T-910-73
La Reine (Demanderesse)
c.
Jawl Industries Ltd. (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Catta-
nach—Victoria, les 29 et 30 novembre 1973;
Ottawa, le 24 janvier 1974.
Impôt sur le revenu—Pertes commerciales—La perte doit
être déduite dans l'année où elle a été subie, c'est-à-dire
l'année où il y a eu livraison—Loi de l'impôt sur le revenu,
art. 12(1)e)—Sale of Goods Act de la C. B., S.R.C.-B. 1960,
c. 344, art. 8, 11, 22, 23 et 24, Règle 5.
La compagnie défenderesse, dont l'entreprise consistait à
acheter du bois et d'autres matériaux de construction dans le
but de les revendre à profit, a conclu en 1969 des contrats
d'achat de bois au prix de $72,000; au cours de la même
année la valeur marchande du bois est tombée à $53,000. La
défenderesse en a pris livraison en 1970. La défenderesse a
réclamé la somme de $19,000, soit la différence entre les
montants ci-dessus, à titre de perte commerciale subie au
cours de son année d'imposition 1969. Le Ministre a rejeté
la déduction qui a été rétablie en appel devant la Commis
sion de révision de l'impôt.
Arrêt: La décision de la Commission de révision de l'im-
pôt est infirmée; la défenderesse n'avait pas le droit de
déduire la somme en question. Le bois n'a pas fait partie du
stock de la défenderesse pendant son année d'imposition
1969. Puisqu'il ne faisait pas partie du stock, on ne pouvait
avoir recours aux dispositions de l'article 14(2) de la Loi de
l'impôt sur le revenu pour déterminer la valeur du stock; la
déduction du montant réclamé à titre de perte au cours de
l'année 1969 était interdite par l'article 12(1)e) de la Loi. La
perte serait la différence entre le prix fixé au contrat et la
valeur marchande au moment de la livraison en 197Q qui est
l'année d'imposition au cours de laquelle la perte a été subie.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
N. A. Chalmers, c.r. et C. H. Fryers pour la
demanderesse.
C. F. Jones et M. Jawl pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
la demanderesse.
de Villiers, Jones & Cie, Victoria, pour la
défenderesse.
LE JUGE CATTANACH—Le présent appel
interjeté par Sa Majesté la Reine porte sur une
décision rendue par la Commission de révision
de l'impôt aux termes de laquelle a été accueilli
l'appel de la défenderesse d'une cotisation éta-
blie par le ministre du Revenu national à l'égard
de l'année d'imposition de la défenderesse se
terminant le 30 juin 1969.
En établissant la cotisation de la défende-
resse, le Ministre a rejeté une déduction d'une
somme de $19,589.10 dont la défenderesse se
prévalait dans le calcul de son revenu pour
ladite année d'imposition.
La Commission de révision de l'impôt a
conclu que le montant en cause était légitime-
ment déductible et a donc accueilli l'appel de la
défenderesse.
Le présent appel résulte de cette décision et
le seul point en litige porte sur la question de
savoir si la défenderesse pouvait déduire la
somme de $19,589.10 dans le calcul de son
revenu pour son année d'imposition 1969.
La défenderesse est une société par actions
constituée en vertu des lois de la province de
Colombie-Britannique qui, à toutes les époques
en cause, exploitait une entreprise qui consistait
à acheter du bois et d'autres matériaux et arti
cles de construction dans le but de les revendre
à profit.
Dans l'exploitation de son entreprise au cours
de son année d'imposition 1969, la défenderesse
a conclu des engagements d'achat obligatoires et
irrévocables avec trois de ses principaux four-
nisseurs, portant sur l'achat de certaines quanti-
tés de bois à des prix fixes et déterminés.
Vu les circonstances qui ont suivi les engage
ments d'achat de la défenderesse, ces opéra-
tions se sont avérées imprudentes.
Immédiatement après la conclusion de ces
engagements, le marché du bois a subi une crise
qui a persisté pendant une période prolongée; il
en est résulté que la valeur marchande du bois
au 30 juin 1969 était de beaucoup inférieure au
prix d'achat que la défenderesse s'était engagée
à verser. On peut plus facilement plus exposer
cette différence sous forme de tableau:
Différence
Valeur entre
Prix marchande le coût
d'achat au 30 juin et la
Fournisseurs convenu 1969 valeur
Cooper-Widman $23,881.05 $20,626.40 $ 3,254.65
R. S. Plant 18,832.96 12,276.44 6,556.52
B.C. Forest
Products 29,981.98 20,204.05 9,777.93
Totaux $72,695.99 $53,106.89 $19.589.10
Ces montants ne sont pas contestés; c'est
bien la somme de $19,589.10, c'est-à-dire la
différence entre le prix de revient pour la défen-
deresse et la valeur marchande de la quantité de
bois couverte par les engagements d'achat pris
par cette dernière au 30 juin 1969, date de
clôture de l'exercice financier et d'imposition de
la défenderesse, que celle-ci cherche à déduire à
titre de pertes commerciales subies au cours de
son année d'imposition 1969.
La défenderesse n'a pas reçu livraison réelle
de ce bois et aucune facture ne lui a été expé-
diée et elle n'en a reçu aucune à cet égard avant
le 30 juin 1969.
La défenderesse a reçu livraison de tout le
bois couvert par les engagements d'achat au
cours de son année d'imposition 1970 et ses
fournisseurs l'ont facturée à cet égard au cours
de son exercice financier 1970; c'est au cours
de cette même période qu'elle les a payés. On
n'a apporté aucune preuve que la défenderesse
a effectué le paiement total de ce bois au cours
de son année d'imposition 1970, mais ce point
est sans importance puisque la défenderesse
demande la déduction pour son année d'imposi-
tion 1969 et non pour 1970 et que c'est la
cotisation pour l'année d'imposition 1969 qui
fait l'objet du présent examen.
Au passif du bilan de l'état financier de la
défenderesse au 30 juin 1969, on retrouve un
poste qui se lit comme suit:
[TRADUCTION]
Dettes provenant de pertes sur des
engagements d'achat (note 3) $19,589.10
Au compte d'exploitation, le profit brut de la
défenderesse a été calculé comme suit:
[TRADUCTION]
Ventes $846,995.68
Coût des ventes
Stock au la' juillet 1968 $ 47,316.26
Achats, transport compris 772,046.60
$819,362.86
Moins stock
au 30 juin 1969 82,834.75 736,528.11
110,n67.57
Pertes sur engagements
d'achat (note 3) 19,589.10
Bénéfice brut $ 90,878.47
Le revenu net déclaré de la défenderesse était
de $35,454.18. A ce montant, le Ministre a
ajouté la perte réclamée au titre des engage
ments d'achat s'élevant à $19,589.10 et il a
cotisé la défenderesse en conséquence.
La note 3 que mentionnent ces postes du
bilan et du compte d'exploitation concernant la
perte imputable aux engagements d'achat, se lit
comme suit:
[TRADUCTION] Note 3:
Au 30 juin 1969, la compagnie avait des engagements
d'achat exigibles se chiffrant à $72,695.99. Toutefois, la
valeur courante de remplacement de ces marchandises
était de $53,106.89, entraînant ainsi la dépense et la
dette de $19,589.10 figurant aux présents états
financiers.
Voici un extrait du rapport aux actionnaires
que le vérificateur a annexé au bilan:
[TRADUCTION] A notre avis, ces états financiers donnent
une idée fidèle de la situation financière de la compagnie au
30 juin 1969 et des résultats d'exploitation pour l'exercice
financier terminé à cette date, conformément aux méthodes
comptables généralement reconnues et appliquées de façon
compatible avec celle de l'année précédente.
Je retiens particulièrement le libellé du rap
port du vérificateur portant que les états finan
ciers ont été préparés conformément à des
méthodes comptables généralement reconnues
de façon à représenter fidèlement la situation
financière de la défenderesse à la fin de cet
exercice financier.
Pour ses besoins commerciaux, la défende-
resse peut bien inclure cette perte sur les enga
gements d'achat dans les frais d'exploitation
afférents à son année d'imposition 1969. Au
cours de ladite année, la défenderesse a conclu
des engagements d'achat l'obligeant à prendre
livraison et à payer du bois d'une quantité et
d'une qualité déterminées à un prix donné. Il lui
en est résulté une perte en 1969.
Cependant, nous n'avons pas à nous deman-
der ici si cette obligation contractée par la
défenderesse au cours de l'année 1969 est une
déduction acceptable du point de vue de la
défenderesse ou de son vérificateur dans la pré-
paration des états financiers pour ses fins
propres.
Il nous faut plutôt nous demander si ce mon-
tant constitue une déduction acceptable dans -le
calcul du revenu de la défenderesse, pour son
année d'imposition 1969, dans le cadre des dis
positions de la Loi de l'impôt sur le revenu. Ce
n'est pas une question de comptabilité, mais
plutôt une question de savoir si le principe
comptable adopté et sur lequel on s'est appuyé
dans ce cas particulier est fondé sur des hypo-
thèses valables.
Suivant la thèse du Ministre, aucune partie du
bois n'ayant été ajoutée au stock de la défende-
resse au 30 juin 1969, on ne pouvait donc pas
déduire une partie de la somme de $19,589.10 à
titre de perte de stock ou de rajustement.
Par contre, le représentant de la défenderesse
a soutenu que le bois faisait partie du stock de
cette dernière et aurait dû être ajouté à son
stock en fin d'année, quoique, si je comprends
bien l'état financier, ce n'est pas précisément ce
qu'a fait le vérificateur. Il a plutôt cherché à
montrer une perte au cours de l'année d'imposi-
tion 1969.
Le fait qu'aucune partie du bois n'a été ajou-
tée au stock de la défenderesse au 30 juin 1969
constitue une des hypothèses sur lesquelles le
Ministre s'est fondé pour cotiser la défende-
resse.
La défenderesse a la charge de «démolir»
cette hypothèse et, à mon avis, elle n'y a pas
réussi.
Sur ce point particulier, le témoignage de Jawl
n'a pas été convaincant. Il a prétendu parler de
choses qu'il ne connaissait pas et ce qu'il a dit à
cet égard a été contredit par un témoin, cité par
la demanderesse, qui avait une connaissance
précise de ce dont il parlait.
A ce stade, il convient de nous reporter au
Sale of Goods Act' de la Colombie-Britannique.
Les paragraphes (1), (3) et (4) de l'article 8 se
lisent comme suit:
[TRADUCTION] S. (1) Un contrat de vente de biens est un
contrat par lequel le vendeur transfère ou convient de
transférer à l'acheteur la propriété de biens moyennant une
contre-partie pécuniaire, appelée le «prix». Il peut y avoir un
contrat de vente entre copropriétaires.
(3) Lorsqu'en vertu d'un contrat de vente, la propriété
des biens est transférée du vendeur à l'acheteur, le contrat
est appelé une «vente»; mais lorsque le transfert de la
propriété des biens doit avoir lieu dans le futur ou sous
réserve de quelque condition à remplir par la suite, le
contra t est épelé une «promesse de vente».
(4) Une promesse de vente devient vente lorsque le délai
s'est écoulé ou lorsque sont remplies les conditions aux-
quelles était soumis le transfert de la propriété des biens.
L'article 11(1), figurant sous la rubrique
«objet du contrat», se lit comme suit:
[TRADUCTION] 11. (1) Les biens qui font l'objet d'un con-
trat de vente peuvent être des biens existants appartenant au
vendeur ou étant en sa possession, ou des biens qui doivent
être fabriqués ou acquis par le vendeur après la conclusion
du contrat de vente (dans la présente loi appelés «biens
futurs»).
Voici le texte des articles 22 et 23 qui figurent
sous la rubrique «transfert de propriété entre
vendeur et acheteur»:
[TRADUCTION] 22. Lorsqu'il y a contrat pour la vente de
biens non déterminés, la propriété des biens n'est pas trans-
férée à l'acheteur avant que les biens ne soient déterminés.
23. (1) Lorsque le contrat de vente porte sur des biens
précis ou déterminés, leur propriété est transférée à
l'acheteur au moment arrêté par l'intention des parties au
contrat.
(2) Aux fins d'établir l'intention des parties, il faut exa
miner les termes du contrat, l'attitude des parties et les
circonstances de l'espace.
1 S.R.C.-B., 1960, c. 344.
Sauf s'il y a intention contraire, l'article 24
expose les règles à suivre pour établir l'intention
des parties quant au moment où la propriété des
biens doit passer à l'acheteur.
Le Ministre soutient que, dans les circons-
tances de l'espèce, la Règle 5(1) exposée à l'arti-
cle 24 est applicable.
Voici le texte de la Règle 5(1):
[TRADUCTION] Règle 5. (1) Lorsqu'il y a contrat de vente
de biens indéterminés ou futurs, mais décrits, et que les
biens ainsi décrits et livrables sont affectés sans condition
au contrat, soit par le vendeur avec le consentement de
l'acheteur, soit par l'acheteur avec le consentement du ven-
deur, la propriété des biens passe immédiatement à l'ache-
teur. Ce consentement peut être exprès ou implicite et peut
être donné avant ou après le moment où a lieu l'affectation;
L'expression «biens précis» est définie à l'ar-
ticle 2 comme désignant des biens identifiés et
sur lesquels on s'est mis d'accord au moment de
la conclusion du contrat de vente.
Il en résulte que des biens imprécis ou indé-
terminés, bien que cette expression ne soit pas
définie dans la Loi, sont des biens qui ne sont
pas identifiés.
Pour ce qui est du moment où les biens sont
livrables, l'article 5 prévoit que:
[TRADUCTION] 5. Les biens sont «livrables» au sens de la
présente loi, lorsqu'ils sont dans un état où l'acheteur, en
vertu du contrat, serait tenu d'en prendre livraison.
Suivant le témoignage de Jawl, le bois couvert
par les engagements d'achat était identifié et
affecté par les vendeurs à la défenderesse, à
titre d'acheteur. En ce cas, il y aurait eu un
contrat inconditionnel de vente de biens précis
qui étaient livrables et la propriété des biens
serait passée à l'acheteur lors de la conclusion
du contrat.
J'ai déjà déclaré qu'en témoignant ainsi, Jawl
prétendait parler de choses qu'il ne connaissait
pas.
En ce qui concerne les transactions entre la
défenderesse et la B.C. Forest Products, C. L.
Clagu, directeur des ventes de cette compagnie,
a soigneusement examiné chaque commande
que la défenderesse a faite à sa compagnie. Se
fondant sur sa connaissance précise et sa longue
expérience en ce domaine, il a déclaré sans
équivoque qu'en ce qui concerne la masse des-
dites commandes, le bois n'était pas disponible.
Il était sous forme de billes ou sur pied dans la
forêt. Parfois, la compagnie avait bien sur place
une certaine quantité de bois qui correspondait
à la description de la commande de la défende-
resse, mais ce bois faisait partie d'un tas central,
à la disposition de tous ses clients. Aucune
partie de ce bois n'avait été attribuée à la
défenderesse.
Clagu a en outre déclaré que tout le bois qui
se trouvait dans son établissement était la pro-
priété de la B.C. Forest Products et qu'il était
assuré à titre de stock. Il a également décrit la
façon dont le marché local venait chercher le
bois. L'acheteur envoyait un camion chercher le
bois. Il était prélevé sur le tas central et chargé
sur le camion de l'acheteur. Ce tas central était
à la disposition de tous les clients. Le charge-
ment était alors pointé et déduit des engage
ments d'achat en cours, si engagements il y
avait. Entre le moment de la commande et le
chargement, le bois faisait partie du stock du
vendeur et était considéré comme tel.
Il est impossible que le bois fasse partie du
stock de deux personnes différentes, c'est-à-dire
celui du vendeur, en l'espèce la B.C. Forest
Products, et celui de l'acheteur, la défenderesse.
n n'y a pas de doute que, pour ce qui est du
bois couvert par les engagements d'achat de la
défenderesse envers la B.C. Forest Products, les
contrats portaient sur la vente de biens indéter-
minés ou futurs et que les biens ainsi décrits et
livrables n'étaient pas affectés sans condition à
ces contrats.
La propriété de ce bois n'est donc pas passée
à la défenderesse au cours de son année d'impo-
sition 1969 et ce bois ne faisait pas partie de son
stock. Il a été admis que les vendeurs
«devaient» à la défenderesse la quantité de bois
qu'elle avait commandée au prix fixé, ce qui est
bien différent de faire passer le titre de pro-
priété du bois à la défenderesse au cours de son
année d'imposition 1969.
La B.C. Forest Products n'était qu'un des
trois fournisseurs de la défenderesse en vertu
des engagements d'achat. Étant donné toutefois
que les deux autres fournisseurs exploitaient
leurs entreprises de façon semblable, ce qui est
courant dans cette industrie, suivant la prépon-
dérance des probabilités, la défenderesse n'a
pas prouvé que les deux autres fournisseurs lui
avaient transféré un titre, au contraire la preuve
indique plutôt qu'ils ont conservé la propriété
jusqu'au moment de la livraison.
Voilà pourquoi j'ai conclu que la défende-
resse ne s'est pas acquittée de la charge qui lui
incombait de démontrer que la propriété du bois
lui a été dévolue au cours de son année d'impo-
sition 1969. La défenderesse n'a donc pas
démoli l'hypothèse du Ministre suivant laquelle
aucune partie du bois n'a été incluse dans son
stock pendant son année d'imposition 1969.
On a soutenu, pour le compte de la défende-
resse, que, mise à part la question du transfert
de la propriété du bois à la défenderesse au
cours de son année d'imposition 1969, celle-ci a
conclu des accords avec ses fournisseurs pen
dant l'année d'imposition 1969 et a ainsi con
tracté, dans l'exploitation de son entreprise au
cours de l'année, une obligation légale de payer
le bois à ce prix. Bien que le prix ait été acquitté
en 1970, l'obligation a été contractée en 1969,
d'où l'on a soutenu que la perte était déductible
pour l'année d'imposition 1969.
En réponse à cette prétention de la défende-
resse, le Ministre soutient que la déduction de la
somme de $19,589.10 à titre de perte sur des
engagements d'achat est une déduction qui est
interdite dans le calcul du revenu de la défende-
resse par les dispositions de l'article 12(1)e) de
la Loi de l'impôt sur le revenu, dont voici le
texte:
12. (1) Dans le calcul du revenu, il n'est opéré aucune
déduction à l'égard
e) d'un montant transféré ou crédité à une réserve, à un
compte de prévoyance ou à une caisse d'amortissement,
sauf autorisation expresse de la présente Partie,
L'esprit de la Loi de l'impôt sur le revenu veut
que l'impôt soit payable pour chaque année
d'imposition. On doit donc calculer annuelle-
ment les bénéfices d'une entreprise. Par consé-
quent, seuls les éléments de bénéfice ou de gain,
gagnés ou constatés dans l'année en cause,
entrent dans ce calcul. De la même façon, seuls
les éléments de perte ou de dépense, subies ou
contractées, au cours de cette année entrent
dans ce calcul.
D'un point de vue commercial, il est clair que
la défenderesse devra subir une perte dans
l'avenir, mais je ne puis comprendre comment
cette perte peut se mesurer de façon juste en
faisant la différence entre le prix du bois con-
venu et déterminé au contrat et la valeur mar-
chande au 30 juin 1969, c'est-à-dire la date de
clôture de son exercice financier et d'établisse-
ment de son bilan.
Le preuve a révélé que le marché du bois est
resté en stagnation à un niveau constant, mais
c'est une constatation a posteriori. Le 30 juin
1969, la défenderesse ne pouvait prévoir quelle
serait la valeur marchande du bois aux dates de
livraison. La différence entre le prix fixé au
contrat et la valeur marchande à ces dates est, à
mon avis, la vraie mesure de la perte de la
défenderesse et ces dates sont, à mon avis,
celles oû les pertes de la défenderesse se sont
produites.
J'estime que, pour trancher le litige, il faut
déterminer si le bois faisait partie du stock de la
défenderesse pour son année d'imposition 1969
et, dans cette éventualité, sur la méthode comp-
table appropriée applicable à ce stock.
Il est bien établi que, pour calculer les bénéfi-
ces commerciaux, la valeur du stock de mar-
chandises est un élément important et que la
bonne méthode pour déterminer le bénéfice est
de tenir compte de la valeur du stock de mar-
chandises au commencement et à la fin de
l'exercice comptable. Bien que pour les fins de
l'impôt sur le revenu les bénéfices soient ordi-
nairement ceux qui ont été réalisés au cours de
l'année d'imposition, les principes ordinaires de
comptabilité commerciale ont malgré tout prévu
une exception lorsque les commerçants ont
encore des biens en stock à la fin de l'année. Le
commerçant est autorisé, dans l'évaluation de
son stock, à évaluer ses biens à leur prix coûtant
ou à leur valeur marchande, selon le moindre
des deux.
Cet usage comptable a été incorporé à la Loi
de l'impôt sur le revenu, dont voici l'article
14(2):
14. (2) Aux fins du calcul du revenu, les biens décrits
dans un inventaire doivent être évalués à leur prix coûtant
pour le contribuable ou à leur juste valeur marchande, selon
le moindre des deux, ou de telle autre manière que les
règlements peuvent autoriser.
L'effet de l'article 14(2) est d'autoriser ce
qu'on appelle communément une «réserve
latente» qui, si ce n'était de l'article 14(2), serait
par ailleurs interdite par l'article 12(1)e) précité.
Puisque la valeur de l'inventaire de clôture est
déduite de la valeur du total de l'inventaire
d'ouverture et des biens achetés pendant l'exer-
cice comptable pour obtenir le coût des biens
vendus et que le résultat est, à son tour, déduit
de la valeur des ventes pour obtenir les bénéfi-
ces, il s'ensuit que, dans le but de réduire le
montant du bénéfice qui serait assujetti à l'im-
pôt, le contribuable a manifestement avantage à
inscrire un chiffre aussi faible que possible à
l'inventaire de clôture.
En l'espèce, la défenderesse, en vertu de l'ar-
ticle 14(2) aurait le choix de déterminer la
valeur de chaque poste de son inventaire selon
le plus faible de son prix coûtant ou de sa juste
valeur marchande.
Mais, pour ce faire, il faut que le bois en
cause fasse partie du stock de la défenderesse
au cours de son année d'imposition 1969. Pour
les motifs déjà indiqués, j'ai conclu que le bois
n'a pas fait partie du stock de la défenderesse
au cours de cette année.
Si, comme je l'ai déjà déclaré, le bois ne fait
pas partie du stock de la défenderesse au cours
de son année d'imposition 1969, le montant de
la perte que la défenderesse a subie lors de la
livraison du bois en 1970 était inconnu, imprévi-
sible et aléatoire le 30 juin 1969 et, en vertu des
dispositions de l'article 12(1)e) de la Loi de
l'impôt sur le revenu, la défenderesse est dans
l'impossibilité de déduire la somme de
$19,589.10 pour son année d'imposition 1969.
Pour les motifs que j'ai donnés, je conclus
que la défenderesse, dans le calcul de son
revenu pour son année d'imposition 1969, n'a
pas le droit de déduire la somme de $19,589.10
à titre de pertes subies au cours de cette année.
Voici un résumé de ces motifs:
(1) le bois ne faisait pas partie du stock de la
défenderesse au cours de son année d'imposi-
tion 1969;
(2) ne faisant pas partie . du stock, on ne peut
avoir recours aux dispositions de l'article
14(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu pour
déterminer la valeur du stock, et la déduction
du montant réclamé à titre de perte au cours
de l'année d'imposition 1969 est interdite par
l'article 12(1)e) de la Loi, et
(3) la perte est la différence entre le prix fixé
au contrat et la valeur marchande au moment
de la livraison en 1970, et 1970 est l'année
d'imposition au cours de laquelle la perte à
été subie.
L'appel est accueilli et Sa Majesté la Reine a
droit à ses dépens taxables.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.