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T-2057-72
Alcan Aluminium Limitée (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Heald— Ottawa, les 12 et 18 février 1974.
Impôt sur le revenu—La filiale de la demanderesse est fournisseur de matières premières—Augmentation de l'impo- sition du revenu de la compagnie filiale—La demanderesse rembourse volontairement la filiale—La demanderesse dédui- sit cette somme de son revenu—Déduction rejetée par le Ministre comme dépense à compte de capital—Appel accueilli—Loi de l'impôt sur le revenu, art. 12(1)a).
La compagnie demanderesse produit de l'aluminium à partir d'alumine fournie par la Alcan Jamaica Limited (Aljam), une compagnie jamaïquaine qui est une filiale en propriété exclusive de la compagnie demanderesse depuis 1958. A la suite de la résiliation d'un accord conclu entre la demanderesse et la compagnie C relatif à l'approvisionne- ment en alumine, la compagnie C fut tenue de payer à la demanderesse la somme de $3.6 millions à titre de dédom- magement, en versements successifs. Le gouvernement de la Jamaïque, estimant qu'il avait droit à une part du dédom- magement, exigea que l'Aljam lui verse cette part par le biais d'une augmentation des impôts sur le revenu. La demanderesse remboursa à l'Aljam ces impôts supplémen- taires, suite à une «décision fondée sur des considérations pratiques et commerciales* et non une obligation juridique. Le Ministre a rejeté la déduction de la somme ainsi versée par la demanderesse, au motif qu'il s'agissait d'une dépense à compte de capital.
Arrêt: l'appel est accueilli; il s'agissait d'une dépense consentie au cours de l'exploitation d'une organisation lucra tive, constituant donc une dépense à compte de revenu, déductible à ce titre.
Arrêts examinés: British Insulated and Helsby Cables, Ltd. c. Atherton [1926] A.C. 205 et Associated Inves tors of Canada Ltd. c. M.R.N. [1967] 2 R.C.É. 103; arrêts appliqués: Canada Starch Co. Ltd. c. M.R.N. [1969] 1 R.C.E. 96 et Hallstrom's Pty. Ltd. c. Federal Commissioner of Taxation (1946) 72 C.L.R. 634; arrêts suivis: Pigott Investments Limited c. La Reine [1973] C.T.C. 693 et Olympia Floor & Wall Tile (Québec) Ltd. c. M.R.N. [1970] R.C.E. 274.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
Bruce Verchère et Marc A. Leduc pour la demanderesse.
Alban Garon, c.r., et Louise Lamarre- Proulx pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott & Cie, Montréal, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
LE JUGE HEALD—La demanderesse exploite notamment une entreprise de production et de vente d'aluminium et de produits en aluminium. C'est une compagnie d'aluminium entièrement intégrée. On utilise le procédé de l'électrolyse pour extraire l'aluminium de l'alumine. L'alu- mine (oxyde d'aluminium) provient du raffinage d'un minerai qui, à l'état brut, est appelé bauxite.
La Jamaïque (Grandes Antilles), est un des principaux producteurs mondiaux de bauxite. Afin d'étudier les possibilités commerciales de la bauxite provenant de la Jamaïque, la compa- gnie Alcan Jamaica Limited (ci-après appelée Aljam) fut constituée en 1943 en vertu des lois de la Jamaïque. Depuis 1958, Aljam est une filiale en propriété exclusive de la demande- resse. Aljam a par la suite prospecté et obtenu en concession à la Jamaïque d'importants gise- ments de bauxite d'une teneur permettant une exploitation rentable. Aljam exploite également à la Jamaïque deux usines de transformation permettant d'extraire l'alumine de la bauxite.
En avril 1954, la demanderesse et Aljam ont conclu un accord en vertu duquel celle-ci devait fournir de l'alumine à la demanderesse en échange de l'aluminium que cette dernière ven- drait pour le compte d'Aljam. Dans les années 60, Aljam était devenue un très important four- nisseur de la demanderesse en alumine.
En janvier 1957, la demanderesse a conclu un accord avec la Canadian British Aluminum Company Ltd. (ci-après Canbaco) en vertu duquel la demanderesse s'engageait à fournir de l'alumine à Canbaco qui en échange lui fourni- rait de l'aluminium. L'accord prévoyait l'échange de 6.285 unités de poids d'alumine contre 1 unité de poids d'aluminium. Canbaco était une filiale en propriété exclusive de la British Aluminum Company et venait d'installer une usine au Québec. La demanderesse et Can-
baco sont des compagnies concurrentes qui ne détiennent pas d'actions en commun. Il s'agis- sait donc d'une transaction effectuée à distance. Les deux accords que nous avons décrits sont des accords de troc. Vers la fin des années 50 et le début des années 60, on a vu apparaître des accords de troc dans l'industrie de l'aluminium, car à cette époque aucun cours de marché offi- ciel n'avait été fixé pour l'alumine. Les ache- teurs d'alumine ne pouvaient déterminer le coût de ce produit qu'en fonction de la valeur du produit fini, c'est-à-dire de l'aluminium. C'est pour cette raison qu'on avait recours à des con- trats de troc. En général, à cette époque, les contrats de troc prévoyaient un rapport de 6i ou 7 tonnes d'alumine pour 1 tonne d'aluminium fini.
L'accord avec Canbaco devait entrer en vigueur en 1958 et porter sur une période de 20 ans. Aux termes de cet accord, la demanderesse s'engageait à fournir, et Canbaco à recevoir, pour l'année 1958, 47,500 tonnes fortes (2,240 livres) d'alumine et pour chacune des années de la période 1959 à 1977, 120,000 tonnes fortes d'alumine. En cas de résiliation de l'accord ou en cas de diminution de la quantité d'alumine dont avait besoin Canbaco, celle-ci était tenue de verser à la demanderesse pour chaque tonne forte d'alumine en deçà de la quantité prévue, $6 par an payable au 1 e7 janvier, et ce pendant cinq ans commençant avec l'année d'annulation.
La Canbaco résilia l'accord en 1961 et, comme convenu, versa à la demanderesse pen dant les années 1962 à 1966 inclusivement, des versements égaux de $720,000 à titre de dédom- magement (selon le calcul décrit au paragraphe ci-dessus). Dans le calcul de son revenu pour ses années d'imposition 1962 à 1966 inclusive- ment, la demanderesse a inclus les montants reçus de Canbaco et, plus précisément, en 1966, elle a inclus dans son revenu ledit versement de $720,000.
Par lettres en date des 18 et 25 septembre 1964, des fonctionnaires du gouvernement de la Jamaïque ont fait savoir à Aljam qu'à leur avis cette compagnie avait droit à sa part des $3,600,000 versés à la demanderesse à titre d'indemnité par Canbaco à la suite de la résilia- tion du contrat susmentionné et que le gouver-
nement de la Jamaïque était en droit de l'inclure dans le calcul du revenu d'Aljam, et donc d'im- poser conformément aux lois fiscales de la Jamaïque une partie desdits $3,600,000 versés à la demanderesse par Canbaco dans les années 1962 à 1966 inclusivement. Dans ces deux let- tres, les fonctionnaires jamaïquains ont égale- ment signalé la différence entre le prix auquel Aljam s'était engagée à troquer son alumine avec l'Alcan et le prix auquel la demanderesse vendait de l'alumine provenant de la Jamaïque à des entrepreneurs indépendants lors d'opéra- tions effectuées sans lien de dépendance. Dans leur lettre du 25 septembre 1964, ils déclarent qu'à leur avis, la commission versée par Aljam sur la vente de l'aluminium qu'elle recevait aux termes du contrat de troc avec la demanderesse paraissait excessive. Cette commission était versée à des compagnies associées à la fois avec la demanderesse et avec Aljam. La lettre fait aussi valoir que les problèmes susdits ont été au détriment des revenus de la Jamaïque et que le gouvernement jamaïquain a l'intention de se prévaloir des dispositions de l'article 32(3) de la Income Tax Law de la Jamaïque afin de remé- dier à cette situation. Ledit article 32(3) figure à la page 35 du dossier versé en preuve avec l'accord des avocats des parties. Voici ce que dispose cet article:
[TRAnucrnoN] 32-(3) Lorsqu'un non-résident se livre à une entreprise avec un résident, et qu'il semble au Commissaire que le rapport étroit entre un résident et un non-résident leur permet d'ainsi arranger leurs affaires, et qu'ils le font effec- tivement, que l'entreprise auquel se livre le résident, par suite de ses rapports avec le non-résident, soit ne produit pour le résident aucun bénéfice soit produit un bénéfice inférieur à celui que l'on pourrait prévoir normalement d'après la nature de l'entreprise, le non-résident sera impo- sable et redevable d'impôts au nom du résident comme si le résident était mandataire du non-résident.
Dans ladite lettre du 25 septembre 1964, (une longue lettre de 9 pages en tout) le gouverne- ment jamaïquain énonce ensuite les motifs qui, d'après lui, justifient l'application de l'article 32(3) aux circonstances de cette affaire. En bref, la Jamaïque soutient que, même si Aljam n'est pas partie à l'accord avec Canbaco, parce qu'elle est une filiale en propriété exclusive de la demanderesse et parce qu'elle a contribué de manière considérable à l'exécution de l'accord Canbaco avant l'annulation de celui-ci, le gou-
vernement jamaïquain a en fait le droit, en vertu de l'article 32(3), de [TRADUCTION] «scruter» le contrat, pour déterminer quels profits, le cas échéant, provenant de l'annulation du contrat avec Canbaco, revenaient à la Jamaïque. A la page 4 de la lettre du 25 septembre 1964, le Commissaire à l'impôt sur le revenu pour la Jamaïque déclare:
[TRADucTTON] ... Je ne me sentirais pas lié par un contrat entre une compagnie et sa filiale en propriété exclusive. Il s'agit de la main droite s'engageant envers la main gauche... .
La lettre étudie ensuite dans quelle mesure l'an- nulation du contrat avec Canbaco a fait subir un préjudice à la Jamaïque, et tente d'évaluer quelle part du contrat avec Canbaco aurait porté sur l'alumine que la demanderesse s'était procu rée à la Jamaïque. La lettre termine en déclarant que cette proportion aurait été d'au moins 75%. Par conséquent, la lettre fait savoir à Aljam que le gouvernement de la Jamaïque a l'intention de l'assujettir à l'impôt sur le revenu sur une somme égale à 75% des $3,600,000 versés lors de l'annulation du contrat, c'est-à-dire qu'il allait considérer que la somme de $2,700,000 est la partie des bénéfices revenant à Aljam et qu'ainsi, cette somme est imposable entre les mains de cette compagnie conformément à la loi jamaïquaine.
Après réception de cette lettre, les dirigeants d'Aljam ont consulté leurs avocats; ces derniers leur ont répondu que le Commissaire à l'impôt sur le revenu possède effectivement les pou- voirs dont il fait état dans sa lettre du 25 sep- tembre 1964 et qu'en outre, il a le droit d'exiger qu'on produise les livres et registres d'une société étrangère, compagnie mère d'une com- pagnie jamaïquaine. Les fonctionnaires du gou- vernement jamaïquain et les dirigeants d'Aljam se rencontrèrent pour discuter de ces questions à plusieurs reprises. Le problème fiscal à la Jamaïque fut évidemment transmis à la haute direction de la demanderesse à Montréal. En août 1965, J. G. Stark, qui avait été trésorier d'Aljam, résidant à la Jamaïque, rentra à Mont- réal pour assumer de nouvelles fonctions au sein de la compagnie demanderesse. A cette époque, il fit savoir à ses supérieurs que, d'après lui, si la demande initiale du gouverne- ment jamaïquain était fondée sur des créances
fiscales précises et techniques, il lui était apparu, au cours des négociations et des discus sions, qu'en réalité le gouvernement jamaïquain recherchait une augmentation générale de ses rentrées fiscales. Il a déclaré que, chaque année, leurs exigences fiscales augmentaient en nombre et en valeur. Après discussions avec d'autres membres de la haute direction de la demanderesse à Montréal, Stark fut renvoyé à la Jamaïque pour essayer de résoudre le problè- me fiscal qui opposait sa compagnie au gouver- nement jamaïquain. On aboutit en février 1966 à un règlement couvrant les années d'imposition 1963 1966 inclusivement. Aux termes de ce règlement, on augmenta la cotisation à l'impôt d'Aljam de 735,000 livres jamaïquaines. Dans sa déposition, Stark justifia ce règlement de la façon suivante:
1. Assurer l'approvisionnement d'une ma- tière première essentielle. A son avis, le problème aurait très bien pu s'envenimer et compromettre les intérêts de la demanderesse à la Jamaïque. A son avis, si Aljam avait adopté des arguments trop strictement juridi- ques et s'était opposée à la cotisation propo sée, le gouvernement jamaïquain avait d'au- tres moyens à sa disposition. Ainsi, adoptant une position pragmatique fondée sur une déci- sion justifiée du point de vue commercial, il a recommandé le règlement.
2. Il a fait remarquer que, d'un point de vue comptable et commercial, cette redevance fis- cale imposée de manière imprévue par la Jamaïque devait figurer dans les états finan ciers annuels de la compagnie. Il a déclaré que ces obligations fiscales imprévues sem- blaient s'accroître chaque année suivant en cela l'augmentation des exigences fiscales de la Jamaïque. Il craignait que si ces impôts imprévus continuaient de croître, on risquât d'en arriver bientôt au point ot cela compro- mettrait les opérations commerciales de la demanderesse à l'étranger.
Robert J. Moyse, trésorier de la demande- resse jusqu'au l er janvier 1966, déclara qu'il avait donné son approbation à ce règlement, car, en premier lieu, il pensait que le gouvernement de la Jamaïque avait de très forts arguments moraux sinon juridiques étant donné que l'alu-
mine jamaïquaine représentait une large partie des stocks d'alumine dont disposait la demande- resse à l'époque. Des quelques rencontres aux- quelles il avait participé dans ce pays, il avait retiré l'impression que [TRADUCTION] «les auto- rités jamaïquaine étaient fermement décidées à faire augmenter le prix de l'alumine». Il a eu l'impression que, si la question de Canbaco ainsi que les quatre autres problèmes fiscaux précis, objets de discussion, étaient pour quelque chose dans la position adoptée par la Jamaïque, la situation s'est cristallisée au point qu'un fait est ressorti, à savoir, la Jamaïque avait la ferme intention, d'une manière ou d'une autre, de s'as- surer qu'Aljam aurait un revenu imposable plus élevé. D'après lui, l'indemnité versée par Can- baco ainsi que les autres problèmes précis n'étaient que des prétextes pour obtenir un prix plus élevé pour l'alumine jamaïquaine. Moyse a également déclaré que si le contrat d'approvi- sionnement conclu entre la demanderesse et Aljam avait été conclu sans lien de dépendance, il est très probable que ce contrat aurait com porté une clause d'indemnisation semblable à la clause figurant dans l'accord conclu sans lien de dépendance entre Canbaco et la demanderesse. Il considérait, par conséquent, que la Jamaïque était tout à fait fondée à réclamer une partie de l'indemnité versée par Canbaco.
Le 31 mars 1966, Aljam envoya une lettre à la demanderesse pour l'aviser du règlement effectué avec le fisc jamaïquain et facturant à la demanderesse [TRADUCTION] «votre quote-part de ladite augmentation du prix de vente de l'alumine ainsi que la part de l'indemnité versée par Canbaco qui nous revient, aux termes de la décision des autorités jamaïquaines que nous avons acceptée aux fins du règlement». La fac- ture qui était jointe à la lettre, contenait deux rubriques; voici la seconde:
[TRADUCTION] La part de l'indemnité d'annulation que Can- baco a versée à Aljam, telle que l'a fixée la Income Tax Appeal Board de la Jamaïque, soit £480,055.
(On mentionne la Income Tax Appeal Board de la Jamaïque, car elle avait en fait ratifié le règlement intervenu entre les parties par une lettre en date du 9 mars 1966, envoyée à l'avo- cat d'Aljam et statuant ainsi sur l'appel qu'Al - jam avait auparavant interjeté devant elle).
La somme de 480,055 livres jamaïquaines équivaut à $1,447,078 dollars canadiens et la demanderesse remboursa immédiatement cette somme à Aljam. Nathaniel B. Davis, président de la demanderesse à l'époque, a expliqué que la demanderesse a remboursé Aljam afin [TRADUC- TION] «de restituer le revenu d'Aljam». Il a dit que la décision de la demanderesse était une décision pragmatique. Il a déclaré estimer qu'il était de l'intérêt de la demanderesse, à long terme, de régler le litige, et qu'un long procès devant les tribunaux aurait eu [TRADUCTION] «tendance à nuire aux rapports» entre la deman- deresse et le gouvernement jamaïquain. D'au- tres dirigeants de la demanderesse ont confirmé son opinion qu'il était tout à fait justifié que la demanderesse rembourse Aljam. William J. Reid, trésorier de la demanderesse après le ler janvier 1966, a déclaré que les dirigeants de sa compagnie ont considéré cette somme supplé- mentaire principalement comme un ajustement de prix. Il a ajouté que de pareils ajustements rétroactifs n'avaient rien d'exceptionnel. Il cite deux exemples de contrats que la demanderesse avait conclus avec d'autres compagnies pour un approvisionnement de coke de pétrole. Dans ces exemples, les contrats furent renégociés, car les prix fixés au contrat avaient par la suite accusé une assez grande différence avec la juste valeur marchande. D'après lui, si l'on considère le ver- sement de $1,447,078 comme un ajustement par rapport aux prix de l'alumine, ce versement a eu pour effet de faire passer le prix de la tonne courte de $58.81 $59.46 et que ledit prix de $59.46 la tonne courte était tout à fait dans les limites de la juste valeur marchande de l'alu- mine pour la période en question. Il a ajouté que ce prix était de loin inférieur aux prix que payait la demanderesse pour de l'alumine achetée par des transactions conclues sans lien de dépendance.
Dans ses livres, la demanderesse a fait figurer la somme de $1,447,078 en tant que coût de vente, procédure qui fut approuvée par les vérificateurs.
En établissant la cotisation de la demande- resse pour l'année d'imposition 1966, la défen- deresse a refusé d'admettre cette dépense de $1,447,078.
La défenderesse soutient que cette dépense constitue un paiement à compte de capital. A l'appui de cette thèse, la défenderesse cite les témoignages des dirigeants de la compagnie demanderesse qui ont déclaré que ladite dépense avait été effectuée afin de garantir un approvisionnement en une matière première essentielle ; que cette somme a été dépensée afin de conserver un bien de capital et qu'il s'agit donc d'une dépense à compte de capital. La défenderesse cite à l'appui de cet argument les arrêts British Insulated and Helsby Cables, Ltd. c. Atherton 1 et Associated Investors of Canada Ltd. c. M.R.N. 2 . Ce n'est pas de cette manière que j'interprète ces deux arrêts. Dans l'arrêt Associated Investors of Canada Ltd. (précité), le président Jackett (tel était alors son titre) déclare à la page 103:
[TRADUCTION] La signification générale est qu'une opération un élément d'actif permanent ou un avantage est acquis à des fins commerciales est une opération portant sur le capital. (Voir British Insulated and Helsby Cables, Ltd. c. Atherton [1926] A.C. 205.)
Ces deux arrêts définissent une opération en capital comme une opération un élément d'actif permanent ou un avantage est acquis à des fins commerciales (les italiques sont de moi). Ainsi je considère que ces précédents ne peuvent pas servir à appuyer les arguments que les sommes dépensées en vue de préserver une immobilisation sont des dépenses à compte de capital. De plus, d'après la preuve soumise, je conclus que ladite dépense était en fait un ajus- tement du prix d'achat des matières premières achetées par la demanderesse et dont elle avait besoin pour son entreprise de manufacture d'aluminium. Ceci n'a rien d'exceptionnel dans ce genre d'entreprise. Même après cet ajuste- ment, le prix que la demanderesse payait la matière première restait tout à fait dans les limites de la juste valeur marchande. En tant qu'ajustement du prix d'achat de la matière pre- mière, cette opération n'entraînait aucun accroissement ou diminution du capital fixe et ne constituait ainsi à mon avis qu'une simple dépense de fonctionnement.
C'est le président Jackett (tel était alors son titre) qui a brièvement énoncé la distinction
' [1926] A.C. 205.
2 [1967] 2 R.C.É. 96.
entre les dépenses à compte de revenu et les dépenses à compte de capital. Voici ce qu'il déclarait dans l'arrêt Canada Starch Co. Ltd. c. M.R.N. 3 :
[TRADUCTION] Autrement dit, à mon avis, on peut dire qu'en général,
a) d'une part, une dépense engagée en vue de l'acquisition ou de la création d'une entité, structure ou organisation commerciale, dans le but de tirer un profit, ou en vue du développement d'une telle entité, structure ou organisa tion, constitue une dépense à compte de capital, et
b) d'autre part, une dépense consentie au cours de l'ex- ploitation d'une entité, structure ou organisation lucrative constitue une dépense à compte de revenu.
Appliquant ces critères aux circonstances de la présente affaire, j'en conclus que ladite dépense a été consentie au cours de l'exploita- tion d'une organisation lucrative et qu'elle cons- titue ainsi une dépense à compte de revenu. La demanderesse est une compagnie intégrée pro- duisant de l'aluminium; elle s'occupe activement de toutes les étapes de la production, de l'ex- traction du minerai brut (bauxite) jusqu'au stade final le produit fini, l'aluminium, est produit, mis en vente et vendu. Sa filiale de la Jamaïque devait faire face aux exigences du gouverne- ment jamaïquain, qui ont entraîné un ajustement vers le haut du prix des matières premières dont avait besoin la demanderesse pour mener à bien l'exploitation de son organisation lucrative. Ainsi, la demanderesse et sa filiale, Aljam, ont décidé, pour des raisons commerciales, d'accep- ter la hausse du coût de ses matières premières.
Ainsi qu'il a été déclaré dans l'arrêt Hall- strom's Pty. Ltd. c. Federal Commissioner of Taxation 4 la solution «dépend de l'effet envi- sagé de la dépense du point devue pratique et commercial, plutôt que de la classification juri- dique des droits, s'il en est, garantis, employés ou épuisés en cours de route».
En l'espèce, la demanderesse a pris une «décision fondée sur des considérations prati- ques et commerciales», car la demande des autorités jamaïquaines était raisonnable et justi- fiée vu les circonstances et parce qu'elle tenait à assurer le maintien de ses relations amicales avec le pays-hôte.
[1969] 1 R.C.É. 96 à la page 102.
4 (1946) 72 C.L.R. 634 à la page 648.
La présente affaire ressemble un peu à la situation qu'a eu à étudier le juge en chef adjoint Noël dans l'affaire Pigott Investments Limited c. La Reines. Dans cet arrêt, il a été décidé que les dépenses engagées n'étaient qu'un aspect d'une opération commerciale dont l'objet était de tirer un revenu de l'entreprise de construction de la demanderesse. En fait, la filiale n'était devenue que le simpe mandataire de la demanderesse et les dépenses du manda- taire étaient celles du mandant.
L'avocat de la défenderesse a de plus fait valoir que la demanderesse n'était aucunement tenue en droit de verser à Aljam une partie de l'indemnité payée par Canbaco et que cette somme ne pouvait donc pas être déduite du revenu de la demanderesse. La jurisprudence ne confirme pas ces arguments. Il ressort claire- ment des précédents qu'une dépense effectuée à titre de «cadeau» ou par souci de probité com- merciale pourra être déduite dans le calcul du revenu 6 . Ladite dépense a été engagée par souci de probité commerciale cause de la forte position de la Jamaïque d'un point de vue moral) et pour conserver la réputation de la demande- resse en sa qualité de personne morale, bonne citoyenne de la Jamaïque par l'entremise de sa filiale jamaïquaine, Aljam.
Pour les motifs énoncés ci-dessus, je conclus que c'est à juste titre que, dans son année d'imposition 1966, année du paiement, la demanderesse a déduit de son revenu ladite somme de $1,447,078.
L'appel est donc accueilli avec dépens. La cotisation de la demanderesse pour son année d'imposition 1966 sera déférée au Ministre pour nouvelle cotisation conforme à ces motifs.
5 [1973] C.T.C. 693.
6 Voir: Olympia Floor & Wall Tile (Quebec) Ltd. c. M.R.N. [1970] R.C.E. 274 et Pigott Investments Limited c. La Reine (note 5 ci-dessus).
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