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A-144-73
Price (Nfld.) Pulp and Paper Limited (Appelante)
c.
La Reine (Intimée)
Cour d'appel, les juges Thurlow, Pratte et Urie—Ottawa, du 15 au 17 octobre 1974.
Taxes de vente—Achat d'une machine à tempérament— Paiement des taxes de vente simultanément aux versements— Modification de la Loi exemptant la machine achetée— Aucun recouvrement des taxes versées avant ladite modifica- tion—Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1952, c. 100, art. 30, 32, 46 et Annexe III, modifiée par S.C. 1967-68, c. 29, art. 11 et 13.
L'appelante demande par voie de pétition de droit le remboursement des sommes versées par la Dominion Engi neering Works Limited à la Couronne, au titre de taxes de vente, sur le prix d'une machine à papier journal construite par cette dernière pour l'appelante. Le contrat de construc tion et de vente stipulait le paiement d'environ cinq millions de dollars en douze versements, le remboursement par l'acheteur des sommes versées par le vendeur à la Couronne à titre de taxes de vente et le transfert du titre de propriété après acquittement du prix total. Neuf acomptes sur le prix total furent versés entre le 23 décembre 1965 et le 8 mars 1967 et le vendeur paya sur ces acomptes la somme de $440,000 en taxes de vente. Après le remboursement par la Couronne d'une certaine somme, en raison de modifications des taux de taxation pendant cette période, le solde se chiffrait à $267,460. La requérante réclame ce montant au motif qu'aucune taxe de vente n'était applicable ou payable en raison de la modification statutaire exemptant la machine, objet du contrat de vente. La Division de première instance a rejeté la pétition. La requérante a interjeté appel.
Arrêt: les dispositions de l'article 30(1)a)(ii) de la Loi sur la taxe d'accise entraînaient l'assujettissement immédiat et inconditionnel à la taxe de vente des acomptes versés sur le prix des marchandises vendues à tempérament, à la date d'échéance de chacun desdits acomptes. La modification de l'Annexe III de la Loi, étendant l'exemption de taxes à la machine en cause, résulte de l'entrée en vigueur de l'article 11(1) du c. 29 de S.C. 1967-68. La Loi fut promulguée le 6 mars 1968, mais l'article 13(1) disposait que l'article 11(1) était censé être entré en vigueur le 2 juin 1967. La mention d'une date précise d'entrée en vigueur de la modification indique clairement qu'elle ne devait avoir aucun autre effet rétroactif. Les versements de la taxe dont on demande le remboursement étaient tous exigibles en vertu de la législa- tion applicable avant l'entrée en vigueur de la modification étendant l'exemption. En outre, l'appelante ne fut pas assu- jettie à ladite taxe et ne paya rien à ce titre, et, vis-à-vis de la Couronne, elle ne fut jamais propriétaire des sommes ver sées par le vendeur en paiement des taxes de vente.
Distinction établie avec l'affaire Le Roi c. Dominion Engineering Company Limited [1944] R.C.S. 371; arrêt examiné: La Reine c. M. Geller Inc. [1963] R.C.S. 629.
APPEL.
AVOCATS:
Gordon F. Henderson, c.r., et Y. A. G.
Hynna pour l'appelante.
Duff Friesen pour l'intimée.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés par
LE JUGE THURLOW: Appel est interjeté d'un jugement de la Division de première instance rejetant l'action intentée par l'appelante aux présentes pour obtenir le remboursement des montants payés par la Dominion Engineering Works Limited à titre de taxes sur le prix de vente d'une machine à papier journal qu'elle avait fabriquée pour l'appelante et qu'une entre- prise de technogénie connue sous le nom de Rust Associates Ltd. avait installée dans l'usine de cette dernière.
En première instance, la réclamation fut entendue en même temps qu'une réclamation similaire de la Compagnie Price Limitée sur la preuve commune aux deux affaires et un exposé conjoint des faits qui est cité dans sa totalité dans les motifs de jugement du savant juge de première instance [[1973] C.F. 964]. Aux fins du présent appel, un bref exposé suffira.
La Dominion Engineering Works Limited s'engagea, par contrat, à construire et à vendre la machine en juin 1966. Ce contrat prévoyait que le paiement du prix d'achat, se chiffrant à environ cinq millions de dollars se ferait en douze versements à des dates précises, réparties sur la période allant du 31 décembre 1965 au 30 septembre 1967; il précisait que toutes les taxes de vente seraient payées par l'acheteur. Il pré- voyait aussi que le titre de propriété de la machine ne serait transféré à l'acheteur qu'après acquittement du prix total. Au moment du dépôt de la pétition de droit, la machine avait été installée et fonctionnait, mais il restait à payer environ $58,000 du prix d'achat.
Entre le 23 décembre 1965 et le 8 mars 1967, l'appelante, conformément au contrat, effectua neuf acomptes sur le prix total, s'élevant à envi- ron $4,000,000 et versa les montants nécessai- res au paiement des taxes de vente en vigueur et devenues exigibles; la Dominion Engineering Works Limited versa divers montants se chif- frant au total à $440,000 au Receveur général du Canada en paiement des taxes de vente sur ces acomptes. Sur cette somme, environ $172,- 539.00 furent remboursés à la Dominion Engi neering Works Limited en raison de modifica tions des taux de taxation pendant cette période. L'appelante réclame le paiement du reste des $440,000 versés, soit la somme de $267,460.62.
En bref, la réclamation se fonde sur le fait qu'aucune taxe n'était payable sur les acomptes puisqu'avant la transformation du contrat de vente en vente effective, les machines de ce genre avaient été exemptées de taxe de vente de sorte qu'aucune taxe ne devait être perçue sur la vente de la machine en cause. La Couronne n'accepte pas cette prétention et soutient en outre qu'elle n'est pas tenue de rembourser quelque chose à l'appelante même dans le cas aucune taxe n'était exigible.
Le paragraphe 30(1) de la Loi sur la taxe d'accise, alors en vigueur et qui ne subit aucune modification importante pendant toute l'époque en cause, prévoyait que:
30. (1) Est imposée, prélevée et perçue une taxe de con- sommation ou de vente de neuf pour cent sur le prix de vente de toutes marchandises
a) produites ou fabriquées au Canada,
(i) payable, dans tout cas autre que celui qui est men- tionné au sous-alinéa (ii) ou (iii), par le producteur ou fabricant à l'époque les marchandises sont livrées à l'acheteur ou à l'époque la propriété des marchandi- ses est transmise, en choisissant celle de ces dates qui est antérieure à l'autre,
(ii) payable, dans un cas le contrat de vente des marchandises (y compris un contrat de location-vente et tout autre contrat en vertu duquel la propriété des marchandises est transmise dès qu'il est satisfait à une condition) stipule que le prix de vente ou autre considé- ration doit être payé au fabricant ou producteur par versements (que, d'après le contrat, les marchandises doivent être livrées ou que la propriété des marchandi- ses doive être transmise avant ou après le paiement
Le taux a parfois fluctué et une taxe supplémentaire de 3 pour cent est perçue en même temps au titre d'Impôt de sécurité de la vieillesse.
d'une partie ou de la totalité des versements), par le producteur ou le fabricant pro tanto à l'époque chacun des versements devient exigible en conformité des conditions du contrat; et
Le paragraphe 32(1) de la même loi se lisait, pendant toute la période en cause, de la manière suivante:
32. (1) La taxe imposée par l'article 30 ne s'applique pas à la vente ou à l'importation des articles mentionnés à l'annexe III.
Le type de machines en cause n'était pas mentionné à l'annexe III au moment de la con clusion du contrat, mais cette annexe III fut modifiée par les Statuts du Canada 1967-68, c. 29, art. 11(1), de manière à inclure:
a) les machines et appareils vendus aux fabricants ou producteurs ou importés par eux et destinés à être utilisés par eux directement dans la fabrication ou la production de marchandises;
en outre, l'article 13(1) prévoyait que:
13. (1) Les articles 5 et 12 et les. paragraphes (1), (3), (4), (6) et (10) de l'article 11 de la présente loi sont censés être entrés en vigueur le 2 juin 1967, et s'être appliqués à toutes les marchandises y mentionnées, importées ou sorties d'en- trepôt pour la consommation à compter de la date en ques tion ainsi qu'aux marchandises antérieurement importées pour lesquelles aucune déclaration en vue de la consomma- tion n'a été faite avant ladite date.
La prétention de l'appelante concernant le sens du paragraphe 30(1)a)(ii) était essentielle- ment fondée sur un passage du jugement rendu par le juge Rand dans l'affaire Le Roi c. Domin ion Engineering Company Limited 2 . Celui-ci, en étudiant les dispositions législatives alors en vigueur, déclara que l'obligation de payer la taxe globale exigible en vertu de ces dispositions, lorsqu'il existe un contrat de vente à tempéra- ment, demeure imparfaite jusqu'à l'exécution du contrat et que la taxe n'existe que dans la mesure le contrat est exécuté. L'avocat fit aussi remarquer qu'il existait dans cette loi une disposition selon laquelle ces opérations étaient réputées être des ventes, ce qui n'est pas le cas au paragraphe 30(1)a)(ii). A mon avis, il y a des différences manifestes entre la législation consi- dérée dans l'affaire Dominion Engineering et la législation applicable à l'affaire présente; j'es-
2 [1944] R.C.S. 371,à la page 375.
time que, pour interpréter une disposition appli cable, la méthode consistant à rechercher son sens en la différenciant de la législation anté- rieure est mauvaise. A mon sens, la méthode appropriée consiste à lire l'article à interpréter afin de voir ce qu'il dit, et, si le sens en est clair, en rester là.
Si l'on examine le paragraphe 30(1) dans cette optique, il semble que le sens du sous-alinéa (ii) de l'alinéa a) ne soit pas influencé par le sous- alinéa (i) puisque ce dernier s'applique seule- ment aux cas non compris aux sous-alinéas (ii) et (iii) et que le sous-alinéa (ii) ne fait qu'identi- fier la personne assujettie à la taxe dans le cas d'opérations du type de celles qui y sont décri- tes et prévoir à quels moments la taxe devient exigible. Les dates ainsi prévues sont celles des échéances des acomptes en conformité des termes du contrat; ni la date à laquelle le contrat devient une vente, ni la date de la livraison des marchandises, ni la date de la transmission du titre de propriété ne sont prises en considéra- tion. Il en découle, à mon avis, que la taxe devient immédiatement et inconditionnellement exigible sur chaque acompte sur le prix des marchandises vendues à tempérament à la date de leur échéance respective. Il se peut que l'obligation de verser la taxe sur le solde du prix reste incomplète en ce sens qu'elle dépend de l'exigibilité des acomptes à venir en vertu du contrat et il se peut également que même la taxe versée sur les acomptes devienne remboursable dans le cas de rescision totale du contrat de vente, mais il me semble évident, vu l'énoncé du sous-alinéa, que (sous réserve d'éventuelles exi- gences de ce genre) l'assujettissement à la taxe est une fois pour toutes lié aux acomptes sur le prix lorsqu'ils deviennent exigibles. Le paiement de la taxe ne consiste pas à mon avis à verser une avance ou un acompte sur la taxe globale perçue sur le prix total, ne devenant définitif qu'au moment de la réalisation du contrat de vente. Tant qu'il y a un «contrat devant être exécuté» ou un contrat exécutoire à obligations successives relativement à une vente ou autre opération mentionnée au sous-alinéa, la taxe ainsi imposée sur l'acompte est définitive en ce qui concerne la partie du prix ainsi payée et son maintien n'exige pas qu'il y ait vente réelle.
En outre, dans la mesure le raisonnement du juge Rand dans l'affaire Dominion Engineer ing peut s'appliquer, je ne trouve rien dans ce qui précède qui vienne le contredire.
Selon les faits de l'espèce, à toute l'époque en cause, jusqu'à la date de la présentation par l'appelante de sa pétition de droit, il existait un contrat exécutoire relatif à la vente de la machine, ce qui impliquait donc le paiement de la taxe qui était devenue exigible et avait été payée sur les acomptes échus avant la modifica tion de la Loi qui, à partir du 2 juin 1967, exemptait de la taxe imposée par l'article 30 la vente des marchandises en cause. Il résulte de cette modification qu'aucune taxe n'était exigi- ble sur les acomptes venant à échéance après cette date, mais par contre, la mention d'une date précise d'entrée en vigueur' de la modifica tion indique clairement à mon avis qu'elle ne devait avoir aucun autre effet rétroactif. Les versements de la taxe dont on demande le rem- boursement étaient tous exigibles en vertu de la législation alors en vigueur et, à mon avis, la modification plaçant ces marchandises sur la liste des produits exemptés à partir de cette date n'a pas pour effet d'exempter les acomptes ni de rendre remboursable la taxe versée à leur égard.
En ce qui concerne l'autre point soulevé, même s'il est admis que la taxe déjà payée est devenue non exigible et donc remboursable, que l'action en recouvrement n'est pas prescrite par les dispositions de l'article 46 de la Loi sur la taxe d'accise et que, pour cette raison, la déci- sion de la Cour suprême dans l'affaire La Reine c. M. Geller Inc. 4 , sur laquelle s'est appuyé le juge de première instance, n'est pas rigoureuse- ment applicable (question qu'il n'est pas néces- saire de trancher), l'appelante n'a pas su établir, à mon avis, qu'elle était fondée à réclamer à la Couronne le recouvrement du montant en cause. Le fait que l'appelante, comme l'a affirmé l'avocat, soit la seule personne intéres- sée à obtenir le remboursement de ces sommes ne suffit pas à mon avis à lui conférer un droit
, La Loi modificatrice fut promulguée le 7 mars 1968. 4 [1963] R.C.S. 629.
d'action à cet égard à l'encontre de la Couronne puisqu'elle n'a été assujettie à aucune taxe et n'en a pas payé; j'estime en outre qu'on ne peut affirmer que l'appelante, et non la Couronne, ait jamais été propriétaire des sommes versées à la Couronne par la Dominion Engineering Works Limited à titre de paiement de la taxe.
Je rejette donc l'appel avec dépens.
* * *
LE JUGE PRATTE: Je souscris aux présents motifs.
* * *
LE JUGE URIE: J'y souscris.
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