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T-3749-73
Carmel Edwina Winmill (Demanderesse)
c.
William L. Winmill (Défendeur)
Division de première instance, le juge Collier— Vancouver, le 12 février; Ottawa, le 28 mars 1974.
Compétence de la Cour—Divorce—Aucune des parties n'a résidé dans une province pendant une période d'un an précé- dant l'action—La demanderesse invoque la compétence en première instance de la Division de première instance—Loi sur la Cour fédérale, art. 25—Seuls les tribunaux provin- ciaux sont compétents, excepté dans un cas particulier bien défini—Loi sur le divorce, S.R.C. 1970, c. D-8, art. 2 et 5.
La demanderesse a intenté une action en divorce fondée sur la cruauté, en vertu de l'article 3d) de la Loi sur le divorce. Aucune des parties n'a résidé dans une province pendant une période d'un an précédant la date de l'introduc- tion de l'action, comme l'exige l'article 5(1)b) de la Loi. La demanderesse soutient que l'article 25 de la Loi sur la Cour fédérale en vertu duquel la Division de première instance est compétente, en première instance, «si aucun autre tribunal ... n'a compétence», s'applique.
Arrêt: l'action est rejetée. L'article 25 de la Loi sur la Cour fédérale ne confère pas à la Cour la compétence pour connaître de cette affaire. Il est clair que la Loi sur le divorce confère cette compétence à certains tribunaux nom- mément désignés dans les provinces ou territoires, excepté dans le cas particulier prévu à l'alinéa 5(2)6), des requê- tes ont été déposées concurremment à la même date et il n'y a pas eu de désistement dans les trente jours qui suivent, auquel cas la Division de première instance a compétence exclusive pour accorder le redressement demandé. La com- pétence en matière de divorce a donc été conférée par la loi et les personnes demandant un redressement par voie de divorce doivent remplir les préalables ou conditions requis. L'article 25 de la Loi sur la Cour fédérale ne s'applique que lorsque la compétence ratione materiae ou ratione personae n'a été conférée à aucun tribunal par la législation, les pouvoirs inhérents aux tribunaux ou par d'autres moyens reconnus par lesquels les autres tribunaux sont autorisés à connaître de certains litiges ou de certaines questions.
ACTION. AVOCATS:
W. O'Malley Forbes pour la demanderesse.
Lorne A. Montaine pour le défendeur.
PROCUREURS:
Owen, Bird, Vancouver, pour la demande- resse.
Montaine, Black & Davies, pour le défendeur.
LE JUGE COLLIER—Il s'agit d'une action en divorce. Dans l'intitulé de la cause, les parties sont appelées demanderesse et défendeur au lieu de requérante et intimé.' L'épouse est la demanderesse en l'espèce et a intenté une action fondée sur l'alinéa 3d) de la Loi sur le divorce, S.R.C. 1970, c. D-8, telle que modifiée, et, plus précisément, la cruauté.
La demanderesse, alors âgée de dix-huit ans, et le défendeur alors âgé de dix-sept ans, se sont mariés à Vancouver, au printemps 1969. Deux enfants sont issus du mariage, et sont tous les deux nés à Vancouver, l'un le l er octobre 1969 et l'autre le 26 avril 1972. La demanderesse demande à cette cour de prononcer le divorce, mais les parties ont convenu de ne pas soumet- tre à la Cour des réclamations accessoires con- cernant la garde et l'entretien: (TRADUCTION) «... ces questions ... devront ... être exami nées par les tribunaux provinciaux».
D'août 1969 octobre 1972, les parties ont
résidé à Vancouver. On a avancé que le défen- deur a commis le premier acte de cruauté en 1970. A la suite de cet incident, la demande- resse a quitté le défendeur, mais par la suite les époux ont de nouveau cohabité.
Le deuxième acte de cruauté allégué aurait eu lieu en février 1972. Les époux se sont de nouveau réconciliés. Le même incident en juillet 1972 fut suivi d'une nouvelle réconciliation.
En octobre 1972, les parties ont déménagé à Edmonton, le défendeur avait trouvé un emploi. Ils y résidèrent ordinairement. De nou- veaux actes de cruauté se seraient produits en juillet 1973. Je pense qu'il est juste de signaler que, selon la preuve soumise, c'est à la fin de juillet 1973 que la demanderesse a été victime de l'acte de cruauté physique le plus sérieux. A la suite de cela, la demanderesse partit secrète- ment pour Vancouver avec ses deux enfants. Elle y réside depuis le 30 juillet 1973.
Le défendeur revint à Vancouver peu de temps après. Il y réside aussi depuis le début août 1973.
' On m'a informé que l'on avait adopté cette formule afin de se conformer aux procédures usuelles suivies dans cette cour en ce qui concerne l'appellation des parties à une action.
La déclaration fut déposée à la Cour le 21 septembre 1973. Ni le mari ni l'épouse n'avait ordinairement résidé dans une province du Canada pendant une période d'un an précédant la date du dépôt de la déclaration ou la date de l'audition. Les avocats des deux parties admet- tent que c'est bien leur situation réelle. On ne conteste pas le fait que la demanderesse est domiciliée au Canada.
Voici la question soulevée: cette cour a-t-elle compétence pour connaître de cette action et accorder le redressement demandé? Je me rap- porte au paragraphe 5(1) de la Loi sur le divorce qui se lit comme suit:
5. (1) Un tribunal de n'importe quelle province a compé- tence pour entendre une requête en divorce et pour pronon- cer sur les conclusions des parties
a) si la requête est présentée par une personne domiciliée au Canada; et
b) si le requérant ou l'intimé a ordinairement résidé dans cette province pendant une période d'au moins un an précédant immédiatement la présentation de la requête et a réellement résidé dans cette province pendant au moins dix mois au cours de cette période.
La demanderesse affirme que ni la Division de première instance de la Cour suprême de l'Alberta ni la Cour suprême de la Colombie- Britannique n'avaient compétence, au 21 sep- tembre 1973, pour connaître de cette action en divorce et invoque donc l'article 25 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970, c. 10 (2 e Supp.). Cet article se lit comme suit:
25. La Division de première instance a compétence en première instance, tant entre sujets qu'autrement, dans tous les cas une demande de redressement est faite en vertu du droit du Canada si aucun autre tribunal constitué, établi ou maintenu en vertu de l'un des Actes de l'Amérique du Nord britannique, 1867 1965 n'a compétence relativement à cette demande ou ce redressement.
La demanderesse affirme donc que la Cour est compétente en l'espèce. Le défendeur con- teste cette prétention.
Malgré l'excellente plaidoirie de l'avocat de la demanderesse, Me Forbes, je dois conclure que l'article 25 ne confère pas à la Cour de compé- tence relative au redressement demandé en l'es- pèce par la demanderesse.
Une requête en divorce constitue bien sûr une demande de redressement faite en vertu du droit
du Canada. 2 La Loi sur le divorce confère à un tribunal nommément désigné dans le cas de chaque province ou territoire', la compétence en matière de divorce et pour prendre, le cas échéant, des mesures accessoires. Il faut satis- faire à un certain nombre de préalables avant qu'un tribunal désigné puisse connaître de l'ac- tion et accorder le redressement demandé; en d'autres termes, le requérant doit remplir un certain nombre de conditions avant que le tribu nal désigné puisse entendre la requête. Ces préalables ou conditions sont les suivants:
a) La personne présentant la requête doit être domiciliée au Canada.
b) Il faut que le requérant ou l'intimé ait ordinairement résidé dans la province la requête a été présentée pendant une période d'au moins un an précédant immédiatement la date de l'introduction de l'action. 4
En supposant que la condition a) soit remplie, on peut concevoir qu'un requérant potentiel ait le choix entre deux tribunaux, selon son lieu de résidence ordinaire (c'est ma propre paraphrase) ou celui de l'intimé. Le paragraphe 5(2) traite de cas des requêtes ont été déposées concur- remment devant des tribunaux de deux provin ces. Dans le cas, très rare, prévu à l'alinéa b) de ce paragraphe, la Division de première instance de cette cour devient compétente.
A mon avis, il ressort clairement de la Loi sur le divorce que la compétence en matière de divorce n'a été conférée qu'à certains tribunaux nommément désignés dans chaque province ou territoire, excepté dans le cas très rare prévu à l'alinéa 5(2) b).
A mon sens, seuls ces tribunaux ont compé- tence en matière de divorce. On ne peut cepen- dant invoquer la compétence en question si les personnes demandant un redressement par voie de divorce ne remplissent pas les préalables ou conditions susmentionnés. A mon avis, il ne faut pas interpréter ces préalables de manière à les
2 Voir l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, article 91(26).
Les tribunaux compétents sont énumérés ou définis à l'art. 2 de la Loi sur le divorce.
4 Je n'ai pas mentionné la disposition de l'alinéa 5(1)b) de la Loi relative à la période de «10 mois». Cette disposition n'est pas vraiment pertinente en l'espèce.
assimiler aux questions relevant de la «compé- tence» de la Cour, au sens de ce terme à l'article 25 de la Loi sur la Cour fédérale. Ce sont ce que j'ai appelé les tribunaux désignés qui ont com- pétence en matière de divorce. Il ne s'agit pas d'une situation dans laquelle aucun «autre tribu nal» 5 n'est compétent et l'article 25 n'est donc pas applicable.
Pour diverses raisons qui sont à mon avis évidentes et qu'il est inutile d'exposer en détail, on a estimé souhaitable, dans la législation en matière de divorce, de limiter le choix des par ties à une action en divorce à un des deux tribunaux provinciaux ou territoriaux, au lieu de leur permettre d'intenter une action devant n'importe lequel des douze tribunaux désignés, choisi probablement à la simple fantaisie du requérant et sans tenir compte de la situation de l'intimé ou des enfants du mariage. Le fait de restreindre dans une certaine mesure le choix du tribunal, en imposant les préalables ou condi tions que j'ai énumérés, ne revient pas, à mon avis, à retirer ou dénier sa compétence en matière de divorce à un des tribunaux désignés.
J'estime que l'article 25 ne s'applique que lorsqu'une compétence, au sens de compétence ratione materiae (ou parfois, ratione personae) n'a été conférée à aucun «autre tribunal» par la législation, par les pouvoirs inhérents aux tribu- naux ou par quelqu'autres moyens reconnus par lesquels les autres tribunaux sont autorisés à connaître habituellement de certains litiges ou de certaines questions. Lorsqu'il y a une telle lacune et lorsque la réclamation ou le redresse- ment recherché relève du droit du Canada, la Division de première instance de cette cour est alors compétente.
L'action de la demanderesse est donc rejetée.
En vertu d'un accord entre les avocats, auquel j'ai donné mon assentiment, j'ai entendu toute la preuve soumise par les deux parties concernant non seulement le lieu de résidence et le domicile, mais aussi les allégations de cruauté. Si ma conclusion selon laquelle cette cour n'est pas compétente est correcte, et si cette décision est confirmée en cas d'appel, on peut supposer qu'une nouvelle action sera inten-
5 Tel que décrit à l'article 25.
tée devant le tribunal compétent dans la pro vince appropriée. Puisqu'une partie de la preuve que l'on m'a présentée sera peut-être soumise à ce moment et puisqu'il est possible que l'on soulève lors de cette nouvelle action des ques tions relatives à leur crédibilité, je n'ai pas l'in- tention d'exprimer maintenant d'opinion sur le fond de l'affaire, ou sur ladite preuve. Si l'on décide ultérieurement que cette cour a compé- tence pour connaître de cette affaire, je serai alors disposé à rendre une décision sur le fond.
Dans les circonstances et, à ce stade des procédures du moins, je ne rends aucune ordon- nance concernant les dépens.
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