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Nissan Automobile Co. (Canada) Ltd. (Demande- resse)
c.
Les propriétaires du navire Continental Shipper, United Steamship Corporation, Federal Com merce and Navigation Company Limited et Fed eral Pacific Lakes Line (Défendeurs)
Division de première instance (T-342-72), le juge Urie—Montréal, les 4 et 19 décembre 1973; Ottawa, le 3 janvier 1974.
Droit maritime—Cargaison d'automobiles non embal- lées—Dommages mineurs et éraflures—Responsabilité du transporteur—Loi sur le transport des marchandises par eau, Article III, r. 2, Article IV, r. 2m) et n).
A défaut d'une réserve incluse dans le connaissement, comme c'est le cas en l'espèce, le transporteur est responsa- ble des dommages, même mineurs, subis par des automobi les non emballées, pendant toute la période couverte par le connaissement. En l'espèce, les dommages résultent non pas de l'absence d'emballage ou d'un mauvais arrimage des véhiculçs dans les cales du navire, mais du défaut de dili gence dans la manutention et l'arrimage desdites voitures placées trop près les unes des autres.
Distinction faite avec i arrêt le Southern Cross [1940] A.M.C. 59; Arrêt suivi: Chrysler Motors Corporation c. Atlantic Shipping Co. SA (non publié).
ACTION. AVOCATS:
V. Prager pour la demanderesse. E. Baudry pour les défendeurs. PROCUREURS:
Stikeman, Elliott & Cie, Montréal, pour la demanderesse.
Brisset, Reycraft & Cie, Montréal, pour les défendeurs.
LE JUGE URIE—Par la présente, la demande- resse a intenté une action en dommages-intérêts pour les dommages subis par une cargaison d'automobiles Datsun transportées à bord du navire Continental Shipper de Yokohama (Japon) à Montréal (Canada), en février et mars 1970. Les défendeurs étaient, à toutes les épo- ques en cause, les propriétaires, exploitants, affréteurs et gérants du navire. La demande- resse prétend que sur les 321 automobiles Datsun qui lui ont été expédiées, 174 étaient
endommagées lors de la livraison; le coût total des réparations s'élevait à $6,345.20, dont $400 pour les frais d'expertise.
Le navire Continental Shipper est un cargo qui avait été aménagé pour le voyage en cause afin de permettre le transport d'automobiles Datsun neuves, sans que ces dernières soient placées dans des cadres. Les voitures en cause furent transportées dans trois cales l'on avait construit six ponts provisoires. On avait cons- truit lesdits ponts en utilisant des échafaudages dressés sur les côtés du navire et au centre de chaque cale; ils consistaient en une série de montants séparés par des barres parallèles sur lesquelles on avait disposé des planches de bois l'on arrima les automobiles.
Aucun des témoins de la demanderesse n'a été admis à bord du navire avant le décharge- ment de la cargaison et la preuve relative à l'arrimage ne provient donc que de la déposition du capitaine George Glover, expert maritime chevronné de Montréal, que les défendeurs avaient chargé d'examiner la cargaison dans le navire, avant le déchargement, et d'effectuer par la suite un examen plus minutieux sur le quai. Les défendeurs n'ont demandé à aucun des officiers du navire ou membres de l'équi- page de témoigner sur l'arrimage ou la nature du voyage de Yokohama à Montréal de sorte que la preuve relative à la nature de l'arrimage et à l'état de la cargaison dans les cales se limite à la déposition du capitaine Glover. Il témoigna que le fabricant avait muni chacune des voitures de deux petits crochets de chaque côté, à l'avant et à l'arrière. Les voitures furent placées sur les ponts provisoires susmentionnés, en laissant neuf à douze pouces entre elles sur les côtés et pare-chocs contre pare-chocs à l'avant et à l'ar- rière. Elles furent arrimées à l'aide de fils métal- liques reliant chacun desdits crochets à un câble en acier allant d'un côté à l'autre du navire, au niveau de chacun des ponts, et attaché solide- ment sur les côtés du navire. Les quatre fils métalliques de chacune des voitures étaient enroulés autour des câbles qui se trouvaient à l'avant et à l'arrière de chaque rang de véhicu- les. On tendit tous ces fils de fer attachés au câble grâce à ce que - l'on appelle un trésillon, consistant simplement en un morceau de bois
passé dans la boucle formée par le fil métallique permettant de la resserrer en le faisant tourner. Les voitures étaient parallèles les unes aux autres et placées longitudinalement. Une ou deux voitures sur chacun des ponts avaient été placées en travers et ces voitures étaient immo bilisées par des cales en bois. Aucune autre voiture n'avait de cale sous les roues; mais le capitaine Glover a témoigné que toutes les voi- tures étaient embrayées et les freins à main serrés. Je conclus, au vu de son témoignage, que les véhicules étaient arrimés de manière raison- nable pour le voyage.
Il témoigna en outre que la distance séparant chacun des ponts était supérieure à sa propre taille, savoir cinq pieds onze pouces, et il estime donc que la hauteur de chaque pont était de plus de 6 pieds. Cependant un témoin-expert appelé par la demanderesse réfuta ce témoignage en se référant au plan du bateau d'où il déduisit que la hauteur séparant les ponts ne pouvait être supé- rieure à 5i pieds. Je ne pense pas qu'en l'es- pèce, quelque chose dépende de cet élément de preuve, mais j'admets la déposition du témoin oculaire, le capitaine Glover, comme exacte à cet égard.
Pour enlever les voitures qui se trouvaient sur les ponts, il fallait d'abord soulever l'une d'elles, désignée par le capitaine Glover comme la voi- ture «clef», dans un filet; pour les autres voitu- res, on a utilisé un appareil de levage breveté qui consistait en une plate-forme aux coins de laquelle on attachait les fils métalliques, avec des tendeurs, de sorte que les fils métalliques ne touchaient pas . 1a voiture lorsqu'elle se trouvait sur la plate-forme et était soulevée par ledit appareil hors de la cale. On conduisait ou l'on poussait les voitures sur cet appareil de levage. D'après le témoignage du capitaine, les automo biles étant arrimées très près les unes des autres, il était inévitable que les vêtements portés par les déchargeurs et les membres de l'équipage fassent quelques éraflures, en parti- culier les boutons en métal utilisés sur ce genre de vêtements; mais normalement, il s'agissait d'éraflures assez mineures, ce qu'on admet dans de telles circonstances. Les témoignages sont contradictoires sur la question de savoir si les véhicules étaient recouverts d'une cire protec-
trice et j'admets à cet égard le témoignage du capitaine Glover affirmant qu'ils ne l'étaient pas.
Le capitaine Glover témoigna qu'il avait ins pecté le chargement avant que les véhicules ne soient sortis des cales, que cette inspection dura environ une heure et qu'à ce moment, il ne remarqua aucun dommage important. D'après son témoignage, que j'accepte, les rangées des voitures sur chaque pont étaient droites et les espaces les séparant, uniformes, aucune des voi- tures n'en touchant une autre d'une manière à l'endommager. Rien n'indique que certains véhi- cules aient bougé au cours du voyage. Cepen- dant, avec un assistant, il procéda à l'examen de chaque voiture sur le quai, après qu'elles aient été sorties de la cale, et fit un rapport sur les dommages remarqués au cours de cette inspec tion. Il déclara que l'état des voitures n'étaient ni pire ni meilleur que celui des chargements d'autres navires sur lesquels il avait navigué, et qu'au cours de ses nombreuses années d'expé- rience, -il n'avait jamais vu de voiture sortir d'un navire sans dommages. Il découvrit que certai- nes voitures avaient subi des dommages dont la gravité allait de l'éraflure légère à l'éraflure pro- fonde, ét de la bosselure mineure à la bosselure plus grande. Il décrivit les éraflures légères comme des éraflures superficielles sur la sur face peinte et très lisse d'une voiture, pouvant être effacées par simple polissage, et les éraflu- res profondes comme celles atteignant la pein- ture de base ou l'acier lui-même. Selon sa défi- nition, les petites bosselures avaient la dimension d'une pièce de 50 cents et les grandes bosselures, toute dimension supérieure. D'après son témoignage, les éraflures légères et les peti tes bosselures sont un risque inhérent à cette façon de transporter des automobiles, particuliè- rement par le gros temps auquel il faut s'atten- dre au cours d'un voyage à cette époque de l'année, car les membres de l'équipage portent alors des vêtements épais dont les boutons ris- quent de causer ce genre de dommages lors des inspections périodiques de la cargaison.
Les avocats des parties ont convenu que les voitures, lors de leur chargement, étaient en bon état apparent et que tous les dommages en
cause dans cette action sont postérieurs au chargement.
Les dommages en cause en l'espèce sont ceux subis au cours du voyage ou lors du décharge- ment et n'incluent aucunement les dommages résultant du transport terrestre.
L'expert appelé comme témoin par la deman- deresse n'a pas procédé lui-même à l'expertise sur le quai, mais a utilisé les rapports des employés pour dresser son rapport d'expertise final. Il n'y eut aucune réclamation pour les éraflures superficielles qui pouvaient être effa cées par «polissage» ou autrement. Les récla- mations visaient les éraflures suffisamment pro- fondes pour qu'il faille repeindre la surface endommagée. Très peu de bosselures pouvaient être réparées sans qu'il faille repeindre. Si c'était le cas, aucune réclamation n'était inscrite dans le rapport. Les frais de réparation sont ceux sur lesquels se sont entendus la demande- resse et le garage qui procéda aux réparations; ils sont de trois sortes:
a) Le coût des pièces fut établi par la deman- deresse, soit leur coût réel plus 10%.
b) Les frais de main-d'oeuvre ont été facturés par demi-heure, au taux de $6.50 l'heure; on a affirmé que ce taux était moins élevé que le taux usuel, en raison du nombre important de voitures à réparer.
c) Le prix de la peinture fut établi selon un barème de taux uniformes convenus entre la demanderesse et le garage effectuant les réparations.
Les deux avocats ont admis que c'est l'usage aujourd'hui d'expédier les automobiles par mer sans les placer dans des cadres. En outre, il est évident, comme l'admet l'avocat des défen- deurs, qu'il y a un risque inhérent à ce type de transport; ce dernier n'a donc pas contesté la réclamation de la demanderesse concernant la réparation des éraflures profondes et des bosse- lures les plus grandes, selon la définition du capitaine Glover, généralement confirmée par les témoins de la demanderesse. Il a cependant contesté la réclamation de la demanderesse con- cernant les éraflures ou les bosselures mineures, telles que définies par le capitaine Glover. En ce qui concerne les bosselures mineures et les éra-
flures superficielles, il s'appuie sur l'Article IV, r. 2m) et n) de la Loi sur le transport des marchandises par eau, S.R.C. 1970, c. C-15, comme s'opposant à de telles réclamations; en voici le texte:
Article IV
2. Ni le transporteur ni le navire ne seront responsables
pour perte ou dommage résultant ou provenant:
m) de la freinte en volume ou en poids ou de toute autre perte ou dommage résultant de vice caché, nature spéciale ou vice propre de la marchandise;
n) d'une insuffisance d'emballage;
En outre, il affirme que la demanderesse n'a pas établi correctement le montant de sa réclama- tion qui devrait être renvoyée à un expert nommé par la Cour pour que les dommages soient évalués.
Les connaissements délivrés par les défen- deurs au moment du chargement étaient des connaissements nets sur lesquels ne figurait aucune réserve. Comme je l'ai mentionné plus haut, l'expert de la demanderesse a constaté des dommages sur 174 automobiles et la demande- resse a fait valoir en preuve, par l'intermédiaire du propriétaire du garage, que tous les domma- ges mentionnés dans le rapport d'expertise ont été réparés dans son garage, par ses employés, aux prix indiqués sur les factures et que toutes les factures ont été réglées. J'admets comme fait que la Zambre Garage Limited a effectivement fait les réparations aux prix indiqués dans ses factures et que ces prix étaient raisonnables pour le travail effectué. Le coût moyen des réparations se chiffrait à un peu moins de $40.00 par voiture.
Je dois cependant examiner la prétention des défendeurs selon laquelle ils ne devraient pas être tenus responsables de toutes les répara- tions. Comme je l'ai fait remarquer plus haut, les automobiles n'étaient pas placées dans des cadres pour leur transport, mais toutes les par ties en cause ont admis qu'il était d'usage en 1970 d'expédier des automobiles sans cadre; il semble qu'elles conviennent en outre que les voitures subissent inévitablement des domma- ges mineurs dans de telles circonstances. Dans l'affaire présente, le litige porte sur la question de savoir qui doit payer les frais de réparation.
Les parties ont admis que les dispositions de la Loi sur le transport des marchandises par eau devaient s'appliquer en l'espèce et qu'en consé- quence aux termes de l'Article III, r. 2 de l'An- nexe à cette loi, il incombait aux défendeurs de procéder de façon appropriée et soigneuse au chargement, à la manutention, à l'arrimage, au transport, aux soins et au déchargement des marchandises. L'Article III, r. 2, se lit comme suit:
Article III
2. Le transporteur, sous réserve des dispositions de l'arti- cle IV, procédera de façon appropriée et soigneuse au chargement, à la manutention, à l'arrimage, au transport, à la garde, aux soins et au déchargement des marchandises transportées.
La demanderesse a fait la preuve qu'un nombre important de voitures déchargées sur les quais à Montréal étaient endommagées, alors qu'elles avaient été livrées au navire à Yokohama pour être expédiées à Montréal, en bon état apparent; il incombe donc aux défendeurs de prouver qu'ils ne peuvent être tenus responsables de la cause des dommages en vertu de cette loi et qu'ils ont apporté tous les soins nécessaires à la garde des véhicules afin de prévenir les dommages.
II va de soi que les défendeurs sont responsa- bles des dommages subis par les automobiles et imputables à leur négligence. Selon leur avocat, cependant, c'est la première fois qu'on demande à un tribunal canadien ou anglais de se pronon- cer sur la question de savoir si les défendeurs sont responsables des dommages mineurs surve- nus malgré les soins raisonnables apportés à la manutention des véhicules au cours des opéra- tions de chargement, d'arrimage et de décharge- ment. Les défendeurs ont apporté la preuve que les automobiles transportées sans cadre subis- sent toujours des dommages mineurs, éraflures et bosselures, sans qu'il y ait eu négligence; ils ne devraient donc pas être tenus responsables desdits dommages, qui constituent un risque inhérent à cette façon de transporter les automobiles.
On m'a renvoyé à l'arrêt Southern Cross [1940] A.M.C. 59, qui, a-t-on déclaré, fait auto- rité en l'espèce. Dans cette affaire, cependant, la réserve suivante avait été apposée au connaissement:
[TRADucTION] Non emballées, au risque du propriétaire. Le navire décline toute responsabilité pour les pièces détacha- bles à moins qu'elles soient emballées et fassent l'objet d'un reçu.
(Le souligné est de moi.)
En outre la preuve indiquait qu'un espace de 18 pouces séparait les voitures arrimées et que la distance entre les ponts était de 8$ pieds. Des cales avaient été placées sous les roues. Les arrimeurs et les membres de l'équipage employés par le transporteur devaient porter des gants lorsqu'ils manutentionnaient les auto mobiles et on leur avait demandé de ne pas se tenir trop près des voitures de manière à éviter d'endommager cette surface très lisse. A partir de ces conclusions, la Cour décida alors (page 66 du recueil):
[TRADUCTION] Cependant, des éraflures superficielles de la peinture ou du poli de l'automobile, ou de petites bosselures ou marques sur les panneaux n'entrent pas dans la catégorie des dommages qui créent une présomption de négligence du transporteur. On doit les considérer comme «l'usure nor- male ... des marchandises au cours du transport.»
Aux pages 65 et 66, le juge suppléant Leibell affirme:
[TRADUCTION] La mention «Non emballées au risque du propriétaire» apposée au connaissement ne signifie pas en soi que le propriétaire assume le risque de tout dommage subi par les automobiles, mais seulement des dommages pouvant être attribués au fait que l'automobile n'était pas placée dans un cadre. On doit interpréter strictement l'ex- pression «au risque du propriétaire». Colton c. N.Y. et Cuba Mail S. S. Co, 1928 A.M.C. 1391, 27 F. (2d) 671. Ladite expression ne dégage pas non plus le transporteur de la responsabilité pour tout dommage subi par l'automobile imputable à la négligence dans la manutention ou l'arrimage de cette dernière, même dans le cas ladite négligence n'aurait pas causé de dommages si l'automobile avait été emballée. Toute autre interprétation de cette exonération serait contraire aux dispositions du Harter Act et du Car nage of Goods by Sea Act aux termes desquels il est interdit au transporteur d'insérer, dans le connaissement, des clau ses d'exonération de responsabilité pour des dommages imputables à sa propre négligence dans le chargement, l'arri- mage, la surveillance, la garde ou la livraison des marchandi- ses (46 Mason's U.S.C., art. 190 et art. 1303(8)).
Il semble cependant qu'il n'y ait aucune raison pour qu'un transporteur ne puisse pas essayer à bon droit de se dégager de toute responsabilité pour les dommages éventuellement subis par une automobile non emballée, s'il a exercé une diligence raisonnable lors de la manutention de l'automobile, de son chargement à bord du navire, de son arrimage dans la cale ou de son déchargement sur les quais. Même en faisant preuve d'une diligence raisonnable, on peut érafler superfi- ciellement la surface peinte et extrêmement lisse d'une automobile, on peut légèrement cabosser un panneau au
cours des opérations de chargement ou de déchargement dans les élingues ou lors de son arrimage entre deux ponts. La mise en caisse de l'automobile permettrait d'éviter d'en marquer la surface et le transporteur, pour se protéger du risque de dommages ne résultant pas de sa négligence, peut à bon droit inclure une réserve dans le connaissement pla- çant ledit risque à la charge de l'expéditeur. Mais tout dommage dont l'apparence et la nature même indiquent qu'il est imputable à une autre cause, doit, à mon avis, être attribué à la négligence du transporteur. Lorsque le connais- sement stipule que les marchandises ont été reçues en bon état apparent et qu'elles sont remises endommagées, le transporteur est responsable, à moins qu'il ne puisse démon- trer que les dommages subis relèvent d'une réserve incluse à bon droit dans le connaissement.
(Le souligné est de moi.)
La décision dans l'affaire Southern Cross était fondée sur deux points:
a) d'une part le transporteur a fait tout ce qui était raisonnablement nécessaire pour préve- nir des dommages mineurs par sa méthode d'arrimage, en particulier en fixant un espace suffisant par véhicule et en donnant des ins tructions aux membres de l'équipage et aux arrimeurs, et
b) d'autre part, peut-être plus encore le fait qu'il a inclus dans le connaissement la pre- mière phrase de la réserve complète susmentionnée.
A mon avis l'affaire présente diffère sur ces deux points de l'affaire Southern Cross: en pre mier lieu, les défendeurs n'ont soumis aucune preuve tendant à démontrer que les membres de l'équipage et les arrimeurs s'occupant de la car- gaison avaient reçu des instructions concernant les soins à apporter à la cargaison et à sa manu- tention. En outre, il est manifeste que des véhi- cules arrimés très près les uns des autres subis- sent inévitablement des dommages mineurs, éraflures et bosselures, ce que confirme la dépo- sition du capitaine Glover.
En second lieu, aucune réserve, n'a été incluse aux connaissements en l'espèce. L'af- faire Southern Cross démontre clairement qu'il incombe aux défendeurs d'inclure une telle réserve s'ils veulent invoquer cet arrêt à titre de précédent les dégageant de leur responsabilité pour les dommages mineurs, éraflures et bosse- lures. A défaut d'une telle réserve, le transpor- teur est donc responsable, à mon avis, des dom-
mages, même mineurs, subis par les automobiles non emballées, pendant toute la durée couverte par les connaissements.
Les avocats m'ont signalé que, ni au Canada ni en Angleterre, il n'existait de précédent appuyant directement une telle théorie, mais qu'on trouve une conclusion semblable dans l'arrêt Chrysler Motors Corporation c. Atlantic Shipping Company SA, décision non publiée de la United States District Court, Southern Dis trict of Alabama, Southern Division, dont une copie fut déposée par la demanderesse au cours du procès. Le paragraphe 4 de la copie du jugement qu'on m'a soumise, énonce succincte- ment la proposition à laquelle je souscris entièrement:
[TRADUCTION] 4. Sans aucun doute le transporteur est res- ponsable des dommages subis par les automobiles non emballées, lorsqu'ils résultent de sa propre négligence. Il s'agit en l'espèce de déterminer si le transporteur est respon- sable d'un dommage mineur survenu malgré la diligence raisonnable exercée lors du chargement, de l'arrimage, et du déchargement. Le défendeur prétend que des automobiles non emballées subissent toujours des dommages mineurs, savoir des éraflures et des bosselures, même s'il n'y a aucune négligence, et que le transporteur ne devrait pas être tenu responsable de ces dommages. The Southern Cross, 1940 AMC 59 (1939, U.S. Dist. Ct. for Sou. Dist. of N.Y) est l'arrêt faisant autorité à cet égard et il ne semble pas appuyer une telle théorie. Cette affaire cependant portait sur l'interprétation d'une réserve apposée au connaissement portant que les voitures étaient «non emballées au risque du propriétaire.» La Cour a conclu qu'une telle réserve ne pouvait dégager le transporteur de sa responsabilité lorsque le dommage était imputable à sa propre négligence, mais le dégageait seulement de cette responsabilité pour les mar- ques superficielles qui ne résultaient pas de la négligence. Aucune réserve de ce genre n'avait été incluse dans le connaissement dans l'affaire présente. Même s'il est d'usage dans la marine marchande de dégager le transporteur de toute responsabilité pour des éraflures superficielles, il est aussi d'usage d'inclure une réserve à cet effet dans le connaissement. (William Tetley, Marine Cargo Claims, Car- swell Company Ltd., Toronto, Canada, 1965, la p. 145.) Si le transporteur omet d'inclure une telle réserve, la Cour ne peut le faire pour lui. A défaut d'une réserve, telle que celle de l'affaire The Southern Cross (précitée), le transporteur est donc responsable des dommages, même mineurs, subis par des automobiles non emballées, pendant toute la période couverte par le connaissement. (Tetley à la page 74, déclare catégoriquement que le transporteur n'est pas responsable pour les éraflures superficielles des voitures non emballées, mais s'appuie sur l'arrêt The Southern Cross et sur plusieurs décisions françaises postérieures. A la page 145 cependant, il recommande d'inclure une réserve dans le connaissement lors du transport par mer de voitures non emballées.)
Je conclus donc que la défense invoquant un emballage insuffisant est irrecevable en l'es- pèce, en premier lieu, parce qu'aucune réserve n'avait été incluse dans le connaissement et, en second lieu, parce que les défendeurs admettent que, selon l'usage commercial, les automobiles sont transportées par mer sans emballage.
Je n'accepte pas non plus leur défense invo- quant le vice propre. Il ne s'agissait pas d'une cargaison inhabituelle exigeant un traitement spécial. Il fallait seulement faire preuve de dili gence raisonnable lors du chargement de la manutention et de l'arrimage. Elle n'exigeait aucune autre attention spéciale et, à mon avis la cargaison n'était donc pas de nature à permettre aux défendeurs de plaider le vice propre. L'énoncé de la clause m) de l'Article IV, r. 2 indique qu'elle vise une cargaison que l'on pour- rait appeler une cargaison en vrac comme le montre l'utilisation des mots suivants: «de la freinte en volume ou en poids ou de toute autre perte ou dommage résultant de vice caché, nature spéciale ou vice propre de la marchan- dise». On ne trouve pas le moindre indice dans la preuve qu'en l'espèce, les dommages subis par les véhicules résultent d'un vice caché des- dites marchandises. Je conclus que les domma- ges résultent non pas de l'absence d'emballage ou d'un mauvais arrimage des véhicules dans les cales du navire, mais du défaut de diligence dans la manutention et l'arrimage desdites voitu- res placés trop près les unes des autres.
Les défendeurs ont cité un passage de l'ou- vrage de Thomas, On Stowage, à la page 284, selon lequel des automobiles non emballées doi- vent être arrimées, autant que possible, longitu- dinalement et à environ huit ou neuf pouces de distance, pour appuyer leur défense basée sur l'absence de négligence. Le capitaine Glover qualifie cet ouvrage de «bible du marin», mais, tout ce que je peux dire, c'est qu'il me semble- rait plus raisonnable et plus prudent en raison du temps et de l'état de la mer auxquels il faut s'attendre à l'époque de l'année l'on a effec- tué le transport, de laisser un plus grand espace entre les véhicules, d'autant plus que les mem- bres de l'équipage et les arrimeurs sont obligés de porter des vêtements épais lorsqu'ils inspec- tent l'amarrage des véhicules pendant le voyage
et lors du déchargement. A mon avis, on doit seulement considérer les recommandations con- tenues dans l'ouvrage de Thomas comme un guide et garder à l'esprit les conditions atmos- phériques particulières à chaque transport de marchandises.
En ce qui concerne le montant des domma- ges-intérêts, j'ai déjà signalé que j'avais admis la preuve soumise à la Cour concernant les répara- tions effectuées sur les véhicules conformément à l'expertise dressée par l'expert de la demande- resse; j'ai conclu que lesdites réparations étaient raisonnables et nécessaires pour remettre en état les véhicules afin de les revendre et que les frais de réparations ont été réglés. Les défen- deurs n'ont présenté aucune preuve satisfai- sante selon laquelle lesdites réparations n'étaient pas nécessaires ou les prix demandés excessifs; je fixe donc à $6,345.20 les domma- ges-intérêts payables par les défendeurs, hono- raires d'expertise compris. A mon avis, ces der- niers étaient raisonnables et nécessaires pour déterminer quelles réparations étaient requises et leurs coûts, et puisque les avocats m'ont signalé que ces honoraires ne se rapportaient aucunement aux véhicules non endommagés, je les inclus en entier dans le montant des dommages-intérêts.
La demanderesse a également droit à ses dépens taxés.
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