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T-1202-74
Gerald Joseph Johns (Demandeur)
c.
Le commissaire des pénitenciers (Défendeur)
Division de première instance, le juge Catta- nach—Saskatoon, le 19 mars; Ottawa, le 4 avril 1974.
Pénitenciers—Un détenu demande un jugement déclara- toire portant qu'il est détenu illégalement—Doutes quant à la compétence de la Cour pour rendre un jugement déclaratoire ayant le même effet qu'un bref d'habeas corpus—Invalidité du premier mandat de dépôt—Validité du second mandat— Le gardien du pénitencier a été avisé de la substitution—Le mandat doit-il porter la signature du magistrat ou peut-il ne porter que la signature du greffier—Action rejetée—Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34, art. 306(1)b), 313a), 421a), 461, 500(5) et formule 18, et 534(6)—Loi sur la Cour fédérale, art. 18a) et 28.
Le détenu demande un jugement déclaratoire portant qu'il est détenu illégalement dans un pénitencier en vertu de mandats de dépôt irréguliers.
Arrêt: l'action est rejetée. La Cour a exprimé ses doutes quant à sa compétence à accorder un jugement déclaratoire en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale sur une question pouvant aussi faire l'objet d'une demande d'habeas corpus. L'article 18 ne l'inclut pas dans la compétence exclusive de la Division de première instance, mais il relève de la compétence inhérente des tribunaux de common law. Le premier mandat était nul car il omettait de mentionner le fait que le prévenu avait été déclaré coupable de l'infraction pour laquelle il avait été condamné. Le mandat était en outre irrégulier en ce qu'il déclarait que le demandeur avait été condamné pour introduction par effraction, alors qu'il avait plaidé non coupable à cet égard, et avait plaidé coupable d'une autre infraction, possession de biens volés, et n'avait été condamné que pour cette dernière, en conformité de l'article 534(6) du Code criminel. Par contre, le deuxième mandat devant remplacer le premier faisait état de la décla- ration de culpabilité et de l'infraction et, bien qu'il ne mentionnât pas, à l'intention du gardien du pénitencier, qu'il devait remplacer le premier mandat, il suffit que le gardien ait été avisé par d'autres moyens.
Une autre cour condamna le demandeur à une période d'emprisonnement consécutive pour une infraction distincte; le mandat de dépôt décerné à cet égard portant la signature du greffier de la Cour au lieu de celle du magistrat était conforme à l'article 500(5) du Code criminel.
Distinction faite avec l'arrêt: Rex c. Lyons [1946] 2 W.W.R. 727. Arrêts examinés: Re Bond [1936] 3 D.L.R. 769; Ex p. Cross (1857) 26 L.J.M.C. 201 ;Ex p. Smith (1858) 27 L.J.M.C. 186. Arrêt suivi: In re Joe Go Get [1930] R.C.S. 45.
ACTION.
AVOCATS:
Peter V. Abrametz pour le demandeur. D. F. Friesen pour le défendeur.
PROCUREURS:
Eggum & Dynna, Prince Albert, Sask., pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
LE JUGE CATTANACH—Dans sa déclaration, le demandeur demande un jugement déclara- toire portant qu'il est détenu de manière illicite et illégale au pénitencier de Prince Albert et que le mandat en vertu duquel il y est détenu est irrégulier.
Le demandeur, connu aussi sous le nom de Jerry Johns, a été jugé le 7 juin 1972. L'inculpa- tion précisait que, le 13 février 1972 ou vers cette date, il s'était introduit par effraction dans les bureaux du Yukon Territory Game Branch à Whitehorse (le territoire du Yukon) et y avait commis une infraction, en violation de l'article 306(1)b) du Code criminel.
Pour l'infraction dont il était inculpé le demandeur a plaidé non coupable; mais il plaida coupable pour une autre, la possession de biens volés d'une valeur de plus de $50, en violation de l'article 313a) du Code criminel. Le magistrat présidant, avec le consentement du procureur de la Couronne, exerça son pouvoir discrétion- naire et accepta le plaidoyer de culpabilité du demandeur, en conformité de l'article 534(6) du Code criminel.
Il est donc évident que le demandeur n'a pas été déclaré coupable d'introduction par effrac- tion et qu'il ne fut donc pas condamné sous ce chef d'accusation, mais qu'il a été déclaré cou- pable de l'autre infraction, savoir être en pos session de biens volés.
Le 7 juin 1972, la suite de la condamnation du demandeur pour cette infraction, le magistrat présidant le condamna à purger une peine de deux ans dans un pénitencier.
Le même jour, le magistrat signa un mandat de dépôt sur déclaration de culpabilité, joint comme pièce «A» à l'exposé conjoint des faits.
Le mandat a été rédigé sur un imprimé con- forme à la formule 18 de l'annexe au Code criminel, mais l'expression «déclaré coupable» a été biffée et remplacée par le mot «condamné».
Selon la jurisprudence, l'énoncé du mandat du dépôt doit absolument mentionner le fait que le prévenu a été déclaré coupable.
Ladite omission dans le mandat de dépôt (pièce «A») entraîne sa nullité.
Le mandat est en outre inexact en ce qu'il déclare que le demandeur a été condamné sur une accusation d'introduction par effraction en violation de l'article 306(1)b) du Code criminel, ce qui n'est pas le cas. Il n'a pas été déclaré coupable de cette infraction mais d'une autre, savoir, être en possession de biens volés. Il a donc été condamné à un emprisonnement de deux ans pour ladite infraction.
Cependant, même si l'on peut contester la validité du mandat détenu par le gardien d'une prison, comme l'habilitant à détenir sous garde le prisonnier y mentionné, et obtenir gain de cause, il ressort clairement de nombreux précé- dents qu'un mandat invalide peut être remplacé par un deuxième mandat, rédigé en bonne et due forme. Ce deuxième mandat suffit à fonder une fin de non-recevoir à une demande de bref d'habeas corpus à condition qu'il existe au moment la Cour se prononce sur cette demande et même s'il n'existait pas auparavant.
Dans l'affaire présente, un deuxième mandat de dépôt, pièce «B» jointe à l'exposé conjoint des faits, a été rédigé afin de remplacer le premier mandat (pièce «A») qui n'était pas valide.
Le deuxième mandat (pièce «B») déclare à juste titre que le demandeur dans cette action a été dûment jugé à la date donnée, sur une incul- pation d'introduction par effraction, en violation de l'article 306(1)b) du Code, mais qu'il a été déclaré coupable d'une autre infraction, confor- mément à l'article 534(6) du Code, pour laquelle il a été condamné à un emprisonnement de deux ans.
Ce deuxième mandat contient des renseigne- ments corrects et il est valide.
L'avocat du demandeur soutient que le deuxième mandat est irrégulier en ce qu'il ne porte aucun visa ordonnant au gardien de la prison de le substituer au premier.
L'avocat du demandeur appuie cette proposi tion sur l'arrêt Rex c. Lyons', dans lequel le juge Harper affirmait, à la page 728:
[TRADUCTION] ... Si il y a une erreur dans un mandat de dépôt, on peut le remplacer par un nouveau, mais il convient d'informer le gardien de la prison, par le visa apposé sur le nouveau mandat de dépôt, que ce mandat doit être substitué au premier.
Le juge Harper ajouta, à la page 729:
[TRADUCTION] Si il n'est pas indiqué que ce deuxième mandat doit être substitué au mandat d'origine, il n'aura aucune valeur.
Le juge Harper déclara aussi, à la page 729:
[TRADUCTION] ... le nouveau mandat doit préciser qu'il remplace le mandat d'origine.
Dans l'affaire Lyons (précitée), le prévenu avait été déclaré coupable du vol d'un appareil photographique et d'autres effets personnels dont la valeur totale était, selon les allégations, inférieure à $25, et avait été incarcéré dans une prison commune pour une période d'un an. Le premier mandat de dépôt ordonnait au gardien de la prison de détenir le prévenu sous garde pendant un an.
En prononçant une telle condamnation à l'en- contre du prévenu, le magistrat supposait à tort que la valeur des effets volés était supérieure à $25. Après avoir été informé de son erreur, il fit comparaître à nouveau le prévenu pour lui expliquer le malentendu et lui dire qu'il n'aurait pas être condamné à un an d'emprisonne- ment. Il le condamna alors à un emprisonne- ment de six mois à compter de la date de la première condamnation et décerna un deuxième mandat de dépôt pour ces six mois. Il n'était aucunement mentionné sur ce second mandat qu'il remplaçait le mandat d'origine. Le gardien de la prison détenait donc deux mandats incom patibles, l'un pour une période de six mois et
' [1946] 2 W.W.R. 727.
l'autre pour une période de douze mois, pour la même infraction.
J'estime qu'il n'est pas absolument indispen sable que le deuxième mandat porte la mention expresse du fait qu'il remplace le premier mandat, même si cette pratique est recomman- dable.
Par exemple, la Cour d'appel de la Nouvelle- Écosse décida dans l'arrêt Re Bonde, que des instructions écrites au shérif jointes au mandat de remplacement, et non pas vraiment apposées à ce mandat, étaient suffisantes.
Dans l'arrêt Re Bond, on discuta la question de savoir si le deuxième mandat devait mention- ner le fait qu'il remplaçait le mandat précédent.
Le juge Doull affirma, à la page 782:
[TRADUCTION] Il semble que la règle à suivre soit celle que Paley énonce dans son ouvrage On Convictions:—[mADuc- TION] «Lorsqu'un mandat de dépôt est irrégulier, on ne peut le révoquer, l'annuler ou le modifier. On ne peut le modifier comme un acte d'accusation, mais s'il est erroné, on peut remettre au gouverneur de la prison un nouveau mandat portant un visa ordonnant au gouverneur de la prison de le substituer au mandat initial; c'est en vertu du deuxième mandat que le prisonnier sera détenu.» Paley on Summary Convictions, 9e ed. p. 627; Ex p. Cross (1857), 26 L.J.M.C. 201.
Il continua ainsi, à la page 782:
[TRADUCTION] Même si le mandat précédent n'y est aucune- ment mentionné, le second mandat est valide si les faits ressortent de manière suffisante; tel était le cas dans l'af- faire Ex p. Smith (1858), 27 L.J.M.C. 186, la p. 187.
Vu ce qui précède, je suis d'avis qu'il faut démontrer que le gardien du pénitencier savait bien en vertu de quel mandat il était autorisé à détenir une personne sous garde. Si l'on établit ce fait, le défaut de visa sur le deuxième mandat portant qu'il doit être substitué au premier n'en- traîne pas la nullité.
Selon l'exposé conjoint des faits, le deman- deur s'est aperçu que le mandat de dépôt d'ori- gine (pièce *A»), était irrégulier.
Toujours selon l'exposé conjoint des faits, le demandeur avait été informé par les fonction- naires de la prison, en septembre 1972, environ
2 [1936] 3 D.L.R. 769.
trois mois après le début de la peine d'emprison- nement de deux ans à laquelle il avait été con- damné, qu'un deuxième mandat de dépôt (pièce «B») avait été substitué au premier (pièce «A») et qu'il était détenu sous garde en vertu dudit deuxième mandat (pièce «B»).
Il est donc évident d'après les faits admis par les parties que le gardien du pénitencier savait exactement en vertu de quel mandat le deman- deur était détenu sous garde.
En outre, je ne néglige pas les fréquentes mises en garde contre l'utilisation de subtilités de procédure à l'occasion de demandes de bref d'habeas corpus. Le juge Rinfret (alors juge puîné) a déclaré dans l'affaire In re Joe Go Geta la page 55]:
[TRADUCTION] Les tribunaux ne devraient pas autoriser l'uti- lisation d'un bref aussi important pour libérer des criminels sur des questions de pure procédure. L'esprit du droit criminel, et en particulier du droit concernant les déclara- tions sommaires de culpabilité, veut que les irrégularités et vices de forme soient corrigés de manière «à éviter un déni de justice».
Même si l'affaire présente m'a été soumise par voie d'une déclaration demandant un juge- ment déclaratoire en vertu de l'article 18a) de la Loi sur la Cour fédérale, portant que le deman- deur est détenu illégalement sous garde, le redressement recherché :st, pour l'essentiel, identique à celui que l'on peut obtenir par l'ob- tention d'un bref d'habeas corpus. En vertu de l'article 18, le bref d'habeas corpus n'est pas compris dans les compétences exclusives de la Division de première instance.
Dans une autre affaire, j'ai exprimé des doutes quant à ma compétence pour me pronon- cer par voie de jugement déclaratoire lorsqu'une question pouvait à juste titre faire l'objet d'une demande d'habeas corpus qui relève de la com- pétence inhérente des tribunaux de common law. Je maintiens mon point de vue, mais je n'ai pas l'intention de me prononcer sur la question.
Je considère que les décisions relatives à un bref d'habeas corpus sont utiles et constituent des précédents valables en l'espèce.
3 [1930] R.C.S. 45.
Pour revenir à la déclaration du juge en chef Rinfret, citée plus haut, selon laquelle des irré- gularités et vices de forme doivent être corrigés de manière à éviter un déni de justice, il ne faut pas oublier que dans une affaire criminelle il peut y avoir déni de justice à l'encontre de deux parties, Sa Majesté la Reine d'une part, et le prévenu de l'autre.
En l'espèce, le demandeur n'a subi aucun préjudice, et il ne risque aucunement d'en subir un, comme c'était le cas du prévenu dans l'af- faire Rex c. Lyons (précitée).
Dans cette affaire, on avait émis un mandat de dépôt pour une période de six mois. Le prévenu risquait donc d'être détenu pendant douze mois en vertu du premier mandat tou- jours en vigueur, bien qu'il ait été condamné à cette peine par erreur, alors que la peine cor- recte était seulement de six mois comme l'indi- quait le second mandat qui co-existait avec le premier.
En l'espèce, le demandeur a été condamné à une période d'emprisonnement de deux ans en vertu du premier mandat, reconnu irrégulier, et il a été incarcéré pour la même période en vertu du deuxième mandat. Les deux mandats portent la même date. Il est d'usage en effet que le mandat de remplacement porte la même date que le mandat d'origine (voir l'arrêt Re Bond (précité)). Dans les deux cas donc, la période d'emprisonnement est comptée à partir de la date du mandat. En conséquence, le demandeur ne risquait aucunement d'être incarcéré pour une période plus longue que celle à laquelle il avait été légalement condamné.
A mon avis, les irrégularités du premier mandat étaient plus que de simples erreurs de procédure. Le premier mandat omettait de men- tionner que le demandeur avait été déclaré cou- pable et la description de l'infraction dont il avait été déclaré coupable était erronée. Ce mandat était donc nul. Les deux erreurs ont été corrigées dans le deuxième mandat, ce qui est permis et régulier.
En raison des circonstances de cette affaire, je considère que le fait d'avoir négligé de men- tionner sur le deuxième mandat qu'il devait être substitué au premier constitue une question de
forme et non un fait essentiel, comme c'était le cas dans l'affaire Lyons (précitée). En effet, en l'espèce présente, le gardien du pénitencier a été informé, autrement que par un visa figurant sur le deuxième mandat, que celui-ci était réelle- ment le mandat en vertu duquel le demandeur était détenu, comme le démontre l'exposé con joint des faits. Pour le reste, il suffit de s'en rapporter aux motifs que j'ai exprimés plus haut.
Le 20 septembre 1972, le demandeur a été jugé et déclaré coupable d'avoir tenté, le 19 mai 1972 ou vers cette date, d'avoir des rapports sexuels avec une personne de sexe féminin, qui n'est pas son épouse, et de moins de quatorze ans, en violation de l'article 421a) du Code criminel. Il fut condamné à une période d'empri- sonnement de trois années, consécutive à tout autre peine alors en cours.
Un mandat de dépôt sur déclaration de culpa- bilité, daté du 26 septembre 1972, fut décerné à Whitehorse, dans le territoire du Yukon, selon la formule 18 prescrite dans l'annexe au Code criminel. Ce mandat est la pièce «C» à l'exposé conjoint des faits.
On a contesté la validité de ce mandat parce qu'il portait la signature du greffier de la Cour territoriale au lieu de celle du magistrat.
L'article 500(5) du Code criminel dispose que:
500... .
(5) Lorsqu'un prévenu, autre qu'une corporation, est con- damné, le juge ou le magistrat, selon le cas, doit décerner ou faire décerner un mandat de dépôt suivant la formule 18, et l'article 461 s'applique à l'égard d'un mandat de dépôt décerné sous le régime du présent paragraphe.
Le passage important de ce paragraphe en l'espèce est celui qui dispose que le magistrat doit décerner «ou faire décerner un mandat de dépôt».
Le greffier de la Cour est un fonctionnaire de la Cour et, en tant que tel, il doit suivre les directives du magistrat présidant. Il appert donc que le magistrat fit décerner le mandat par un fonctionnaire, selon ses instructions. La men tion faite de l'article 461 dans l'article 500(5) du Code criminel n'a aucun rapport avec la question.
En outre la formule 18, qui fait partie de la Loi, indique qu'elle devra porter la signature du greffier de la Cour, du juge ou du magistrat.
Il découle des motifs exprimés ci-dessus que le demandeur n'a droit à aucun redressement demandé dans la déclaration. Il n'y a dans la défense aucune mention des dépens au défen- deur s'il obtient gain de cause. Il n'y aura donc pas d'adjudication de dépens.
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