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In re: les appels Na' 1010, 1011, 1012, 1063 et 1067 interjetés devant la Commission du tarif, en vertu de l'article 19 de la Loi antidumping et en vertu de l'article 47 de la Loi sur les douanes, des décisions du sous-ministre du Revenu national, douanes et accise, datées du 29 novembre 1971 et du 19 mars 1973.
et
Danmor Shoe Company Ltd., Créations Marie- Claude Inc., et General Footwear Co. Ltd.
et
Crosley Shoe Corp. Ltd.
et
Joseph Sprackman, comptable agréé, de la ville de Toronto, province de l'Ontario, en sa qualité de syndic des biens de la Creative Shoes Limited (Requérants)
Cour d'appel (A-147-73) le juge en chef Jackett, le juge Pratte et le juge suppléant Hyde—Mont- réal, le 24 janvier 1974.
Examen judiciaire—La déclaration de la Commission du tarif, par laquelle elle affirmait ne pas avoir compétence pour traiter de la validité de certaines «directives», peut-elle faire l'objet d'une demande d'examen—Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, c. C-40, art. 47(3); Loi antidumping, S.R.C. 1970, c. A-15, art. 19(3); Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970, c. 10 (2e Supp.), art. 28.
On avait demandé à la Commission du tarif, à un stade préliminaire de l'audience, si, en se prononçant sur la «valeur imposable» et la «valeur normale», elle était autori- sée à décider que les «directives» étaient inopérantes parce qu'invalides.
Arrêt: une telle décision est une question de droit que la Commission n'a pas la compétence ni le pouvoir de trancher indépendamment des appels. Toute déclaration de la Com mission, séparément de la décision d'appel proprement dite, n'a aucun effet juridique. Une déclaration de la Commission portant qu'elle n'avait pas compétence pour examiner les «directives» n'a aucun effet juridique dans la mesure cette déclaration a été faite séparément des décisions con- cernant les appels. La déclaration n'est donc pas une «déci- sion» que cette cour a le pouvoir d'examiner en vertu de l'article 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale.
Il fut aussi décidé que le refus de la Commission d'admet- tre certains éléments de preuve ne pouvait faire l'objet d'un examen en vertu de l'article 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale.
Arrêts suivis: Le procureur général du Canada c. Cylien [1973] C.F. 1166 et British Columbia Packers Ltd. c. Le Conseil canadien des relations du travail [1973] C.F. 1194. Arrêts analysés: Toronto Newspaper Guild c.
Globe Printing Co. [1953] 2 R.C.S. 18; Bell c. Ontario Human Rights Commission [1971] R.C.S. 756 et R. c. Tottenham and District Rent Tribunal, Ex p. Northfield (Highgate) Ltd. [1957] 1 Q.B. 103.
APPEL.
AVOCATS:
Richard Gottlieb pour les requérants.
Peter T. Mclnenly pour les intimés.
PROCUREURS:
Gottlieb et Agard, Montréal, pour les requérants.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
LE JUGE EN CHEF JACKETT (oralement)—La présente demande fondée sur l'article 28 fut plaidée en même temps que la demande fondée sur l'article 28, portant le numéro du greffe A-148-73, et qui a le même intitulé. Je me propose donc de donner mon opinion au sujet de ces deux demandes à la fois. Elles ont toutes deux soulevé certaines questions quant à l'éten- due de la compétence de cette Cour en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970, c. 10 (2 e Supp.). Dans les deux affaires, les requérantes demandent à la Cour d'annuler une conclusion ou décision rendue par la Com mission du tarif au cours d'une audition com mune des appels interjetés en vertu de la Loi antidumping, S.R.C. 1970, c. A-15, et en vertu de la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, c. C-40 respectivement.
Comme la Cour n'était pas certaine d'avoir compétence pour entendre les demandes, au début de l'audience, l'avocat des requérants a évoqué devant la Cour la question du rejet des demandes pour défaut de compétence. La Cour ayant alors conclu qu'elle n'avait pas compé- tence pour entendre de ces demandes, elle n'en- tendit pas les avocats sûr le fond'de l'affaire. Je me propose de donner maintenant les motifs de cette conclusion.
Pour calculer le montant des droits de douane payables en vertu de la Loi sur les douanes, il faut déterminer en premier lieu «la valeur impo- sable»; pour calculer le montant des droits anti-
dumping payables en vertu de la Loi antidum- ping, il faut tout d'abord déterminer la «valeur normale» des marchandises importées. La «valeur imposable» et la «valeur normale» sont des concepts créés arbitrairement par les deux lois respectivement, à leurs fins propres, et il faut, pour toute importation donnée, calculer la «valeur imposable» et la «valeur normale» con- formément aux règles plus ou moins arbitraires prescrites dans ces lois.
Les articles 36 et 37 de la Loi sur les douanes établissent les règles applicables à la détermina- tion de la «valeur imposable», notamment la détermination du «coût de production», du «profit brut» et de la «juste valeur marchande»; il convient de considérer lesdits articles en cor- rélation avec l'article 40 de la Loi sur les doua- nes, qui se lit comme suit:
40. Lorsque des renseignements suffisants n'ont pas été fournis ni ne sont disponibles pour permettre la détermina- tion du coût de production, du profit brut ou de la juste valeur marchande aux termes de l'article 36 ou 37, le coût de production, le profit brut ou la juste valeur marchande, selon le cas, doit être déterminé de la manière que le Ministre prescrit.
L'article 11 de la Loi antidumping établit une règle- similaire pour le calcul des droits antidum- ping. Cet article se lit comme suit:
11. Lorsque, de l'avis du sous-ministre, des renseigne- ments suffisants n'ont pas été fournis ou ne sont pas dispo- nibles pour permettre de déterminer la valeur normale ou le prix à l'exportation en vertu de l'article 9 ou 10, la valeur normale ou le prix à l'exportation, selon le cas, sont détermi- nés de la manière que prescrit le Ministre.
Les différentes règles que le Ministre a prescrit en vertu de ces deux articles sont apparemment désignées par le terme «directives». La Cour a cependant décidé dans l'affaire M.R.N. c. Crea tive Shoes Ltd. [1972] C.F. 993 que les règles ainsi prescrites par le Ministre sont d'applica- tion générale et il serait plus exact, à mon avis, de les désigner par le terme «règlements». Cependant, vu la pratique à cet égard, il sera plus commode de les appeler «directives». Ces «directives» sont prises en vertu d'un pouvoir législatif délégué et contiennent des règles qu'on doit appliquer en même temps que les règles énoncées dans la Loi, au calcul de la «valeur imposable» ou de la «valeur normale», selon le cas.
Pour toute importation d'effets, la «valeur imposable» et la «valeur normale» sont détermi- nées aux fins de chaque loi par les fonctionnai- res des ministères, sous réserve d'une nouvelle détermination par le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise à la demande de l'importateur.' On peut interjeter appel de cette nouvelle détermination du sous- ministre à la Commission du tarif, en vertu de l'article 47 de la Loi sur les douanes, dont voici un extrait:
47. (1) Une personne qui se croit lésée par une décision du sous-ministre,
a) sur ... la valeur imposable,
peut appeler de la décision à la Commission du tarif en déposant par écrit un avis d'appel entre les mains du secré- taire de la Commission du tarif dans les soixante jours qui suivent la date à laquelle la décision a été rendue.
De même, on peut interjeter appel de cette nouvelle détermination du sous-ministre à la Commission du tarif, en vertu de l'article 19(1) de la Loi antidumping, rédigé comme suit:
19. (1) Une personne, qui s'estime lésée par une décision du sous-ministre, rendue en conformité du paragraphe 17(1) ou du paragraphe 18(4), relativement à des marchandises, peut appeler de cette décision à la Commission du tarif, en produisant un avis d'appel par écrit au sous-ministre et au secrétaire de la Commission du tarif, dans les 60 jours suivant la date à laquelle la décision a été rendue.
L'article 18(4) de ladite loi prévoit notamment que le sous-ministre peut, dans les cas ordinai- res, rendre une décision portant nouvelle déter- mination de la «valeur normale» et l'article 17(1) prévoit la possibilité pour le sous-ministre, dans certains cas particuliers, de faire «une détermination définitive du dumping», notam- ment «en évaluant ... le prix normal à l'expor- tation des marchandises».
Conformément à l'article 47 de la Loi sur les douanes, les requérants ont interjeté appel à la Commission du tarif d'une décision du sous- ministre portant sur la «valeur imposable» de certains effets importés, calculée en applicant des «directives» relatives à la détermination de
L'article 46(4) de la Loi sur les douanes et un article similaire, l'article 18(4) de la Loi antidumping, prévoient cette nouvelle détermination.
la «valeur imposable», prises en vertu de l'arti- cle 40 de cette loi. Conformément à l'article 19 de la Loi antidumping, les requérants ont inter- jeté appel devant la Commission du tarif d'une décision du sous-ministre portant sur la «valeur normale» des mêmes effets, calculée en appli- quant des «directives» relatives à la «valeur normale», prises en vertu de l'article 11 de cette loi. Les appels ont été entendus ensemble. Au cours de l'audience, dans des prétentions préli- minaires, lès requérants informèrent la Commis sion du tarif qu'ils contestaient les estimations de la valeur imposable et de la valeur normale au motif notamment que les «directives» n'était pas valables et l'avocat du procureur général du Canada fit valoir que la Commission du tarif n'était pas compétente pour traiter de la validité des «directives» ou pour examiner la preuve à cet égard. A la suite de ces plaidoiries, à ce stade préliminaire de l'audience, la Commission du tarif déclara qu'elle n'avait pas compétence pour examiner les «directives» et, ultérieure- ment, elle confirma les objections du procureur général du Canada à l'égard de certains élé- ments de preuve soumis par les requérants à cet égard.
Les demandes présentées en vertu de l'article 28 visent à obtenir l'annulation de la «déclara- tion» de la Commission du tarif, par laquelle elle affirmait ne pas avoir compétence pour traiter de la validité des «directives», et sa décision de ne pas admettre la preuve.
Je suis d'avis que la Cour n'a pas compétence en vertu de l'article 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale pour annuler la déclaration ou les déci- sions en cause. L'article 28(1) se lit comme suit:
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger une demande d'examen et d'annulation d'une déci- sion ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une commission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion de procédures devant un office, une commission ou un autre tribunal fédéral, au motif que l'office, la com mission ou le tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclu sion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
Il est important de retenir qu'en vertu de l'article 47 de la Loi sur les douanes, la Com mission du tarif doit se prononcer sur un appel interjeté d'«une décision ... sur ... la valeur imposable» et qu'en vertu de l'article 19 de la Loi antidumping (pris avec l'article 18(4)), elle doit trancher un appel interjeté d'une décision du sous-ministre portant nouvelle détermination de la «valeur normale». En vertu de la Loi sur les douanes, telle que je la conçois, la Commis sion du tarif a compétence pour rendre une décision sur la «valeur imposable des marchan- dises» (article 47(3)); à mon avis, c'est la «valeur normale» que la Commission a compé- tence de déterminer en vertu de la Loi antidum- ping, lors d'un appel à ce sujet, ainsi qu'appa- remment de déclarer «quel droit est payable ou qu'aucun droit n'est payable» (article 19(3)). Une telle décision peut évidemment faire l'objet d'une demande fondée sur l'article 28. En plus de sa compétence pour statuer sur les appels, la Commission du tarif a évidemment le devoir, et donc la compétence, de tenir des audiences qui sont des préliminaires nécessaires aux décisions que les textes législatifs lui imposent de rendre; lors d'une telle audition, elle a le pouvoir acces- soire de rendre les décisions nécessaires à la conduite régulière des procédures. A mon avis, cependant, une telle décision ne peut faire l'ob- jet d'une demande en vertu de l'article 28.
Je me propose d'expliquer en premier lieu pour quelles raisons j'ai conclu que la déclara- tion de la Commission par laquelle, à un stade préliminaire de l'audience, elle a affirmé ne pas avoir compétence pour traiter des «directives», ne relève pas de l'article 28.
A mon avis, la déclaration de la Commission du tarif portant qu'elle n'avait pas compétence pour examiner les «directives» est, aux fins présentes, de nature similaire à la décision de la Commission d'appel de l'immigration que la Cour a jugée ne pas relever de l'article 28, dans l'affaire Le procureur général du Canada c. Cylien [1973] C.F. 1166*, ou similaire encore à
* [Arrêt non publié au moment cette décision a été rendue—Éd.]
la décision du Conseil canadien des relations du travail que la Cour a jugée ne pas relever de l'article 28, dans l'affaire British Columbia Packers Ltd. c. Le Conseil canadien des rela tions du travail [1973] C.F. 1194*. Il ne faudra pas me tenir rigueur du fait que, dans une large mesure, l'explication de ma conclusion en l'es- pèce reprend le raisonnement de l'affaire Cylien.
Afin de déterminer si la Commission du tarif, en déclarant qu'elle n'avait pas compétence pour traiter des «directives», a rendu une «déci- sion» relevant de l'article 28(1), il faut se rappe- ler que la Commission du tarif est un office, une commission ou un autre tribunal fédéral au sens de la Loi sur la Cour fédérale, car il s'agit d'un organisme ayant, exerçant ou prétendant exer- cer «une compétence ou des pouvoirs» conférés par une loi du Parlement du Canada (article 2g) de la Loi sur la Cour fédérale). Une décision susceptible d'annulation en vertu de l'article 28(1) doit donc être une décision prise dans l'exercice ou le prétendu exercice d'«une com- pétence ou des pouvoirs» conférés par une loi du Parlement. Il va de soi qu'une décision du tribunal, prise en vertu d'«une compétence ou des pouvoirs» expressément conférés par la loi, est une «décision» relevant de cette catégorie. Une décision prise dans le prétendu exercice d'«une compétence ou des pouvoirs» conférés par la loi relève aussi manifestement de l'article 28(1). Une décision de ce genre a pour effet juridique de régler l'affaire, ou elle prétend avoir cet effet. Une fois que, dans une affaire donnée, le tribunal a exercé sa «compétence ou ses pouvoirs» en rendant une «décision», la question est tranchée et même le tribunal ne peut y revenir. 2
En l'espèce, le problème est différent. La Commission du tarif a la compétence ou les pouvoirs de trancher les appels interjetés d'une évaluation de la «valeur imposable» et d'une évaluation de la «valeur normale». Cependant elle n'a encore en aucune façon statué sur ces appels. Le problème soulevé devant la Commis sion du tarif à ce stade préliminaire, et au sujet duquel elle a fait une «déclaration» préliminaire,
.* [Arrêt non publié au moment cette décision a été rendue—Éd.]
2 A moins, bien sûr, qu'il ait les pouvoirs exprès ou implicites de défaire ce qu'il a fait, ce qui est une compé- tence supplémentaire.
est de savoir si, en se prononçant sur la valeur imposable ou la valeur normale, elle est autori- sée décider que les «directives» sont inopéran- tes parce que non valables. Décider si elle y est autorisée est une question de droit que la Com mission n'a pas la compétence ni le pouvoir de trancher indépendamment des appels sur les- quels il lui incombe de se prononcer. Bien sûr, pour pouvoir statuer, la Commission doit pren- dre position sur cette question, ce qui se reflé- tera dans sa décision; mais, à mon avis, toute déclaration de la Commission sur une question avant qu'elle ait réellement tranché un appel, et donc séparément de celui-ci, n'a aucun effet juridique. 3
Il existe une différence manifeste entre une «décision» de la Commission dont l'objet relève de sa «compétence et de ses pouvoirs» et une déclaration de ladite Commission sur la nature des pouvoirs qu'elle va exercer pour rendre une décision relevant de sa «compétence ou de ses pouvoirs». Une fois que la Commission, dans une affaire donnée, a rendu une décision rele vant de sa «compétence ou de ses pouvoirs», cette décision a un effet juridique et la Commis sion a épuisé ses pouvoirs à l'égard de cette affaire. Cependant, lorsque la Commission prend position sur la nature des pouvoirs qu'elle a l'intention d'utiliser, cette «décision» n'a aucun effet juridique. Dans un tel cas, il n'y a pas eu décision en droit. La Commission elle- même, quelle que soit sa composition, peut, au cours de l'affaire elle a pris position, changer d'avis à tout moment avant de régler ces appels et même se prononcer en se fondant sur cette nouvelle opinion.
Je conclus donc que la déclaration de la Com mission portant qu'elle n'avait pas compétence pour examiner la validité des «directives» n'a aucun effet juridique dans la mesure elle a été faite avant qu'il ne soit statué sur les appels des requérants, et donc séparément de ceux-ci. Il s'ensuit que la déclaration n'est pas une «déci- sion» que cette Cour a le pouvoir d'annuler en vertu de l'article 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale.
3 Les lois ne confèrent pas à la Commission, comme elles auraient pu le faire, le pouvoir de déterminer sa propre compétence.
Je vais examiner maintenant la demande fondée sur l'article 28 visant à annuler certaines décisions de la Commission du tarif faisant droit aux objections concernant l'admission de la preuve. A mon avis, le raisonnement à la suite duquel j'ai conclu qu'une déclaration prélimi- naire de la Commission concernant l'étendue de sa compétence ne relève pas, en soi, de l'article 28(1), permet également de conclure que le refus de la Commission d'admettre certains élé- ments de preuve ne relève pas, en soi, de l'arti- cle 28(1).
L'article 28(1) confère à la Cour compétence pour annuler une «décision» d'un tribunal en se fondant sur certains motifs; l'un d'eux consiste dans le refus du tribunal d'exercer sa compé- tence lorsqu'il a rendu une «décision». Si, lors d'une audition devant mener à une «décision», un tribunal refuse de procéder aux enquêtes pertinentes (et c'est en fait ce dont le requérant se plaint), on peut conclure, d'une part, que la décision résultant de l'enquête inadéquate peut être annulée parce que le tribunal, en rendant cette décision, a refusé d'exercer sa compé- tence. (Voir l'arrêt Toronto Newspaper Guild c. Globe Printing Company [1953] 2 R.C.S. 18 rendu par le juge Kellock, page 35. 4 ) D'autre part, au cours de l'audition, on peut rendre des décisions incidentes qui, lorsque l'affaire est tranchée, peuvent fonder l'annulation de la «décision» définitive au motif que le tribunal, se fondant sur ces décisions incidentes, n'a pas observé un principe de justice naturelle en ren- dant la «décision» attaquée. A mon avis, ni le refus de procéder aux enquêtes pertinentes, ni aucune autre décision incidente prise au cours de l'audition ne constituent une «décision» sus ceptible d'annulation en vertu de l'article 28(1). 5
4 Un tel refus d'exercer sa compétence est très différent d'un refus injustifié d'accorder un redressement en invo- quant le défaut de compétence pour le faire. Abstraction faite de l'article 28(3) de la Loi sur la Cour fédérale, on peut avoir recours à un bref de mandamus (Commission des Relations de travail du Québec c. L'Association Unie des Compagnons et Apprentis de l'Industrie de la Plomberie et Tuyauterie des États-Unis et du Canada [1969] R.C.S. 466). Nous n'avons pas à décider en l'espèce si un tel refus relève de l'article 28(1).
5 A moins, bien sûr, que le tribunal ait le pouvoir spécial de rendre de telles décisions interlocutoires de manière à leur donner un effet juridique indépendant. Il faut souligner que nous examinons ici la portée du terme «décision» à l'article 28(1). Des considérations tout à fait différentes s'appliqueraient au cas d'une demande d'annulation d'une «ordonnance».
Ni un refus ni une décision de cet ordre n'a, ou ne prétend avoir, d'effet juridique, même à l'égard du tribunal. Dans les deux cas, le tribu nal peut, avant de rendre sa décision sur l'af- faire qui lui est soumise, reconsidérer la ques tion et prendre des mesures correctives, auquel cas il n'y aura eu aucun mal et, même si le tribunal ne reconsidère pas la question, il est possible que l'opinion exprimée ou la décision rendue à tort au cours de l'audition ne faussent en aucune façon la décision finale. A mon avis, l'opinion exprimée et la décision rendue à tort par un tribunal au cours d'une audience, ne relèvent pas, en elles-mêmes, de l'article 28. Bien sûr, elles n'ont aucun rapport direct avec la décision rendue par le tribunal dans l'exercice de sa compétence pour rendre des décisions, à moins qu'elles n'entraînent l'invalidité de ladite décision.
En d'autres termes, dans la plupart des cas auxquels s'applique l'article 28(1), le tribunal a une compétence principale pour rendre des décisions ou des ordonnances et, dans ce cadre, une compétence incidente pour tenir des audi tions en conformité du droit; à mon avis, l'arti- cle 28(1) autorise seulement l'annulation d'une décision ou ordonnance que le tribunal a rendu dans l'exercice ou le prétendu exercice de sa compétence à cet égard. Il s'ensuit qu'une erreur du tribunal dans la conduite d'une audi tion aboutissant à une telle décision ou ordon- nance n'est pertinente, lorsqu'il s'agit de statuer sur une demande fondée sur l'article 28, que si cette erreur a entraîné l'invalidité de la décision ou de l'ordonnance rendue dans l'exercice de la compétence du tribunal à cet égard. 6
A mon avis, les deux demandes fondées sur l'article 28 doivent donc être rejetées car la Cour n'a pas compétence en vertu dudit article pour annuler la déclaration et les décisions en cause.
6 L'article 28(1) lui-même fait cette distinction. Un tribu nal a normalement compétence pour entendre et statuer ou décider quelque chose. Si la conduite de l'audience n'est pas conforme au droit, la conclusion ou décision du tribunal peut être invalide. L'article 28(1) donne à la Cour compé- tence pour «entendre» une demande d'examen et d'annula- tion d'une «décision» d'un tribunal et pour «juger» cette demande. L'article 28(1) ne donne pas à la Cour compétence pour se prononcer sur la conduite de l'audition du tribunal, sauf dans la mesure elle a pu influencer la validité de la «décision» finale du tribunal.
ANNEXE
I. Il est utile à mon avis de répéter ici, sous forme d'annexe, ce que j'ai ajouté à mes motifs dans l'affaire Cylien.
II. En concluant de la sorte dans cette affaire, je n'ai pas négligé le fait que l'article 28(1)a) mentionne expressément le cas un tribunal excède sa compétence ou refuse de l'exercer. A mon avis, l'alinéa a) pris dans son contexte n'est pas incompatible avec cette conclusion et vient même l'étayer. Le passage pertinent de l'article 28(1) donne compétence pour juger une demande d'annulation d'une «décision ou ordonnance» au motif que le tribunal qui l'a rendue
(i) «n'a pas observé un principe de justice naturelle»,
(ii) «a ... excédé ... sa compétence», ou
(iii) «refusé d'exercer sa compétence».
Ce texte en lui-même ne confère pas compé- tence pour décider qu'un tribunal n'a pas observé un principe de justice naturelle, a excédé ou a refusé d'exercer sa compétence. Il fixe plutôt les «motifs» d'annulation d'une «décision ou ordonnance». Ainsi, une «décision ou ordonnance» peut être annulée au motif que le tribunal a omis d'observer un principe de justice naturelle en la rendant. De même, une «décision ou ordonnance» peut être annulée au motif qu'elle résultait de l'exercice d'une com- pétence que le tribunal n'avait pas ou du fait qu'en rendant cette décision ou ordonnance, le tribunal a refusé d'exercer une partie de sa compétence. L'arrêt Toronto Newspaper Guild c. Globe Printing Company [1953] 2 R.C.S. 18 est un exemple d'annulation d'une décision ou ordonnance parce qu'en la rendant, le tribunal a refusé d'exercer sa compétence; dans cette affaire, le juge Kellock, prononçant le jugement au nom des juges Estey et Locke et en son nom, expliquant qu'on doit annuler l'ordonnance d'une commission quand cette dernière refuse de faire une enquête sur un des faits essentiels à sa décision, déclare à la page 35: [TRADUCTION] «c'était l'obligation même que la Loi imposait à la Commission. En refusant de le faire, la Commission a en fait refusé d'exercer sa compétence.»
III. A propos du problème soulevé par la demande fondée sur l'article 28, il n'est pas superflu de signaler que, dans les cas ob l'article 28 ne s'applique pas, on ne peut demander un bref de certiorari lorsque la Commission a refusé de conclure qu'elle n'a pas compétence, avant que la Commission ait rendu une décision en exerçant la compétence qu'elle prétend avoir mais qu'en fait, elle n'a pas. Dans l'affaire Bell c. Ontario Human Rights Commission [1971] R.C.S. 756, on trouve un refus de ce genre (voir à la page 764, le juge Martland) et un bref de prohibition fut demandé. La Cour d'appel de l'Ontario décida que la demande de bref de prohibition était prématurée, mais sa décision fut infirmée par la Cour suprême du Canada. Le juge Martland (prononçant le jugement de la majorité de la Cour suprême du Canada), en étudiant les rôles respectifs des brefs de prohi bition et de certiorari, se référa à la page 772 de l'arrêt R. c. Tottenham and District Rent Tri bunal, Ex p. Northfield (Highgate) Ltd. [1957] 1 Q.B. 103, ob Lord Goddard déclarait, à la page 107:
Mais M. Winn nous a demandé de dire si, à notre avis, les requérants étaient fondés à demander une ordonnance de prohibition à cette Cour et s'ils n'auraient pas plutôt s'adresser au tribunal et soulever la question devant lui. Bien sûr, ils auraient pu soulever la question devant le tribunal et si ce dernier leur avait donné raison, tant mieux. Si toutefois, il leur avait donné tort, ils auraient été obligés de saisir cette Cour-ci de l'affaire et de demander une ordonnance de certiorari plutôt que de prohibition; mais à mon sens, il serait impossible et tout à fait inopportun d'établir une règle précise pour déterminer quand une per- sonne qui conteste la compétence d'un tribunal doit s'adres- ser à celui-ci ou demander une ordonnance de prohibition en cette Cour. Lorsque se pose, comme en l'espèce, une ques tion de droit parfaitement simple, brève et claire, il me semble tout indiqué, et certainement possible pour les requé- rants, de demander à cette Cour-ci de rendre une ordon- nance de prohibition. Cela n'empêcherait pas le tribunal en question de poursuivre l'audition de l'affaire, s'il le désire, durant le délai accordé pour demander l'ordonnance de prohibition et pendant l'audition de la requête; bien entendu, si une ordonnance de prohibition est décernée, il ne lui sera pas possible de rendre une décision, et si aucune ordon- nance de prohibition n'est décernée, il pourra faire connaître sa décision. Pour ma part, je dirais que lorsque se pose une question de droit manifeste qui ne dépend pas de faits particuliers—car aucun fait n'est en litige en l'espèce—rien n'empêche les requérants de s'adresser directement à cette Cour-ci pour obtenir une ordonnance de prohibition plutôt que d'attendre de voir si la décision leur sera défavorable, éventualité qui les obligerait à demander une ordonnance de certiorari.
Lorsqu'il utilise le mot «décision», Lord God- dard se réfère à une décision d'un tribunal rendue dans l'exercice de sa «compétence ou des pouvoirs» qu'il prétend avoir, et non à une décision portant qu'une question particulière relève de sa compétence. Cela ressort claire- ment lorsqu'il déclare: «si aucune ordonnance de prohibition n'est décernée, il pourra faire connaître sa décision».
IV. Il est utile à mon avis d'ajouter un com- mentaire à ce que j'ai exposé dans l'annexe à mes motifs dans l'affaire Cylien. Décider dans quelle mesure les procédures des tribunaux administratifs seront soumises à un contrôle judiciaire est bien sûr une question de politique qu'il appartient au Parlement de trancher. Il incombe aux tribunaux d'interpréter et d'appli- quer les lois par lesquelles le Parlement exprime ses préférences. Cependant, il n'est pas entière- ment sans rapport avec l'interprétation judi- ciaire d'une loi que l'opinion adoptée vise, ou au contraire ne vise pas, la réalisation de l'objet de la lo if Voir l'article 11 de la Loi d'interpréta- tion. A mon avis le but des articles 18 et 28 de la Loi sur la Cour fédérale est de fournir un contrôle judiciaire rapide et efficace des travaux des offices, commissions ou autres tribunaux fédéraux avec une ingérence minimale dans ces travaux. Si, en tenant compte de ce point de vue, on applique l'article 11 de la Loi d'interpré- tation à la question soulevée par les demandes fondées sur l'article 28, il faut reconnaître que le fait que la Cour n'a pas le pouvoir d'examiner la position prise par un tribunal quant à sa propre compétence ou quant à des questions de procédure au tout début de l'audience peut entraîner, dans certains cas, la tenue d'auditions coûteuses qui seraient sans issue. Par contre, si une des parties, peu désireuse de voir le tribunal s'acquitter de sa tâche, avait le droit de deman- der à la Cour d'examiner séparément chaque position prise ou chaque décision rendue par un tribunal, lors de la conduite d'une longue audience, elle aurait en fait le droit de faire
7 L'article 11 de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23, se lit comme suit:
11. Chaque texte législatif est censé réparateur et doit s'interpréter de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de ses objets.
obstacle au tribunal. A tout prendre, il semble que le but de l'article 28 sera atteint plus effica- cement si le droit de demander un examen judi- ciaire intervient seulement après que le tribunal a rendu sa décision. Il n'y aura donc aucun retard inutile dans les cas le tribunal ne commet pas d'erreur en exprimant des opinions ou en prenant des décisions intermédiaires et, même si le tribunal commet une erreur à un stade intermédiaire, de telles erreurs n'influe- ront pas dans la plupart des cas sur le résultat final de manière suffisante pour justifier le recours à l'examen judiciaire. Si l'on admet qu'il y a des problèmes qui devaient être résolus de manière judiciaire à un stade intermédiaire, aucune des parties ne doit assurément avoir le droit de décider si une situation donnée l'exige. A cet égard, il est intéressant de remarquer que le Parlement a donné au tribunal le pouvoir discrétionnaire nécessaire pour traiter de ces problèmes. Voir l'article 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale qui autorise un tribunal «à tout stade de ses procédures» à renvoyer devant la Cour «toute question de droit, de compétence ou de pratique, ... pour audition et jugement».
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LE JUGE PRATTE et LE JUGE SUPPLÉANT HYDE ont souscrit à l'avis.
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