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T-203-75
Les Distributions Benjamin Ltée, Montreal News Dealers Supply Company Ltd., American Dis tributors Service Company Ltd. (Demanderesses)
c.
Les Distributions Éclair Ltée (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh— Montréal, le 24 février; Ottawa, le 27 février 1975.
Compétence—Requête en radiation de la déclaration—La Cour a-t-elle compétence?—Diffusion de revues par les demanderesses—Allèguent que la défenderesse fait circuler une brochure elle se décrit comme le diffuseur exclusif desdites revues—Des déclarations fausses et trompeuses cons- tituent-elles une pratique commerciale illégale—Injonction réclamée par les demanderesses—Ce genre de passing off est-il prévu par la Loi sur les marques de commerce?—Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, c. T-10, art. 7a), b) et e)— Loi sur la Cour fédérale, art. 20.
La défenderesse cherche à faire radier la déclaration des demanderesses en invoquant une exception d'incompétence. Les demanderesses distribuent des magazines à des détaillants et, en outre, elles préparent instantanément des états de ventes à l'intention des éditeurs. Elles prétendent que la défenderesse a fait circuler une brochure dans laquelle elle se décrit comme distributeur exclusif desdits magazines et affirme qu'elle peut, plus rapidement que quiconque, préparer des états de ventes. Les demanderesses prétendent que ces déclarations constituent de la concurrence déloyale en vertu de la Loi sur les marques de commerce qu'elles invoquent ainsi que la common law et l'equity pour obtenir une injonction contre le distributeur de la brochure.
Arrêt: la requête visant à obtenir la radiation de la déclara- tion est accueillie; le fait que les demanderesses puissent avoir un droit d'action ne confère pas nécessairement compétence à cette cour s'il s'agit d'un recours en common law pour concur rence déloyale ou relativement à des méthodes d'affaires con- traires aux honnêtes usages industriels ou commerciaux ayant cours au Canada, à moins que de tels recours ne se rattachent à la Loi sur les marques de commerce. Il s'agit tout au plus d'une réclame publicitaire exagérée. Rien ne laisse croire qu'il existe une marque distinctive qui différencie les services de diffusion des demanderesses de ceux d'autres personnes au sens de l'article 7a) de la Loi («... tendant à discréditer l'entreprise, les marchandises ou les services d'un concurrent»). Le seul but de la Loi sur les marques de commerce est d'interdire la concur rence déloyale; lorsque deux personnes offrent les mêmes servi ces, la confusion qui peut en résulter n'est pas le genre de passing off visé par l'article 7b). Et, bien que l'article 7e) puisse se suffire à lui-même, les demanderesses n'ont pas réussi à trouver des arrêts accordant une injonction pour des «services». Bien que l'article 7 mentionne des «services» au même titre que des produits, il vise la protection des services auxquels une marque de commerce est attachée. Rien en l'espèce ne permet de distinguer les services des demanderesses de ceux des autres.
Distinction faite avec l'arrêt: Therapeutic Research Cor poration Limited c. Life Aid Products Limited [1968] 2 R.C.É. 605.
REQUÊTE en radiation de la déclaration. AVOCATS:
L. Sculman pour les demanderesses. J. Greenstein pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Tinkoff, Seal, Shaposnik et Moscowitz, Montréal, pour les demanderesses.
Geoffrion et Prud'homme, Montréal, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: La défenderesse demande la radiation de la déclaration des demanderesses ou, subsidiairement, la radiation de certaines alléga- tions et des conclusions qui, selon elle, ne révèlent pas une cause raisonnable d'action, sont futiles ou vexatoires et constituent un emploi abusif des pro- cédures de la Cour; enfin, si les paragraphes 4 et 5 de la déclaration des demanderesses ne sont pas radiés, la défenderesse demande à la Cour de leur enjoindre de fournir des détails à leur sujet et de proroger le délai de production d'une défense aussi longtemps qu'elle le juge à propos.
La défenderesse fonde son opposition à l'ensem- ble de la déclaration sur le fait que cette cour ne peut connaître de la cause d'action et si l'on fait droit à ce moyen, il ne sera alors pas nécessaire de statuer sur le bien-fondé des conclusions subsidiaires.
Pour les fins de la requête en radiation, on doit présumer que les allégations en cause sont véridi- ques. Ceci étant, la Cour doit décider si elles peuvent donner ouverture au recours réclamé.
Sans faire l'énumération détaillée des alléga- tions contenues dans la déclaration des demande- resses, on peut en retenir que les demanderesses distribuent, depuis plusieurs années, dans la pro vince de Québec, des revues et périodiques en anglais et en français. Elles ont acquis des droits exclusifs de diffusion, notamment des versions anglaises du Reader's Digest, des revues
Maclean's Magazine et Chatelaine; s'ajoutent à ces revues qu'elles distribuent depuis trente-cinq ans, un magazine intitulé Sesame Street sur lequel elles détiennent des droits exclusifs de diffusion depuis 1970, et un périodique intitulé Salut les Copains et plusieurs illustrés provenant des États- Unis. Il est en outre allégué que depuis vingt-cinq ans, elles assurent la distribution dans la chaîne de supermarchés exploitée par la Steinberg Limited, de même que chez trois milles autres détaillants et qu'instantanément, elles préparent des états de ventes à l'intention des éditeurs à l'aide d'un sys- tème de données centralisées. Elles prétendent que la défenderesse a fait circuler à travers le Canada et le monde entier une brochure publicitaire dans laquelle elle se décrit comme étant le diffuseur exclusif des revues intitulées Maclean's Magazine, Chatelaine, Reader's Digest, Sesame Street et Salut les Copains'. La brochure mentionne en outre que la défenderesse peut plus rapidement que quiconque préparer des états de ventes à l'in- tention des ses clients, que la croissance de super- marchés et de centres commerciaux a modifié les habitudes des acheteurs québécois, qu'elle fut la première à établir des points de vente en vue de percer ce nouveau marché et qu'elle diffuse un certain nombre de séries populaires d'illustrés américains. Les demanderesses protestent car elles fournissent à leurs clients des états de ventes tout aussi rapidement que le fait la défenderesse, qu'el- les approvisionnaient les supermarchés en magazi nes avant que la défenderesse n'existe et qu'elles sont les diffuseurs de sept séries d'illustrés améri- cains d'importance alors que la défenderesse n'en diffusait qu'une seule. Elles prétendent que ces déclarations fausses et trompeuses constituent de la concurrence déloyale au sens des dispositions de la Loi sur les marques de commercez, qu'elles ont acquis une réputation de diffuseur fiable et dili gent, et que la défenderesse est coupable d'actes visant à tromper le public et à faire croire que ses services de diffusion sont approuvés et autorisés par les demanderesses qui détiennent des droits exclusifs de diffusion des revues et périodiques en question. Elles invoquent la common law, l'equity et les dispositions de l'article 7a), b), c) et e) de la
Il faut souligner que la brochure publicitaire déposée n'indi- que pas que la défenderesse prétend être le diffuseur «exclusif».
2 S.R.C. 1970, c. T-10.
Loi sur les marques de commerce, cherchent à obtenir une injonction interdisant à la défenderesse de faire circuler la brochure publicitaire en ques tion, d'attirer l'attention du public sur ses services de manière à vraisemblablement causer de la con fusion au Canada entre ses services de diffusion et ceux des demanderesses, à faire des actes ou à adopter des méthodes d'affaires contraires aux honnêtes usages industriels ou commerciaux ayant cours au Canada et risquant de causer un préju- dice aux demanderesses. Elles cherchent aussi à obtenir une ordonnance demandant de remettre toutes les brochures publicitaires pour qu'elles soient détruites, de transmettre les noms et adres- ses de toutes les personnes à qui des copies de la brochure ont été envoyées et réclament des dommages-intérêts.
Si les demanderesses ont des droits exclusifs de diffusion des revues en question dans la province de Québec comme elles le prétendent, il se peut alors qu'elles aient une cause d'action légitime à l'encontre de la défenderesse; on peut cependant se demander pourquoi elles n'ont pas plutôt intenté des procédures contres les éditeurs si elles détien- nent ces droits exclusifs, puisqu'il est manifeste que la défenderesse ne prévoit avoir aucune diffi culté à obtenir ces revues pour les distribuer, si elle n'a pas déjà commencé à le faire. Toutefois, je ne suis pas saisi de cette question. Le fait que les demanderesses puissent avoir un droit d'action ne confère pas nécessairement compétence à cette cour, s'il s'agit d'un recours en common law pour concurrence déloyale ou relativement à des métho- des d'affaires contraires aux honnêtes usages industriels ou commerciaux ayant cours au Canada, à moins qu'un tel recours ne découle de la Loi sur les marques de commerce ou n'y soit de quelque façon rattaché. L'article 20 de la Loi sur la Cour fédérale confère à la Division de première instance:
... compétence concurrente dans tous les autres cas l'on cherche à obtenir un redressement en vertu d'une loi du Parle- ment du Canada, ou de toute autre règle de droit relativement à un brevet d'invention, un droit d'auteur, une marque de com merce ou un dessin industriel. [Les italiques sont de moi.]
Les demanderesses prétendent que cette cour a compétence en vertu de l'article 7 de la Loi sur les marques de commerce. Les alinéas a), b), et e), en particulier, se lisent comme suit:
7. Nul ne doit
a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l'entreprise, les marchandises ou les services d'un concurrent;
b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisem- blablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandi- ses, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre;
e) faire un autre acte ou adopter une autre méthode d'affai- res contraire aux honnêtes usages industriels ou commer- ciaux ayant cours au Canada.
Au cours des plaidoiries, on a particulièrement souligné le fait que les alinéas a) et b) mention- naient les «services» au même titre que l'entreprise et les marchandises. En l'espèce, rien ne laisse croire que la défenderesse substitue d'autres revues aux revues en question; les demanderesses se plai- gnent du fait que la défenderesse indique dans sa brochure publicitaire qu'elle peut fournir des servi ces analogues à ceux que les demanderesses assu- rent depuis plusieurs années et, de fait, elle laisse même entendre qu'elle peut, plus rapidement que quiconque, préparer des états de ventes et qu'elle fut la première à faire circuler ces publications dans les supermarchés québécois. Sans discuter du bien-fondé de l'affaire, il me semblerait qu'elle constitue tout au plus une réclame publicitaire exagérée, comme on en trouve pour toutes sortes de produits et elle ne pourrait être interprétée comme «tendant à discréditer l'entreprise, les mar- chandises ou les services d'un concurrent» au sens de l'article 7a) de la Loi.
La Loi ne définit pas le mot «services», mais donne de l'expression «marque de commerce» la définition suivante:
a) une marque qui est employée par une personne aux fins ou en vue de distinguer des marchandises fabriquées, ven- dues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par elle, de marchandises fabriquées, vendues, don- nées à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d'autres,
b) une marque de certification,
c) un signe distinctif, ou
d) une marque de commerce projetée;
«Marque de certification» est elle-même définie d'une manière qui indique sans l'ombre d'un doute qu'elle se rapporte à une marque particulière utili sée à l'égard de marchandises ou services d'une norme définie pour les distinguer des marchandises ou services qui ne relèvent pas de cette norme. De
même, «signe distinctif» se rapporte au façonne- ment de marchandises ou de leurs contenants ou au mode d'empaquetage qui distinguent les mar- chandises ou services de ceux qui sont vendus ou exécutés par d'autres. Rien ne laisse croire qu'il existe ici une marque distinctive qui différencie les services de diffusion des demanderesses de ceux d'autres personnes. Même si les services sont assu- rés de manière très efficace et adéquate, il n'y a rien de particulier dans la façon dont ils le sont que la défenderesse copie. N'importe qui peut exécuter des services de diffusion semblables pourvu qu'il puisse obtenir des sources d'approvisionnement en revues à distribuer, qu'il obtienne le financement nécessaire, le matériel, l'expérience et la compé- tence voulus pour rendre le genre de services que les demanderesses prétendent assurer.
La Loi sur les marques de commerce a pour but d'interdire non pas la concurrence, mais unique- ment la concurrence déloyale. Lorsque deux per- sonnes annoncent qu'elles peuvent exécuter les mêmes services, ceci peut, d'une certaine façon, causer de la confusion parmi les clients éventuels, mais je ne conclus pas qu'il s'agit du genre de confusion ou de passing off visé par l'article 7b) de la Loi sur les marques de commerce.
Si les demanderesses désirent invoquer la Loi sur les marques de commerce, ce sera en vertu des dispositions assez générales de l'article 7e). On a cité le jugement du juge Noël, maintenant juge en chef adjoint, dans l'affaire Therapeutic Research Corporation Limited c. Life Aid Products Lim ited' qui décida que l'article 7e) de la Loi sur les marques de commerce est autonome et ne porte pas nécessairement sur des questions du même genre que celles prévues aux alinéas a), b), c) et d) de l'article 7, ainsi qu'on l'avait cru antérieure- ment à la suite de la décision rendue dans l'affaire Eldon Industries Inc. c. Reliable Toy Ltd. 4 . Tou- tefois, dans l'affaire Therapeutic Research Corpo ration Limited, la demanderesse avait utilisé les photographies d'un objet, savoir un masque à oxy-
3 [1968] 2 R.C.É. 605.
4 28 Fox Pat. C. 163; 31 Fox Pat. C. 186.
gène fabriqué par les demanderesses, en collant son étiquette sur celle des demanderesses. Le juge- ment énonçait à la page 607:
[TRADUCTION] Les déclarations et exposés contenus dans les feuillets publicitaires de la défenderesse (elle en a encore six milles en sa possession, aux dires de l'avocat) sont par consé- quent, manifestement trompeurs et bien qu'un tel recours puisse ne pas relever de l'interdiction prévue aux paragraphes a), b), c) ou d) de l'article 7 de la Loi sur les marques de commerce, il est, à mon avis, couvert par l'alinéa e) dudit article car ces déclarations ou exposés constituent une manoeu vre trompeuse puisqu'elles présentent au public comme l'appa- reil de la défenderesse un appareil fabriqué par quelqu'un d'autre et qui, en outre, est différent de son propre appareil. En plus de créer de la confusion, de tromper et d'induire le public en erreur, cette manoeuvre délibérée et malhonnête est égale- ment contraire aux honnêtes usages commerciaux ayant cours dans ce pays.
Ce jugement portait par conséquent sur un objet et non un service. De fait, les demanderesses admet- tent qu'elles ont été incapables de trouver des arrêts visant des services, qui auraient accordé une injonction en vertu des dispositions de la Loi sur les marques de commerce relatives à la concur rence déloyale ou aux méthodes d'affaires contrai- res aux honnêtes usages industriels ou commer-
ciaux ayant cours au Canada. Voici ce qui est dit dans Fox, The Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, 3 e édition, à la page 64:
[TRADUCTION] En vertu de la common law et des lois anté- rieures, seules les marques servant à distinguer les marchandi- ses étaient considérées comme des marques de commerce; la création de droits relatifs à des marques destinées à identifier des services constitue donc une innovation en droit canadien. Désormais, il y aurait emploi d'une marque de commerce en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l'exécution ou l'annonce de ces services. «L'emploi au Canada» d'une marque de commerce relativement à des services ne découle pas de la simple annonce de la marque de commerce au Canada alors que les services sont exécutés à l'extérieur du Canada, mais exige que les services soient exécutés au Canada et que la marque de commerce soit employée ou montrée dans l'exécution ou l'annonce de ces services au Canada.
Il semblerait donc que, bien que l'article 7 de la Loi mentionne des «services» au même titre que des marchandises ou des entreprises, il vise la protec tion des services à l'égard desquels il y a emploi d'une marque de commerce. En l'espèce, il n'y a aucune marque de commerce de cette nature ni quoique ce soit qui distingue les services des demanderesses de ceux des autres. Je conclus donc que cette cour ne peut connaître de l'action inten- tée par les demanderesses en l'espèce.
ORDONNANCE
La requête de la défenderesse visant l'annulation de la déclaration des demanderesses est accueillie avec dépens.
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