Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-24-74
Sai Yau Fan (Requérant) c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion (Intime)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges suppléants Mackay et Sweet —Toronto, le 27 juin 1974.
Examen judiciaire—Immigration—Admission au Canada en tant qu'étudiant—Demande de visa de travail afin de rester au Canada—Ordonnance d'expulsion fondée sur le défaut de visa d'immigrant—Annulation de l'ordonnance d'expulsion—Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, art. 7, 22 et 23—Loi concernant certaines dispositions et procé- dures relatives à l'immigration, S.C. 1973-74, c. 28—Règle- ment de l'immigration, art. 18—Loi sur la Cour fédérale, art. 28.
Le requérant fut admis au Canada à titre de non-immi grant en septembre 1973. Lors d'entrevues ultérieures avec des fonctionnaires à l'immigration, au sujet d'un visa de travail acquis aux fins de son emploi comme assistant à l'université, le requérant indiqua son intention de demeurer au Canada. Dans un rapport établi en vertu de l'article 22 de la Loi sur l'immigration, un fonctionnaire à l'immigration recommanda de ne pas lui accorder l'admission permanente au motif qu'il n'était pas en possession d'un visa d'immi- grant valable comme l'exige l'article 28(1) de la Partie I du Règlement de l'immigration. A la suite de ce rapport, il y eut une enquête et une ordonnance d'expulsion fut rendue. Le requérant demande l'annulation de l'ordonnance en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Arrêt: l'ordonnance d'expulsion doit être annulée. Le requérant est entré au Canada en tant que non-immigrant; rien n'a fait changer ce statut et l'article 7(3) de la Loi sur l'immigration n'a jamais été applicable. En conséquence, l'enquête effectuée en vertu de l'article 23(2) n'avait proba- blement aucun effet juridique et ne pouvait servir de fonde- ment à une ordonnance d'expulsion. Lorsque fut établi le rapport aux termes de l'article 22, le requérant n'était pas une personne cherchant à entrer au Canada et n'était pas à ce moment réputé être une telle personne; il ne pouvait donc pas faire l'objet d'une ordonnance d'expulsion au motif qu'il ne possédait pas de visa d'immigrant, comme le prévoit l'article 28(1) du Règlement de l'immigration qui s'applique seulement à une personne cherchant à être admise au Canada.
Arrêts examinés: Morrison c. Le ministre de la Main- d'oeuvre et de l'Immigration [A-33-74]; Koo Shew Wan c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration [1973] C.F. 578. Distinction établie avec l'arrêt Podlas- zecka c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion [1972] R.C.S. 733.
DEMANDE d'annulation d'une ordonnnace d'expulsion.
AVOCATS:
B. A. Thomas pour le requérant.
A. C. Pennington et R. G. Vincent pour
l'intimé.
PROCUREURS:
Thomas et Rye, Toronto, pour le requérant. Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit d'une demande présentée en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale visant à obtenir l'annu- lation de l'ordonnance d'expulsion rendue par un enquêteur spécial en vertu de la Loi sur l'immigration.
Le requérant fut admis au Canada en tant qu'étudiant non-immigrant, le 4 septembre 1973, pour une durée d'un an et commença alors des études à l'université de Toronto. Au mois de septembre de cette même année, il eut des entrevues avec des fonctionnaires à l'immi- gration à la suite de certains problèmes concer- nant un visa de travail nécessaire pour qu'il puisse être employé comme assistant au dépar- tement de l'Université il était étudiant. Lors de ces entrevues, il indiqua qu'il souhaitait rester au Canada et y demeurer de manière permanente. Il semblerait donc qu'il ait indiqué que son intention était de demeurer au Canada de manière permanente. Par la suite, le 21 sep- tembre 1973, un fonctionnaire à l'immigration fit un rapport à l'intention d'un enquêteur spé- cial; ce rapport était réputé être un «rapport établi en vertu de l'article 22 de la Loi sur l'immigration». Il se lit comme suit:
[TRADUCTION] 1. SAI YAU FAN est entré au Canada comme non-immigrant. Il s'est présenté au soussigné, en conformité du paragraphe 7(3) de la Loi sur l'immigration et demande l'admission au Canada pour y résider en permanence.
2. Conformément à l'article 22 de la Loi sur l'immigration, je dois signaler que j'ai eu une entrevue avec SAI YAU FAN et que je l'ai interrogé et qu'à mon avis, il n'est pas un citoyen canadien ni une personne ayant acquis un domicile canadien.
3. Je suis aussi d'avis qu'il serait contraire à la Loi sur l'immigration et au Règlement de l'autoriser à entrer au Canada pour y résider de manière permanente puisqu'il est membre de la catégorie interdite décrite à l'alinéa 5t) de la
Loi sur l'immigration en ce qu'il ne remplit pas les condi tions et prescriptions de la Partie 1 du Règlement de l'immi- gration, telle que modifiée, étant donné que:
Il n'est pas en possession d'un visa d'immigrant valable et non périmé comme l'exige le paragraphe (1) de l'article 28 dudit règlement.
A la suite de ce rapport, on fit tenir une enquête à l'issue de laquelle l'ordonnance d'expulsion du requérant fut rendue. Cette demande présentée en vertu de l'article 28 vise à en obtenir l'annulation.
L'article 22 de la Loi sur l'immigration se lit comme suit:
22. Lorsqu'un fonctionnaire à l'immigration, après avoir examiné une personne qui cherche à entrer au Canada, estime qu'il serait ou qu'il peut être contraire à quelque disposition de la présente loi ou des règlements de lui accorder l'admission ou de lui permettre autrement de venir au Canada, il doit la faire détenir et la signaler à un enquê- teur spécial.
Selon ses termes mêmes, cet article ne s'appli- que qu'au cas d'une personne «cherchant à entrer au Canada» au moment le fonction- naire conclut qu'«il serait ou qu'il peut être contraire à quelque disposition de [la] Loi ou des règlements de lui accorder l'admission ou de lui permettre autrement de venir au Canada». D'après son énoncé, il ne s'applique pas, au cas du requérant, qui a déjà été autorisé à entrer au Canada et qui, en conséquence, se trouve déjà au Canada.
La validité des présentes procédures et l'or- donnance d'expulsion en résultant doivent donc dépendre de l'applicabilité de l'article 7(3) de la Loi sur l'immigration aux circonstances; cet article se lit comme suit:
(3) Lorsqu'une personne qui est entrée au Canada en qualité de non-immigrant cesse d'être un non-immigrant ou d'appartenir à la catégorie particulière dans laquelle elle a été admise à ce titre et, dans l'un ou l'autre cas, demeure au Canada, elle doit immédiatement signaler ces faits au fonc- tionnaire à l'immigration le plus rapproché et se présenter pour examen au lieu et au temps qui lui sont indiqués, et elle est réputée, pour les objets de l'examen et à toutes autres fins de la présente loi, une personne qui cherche à être admise au Canada.
Il ressort des termes mêmes de l'article 7(3), que ce paragraphe ne s'applique qu'à une per- sonne entrée au Canada en qualité de non-immi grant qui
a) a cessé d'être un non-immigrant, ou
b) a cessé d'appartenir à la catégorie particu- lière dans laquelle elle a été admise à ce titre, et
dans l'un ou l'autre cas, demeure par la suite au Canada. Aux termes de l'article 7(3), une telle personne doit signaler ces faits à un fonction- naire à l'immigration et est réputée aux fins de ce paragraphe, être «une personne qui cherche à être admise au Canada». A mon avis, le fait qu'il est réputé être une personne cherchant à être admise au Canada, lorsque l'article s'applique, entraîne que:
a) l'on peut demander la tenue d'une enquête aux termes d'un rapport établi en vertu de l'article 22, et
b) qu'en vertu de l'article 1 du chapitre 28 des Statuts de 1973, l'exigence d'un visa en vertu du Règlement 28(1) est applicable.'
Cependant, si l'article 7(3) ne s'applique pas, il semble alors que ni l'article 22 ni le Règlement 28(1) ne soient applicables au cas d'une per- sonne qui a été autorisée à entrer au Canada en tant que non-immigrant.
En l'espèce, le requérant est entré au Canada en tant que non-immigrant et, après son entrée au Canada, rien n'a provoqué le changement de son statut et, à mon avis, l'article 7(3) n'a jamais été applicable. Comparer avec l'arrêt Koo Shew Wan c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration. 2
' Comparer avec la décision récente de cette cour dans l'affaire Morrison c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration [A-33-74].
2 [1973] C.F. 578.
L'article 2 du chapitre 28 des Statuts de 1973-74, seule disposition, à ma connaissance, donnant à l'article 7(3) une application plus large que celle prévue par son énoncé même, ne s'applique pas en l'espèce puisqu'il ne s'applique qu'au cas une personne a demandé son admission comme résident permanent avant le 6 novembre 1972.
A mon avis, l'arrêt Podlaszecka c. Le ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immigration [1972] R.C.S. 733 ne s'applique pas aux circonstances de l'espèce. Il est vrai qu'il fut décidé dans ce cas que «lorsqu'elle a fait une demande d'admission permanente au Canada alors qu'elle était au pays à titre de non-immigrante, l'appelante s'est elle-même soustraite aux dispositions de l'article 19(1)exiv) de la Loi pour tomber sous le coup de l'article 7(3) l'obligeant- à se présenter pour examen». On n'a cependant pas décidé que l'article 7(3) s'appliquerait chaque fois qu'une personne
Dans cette affaire, si je comprends bien le point de vue de l'enquêteur spécial, l'ordon- nance d'expulsion ne trouve pas son fondement véritable dans le fait que le requérant est entré au Canada en tant que non-immigrant et a par la suite modifié son statut, mais dans le fait qu'il n'était pas un non-immigrant authentique lors- qu'il est entré au Canada et était donc, à ce moment, une personne appartenant à la catégo- rie interdite décrite à l'article 5p), maintenant sujette à l'expulsion en vertu de l'article 18(1)e)(iv) et (2). 3 Il s'agit donc d'une situation tout à fait différente qui exige une procédure différente et probablement un changement dans la charge de la preuve. (Il ne faut pas en con- clure pour autant que je souscris à l'opinion qui était apparemment celle de l'enquêteur spécial dans cette affaire et selon laquelle, inévitable- ment, une personne qui entre au Canada en tant que non-immigrant n'est pas un non-immigrant authentique du seul fait qu'au moment elle
entrée au Canada à titre de non-immigrant n'était pas restée au Canada, soit après avoir cessé d'être un non-immigrant, soit après avoir cessé d'appartenir à la catégorie particulière dans laquelle elle a été admise à ce titre. En outre, il est évident qu'en vertu de la législation adoptée depuis l'arrêt Podlaszecka, une personne ne peut plus obtenir un visa d'immigrant en en faisant la demande à un fonctionnaire à l'immigration au Canada (voir les règlements 2h) et 28(1)) et il est inconcevable que nous ayons maintenant l'occasion de suivre l'arrêt Podlaszecka sur ce point.
Ces dispositions se lisent comme suit:
5. Nulle personne, autre qu'une personne mentionnée au paragraphe 7(2), ne doit être admise au Canada si elle est membre de l'une des catégories suivantes:
p) les personnes qui, suivant l'opinion d'un enquêteur spécial, ne sont pas des immigrants ou non-immigrants authentiques;
18. (1) Lorsqu'il en a connaissance, le greffier ou secré- taire d'une municipalité au Canada, dans laquelle une per- sonne ci-après décrite réside ou peut se trouver, un fonc- tionnaire à l'immigration ou un constable ou autre agent de la paix doit envoyer au directeur un rapport écrit, avec des détails complets, concernant
e) toute personne, autre qu'un citoyen canadien ou une personne ayant un domicile canadien, qui
(iv) était un membre d'une catégorie interdite lors de son admission au Canada,
(2) Quiconque, sur enquête dûment tenue par un enquê- teur spécial, est déclaré une personne décrite au paragraphe (1) devient sujet à expulsion.
entre au Canada, elle souhaite fortement vivre dans ce pays de manière permanente. Un tel souhait peut être en effet tout à fait compatible avec l'intention de se conformer au droit cana- dien et de ne rester au Canada ou d'y revenir par la suite que lorsque ladite personne sera autorisée à le faire tout en se conformant à la loi.)
Puisque l'article 7(3) ne s'applique pas en l'espèce je suis d'avis que l'enquête menant à l'ordonnance d'expulsion n'avait probablement aucun effet juridique et ne pouvait servir de fondement à une ordonnance d'expulsion. Ce qui est plus important encore, c'est que je sois fermement convaincu qu'au moment fut établi le rapport en vertu de l'article 22, le requérant n'était pas une personne cherchant à entrer au Canada et n'était pas, à ce moment, réputé être une telle personne; il ne pouvait donc pas faire l'objet d'une ordonnance d'expul- sion aux motifs qu'il ne possédait pas de visa d'immigrant valable et non périmé, aux termes du Règlement 28(1), qui s'applique seulement à une personne cherchant à être admise au Canada. 4
Si l'article 7(3) avait été applicable en l'es- pèce, il aurait fallu examiner si l'on avait donné au requérant, de manière équitable, la possibilité de répondre aux faits allégués contre lui. Avant de se prononcer sur une telle question, il aurait sans doute fallu autoriser l'intimé à procéder à un contre-interrogatoire sur les affidavits dépo- sés par le requérant et à l'autoriser à déposer ses propres affidavits.
A mon avis, l'ordonnance d'expulsion doit être annulée.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY a souscrit à l'avis.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT SWEET a souscrit à l'avis.
4 Selon ses propres termes, le Règlement 28(1) s'applique à une personne qui «cherche à être reçue» au Canada et le terme «réception» signifie, en vertu de l'article 2 de la Loi, «admission légale ... au Canada aux fins de résidence permanente».
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.