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T-4256-73
D r H. Hoyle Campbell (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Heald — Toronto, le 28 octobre; Ottawa le l er novembre 1974.
Impôt sur le revenu—Médecin constituant une compagnie pour exploiter un hôpital—Médecin salarié de la compa- gnie—Honoraires médicaux cédés à la compagnie—La légis- lation provinciale interdit à une compagnie d'exercer la médecine—Honoraires du médecin assujettis à l'impôt sur le revenu—Loi de l'impôt sur le revenu, art. 16(1) et 23—The Medical Act, S.R.O. 1960, c. 234, art. 19, 42 et 51—The Private Hospitals Act, S.R.O. 1960, c. 361, art. 16.
Le demandeur, spécialiste en chirurgie plastique, est à l'origine de la constitution d'une compagnie dans laquelle il était propriétaire réel de la totalité des actions émises. La compagnie était habilitée à créer et exploiter des hôpitaux privés et à recruter des médecins et chirurgiens pour réaliser ses objets. Le demandeur et un autre médecin ont été engagés comme salariés, en vertu d'un contrat de travail, à titre de chirurgiens à plein temps. Au départ, la compagnie facturait aux malades les soins hospitaliers ainsi que les soins médicaux prodigués par ses médecins salariés. Avec l'institution d'un régime provincial d'assurance médicale et vu les règlements gouvernementaux en la matière, les méde- cins salariés envoyaient les factures aux patients et endos- saient au nom de la compagnie les chèques reçus en paie- ment. Le montant de $86,492 provient des services médicaux fournis par le demandeur pendant les années d'imposition 1967 à 1969. Le Ministre a établi une nouvelle cotisation à l'impôt sur le revenu du demandeur pour ce montant, au motif qu'il aurait être inclus dans les déclara- tions d'impôt du demandeur comme «revenu tiré d'honorai- res professionnels, plutôt que d'être ajouté au revenu de la compagnie.
Arrêt: l'appel est rejeté (sous réserve d'un examen du montant en cause); les honoraires ont été perçus par le demandeur consulté par les patients. La compagnie était simplement cessionnaire des honoraires qu'elle ne pouvait percevoir. The Medical Act (Ontario) prévoit clairement que la médecine ne peut être exercée que par une personne physique, engageant sa responsabilité personnelle vis-à-vis du patient et de l'organisme régissant la profession. Le Ministre était fondé à ajouter au revenu du demandeur les honoraires médicaux perçus par ce dernier.
Arrêt suivi: Kindree c. M.R.N. [1965] 1 R.C.É. 305. Distinction faite avec l'arrêt: Sazio c. M.R.N. [1969] 1 R.C.É. 373.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu.
AVOCATS:
P. S. A. Lamek pour le demandeur.
M. R. V. Storrow et S. Pustogorodsky pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Fraser & Beatty, Toronto, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés par
LE JUGE HEALD: Par les présentes, appel est interjeté de la nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national, relativement aux déclarations d'impôt sur le revenu du deman- deur pour les années d'imposition 1967, 1968 et 1969. Le Ministre a ajouté au revenu net du demandeur les sommes suivantes à titre de «revenu tiré d'honoraires professionnels»:
Pour l'année d'imposition 1967 $28,768.00 Pour l'année d'imposition 1968 $29,574.00 Pour l'année d'imposition 1969 $28,150.00
Total $86,492.00
Le point principal soulevé par cet appel est de savoir si ces sommes ont été ajoutées à bon droit au revenu net du demandeur pour les années d'imposition en question.
Le demandeur, médecin dûment autorisé à exercer la médecine, est un spécialiste en chi- rurgie plastique. Il a obtenu son diplôme en 1936 à la faculté de médecine de l'Université de Toronto. Par la suite, et jusqu'en 1939, il a reçu une formation post-universitaire afin de se spé- cialiser dans la chirurgie réparatrice. En 1939, il a rejoint les forces armées comme spécialiste en chirurgie plastique auprès de l'Armée britanni- que et de l'Armée canadienne. A son retour d'Europe en 1945 et jusqu'en 1949, il a rempli les fonctions de chirurgien à plein temps au Christie Street Hospital de Toronto. Pendant cette période, il était un salarié à plein temps du ministère des Anciens combattants. Puis, de 1949 à 1956, il a exercé la médecine privée à Toronto, consacrant une partie de son temps à l'hôpital Sunnybrook pour Anciens combattants à Toronto comme spécialiste à temps partiel en chirurgie plastique. Il indiqua dans son témoi-
gnage qu'en raison d'une part de son expérience pendant la guerre et d'autre part de son expé- rience dans la médecine privée à Toronto, il commença à prendre conscience au début des années 50 que nombre de malades en chirurgie séjournaient dans les hôpitaux bien plus long- temps qu'il n'était nécessaire. Il estimait à tra- vers ses propres expériences qu'en réduisant le nombre de journées postopératoires dans un hôpital et en y substituant des soins postopéra- toires donnés en clinique externe, on réduirait considérablement l'escalade des coûts hospita- liers. Il a déclaré en avoir discuté avec plusieurs personnes averties qui n'ont fait que confirmer ses propres vues. C'est pourquoi il a décidé d'être un «pionnier» dans ce domaine en créant son propre hôpital privé il pourrait mettre ses idées en application. Ainsi, en 1954, il consulta son avocat qui lui conseilla de constituer une compagnie afin d'exploiter ledit hôpital privé. La compagnie a été constituée le 25 mars 1954 sous le nom de Campbell Hospitals Limited (ci-après appelée la compagnie). Le demandeur a toujours été propriétaire réel de la totalité des actions émises par ladite compagnie. Les buts et objets de la compagnie sont, inter alfa, les suivants:
[TRADUCTION] a) Créer, équiper, entretenir, exploiter et diri- ger des hôpitaux privés et autres institutions destines à fournir des services médicaux et chirurgicaux aux personnes dont l'état nécessitera leur admission;
b) Engager, employer ou autrement s'assurer les services de médecins, chirurgiens, chercheurs, infirmières, technologis- tes qualifiés et autres personnes en vue de promouvoir et de réaliser les objets de la compagnie; .. .
Finalement, en 1956, la compagnie était prête à exploiter un hôpital privé sis rue Victoria à Toronto et, le 14 août 1956, elle demanda un agrément au ministère de la Santé de la province de l'Ontario. Ledit agrément a été dûment déli- vré et a été renouvelé chaque année depuis 1956. Ces agréments délivrés par la Commis sion des services hospitaliers de l'Ontario auto- risaient la compagnie à exploiter un hôpital chi- rurgical sous le nom de [TRADUCTION] «Institut de chirurgie traumatique, plastique et répara- trice» de Toronto (ci-après appelé l'Institut) ne devant pas admettre dans ses services plus de quatre malades adultes et devant se limiter à la chirurgie traumatique, plastique et réparatrice. Le demandeur, en faisant état de l'activité de
l'hôpital a déclaré que ce dernier était doté de services de consultation externe et de services pour malades hospitalisés, d'une salle de réani- mation, d'un laboratoire, dés salles de consulta tion et de bureaux pour les médecins. Il a ajouté qu'au cours des années, le personnel de l'hôpital comprenait environ quinze à dix-huit personnes, à savoir les infirmières, les aides-infirmières, un secrétaire, un comptable, un archiviste médical, le personnel d'entretien des différents services et les médecins. Le demandeur a témoigné que l'activité de l'hôpital était certainement une réussite eu égard à la réduction du nombre des journées d'hospitalisation des malades. En 1959, le demandeur publia un article dans une revue connue sous le nom de «Hospital Administration and Construction». Cet article était intitulé [TRADUCTION] «Peut-on réduire les frais occasionnés par une maladie?» Le deman- deur y exprime ses idées sur la question et relate l'expérience de son propre hôpital à Toronto on a réduit les frais d'hospitalisation pour chaque malade en diminuant considérable- ment le nombre de journées d'hospitalisation du malade.
Pour chacune des années d'imposition faisant l'objet du présent examen, la compagnie a passé un contrat avec la Commission des services hospitaliers de l'Ontario en vertu duquel l'hôpi- tal était dûment autorisé à fournir les services assurés selon le régime d'assurance-soins hospi- taliers de la province de l'Ontario. Ledit contrat stipule comme suit aux paragraphes 4 et 6:
[TRADUCTION] (4) La compagnie et son hôpital doivent assu- rer dans ledit hôpital les services et traitements hospitaliers, infirmiers et médicaux appropriés et doivent se conformer aux normes raisonnables pour les soins et traitements hospi- taliers, infirmiers et médicaux que la Commission peut pres- crire à l'occasion.
(6) La compagnie et son hôpital doivent maintenir dans ledit hôpital le personnel que la Commission peut déterminer aux fins d'assurer les services et traitements médicaux appro- priés aux patients.
Le demandeur a déclaré que la compagnie a recruté, dès le début, des chirurgiens et des infirmières à plein temps. A compter de 1956 et jusqu'à maintenant, la compagnie s'est assurée les services du demandeur et du docteur Charles S. Kilgour comme chirurgiens à plein temps sur une base salariée. Le contrat de travail du demandeur avec la compagnie a été conclu le 31
mars 1956 tandis que le contrat du docteur Kilgour porte la date du 30 juin 1956. D'autres chirurgiens ont été également engagés, de temps à autre, sur une base salariée à plein temps. Un autre médecin, le docteur E. Mitchell Tanz, a été associé à l'hôpital depuis 1965 mais sur une base différente de celle du demandeur et du docteur Kilgour. Le demandeur et le docteur Kilgour touchent tous deux de l'hôpital un salaire annuel payable en versements mensuels. Il existe dans les deux contrats de travail une disposition concernant le paiement des primes annuelles que les administrateurs de la compa- gnie peuvent fixer à l'occasion. La compagnie louait ses équipements y compris des automobi les, de l'équipement et des installations de bureau, de l'équipement chirurgical etc. à une compagnie constituée aussi en 1954 et connue sous le nom de Independent Management and Services Limited (ci-après appelée l'entreprise de gestion). A toutes les époques en cause, le demandeur était propriétaire réel de â des actions émises par l'entreprise de gestion et le docteur Kilgour, de â . Les frais payés par la compagnie à l'entreprise de gestion pour la ges- tion, les services de bureau et d'hospitalisation pendant chacune des années faisant l'objet de notre examen s'élevaient à environ $54,000. A son tour, l'entreprise de gestion a versé au demandeur, pendant chacune desdites années, un salaire de $5,000 en contrepartie de son travail d'administration de l'entreprise de ges- tion. L'unique source de revenu de l'entreprise de gestion et l'unique objet de ses activités étaient la gestion de la compagnie. Au 31 mars 1969, les gains réalisés par l'entreprise de ges- tion s'élevaient à quelque $100,000.
La compagnie facturait aux malades les soins hospitaliers ainsi que les soins médicaux prodi- gués par ses médecins salariés. Avec l'institu- tion par le gouvernement provincial d'un régime d'assurance hospitalière et médicale, ces régi- mes prenaient en charge une grande partie des comptes facturés par la compagnie. Les règle- ments gouvernementaux en la matière exi- geaient que la partie correspondant aux services fournis aux malades hospitalisés soit facturée directement à la Commission des services hospi- taliers de l'Ontario tandis que la partie médicale et chirurgicale couvrant les services fournis par
les médecins devait être facturée à l'O.H.I.P. (Plan d'assurance-santé de l'Ontario ou son pré- décesseur, Régime d'assurances médicales de l'Ontario) au bénéfice .du médecin qui avait donné personnellement les soins médicaux. La compagnie recevait les paiements directement de la Commission des services hospitaliers de l'Ontario pour la partie hospitalière et non médi- cale et l'O.H.I.P. payait la partie médicale direc- tement au médecin qui avait donné les soins. Le demandeur et le docteur Kilgour ont endossé tous ces chèques qu'ils ont remis à la compa- gnie. Dans l'hypothèse de soins donnés à des patients non assurés, comme les non-résidents de la province de l'Ontario, et de services non assurés (chirurgie esthétique et plastique par exemple) fournis à des patients assurés, on éta- blissait une seule facture qui couvrait à la fois la partie médicale et la partie non médicale. Toutes ces sources de revenu de la compagnie étaient incluses, aux fins de l'impôt sur le revenu, dans le revenu de la compagnie. Ainsi, cette dernière était-elle en possession, pendant les années en cause, de revenus tirés des services médicaux et chirurgicaux fournis par le demandeur et le doc- teur Kilgour. Ces sommes provenant des servi ces médicaux fournis par le demandeur pendant les années en cause sont les sommes totalisant $86,492 dont j'ai fait mention au début de l'ex- posé des présents motifs. La défenderesse sou- tient que le demandeur aurait inclure lesdites sommes dans ses déclarations d'impôt en tant que «revenu tiré d'honoraires professionnels» plutôt que de les inclure comme revenu dans les déclarations d'impôt sur le revenu de la compagnie.
La défenderesse prétend que le demandeur a exercé la médecine pendant les années en cause, qu'il aurait inclure dans le calcul de son revenu tiré de l'exercice de la médecine toutes les sommes gagnées en pratiquant la médecine et perçues en son nom par la compagnie. La défenderesse fait valoir subsidiairement que si la compagnie a touché un revenu quelconque gagné par le demandeur, ledit revenu représen- tait un paiement ou transport de biens effectués selon les instructions ou avec le consentement du demandeur au sens de l'article 16(1) de la
Loi de l'impôt sur le revenu' et, par conséquent, qu'il aurait être inclus dans le calcul du revenu du demandeur.
La défenderesse fait valoir, par ailleurs, que si le demandeur a transporté à la compagnie (avec laquelle il ne traitait pas à distance) le droit à tout montant, ce montant aurait être inclus, si ce droit n'avait pas été ainsi trans porté, dans le calcul du revenu du demandeur aux termes des dispositions de l'article 23 de la Loi de l'impôt sur le revenue.
De son côté, le demandeur, en s'appuyant sur le contrat de travail conclu entre la compagnie et lui-même, déclare qu'à aucun moment de la période en cause il n'a exercé la médecine ou donné de soins médicaux ou de conseils en son nom propre ou au nom d'aucune autre personne que la compagnie. Le demandeur soutient, en outre, que les honoraires et les frais ajoutés par le Ministre à son revenu net correspondaient aux services médicaux fournis par la compagnie aux malades dans le cours normal de ses activi- tés d'hôpital privé spécialisé en chirurgie et, qu'à ce titre, lesdits honoraires et frais corres- pondant à ces services représentaient le revenu de la compagnie et non le revenu du demandeur.
L'avocat du demandeur s'est appuyé dans ses plaidoiries sur la décision du juge Cattanach
16. (1) Un paiement ou transport de biens effectué selon les instructions du contribuable, ou avec son consente- ment, à quelque autre personne à l'avantage du contribuable ou constituant un avantage que le contribuable a voulu faire conférer à l'autre personne, doit être inclus dans le calcul du revenu du contribuable, dans la mesure il le serait si le paiement ou le transport lui avait été fait.
2 23. Lorsqu'un contribuable a, en tout temps avant la fin d'une année d'imposition (soit avant, soit après l'entrée en vigueur de la présente loi), transporté ou cédé à une per- sonne avec qui il ne traitait pas à distance le droit à un montant qui serait inclus, si ce droit n'avait pas été ainsi transporté ou cédé, dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition parce que le montant aurait été par lui reçu, ou susceptible de l'être, au cours ou à l'égard de l'année, le montant doit être inclus dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année d'imposition, à moins que le revenu ne provienne de biens et que le contribuable n'ait également transporté ou cédé les biens.
dans l'affaire Sazio c. M.R.N. 3 . Dans cette affaire l'appelant, entraîneur d'un club de foot ball, avait constitué une compagnie aux fins d'exercer lesdites activités d'entraînement con- jointement avec d'autres activités auxquelles il se livrait. Le club de football passa un contrat avec cette compagnie pour s'assurer les services d'entraînement et, à son tour, l'appelant s'enga- gea à réserver exclusivement à la compagnie ses services d'entraînement pour permettre à cette dernière d'exécuter son contrat conclu avec le club. Le club versait chaque année $22,000 à la compagnie pour les services d'entraînement tandis que l'appelant touchait un salaire annuel de $6,000 seulement versé par la compagnie. Le Ministre tenta de faire abstraction de la compa- gnie, de considérer l'appelant comme un employé du club et de l'assujettir à l'impôt sur la base des $22,000. Le Ministre dans cette affaire, tout comme dans celle qui nous est soumise, s'est appuyé sur les articles 16 et 23 de la Loi de l'impôt sur le revenu (précitée). Le juge Cattanach en accueillant l'appel de l'appelant a conclu, compte tenu des faits de cette espèce, que la compagnie n'était pas une [TRADUCTION] «simple façade, trompe l'oeil ou couverture» et était parfaitement habilitée à se livrer à des activités d'entraînement comme elle l'a fait; que les contrats conclus entre l'appelant, la compa- gnie et le club étaient des transactions commer- ciales authentiques et qu'en fait ils régissaient et déterminaient les relations entre les parties.
Toutefois, à la page 381 du jugement qu'il a rendu dans l'affaire Sazio (précitée) le juge Cat- tanach a ajouté:
[TRADUCTION] Il ne fait absolument aucun doute que la compagnie est une entité juridique dûment formée et qu'elle pouvait, à bon droit, remplir les objets pour lesquels elle avait été constituée. Toute personne fournissant des servi ces peut constituer une compagnie pour assurer la prestation de ces services pourvu qu'il n'existe aucune interdiction de nature à empêcher que ces services soient fournis par une compagnie plutôt que par une personne physique.
Une telle interdiction s'est posée par exemple dans l'arrêt Kindree c. M.R.N. [[19651 1 R.C.É. 305; [1964] C.T.C. 386], dans lequel j'ai déclaré qu'à mon avis la médecine ne pouvait être exercée que par une personne physique, cette opinion découlant de l'économie générale de la Medical Act et du code de déontologie de la profession médicale. J'ai également indiqué qu'une clause afférente aux objets de la
3 [1969] 1 R.C.É. 373.
compagnie ne doit pas avoir d'effet dans la mesure elle tend à autoriser une compagnie à exercer la médecine.
A la différence de l'affaire Kindree, il n'existe en l'espèce aucune interdiction de cette nature.
Il est donc instructif d'examiner l'affaire Kin- dree puisqu'elle envisage également le revenu d'un médecin. Dans cette affaire, l'appelant a constitué une compagnie qui, à son tour, employait ledit appelant comme médecin et sa femme comme infirmière. La compagnie employait également d'autres médecins qui assistaient l'appelant dans l'exercice de la méde- cine. Les éléments de preuve ont indiqué qu'il n'existait aucun changement effectif dans la façon dont l'appelant donnait des soins médi- caux aux patients et, par là-même, exerçait la médecine avant ou après la constitution de la compagnie. Le Ministre a ajouté au revenu per sonnel de l'appelant la partie du revenu à l'actif de la compagnie qui dépassait le montant qu'elle avait versé aux médecins sous forme de salai- res, au motif que ce revenu représentait le revenu de l'appelant et non celui de la compa- gnie. Le juge Cattanach a confirmé la cotisation établie par le Ministre et rejeté l'appel. Voici le motif déterminant du jugement énoncé aux pages 311 et 312 du recueil:
[TRADUCTION] Selon moi, il ne fait absolument aucun doute que la médecine ne peut être exercée que par une personne physique qui engage sa propre responsabilité vis-à- vis du patient et de l'organisme régissant la profession, cette conclusion étant évidente si on s'appuie sur l'économie générale de la Medical Act et sur le code de déontologie de la profession médicale auquel a adhéré l'appelant. La clause b) afférente aux objets de la compagnie doit être sans effet dans la mesure elle tend à autoriser la compagnie à exercer la médecine.
Comme les éléments de preuve l'ont indiqué, la constitu tion de la compagnie n'a pas modifié fondamentalement les activités en cause. D'après moi, le critère décisif consiste à déterminer la personne que les malades pensaient consulter et consultaient effectivement. Ils ne connaissaient pas ni n'avaient aucun moyen de connaître l'existence de la com- pagnie jusqu'à ce qu'on Ieur envoie, après leur traitement, la facture figurait le nom de la compagnie.
Selon moi, l'appelant est dans l'impossibilité, en droit et en fait et pour une question d'intérêt public, d'exercer la médecine sous toutes ses formes en qualité d'agent d'une personne morale et le document qui se veut un contrat de travail entre l'appelant et la compagnie n'établissait aucune relation employeur-employé. De la même façon, les docu ments qui se veulent des contrats de travail conclus entre les autres médecins et la compagnie n'établissaient aucune rela-
Lion employeur-employé entre eux et la compagnie; cette relation existait plutôt entre eux et l'appelant.
Vu les faits qui me sont soumis, j'en conclus que les sommes touchées par la compagnie en contrepartie des services fournis par l'appelant et les autres médecins repré- sentaient des honoraires que ce dernier avait déjà gagnés soit en son nom soit au nom des médecins à son service, et la compagnie était simplement le cessionnaire de ces hono- raires qu'elle ne gagnait pas ni ne pouvait gagner et sur lesquels elle ne possédait aucun droit, si ce n'est en qualité de cessionnaire des gains de l'appelant.
D'après moi, les faits déterminants dans l'af- faire qui m'est soumise se confondent avec ceux de l'affaire Kindree (précitée). En l'espèce éga- lement, l'économie générale de The Medical Act' indique clairement que la médecine ne peut être exercée que par une personne physique engageant sa propre responsabilité vis-à-vis du patient et de l'organisme régissant la profession. Le juge Cattanach a déclaré que [TRADUCTION] « ... le critère décisif consiste à déterminer la personne que les malades pensaient consulter et consultaient effectivement». Dans l'affaire Kin- dree (précitée) la compagnie remettait les comp- tes correspondant aux services médicaux. Dans l'affaire qui nous occupe, les factures corres- pondant au service médical par rapport au compte général étaient envoyées sur le papier à lettre portant l'en-tête du demandeur et du doc- teur Kilgour. Cette différence concrète montre encore plus clairement que ne le fait l'affaire Kindree (précitée) que les patients consultaient bien le demandeur et non la compagnie et que les paiements correspondant à ces services étaient, en fait, des paiements adressés au demandeur et non à la compagnie. Cette obser vation est confirmée par le fait que l'O.H.I.P. et la Commission des accidents de travail de l'On- tario, en effectuant les paiements correspondant aux services fournis par le demandeur, ont libellé les chèques à l'ordre du demandeur qui, à son tour, les a endossés et remis à la compagnie. En l'espèce, tout comme dans l'affaire Kindree (précitée), la compagnie est simplement le ces- sionnaire des honoraires qu'elle ne gagnait pas ni ne pouvait gagner et sur lesquels elle ne possédait aucun droit, si ce n'est en qualité de cessionnaire des gains de l'appelant.
4 S.R.O. 1960, c. 234—voir par exemple les articles 19, 42 et 51.
L'avocat du demandeur a tenté d'établir une distinction avec la décision rendue dans l'arrêt Kindree, en se fondant sur le motif que dans l'affaire Kindree (précitée) il n'existait aucun but légitime justifiant la constitution d'une com- pagnie et que cette constitution n'était manifes- tement qu'un stratagème, sans doute ingénieux à certains égards, aux fins de détourner une partie du revenu de source médicale vers une compa- gnie. L'avocat prétend que dans l'affaire sou- mise à cette cour la compagnie a été constituée aux fins expresses et premières d'exploiter un hôpital privé, ce qu'elle a fait pendant 18 ans, et que ce trait caractéristique permet d'établir une distinction entre la présente affaire et l'affaire Kindree (précitée). Il est exact que la compagnie s'employait à exploiter un hôpital privé et qu'elle était parfaitement habilitée à le faire. Elle s'est toutefois livrée à d'autres activités qu'elle n'avait pas le droit d'exercer, à savoir l'exercice de la médecine sous couvert de ses employés, le demandeur et le docteur Kilgour. Au paragraphe 1 c) du contrat de travail conclu entre le demandeur et la compagnie le deman- deur a accepté:
[TRADUCTION] 1. .. .
c) de consigner fidèlement toutes ses visites profession- nelles, de dresser une liste de tous les malades soignés et de toutes les autres activités exercées par lui au nom de la compagnie et il devra rendre compte et verser à la compa- gnie toutes les sommes reçues par lui en contrepartie des services fournis par la compagnie. [C'est moi qui souligne.]
Il ressort clairement de cette clause (qui figure également dans le contrat du docteur Kilgour) que les [TRADUCTION] «services fournis par la compagnie» se rapportent aux soins médicaux donnés par le demandeur et que la compagnie essaye en réalité d'exercer la médecine. En outre, le paragraphe 5 dudit contrat stipule ce qui suit:
[TRADUCTION] 5. Campbell convient que pendant la durée de son emploi en vertu des présentes il ... exercera la médecine pour le compte et au profit de la compagnie.
(Le contrat du docteur Kilgour contient la même disposition).
L'avocat du demandeur a prétendu que la compagnie n'engageait des médecins qu'aux fins de se conformer aux dispositions des paragra- phes 4 et 6 de son contrat conclu avec la Com-
mission des services hospitaliers (pièce 1, tableau 5), dont les clauses l'obligeaient à doter l'hôpital d'un personnel médical suffisant. Je n'interprète pas les paragraphes, 4 et 6 comme signifiant que la compagnie doit faire appel à un personnel médical salarié. Ces paragraphes exi gent simplement que l'hôpital offre à ses patients des soins médicaux appropriés. Pour se conformer à ces exigences, l'hôpital aurait pu choisir d'autres moyens, à savoir s'assurer par contrat le concours de médecins compétents exerçant la médecine privée. La compagnie n'était pas tenue d'essayer de se livrer elle- même à l'exercice de la médecine pour remplir les obligations contractuelles ci-dessus mention- nées.
L'avocat du demandeur °a fait valoir, en outre, que ledit contrat n'était pas différent de celui signé par les autres hôpitaux publics et privés qui emploient des médecins salariés à plein temps, comme par exemple des radiologues, des anesthésistes, des internes résidents etc. et qu'une telle pratique n'a rien d'illégal ou d'abu- sif. L'avocat prétend que cette pratique est admissible aux termes de The Private Hospitals Act de l'Ontario 5 et plus particulièrement aux termes de l'article 16 de cette loi qui dispose comme suit:
[TRAnucrioN] 16. Nul ne doit être employé comme interne dans un hôpital privé s'il n'est affilié en vertu de The Medical Act.
Suivant la prétention de l'avocat, puisque ledit article 16 envisage l'emploi d'un interne dans un hôpital privé, cet emploi est alors admissible en vertu de ladite loi. Je souscris à cette prétention dans la mesure où, selon moi, les hôpitaux ont tout à fait le droit d'engager des médecins sala- riés pour fournir les services médicaux dans leur établissement aussi longtemps que ce sont les médecins et non les hôpitaux qui exercent la médecine.
Pour les motifs indiqués précédemment et compte tenu des faits particuliers de l'espèce, j'estime que la compagnie essayait d'exercer la médecine, ce qui lui est interdit en vertu de The Medical Act de l'Ontario.
5 S.R.O. 1970, c. 361.
Je conclus, par conséquent, que le Ministre était justifié d'ajouter au revenu net du deman- deur les honoraires médicaux gagnés par ce dernier et précédemment ajoutés au revenu de la compagnie.
Je suis parvenu à cette conclusion, conscient du fait qu'en me prononçant dans ce sens je refuse au demandeur, parce qu'il exerce une profession libérale et que la Loi régissant sa profession interdit à une compagnie d'exercer la médecine, l'avantage fiscal dont bénéficient, grâce à la constitution en compagnie, la plupart des hommes d'affaires et membres de certaines autres professions. Je n'ignore pas les opinions de certains éditorialistes et experts fiscaux selon lesquelles l'imposition devrait être neutre quel- les que soient les formes d'entreprises et les manières de réaliser des profits. Toutefois, comme on l'a souligné à plusieurs reprises, il incombe à la Cour d'interpréter la loi telle qu'elle est et non telle qu'elle pourrait ou devrait être.
Au début de l'audience, les deux avocats ont convenu que si l'appel du demandeur était rejeté sur la question de principe, les cotisations en cause seraient renvoyées au Ministre pour nouvel examen et conclusion finale sur la ques tion du quantum des sommes à ajouter au revenu du demandeur pour les années d'imposi- tion faisant l'objet du présent examen. Il en est ainsi ordonné.
Après ce nouvel examen, on pourra reprendre l'affaire au besoin.
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