard George Darby (précitée), le juge Cartwright mentionne le document en vertu duquel le pré- venu était détenu dans cette affaire, sous le nom de [TRADUCTION] «certificat de condamnation» ainsi que «certificat de déclaration de culpabi- lité». De tels titres sont interchangeables.
Je suis conscient du fait que, dans les affaires Goldhar et In re Darby (précitées), ces ques tions avaient été soulevées devant la Cour à l'occasion d'une demande de bref d'habeas corpus, alors que l'affaire présente a été sou- mise à la Cour par voie de déclaration deman- dant un jugement déclaratoire en vertu de l'arti- cle 18a) de la Loi sur la Cour fédérale. Si l'on
considère en quoi consiste au fond le redresse- ment demandé par la déclaration, on s'aperçoit qu'il est identique à ce qu'on peut obtenir par une demande de bref d'habeas corpus. A mon avis donc, l'arrêt In re Darby constitue un pré- cédent aux termes duquel le demandeur en l'es- pèce n'a droit à aucun des redressements demandés dans sa déclaration.
L'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale ne donne pas compétence à la Division de première instance pour émettre un bref d'habeas corpus. En conséquence et si l'on considère aussi que le jugement déclaratoire demandé par la déclara- tion est équivalent à une demande de bref d'ha- beas corpus, il me semble douteux que j'ai la compétence requise pour examiner cette ques tion, mais, vu ma cônclusion, dont j'ai déjà exposé les motifs, que le demandeur n'a pas droit au redressement demandé dan§ sa déclara- tion, il n'est pas nécessaire que je me prononce sur cette question et je n'ai pas l'intention de le faire.
L'avocat du défendeur déclara avoir reçu l'instruction de ne pas demander de dépens et sollicite donc par voie de requête de modifier la déclaration en supprimant les mots [TRADUC- TION] «et le défendeur a droit aux dépens»; cette requête a été accueillie.
En conséquence, la réclamation du deman- deur est rejetée et il n'y aura pas d'adjudication de dépens.
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