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T-2748-72
Conrad David (Demandeur)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh— Montréal, les 17, 18, 19 février et 25 avril 1975.
Impôt sur le revenu—Nouvelle cotisation—Le demandeur et ses associés vendant à une compagnie leur participation à une fiducie de régime de retraite—Prétendue ignorance des effets juridiques—S'agit-il d'un dividende versé au demandeur au moment de la vente?—La compagnie du demandeur ou sa fiducie de régime de retraite lui ont-elles conféré un avanta- ge?—Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148 et modifications, art. 8(1), 38, 81(1), 137, 138 et 138A.
Il s'agit d'un appel portant sur la somme de $124,508.72 rajoutée au revenu du demandeur pour l'année 1965, la suite d'une nouvelle cotisation du Ministre au motif que cette somme représentait un dividende en vertu de l'article 81 de la Loi de l'impôt sur le revenu, ou subsidiairement, que la compagnie ou sa fiducie de régime de retraite a conféré un avantage au demandeur, au sens de l'article 137(2) de la Loi. Le deman- deur, ses frères et son beau-frère exploitaient une carrière de pierre, la compagnie «C». La carrière a été vendue en 1965 et la compagnie devint une société de placements. Un régime de retraite fut constituée et, en décembre 1965, le groupe «David» vendit ses 12,000 actions de la compagnie «C» à la compagnie
contrôlée par le groupe «Dunn»; les membres du groupe David prétendent maintenant qu'ils avaient agi sur les conseils de leur conseiller financier et qu'ils ignoraient les noms des acheteurs jusqu'à la signature du contrat. La vente était faite à condition que les vendeurs remboursent les avances qui leur avaient été faites et qu'ils achètent aux nouveaux propriétaires les comptes à recevoir de la compagnie «C». Le demandeur prétend qu'à la suite de la vente, il n'y avait pas eu de distribution du surplus au groupe David et qu'on n'a pas procédé à la liquidation, etc., de la compagnie au sens de l'article 81, et qu'en outre l'article 137(2) n'est pas applicable, la transaction constituant une vente, en toute indépendance, de biens de capital sans conséquences fiscales.
Arrêt: l'action est rejetée; la preuve n'établit pas que le groupe Dunn voulait acquérir la fiducie au profit de ses employés, et non en vue d'obtenir certains avantages et profits résultant de l'acquisition, sans payer d'impôt, du solde de l'actif par le groupe David. Même si le demandeur ignorait comment obtenir par la suite les fonds pour payer les actions, son comptable (et mandataire) le savait. Un contribuable ne peut échapper aux conséquences d'un projet proposé en son nom par ses conseillers professionnels. S'il l'adopte, il est lié quel que soit le degré de connaissance qu'il en avait personnellement. Les membres du groupe David avaient discuté des conséquen- ces fiscales avec leur conseiller et ont collaboré avec les ache- teurs, alors inconnus, en démissionnant de leur poste de fidu- ciaire. Il paraît difficile d'admettre que le groupe David aurait abandonné le contrôle de la fiducie à un groupe d'étrangers, tout en ignorant complètement les raisons de ce faire. Le groupe David ne pouvait pas non plus ignorer la possibilité d'échapper à l'impôt sur la distribution.
Ce n'était pas «par suite de» la cessation des activités com- merciales de la compagnie «C» que les fonds ont été affectés au profit du groupe David, cependant, il est évident que le groupe Dunn envisageait de cesser tout activité immédiatement. La liquidation faisait partie du projet; on ne peut plaider l'igno- rance. L'article 81(1)b) doit s'appliquer, avec pour conséquence l'attribution d'un crédit de dividende à chaque membre du groupe David, en vertu de l'article 38, pour sa part du revenu disponible non réparti, qui est censée être comprise dans le paiement qu'il reçoit.
Subsidiairement, en ce qui concerne l'application de l'article 137(2), il est certain que la compagnie ou sa fiducie de régime de retraite a conféré un avantage aux membres du groupe David, en ce sens qu'à la suite des transactions, ils ont pu prélever le solde non réparti sans payer d'impôt.
Enfin, le demandeur n'a pas gain de cause dans sa tentative d'invoquer l'article 137(3) car, quoique traitant en tout indé- pendance, le groupe David ne peut, prétendant ignorer les suites de l'opération, soutenir que l'achat d'actions ne faisait pas «partie de quelque autre opération».
Arrêt appliqué: Simard-Beaudry c. M.R.N. [1974] 2 C.F. 131. Arrêts suivis: Smythe c. M.R.N. [1968] R.C.É. 189; [1970] R.C.S. 64; Merritt c. M.R.N. [1941] R.C.É. 175 et Craddock c. M.R.N. [1969] R.C.E. 23.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
M. Paquin, c.r., et H. P. Lemay, c.r., pour le demandeur.
A. Garon, c.r., et W. Lefebvre pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Lemay, Paquin & Gilbert, Montréal, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Cette affaire fut entendue en même temps que deux autres affaires, Fernand David c. La Reine (T-2747-72) et Raymond Pepin c. La Reine (T-2749-72), fondées sur les mêmes faits et une preuve commune. Les présents motifs s'appliqueront donc aux deux autres affaires. La même nouvelle cotisation aurait pu être établie à l'égard d'un autre membre de la famille, Aimé David, mais ce ne fut pas le cas parce que, pré- tend-on, il a fait cession de ses biens; de toute façon, aucune procédure relative à l'imposition d'Aimé David n'a été introduite devant la Cour fédérale. Raymond Pepin est le beau-frère des
David et pour plus de commodité nous désignerons ici Conrad David, Fernand David et Raymond Pepin sous le nom de groupe David. Par voie de nouvelles cotisations, on ajouta la somme de $124,- 508.72 au revenu de chacun des trois contribuables pour l'année d'imposition 1965 au motif que cette somme constituait un dividende reçu lors de la vente des actions de Carrière Montréal-Est Limi- tée, soit un quart du revenu non distribué qui, selon les calculs du Ministre, se chiffrait à $498,- 034.88; cette somme totale aurait été distribuée ou autrement appropriée au bénéfice du groupe (les actionnaires) lors de la liquidation, de la cessation ou de la réorganisation de l'entreprise. Le Ministre prétend qu'aux termes de l'article 81 de la Loi de l'impôt sur le revenu en vigueur à cette époque', cette somme était censée être un dividende. Le Ministre prétend à titre subsidiaire que la compa- gnie ou la fiducie du régime de retraite a conféré un avantage au groupe, au sens de l'article 137(2) de la Loi, et que la part de cet avantage revenant à chaque membre du groupe se chiffre à $124,- 508.72. Il est donc interjeté appel de la nouvelle cotisation en date du 4 mars 1971, qui fit l'objet d'un avis d'opposition le 14 mai 1971; la cotisation fut confirmée par le Ministre le 27 juin 1972.
Selon la déclaration du demandeur, ses frères et lui-même ont été élevés dans une ferme dans l'est de Montréal et ont entrepris par la suite, avec leur beau-frère Raymond Pepin, l'exploitation commer- ciale d'une carrière de pierre sur la terre pater- nelle; cette exploitation prospéra et l'entreprise fut finalement constituée en corporation au Québec sous le nom Carrière Montréal-Est Limitée— Montreal East Quarries Limited, le 27 janvier 1953. Lors de l'année en cause, 1965, il y avait 12,000 actions ordinaires en circulation, 3,000 détenues par chacun des membres du groupe et les 3,000 restantes par l'autre frère, Aimé David. Le 24 août 1965, la carrière et ses installations furent vendues à la Ciment Indépendent Inc. pour la somme $3,100,000, payée comptant. Toujours selon la déclaration du demandeur, la Carrière Montréal-Est devint alors une société de place ments comme l'indique le bilan daté du 21 décem- bre 1965 apparaît un actif de $3,128,286.81,
' S.R.C. 1952, c. 148, dans sa forme modifiée.
dont $2,036,305.40 d'encaisse, $137,526.41 de comptes à recevoir et $940,000 en avances aux administrateurs, ainsi qu'un certain nombre de sommes moins importantes dont nous ne nous occuperons pas, en dépôt auprès de l'Hydro-Qué- bec et en dépôt sur une offre. Au passif figuraient la somme de $80,944.10 au titre d'impôts payables et un surplus gagné de $554,002.33 qui, ajouté au surplus de capital de $2,481,340.38, donnait un surplus total de $3,035,342.71.
Le l er janvier 1964, la compagnie créa un régime de retraite qui fut accepté à l'enregistre- ment le 18 juin 1964 et approuvé au nom du ministre du Revenu national le 14 septembre 1965, ce qui permit à la compagnie de déduire les contri butions à ce régime, en conformité de l'article 76 de la Loi. Le 30 décembre 1965, le groupe vendit les 12,000 actions de la compagnie à la Fiducie du Régime de Retraite Assurance C. W. Dunn Inc., pour la somme de $2,925,000 la condition qué les vendeurs remboursent, à la date de la vente, les avances de $940,000 qui leur avaient été faites, et achètent aux nouveaux actionnaires les comptes à recevoir de la Carrière-Montréal-Est Limitée dont la valeur nominale était de $137,526.41 2 . Le demandeur affirme que le groupe n'apprit le nom réel des acheteurs qu'à la date de la signature du contrat, puisque c'était un certain Robert Faust qui était entré en pourparlers avec eux en leur nom. C'est à Faust, conseiller en assurances et régimes de pension, que s'était adressé leur comp- table Jean-Marc Lemieux, au moment ils orga- nisèrent le régime de retraite de la compagnie. Ils prétendent avoir vaguement entendu dire qu'un certain M. Dunn de Sherbrooke, réputé million- naire, s'intéressait à l'achat du régime de retraite de la compagnie. Le demandeur prétend que lors- qu'ils vendirent leurs actions à la Fiducie du Régime de Retraite Assurance C. W. Dunn Inc., les membres du groupe reçurent un paiement à cet égard, que les acheteurs, par l'acquisition desdites actions, ont directement acheté tout l'actif et le passif de la compagnie y compris son surplus et qu'il y eut par la suite une distribution ou une appropriation du surplus par les acheteurs, ces opérations étant postérieures à la vente, à une époque le groupe David ne possédait plus les
2 En fait ils ne versèrent qu'une somme de $103,526.41, les comptes à recevoir ayant été réduits dans l'intervalle.
actions et ne contrôlait plus la compagnie ni ses biens. Il prétend qu'en raison de la vente de leurs actions, toute distribution ou appropriation du sur plus de la compagnie en leur faveur était impossi ble, et qu'il n'y eut aucune liquidation, cessation ou réorganisation de l'entreprise de la compagnie qui justifierait l'application de l'article 81 de la Loi. Le demandeur prétend en outre que la vente fut simplement une vente de biens de capital sans conséquences fiscales justifiant l'application de l'article 137(2), puisqu'aucun avantage n'a été conféré aux membres du group David qui reçurent simplement un prix raisonnable pour leurs actions, selon la valeur indiquée aux états financiers de la compagnie; toujours selon le demandeur, l'opéra- tion relève de l'article 137(3) de la Loi parce que la vente a été conclue par des personnes traitant à distance, de bonne foi et non en conformité ou comme partie de quelque autre opération.
La défenderesse prétend par contre que lorsque le groupe David vendit les actions à la Fiducie du Régime de Retraite Assurance C. W. Dunn Inc., cette dernière agissait en fait au nom de la fiducie du régime de retraite de la compagnie qui, en vertu du contrat de fiducie, était elle-même gérée par la compagnie qui pouvait prendre toute décision et trancher toute question concernant l'interprétation et l'application du régime de retraite. Le groupe David, ainsi que Jean-Marc Lemieux, leur comp- table, étaient les fiduciaires de ce régime, mais la compagnie pouvait remplacer un ou plusieurs d'en- tre eux avec un mois de préavis. Seuls les diri- geants de la compagnie pouvaient participer à ce régime, c'est-à-dire les quatre membres du groupe David; c'est sur cette base que l'actuaire fonda ses calculs pour déterminer le nombre de contributions annuelles et leur montant. Alors que les contribu tions de la compagnie à ce régime de retraite auraient pu être considérées à cette époque comme déductibles en vertu des dispositions de l'article 76 de la Loi, après obtention de l'approbation du Ministre, la jurisprudence récente a établi de manière définitive que cela ne serait plus possible dans le cas d'un régime de retraite organisé selon des termes et conditions similaires à ceux du régime en cause. La question de la déductibilité des contributions de la compagnie n'est cependant pas en litige en l'espèce et il est inutile de s'y arrêter plus longtemps.
La défenderesse prétend que le groupe David, alors qu'il détenait toutes les actions de la compa- gnie, s'est approprié pendant l'année fiscale 1965, la majeure partie de son actif, savoir la somme de $2,925,000 reçue de la fiducie du régime de retraite de la compagnie et qu'en transférant cette somme au groupe, la Fiducie du Régime de Retraite Assurance C. W. Dunn Inc., en qualité de mandataire de la fiducie dudit régime de retraite, elle-même mandataire de la compagnie, a conféré à chaque membre du groupe un avantage se chif- frant à $124,508.72, relevant donc des dispositions de l'article 137(2) de la Loi; elle prétend aussi que la compagnie avait un surplus de $498,034.88 et a distribué au groupe la somme de $2,925,000 lors de la liquidation, de la cessation ou de la réorgani- sation de son entreprise, et qu'en conséquence, chaque membre de ce groupe est censé avoir reçu un dividende de $124,508.72, aux termes de l'arti- cle 81 de la Loi.
La défenderesse prétend que tout ceci résulte des étapes suivantes de l'ensemble des opérations du 30 décembre 1965:
a) Morgan, Ostiguy, Hudon Ltd. (agent de change), moyennant paiement d'honoraires de $1,440, émit huit chèques totalisant $2,925,000, à l'ordre des membres du groupe David en paiement de l'achat de leurs actions de la com- pagnie par la Fiducie du Régime de Retraite Assurance C. W. Dunn Inc., mandataire de la fiducie du régime de retraite de la compagnie. Les membres du groupe David s'engagèrent à démissionner de leurs postes dans la compagnie à compter du ler janvier 1966.
b) La compagnie, selon les dispositions de son régime de retraite, versa à la fiducie de son régime de retraite, prétendument en paiement de services passés, la somme de $318,988.65 ainsi que la somme de $319,528.50, prétendu- ment à titre de dividendes aux actionnaires, et la somme de $2,481,340.38 représentant le surplus de capital de la compagnie.
c) La fiducie du régime de retraite de la compa- gnie versa alors à Morgan, Ostiguy, Hudon la somme de $2,926,440, pour rembourser le prêt temporaire consenti par lesdits agents de change lorsqu'ils avaient émis les chèques mentionnés au paragraphe a). On prétend que ces opérations
eurent pour effet de permettre au groupe de s'approprier à leur avantage et bénéfice le sur plus non distribué de la compagnie.
La défenderesse allègue en outre que, lors d'une réunion spéciale des administrateurs de la compa- gnie tenue le 22 décembre 1965, les dispositions relatives à la fiducie du régime de retraite de la compagnie furent modifiées de manière à ce que le montant des contributions versées au régime avant le 22 décembre 1965 soient considérées comme des droits acquis des participants au régime à cette époque, et soient payables à ces derniers en cas de cessation de leur emploi dans la compagnie et que toutes les contributions au fonds de retraite après le 22 décembre 1965, à titre de services passés ou de services courants, soient dévolues aux partici pants au régime après dix ans de participation, à moins que les dirigeants de la compagnie n'en décident autrement. Lors d'une réunion ultérieure, tenue le même jour, les membres du groupe et Lemieux, c'est-à-dire, tous les fiduciaires, démis- sionnèrent et furent remplacés par John J. Dunn, Robert A. Faust, Lucien Dion et Louis Marc Tanguay, ci-après appelés le groupe Dunn. On prétend que cette procédure devait faciliter l'exé- cution des opérations prévues pour le 30 décembre 1965. On prétend que la fiducie du régime de pension n'était qu'un mandataire de la compagnie et n'a donc jamais investi d'argent pour l'achat des actions de ladite compagnie puisque les fonds de la compagnie auraient indirectement servi à l'achat de ses propres actions. La défenderesse affirme que la compagnie, après la vente de son actif à la Ciment Indépendent Inc., le 24 août 1965, ne s'occupa que de placements, du recouvrement des comptes à recevoir et du paiement des dépenses accessoires à ces activités, qu'elle n'exploita plus d'entreprise et ne tira aucun bénéfice de ces diffé- rentes opérations.
A l'ouverture de l'audience, on modifia le para- graphe 5 de la déclaration de manière à préciser que le 14 décembre 1955 ou aux environs de cette date, les frères David avaient acheté la terre pater- nelle et ne l'avaient donc pas reçue en héritage, comme ils l'avaient initialement déclaré. En fait, il ressort de la preuve que la compagnie Carrière Montréal-Est Limitée avait déjà été constituée en corporation et que la vente fut en fait conclue avec la compagnie qui versa $25,000 comptant et paya par la suite le solde de $248,000.
Conrad David fut le seul membre du groupe à témoigner. Il ressort de sa déposition et de celle de Jean-Marc Lemieux, C.A., comptable de la com- pagnie qui, de 1961 à 1965, consacrait de dix à quinze heures par semaine à la tenue des comptes, qu'ils avaient convenu de vendre les actifs réels de la compagnie en août 1965 parce qu'ils se ren- daient compte que la carrière serait épuisée dans environ dix ou douze ans, que les acheteurs préfé- raient les actifs aux actions de la compagnie et que le prix fut négocié selon le principe qu'il fallait demander environ 3 1 / 2 millions de dollars pour réaliser, après impôts, la somme de $2,800,000, correspondant à peu près à la valeur estimée des actifs de la compagnie. On leur offrit à l'origine $3,200,000, chiffre réduit à $3,100,000 par l'ache- teur en raison du retard de leur réponse, et finale- ment accepté. La compagnie possédait depuis 1955 un régime d'assurance collective que lui avait vendu un certain Rodolphe Ranger, mandataire de l'Excelsior Insurance Company, avec laquelle elle traitait. Un certain Faust, à l'emploi de cette compagnie, avait étudié la question avec Ranger et leur avait proposé en avril 1964 un régime de retraite limité aux dirigeants. L'organisation de ce régime de retraite fut effectuée selon les conseils de Lemieux qui, selon les meilleures traditions de sa profession ne se limitait pas à la vérification des comptes mais donnait aussi à ses clients des con- seils d'ordre financier et comptable. Il s'inquiétait du montant élevé d'impôt sur le revenu personnel que le groupe David commençait maintenant à payer et se mit en rapport avec Faust, qui se trouvait être un expert en matière de régimes de retraite et de planification successorale et avec lequel il avait déjà été en relations d'affaires. Faust à son tour se mit en rapport avec Me Claude Couture, c.r., expert en droit fiscal, avec lequel il avait déjà traité. Me Couture ne traita pas directe- ment avec le groupe David et agit à tous égards en qualité de conseiller juridique de Faust, et plus tard du groupe Dunn auquel Faust appartenait au moment ce groupe acheta les actions de la compagnie. Ainsi, nous voyons que Me Couture, dès le 8 octobre 1965, écrivait au ministère du Revenu national au sujet de Carrière Montréal-Est Limitée afin de discuter les modifications à son régime de retraite; il faisait remarquer que la compagnie ayant alors vendu ses actifs principaux et ne devant pas être exploitée à l'avenir, on avait
prévu de faire une contribution de $300,000 à la fiducie du régime de retraite à titre de paiement final qui lui permettrait de s'acquitter d'une partie des obligations de la compagnie déterminées par les calculs de l'actuaire. Dans cette lettre, il signa- lait en outre que les fonds de la fiducie versés en vertu du régime de retraite resteraient dans la fiducie jusqu'à la date du versement des pensions et, comme on avait proposé de diviser le fonds en quatre fiducies, une pour chacun des participants, il demandait aussi s'il y aurait une objection quel- conque à le faire. Dans son témoignage il déclara que cela n'avait aucun rapport avec la vente ulté- rieure des actions de la compagnie et que ce ne fut pas avant le début de décembre, peut-être vers le 10 décembre, que Faust vint discuter avec lui d'un mémoire dans lequel il décrivait, étape par étape, un plan dont les grandes lignes correspondaient à celui qui fut finalement adopté et entraîna les diverses opérations effectuées à la fin de décembre. Me Couture affirma aussi dans son témoignage qu'à l'époque il écrivit cette lettre sur les projets de modification du régime de retraite, Faust agis- sait au nom de la compagnie et lui avait demandé conseil parce qu'il s'était déjà occupé de l'enregis- trement du régime, alors qu'en décembre, Faust agissait en son nom et apparemment au nom du groupe Dunn, dont il était membre, pour tout ce qui concernait l'achat des actions de la compagnie.
Faust témoigna qu'après la vente des actifs réels de la compagnie, Aimé David souhaitait simple- ment retirer ses fonds et ne s'intéressait plus au régime de retraite. L'idée lui vint qu'on pouvait faire quelque chose avec ce régime de pension; il essaya d'août à décembre, de rencontrer des mem- bres du groupe David mais Aimé David ne voulait même pas en discuter. C'est de sa propre initiative qu'il demanda à Me Couture d'écrire au Ministre pour demander si ce fonds pouvait être divisé. Il le fit sans avoir reçu aucune instruction du groupe David et pense même n'en avoir pas discuté avec Lemieux. Il affirma que ces démarches étaient parfaitement appropriées et habituelles dans sa profession car il est souhaitable d'examiner à l'avance les conséquences fiscales d'un régime d'assurance et de pension avant de le proposer aux clients et d'obtenir auprès de personnes qualifiées des conseils juridiques pour disposer ainsi de toutes les informations nécessaires. En temps voulu, il versa à Lemieux certaines sommes qui n'étaient
cependant pas entièrement liées aux opérations menant à la vente des actions de la compagnie mais qui se rapportaient à divers autres travaux que Lemieux avait effectués pour lui en 1965 pour d'autres clients et le groupe David. Selon lui, Lemieux lui envoyait parfois des clients et, à l'oc- casion, lui demandait conseil sur des problèmes d'assurance; à son tour, il demandait parfois à Lemieux de lui procurer certains renseignements ou de préparer certains états financiers nécessaires à la formulation de plans. Bien qu'aucun des deux témoins ne l'ait spécifiquement qualifié de tel, il semble qu'il versait à Lemieux ce que l'on pouvait appeler des honoraires de «rabatteur» non seule- ment en rémunération de ses services, mais aussi pour l'apport de nouveaux clients auxquels Faust pouvait vendre un régime d'assurance collective ou un régime de pension et réaliser ainsi un bénéfice. Il n'y a certainement rien de repréhensible à cela, et je ne pense pas qu'il y ait non plus de conflit d'intérêts pour Lemieux puisque les conseils demandés à Faust au nom du groupe David étaient clairement dans leur intérêt.
Le contrat signé le 30 décembre 1965, relative- ment à la vente des actions, est un document particulièrement intéressant. L'article 4 commence par un préambule dans lequel les actionnaires déclarent ne pas connaître les intentions de l'ache- teur à l'égard de la compagnie après l'exécution de la vente mais dans lequel l'acheteur s'engage notamment à faire en sorte que les nouveaux admi- nistrateurs adoptent le même jour une résolution prévoyant le remboursement aux actionnaires de toutes les contributions versées jusqu'à cette date par la compagnie à son régime de retraite. On y trouve aussi trois autres clauses significatives dans lesquelles les acheteurs s'engagent:
c) A ne pas distribuer le surplus de la Compagnie autrement que suivant les dispositions des lois de l'impôt fédéral et provincial régissant telle distribution;
d) A ne rien faire qui pourrait amener le ministre du Revenu national à user de sa discrétion selon les dispositions de l'article 138A de la Loi de l'impôt sur le revenu (fédérale);'
e) A ne rien faire qui pourrait amener l'application de l'article 138 de ladite loi. 4
'Il s'agit de l'article concernant le dépouillement de dividen- des entré en vigueur en 1963.
° Il s'agit de l'article concernant la dissimulation ou réduction de matière imposable.
Le demandeur témoigna que, lors des pourparlers préalables à la vente, Lemieux avait suggéré de consulter des avocats experts en fiscalité, ce qu'ils firent, et que ces articles furent inclus sur leurs conseils.
Il semble cependant que, même si les quatre membres du groupe David sont décrits comme parties de seconde part au contrat et l'ont d'abord signé en cette qualité, c'est seulement à la date de la signature que fut révélé et inscrit au contrat, comme partie de première part, le nom des ache- teurs, savoir la Fiducie du Régime de Retraite Assurance C. W. Dunn Inc., à titre de mandataires et représentés, aux fins de ce contrat, par les fiduciaires John J. Dunn, Émilien Gauthier et Lucien Dion, C.A. ci-après appelés «les mandatai- res». Cette désignation fut ajoutée à l'encre à la fin du contrat signé par les trois fiduciaires. Me Cou- ture affirme avoir lui-même ajouté cette mention à ce moment. Tout cela corrobore donc le témoi- gnage du demandeur selon lequel le groupe David ne connaissait pas le nom réel des acheteurs et ne cherchait pas à savoir de qui il recevait ledit paiement. Lemieux corrobore encore cela lorsqu'il affirme avoir seulement vérifié, à la date de la signature, si Morgan, Ostiguy, Hudon Ltd. avait en main les fonds nécessaires pour les chèques émis en paiement. Chaque vendeur reçut deux chèques, l'un de $495,384.75 et l'autre de $235,- 000. Les quatre chèques de $235,000 devaient couvrir le montant de $940,000 au titre d'avances aux administrateurs, qu'ils s'étaient engagés à rembourser au moment de la vente. Ces chèques furent endossés par eux à la compagnie comme preuve du remboursement total de ces avances. Le demandeur affirme qu'ils se préoccupaient peu de savoir d'où provenaient les fonds pourvu qu'ils soient payés. La fiducie du régime de retraite de la compagnie leur versa à chacun un chèque de $8,304.33 en date du 30 décembre 1965, en con- formité d'une résolution adoptée lors d'une réunion tenue le 22 décembre 1965, portant que les contri butions au fonds de pension, antérieures au 22 décembre 1965, étaient des droits acquis des parti cipants à ce régime et devaient leur être versées à la cessation de leur emploi dans le compagnie. Ils ont dûment payé un impôt sur ces chèques dont le montant n'est pas en litige. La signature des docu-
ments prit en tout environ 3 1 / 4 heures. Lemieux était avec le groupe David et ils allèrent d'abord ensemble chez le notaire pour signer les actes relatifs à la vente des comptes à recevoir, puis au bureau de Morgan, Ostiguy, Hudon Ltd., avec leurs avocats. Le demandeur admit avoir aupara- vant discuté avec Lemieux des conséquences fisca- les de la fermeture de la compagnie et de l'utilisa- tion du surplus gagné, sans pourtant parvenir à une décision. Faust ne se rappelle pas avoir été consulté à cette époque. Pour autant qu'il se sou- vienne, tous les documents furent signés le 30 décembre, mais il ne se rappelle pas avoir signé le même jour le procès-verbal de la réunion du con- seil d'administration du 22 décembre. Il s'agissait de la réunion portant sur la modification du régime de retraite et dont le procès-verbal fut signé par Aimé David, en qualité de président, et par Conrad David, en qualité de secrétaire. En outre, un extrait certifié conforme de la résolution, indi- quant qu'elle fut adoptée lors de la réunion du 22 décembre 1965, avait été signé par Lucien Dion, C.A., en qualité de secrétaire de la compagnie; Dion faisait partie du groupe Dunn qui acheta les actions. Le procès-verbal d'une seconde réunion tenue le même jour, le 22 décembre 1965, signé aussi par Aimé David, en qualité de président, et par Conrad David, en qualité de secrétaire, est encore plus significatif dans la mesure il indi- que que les quatre membres du groupe David et Lemieux démissionnaient comme fiduciaires de la fiducie du régime de retraite de la compagnie et étaient remplacés par John J. Dunn, Robert A. Faust, Lucien Dion et Louis Marc Tanguay. Le témoignage oral du demandeur et des autres témoins, qui ne se souviennent pas d'une réunion à cette date, est à mon avis insuffisant pour modifier l'inscription de cette réunion à cette date dans les registres des procès-verbaux de la compagnie; si donc cette réunion a vraiment eu lieu le 22 décem- bre, on peut en déduire que les membres du groupe David étaient déjà prêts à laisser le contrôle de la fiducie du régime de retraite de la compagnie à un groupe représentant les acheteurs éventuels, bien qu'ils n'aient pas vraiment démissionné de leurs postes d'administrateurs de la compagnie avant la date de la vente de leurs actions, le 30 décembre 1965, lors d'une réunion dont le procès-verbal indique que John J. Dunn, Émilien Gauthier et Lucien Dion, agissant comme représentants de la
Fiducie du Régime de Retraite Assurance C. W. Dunn Inc., nommèrent John J. Dunn, Lucien Dion, C.A., Robert A. Faust et Louis Marc Tan- guay administrateurs de la compagnie. Le 30 sep- tembre, après la vente des actifs réels de la compa- gnie, un certificat de $2,000,000 fut acheté, puis vendu le 21 décembre 1965 et déposé au compte en banque de la compagnie, ce qui tendrait à indiquer que l'on souhaitait transformer en liquidités tous les actifs de la compagnie; sinon, il n'y aurait eu aucune raison pour vendre un certificat rapportant un intérêt et le déposer dans un compte courant ne portant aucun intérêt.
Lemieux témoigna avoir préparé les états finan ciers de, la compagnie au 21 décembre 1965, en prévision de la vente, mais il ne s'occupa aucune- ment de la préparation des contrats de vente et ne savait pas non plus qui faisait partie du groupe acheteur, ni même que Faust en était membre; il était cependant présent lorsque les clauses 4c), d) et e) (précitées) furent incluses au contrat à la suite d'une longue discussion. Cela se passa bien avant le 30 décembre. Puisqu'il ne savait pas exac- tement qui étaient les acheteurs, il voulait s'assurer que leurs actes n'entraîneraient pour ses clients, les vendeurs, des impôts supplémentaires. C'est lui qui, le 4 janvier 1966, envoya à Maheu Noël et Associés, à l'intention de Lucien Dion, comptable de l'acheteur et membre du groupe acheteur, deux chèques de la compagnie, l'un de $75,000 payable au Receveur général du Canada et l'autre de $25,000 payable au ministre du Revenu du Québec. Dans l'état financier du 21 décembre 1965, il avait inclus au passif la somme de $80,944.10 à titre d'impôts payables mais, au compte «profits et pertes», la somme de $180,- 944.10 à titre de provision aux fins de l'impôt. La différence de $100,000 correspondait à ces deux chèques qui, d'après la preuve, ne furent jamais utilisés. Il ne les envoya pas directement aux ministres intéressés puisqu'il n'agissait plus au nom de la compagnie. Il présume qu'ils ne furent pas envoyés parce que les contributions versées par la compagnie au fonds de retraite avaient entraîné la réduction des montants dûs par la compagnie. Comme le demandeur, Lemieux affirma ignorer les diverses opérations effectuées par les acheteurs après l'émission des deux chèques remis au groupe David en paiement des actions.
Me Couture témoigna avoir rédigé et signé, immédiatement avant l'exécution du contrat, le document en date du 30 décembre 1965, par lequel John J. Dunn, Émilien Gauthier et Lucien Dion, C.A., en qualité d'administrateurs de la Fiducie du Régime de Retraite Assurance C. W. Dunn Inc., étaient autorisés par les fiduciaires du régime de retraite de la Carrière Montréal-Est Limitée, John J. Dunn, Robert A. Faust, Lucien Dion et Louis Marc Tanguay, à être leurs mandataires dans un contrat avec le groupe David pour l'achat de leurs actions. Il ne se rappelle pas l'avoir communiqué au groupe David. Ce contrat prévoyait en outre qu'ils s'engageaient à fournir tous les fonds néces- saires pour le paiement des actions, ainsi que toutes les dépenses engagées et des honoraires de $2,000 pour les services rendus par lesdits manda- taires. Il témoigna aussi que le chèque remis à Morgan, Ostiguy, Hudon Ltd., par le fonds du régime de retraite de la compagnie fut émis quand le groupe David avait quitté la réunion. Il est utile de remarquer que le contrat du 30 décembre 1965, par lequel les membres du groupe Dunn, en qualité de fiduciaires de la fiducie du régime de retraite de la compagnie, autorisèrent Dunn, Gauthier et Dion, en qualité de fiduciaires de la Fiducie de Régime de Retraite Assurance C. W. Dunn, Inc., à les représenter lors de l'achat des actions appar- tenant aux membres du groupe David, fut conclu alors que les membres du groupe David étaient encore actionnaires de la compagnie. Me Couture témoigna cependant que, même si le contrat de vente a été complété immédiatement avant sa signature, en ajoutant comme acheteur le nom de la Fiducie du Régime de Retraite Assurance C. W. Dunn Inc., représentée par John J. Dunn, Émilien Gauthier et Lucien Dion, C.A., comme mandatai- res, ce contrat n'indique pas de qui ils étaient les mandataires, leur mandat résultant du document que je viens de mentionner, qui n'a jamais été communiqué aux membres du groupe David qui, bien sûr, ne l'ont pas signé. Il avait aussi l'impres- sion que le procès-verbal de la réunion du conseil d'administration modifiant les dispositions du régime de retraite, même s'il était daté du 22 décembre, ne fut signé qu'à la date de l'exécution; il ne peut cependant en être certain puisqu'il n'a pas préparé ce procès-verbal ni la résolution adop- tée lors de cette réunion. Faust témoigna qu'il était possible que la résolution ait été préparée dans son
bureau, bien qu'il ne puisse l'affirmer avec certi tude, et qu'il avait peut-être même demandé aux membres du groupe David de la signer, bien qu'il ne puisse dire si cela s'était passé avant ou au moment de l'exécution du contrat.
En essayant d'expliquer pourquoi les acheteurs souhaitaient acquérir les actions du groupe David et obtenir ainsi le contrôle de la fiducie du régime de retraite, le demandeur témoigna que Lemieux lui avait dit que Dunn souhaitait acquérir le régime de retraite parce qu'il pourrait l'utiliser pour 125 150 employés de ses diverses compa- gnies. On apporta certains éléments de preuve selon lesquels il n'était plus aussi facile qu'aupara- vant d'obtenir l'approbation de régimes de retraite et qu'il était donc très utile pour les acheteurs d'obtenir le contrôle d'un régime qui avait déjà été approuvé. Cette preuve ne m'a aucunement con- vaincu. Le calcul de l'actuaire sur le montant à titre de contributions pour services passés, qui entraînerait le versement de $40,000 l'âge de 55 ans à chacun des quatre membres du groupe David, seuls participants de ce régime, était bien sûr fondé sur leur âge. L'utilisation d'un tel régime de retraite pour un groupe ou différents groupes de 125 150 personnes d'âge différent, qui normale- ment ne prendraient probablement pas leur retraite et ne commenceraient pas à toucher une pension à l'âge de 55 ans et dont les pensions seraient certainement beaucoup moins élevées, exi- gerait bien sûr des calculs entièrement nouveaux par un actuaire. Si ces employés travaillaient pour d'autres compagnies et n'étaient pas employés par Carrière Montréal-Est Limitée, ils ne pourraient participer au régime de retraite par sa simple extension à tous les employés de cette compagnie. Les fiduciaires du régime de retraite ne seraient pas les mêmes. Il est évident que la simple struc ture d'un régime de retraite, dont tous les termes et dispositions devraient être modifiés par les ache- teurs et dont tous les fonds auraient été retirés au moment de l'achat, pour être utilisés dans une série d'opérations permettant de verser le prix d'achat des actions de la compagnie au groupe David, aurait peu de valeur pour le groupe Dunn, sinon aucune. En outre, dès qu'ils assumèrent le contrôle de la compagnie, l'après-midi du 30 décembre 1965, les membres de ce groupe tinrent des réunions pour prévoir la liquidation de la compagnie, dans les plus brefs délais. En fait il n'y
eut pas de liquidation et le bilan de la compagnie en date du 31 décembre 1966, soumis à la Cour, indique que l'entreprise était encore exploitée, mais seulement comme société de placements. Bien que le demandeur se soit opposé à toute référence aux actions intentées par le groupe Dunn après l'achat des actions du groupe David, parce que c'était res inter alios acta et qu'il n'était pas lié par ce que ce groupe a fait après l'achat des actions, j'estime que cette preuve est admissible comme partie de res gestae puisqu'elle révèle les intentions des membres du groupe Dunn qui ont contredit, par leur propre conduite, l'argument selon lequel ils s'intéressaient essentiellement au contrôle de la fiducie du régime de retraite de la compagnie qu'ils souhaitaient utiliser à l'égard de certaines de leurs propres compagnies, et ne s'inté- ressaient pas seulement au gain de certains bénéfi- ces, paiements et profits résiduels accessoires résultant d'un arrangement dont les principaux bénéficiaires étaient les membres du groupe David, qui furent en mesure de recevoir indirectement le surplus de la compagnie sans payer d'impôt sur le revenu à son égard.
On a déjà souvent dit qu'en droit un contribua- ble peut arranger ses affaires de manière à éviter le paiement d'un impôt ou à diminuer le montant qu'il pourrait être tenu de payer s'il procédait d'une manière différente et il va sans dire que les diverses opérations en cause ne sont aucunement incorrectes ou répréhensibles. En fait ces opéra- tions ont été entreprises avec prudence, sur les conseils d'un comptable et d'avocats experts en droit fiscal représentant chaque partie, ainsi qu'un expert en assurances, spécialisé dans la question des régimes de retraite. En ce qui concerne les faits, la thèse du demandeur se résume à la simple prétention que le groupe David a seulement vendu les actions détenues par ses membres et a reçu paiement à cet égard sans se préoccuper de connaî- tre la source de ces paiements. C'est à mon avis une simplification injustifiable. Il est possible qu'ils n'aient pas su, ni voulu savoir, ce qu'il adviendrait par la suite pour rassembler les fonds destinés au paiement de leurs actions, et il est possible de toute façon qu'ils aient été personnelle- ment incapables de comprendre en quoi ces opéra- tions consistaient. Je ne peux croire cependant que Lemieux, leur comptable et leur conseiller en matières financières, qui doit être considéré
comme leur mandataire lorsqu'il traitait avec Faust qui agissait au nom des acheteurs, ne savait pas dans les grandes lignes, sinon dans les détails, comment ce but serait atteint. Le fait qu'il ne savait pas exactement qui étaient les membres du groupe acheteur ne change rien à cela. Le deman- deur a mentionné l'affaire Simard-Beaudry Inc. c. M.R.N. 5 dans laquelle mon collègue le juge Addy affirmait à la page 137:
Il est trop évident au point de vue juridique pour qu'il soit utile de citer de la jurisprudence à cet effet qu'une personne peut agir comme agent de deux personnes sans pour autant qu'il y ait responsabilité conjointe pour tous leurs agissements ou ceux de l'agent. Le fait que Melançon agissait à titre d'agent pour des fins différentes, pour les frères Simard et leur compa- gnie d'une part et pour Brillant et l'appelante de l'autre part, pourrait et devrait en l'espèce imputer une connaissance mutuelle de leurs agissements mais non nécessairement une responsabilité mutuelle.
Dans cette affaire Melançon était à la fois manda- taire des vendeurs et des acheteurs, ce qui n'était pas le cas en l'espèce pour Lemieux (bien qu'il ait aussi reçu des acheteurs une rémunération pour ses services). Il est vrai que Lemieux ne pouvait con- trôler les agissements des acheteurs après la vente et qu'en outre, les frères David, ses commettants, ne pouvaient en être tenus responsables; cepen- dant, peu importe qu'ils aient eu ou non personnel- lement connaissance des démarches ultérieures qui devaient être entreprises, il faut considérer, à mon avis, qu'ils ont partagé tout ce que savait leur mandataire Lemieux de l'ensemble de ces opéra- tions. Un contribuable, en protestant de son igno rance ou en fermant les yeux sur ce qui est fait en son nom, ne peut éviter ses responsabilités fiscales à l'égard de ce qui a été arrangé en sa faveur par un comptable ou par ses avocats ou autres conseil- lers professionnels. Il est inutile en outre de pren- dre en considération le fait que ces arrangements ont été imaginés par le contribuable ou en son nom par ses conseillers, ou lui ont été proposés par les conseillers d'un tiers avec lequel il traite à dis tance. S'il accepte l'arrangement et le fait sien, que ce soit personnellement et sans en connaître ni comprendre tous les détails, ou par l'intermédiaire de ses conseillers et mandataires qui sont mieux informés que lui, cet arrangement devient le sien dès qu'il l'accepte et lui-même devient responsable de ses conséquences. Il faudrait signaler que les
5 [1974] 2 F.C. 131.
faits dans l'affaire Simard-Beaudry Inc. (précitée) différaient considérablement de ceux de l'affaire présente dans la mesure c'était la compagnie elle-même qui était assujettie à l'impôt et non les vendeurs; elle portait en outre sur l'application de l'article 137(1) de la Loi qui n'est pas invoqué en l'espèce. Il fut décidé dans cette affaire que l'achat des actifs de la compagnie ne constituait pas un «trompe-l'oeil» même si, à la suite de certaines manoeuvres, cette opération avait permis aux com- pagnies vendeuses de ne pas verser aux pouvoirs publics un impôt sur le revenu sur la somme de $5,406,000, correspondant à la dépréciation accu- mulée, que les actionnaires de la compagnie furent en mesure de retirer à titre de gain en capital.
Il n'existe à mon avis aucun «trompe-l'oeil» en l'espèce, mais cette conclusion ne suffit pas pour trancher la question de l'assujettissement à l'impôt des sommes reçues par le demandeur. Si j'en crois le témoignage du demandeur, les membres du groupe David ont admis avoir eu des discussions avec Lemieux, après l'achat des actifs réels de la compagnie, sur les problèmes fiscaux qui résulte- raient de la liquidation de la compagnie et sur la manière de traiter son surplus gagné bien que, toujours selon ses dires, aucune décision n'ait été prise. Ils ont certainement coopéré avec les ache- teurs, même sans savoir à cette époque de qui il s'agissait, en convenant le 21 décembre de conver- tir le certificat de placement de la compagnie se chiffrant à $2,000,000 en dépôt au compte en banque de la compagnie, de sorte que les actifs de la compagnie furent entièrement convertis en liqui- dités selon les souhaits des acheteurs. Du point de vue des acheteurs, il était essentiel d'obtenir le contrôle de la fiducie du régime de retraite de la compagnie pour se procurer à coup sûr les fonds nécessaires pour garantir le remboursement aux agents de change des sommes avancées par ces derniers pour l'achat des actions du groupe David; cette question fut réglée lors de la réunion du 22 décembre, lorsque le groupe David et Lemieux ont démissionné de leurs postes de fiduciaires du régime de retraite et ont été remplacés par les membres du groupe Dunn. Même s'il est vrai qu'en raison de l'organisation de la fiducie du régime de retraite à sa création, la compagnie conservait encore un contrôle important sur le régime, et que les membres du groupe David furent actionnaires et administrateurs de la com-
pagne jusqu'au 30 décembre, ces derniers ont néanmoins fait preuve d'une grande confiance en laissant le contrôle de la fiducie du régime de retraite de la compagnie à un groupe d'inconnus alors que leurs actions n'avaient pas encore été vendues ni payées. Il est difficile de croire qu'ils ignoraient pour quelle raison on le faisait. Il est vrai qu'ils déployèrent tous leurs efforts pour con- tester le fait que cette réunion s'était tenue le 22 décembre; cependant les registres de la compagnie parlent pour eux-mêmes; le procès-verbal de la réunion est clairement daté du 22 décembre et signé par Aimé David, en qualité de président, et par Conrad David, en qualité de secrétaire, et les quatre membres du groupe ont signé une renoncia- tion à l'avis de convocation de la réunion devant être tenue le 22 décembre.
Même s'il est possible que les membres du groupe David aient traité à distance avec le groupe Dunn, je ne peux conclure qu'ils ignoraient totale- ment ce qu'entreprendrait ce groupe, après l'achat des actions de la compagnie le 30 décembre, pour fournir les fonds nécessaires au paiement de ces actions au groupe David, ni qu'ils pouvaient igno- rer qu'en vendant leurs actions, ils étaient en mesure d'éviter un impôt sur la distribution du surplus de la compagnie qu'ils auraient été dans l'obligation de payer, s'ils avaient reçu ce surplus directement à titre de dividendes ou de distribution des actifs lors de la liquidation de la compagnie.
Pour plus de commodité, je cite maintenant les articles de la Loi invoqués par les parties. La défenderesse fait valoir l'article 137(2) que voici:
137. (2) Lorsqu'une ou plusieurs ventes, échanges, déclara- tions de fiducie ou autres opérations de quelque nature que ce soit ont pour résultat qu'une personne confère un avantage à un contribuable, cette personne est censée avoir fait au contribua- ble, un paiement égal au montant de l'avantage conféré, nonob- stant la forme ou l'effet juridique des opérations ou le fait qu'une ou plusieurs autres personnes y aient été également parties; et, qu'il y ait eu ou non une intention d'éviter ou d'éluder des impôts prévus par la présente loi, le paiement doit, selon les circonstances, être
a) inclus dans le calcul du revenu du contribuable pour l'application de la Partie I,
et le demandeur nie que cet article est applicable mais déclare aussi que s'il l'était, le groupe David
relèverait de l'exception prévue à l'article 137(3) qui se lit comme suit:
137. (3) Lorsqu'il est établi qu'une vente, un échange, ou autre opération ont été conclus par des personnes traitant à distance, de bonne foi et non en conformité ou comme partie de quelque autre opération, non plus que pour effectuer le paie- ment, en totalité ou en partie, de quelque obligation existante ou future, aucune partie aux susdits n'est réputée, aux fins du présent article, avoir conféré un avantage à la partie avec laquelle elle a ainsi traité.
La défenderesse invoque aussi l'article 81(1):
81. (1) Lorsque, au moment la corporation avait en main un revenu non distribué, des fonds ou des biens d'une corpora tion ont, de quelque façon, été distribués à un ou plusieurs de ses actionnaires, ou autrement affectés à leur avantage, lors de la liquidation, de la cessation ou de la réorganisation de son entreprise, chaque actionnaire est censé avoir reçu à cette époque un dividende égal au moindre
a) du montant des fonds ou de la valeur des biens ainsi distribués ou à lui affectés, ou
b) de sa portion du revenu non distribué alors en main.
et affirme subsidiairement que s'il n'y avait ni liquidation, ni cessation, ni réorganisation de l'en- treprise, l'article 8(1) s'appliquerait; en voici un extrait:
8. (1) Lorsque, dans une année d'imposition,
a) un paiement a été fait par une corporation à un action- naire autrement qu'en vertu d'une opération commerciale authentique,
b) des fonds ou biens d'une corporation ont été affectés de quelque manière que ce soit à un actionnaire ou à son avantage, ou
c) un bénéfice ou un avantage a été attribué à un actionnaire par une corporation,
autrement
(i) qu'à l'occasion de la réduction de capital, du rachat d'actions, ou de la liquidation, cessation ou réorganisation de son entreprise,
le montant ou la valeur en l'espèce est inclus dans le calcul du revenu de l'actionnaire pour l'année.
Bien que les faits de deux affaires ne soient jamais exactement semblables, la Cour suprême appliqua à deux reprises l'article 81(1) de la Loi au lieu de l'article 137(2) pour déterminer dans quelle mesure le contribuable était assujetti à l'im- pôt. Dans la première de ces affaires Smythe c. M.R.N. 6 , l'arrêt de la Cour suprême contredit la déclaration du juge Gibson dans le jugement de la Cour de l'Échiquier rendu dans cette affaire' (page 253), selon laquelle:
6 [1970] R.C.S. 64.
7 [1968] 2 R.C.É. 189.
[TRADUCTION] La question à décider est de savoir si oui ou non ces transactions ont eu pour résultat de conférer un avan- tage aux appelants au sens du paragraphe (2) de l'article 137 de la Loi de l'impôt sur le revenu; au cas la décision sur la question principale est affirmative, une question subsidiaire est de savoir si le montant de cet avantage devrait être cotisé en vertu de l'article 8(1) ou de l'article 81(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
Voici la déclaration du juge Judson aux pages 70 et 71 du jugement de la Cour suprême:
Soit dit en toute déférence, il n'est ni utile ni souhaitable que la question soit définie en ces termes. Je crois qu'en l'espèce l'art. 81(1) de la Loi s'applique clairement et qu'il n'est pas nécessaire d'exprimer une opinion sur la portée de l'art. 137(2) de la Loi.
Il ne semble y avoir aucun doute que les nouvelles cotisations ont été faites en vertu de l'art. 81(1) de la Loi, en se fondant sur le fait qu'il y avait eu liquidation, cessation ou réorganisa- tion de l'ancienne société. Le juge Gibson était dans le doute à ce sujet bien qu'il ait exprimé l'opinion que s'il avait eu à établir la cotisation, il en serait venu à la conclusion qu'il n'y avait pas eu de liquidation, cessation ou réorganisation de l'entreprise de l'ancienne société au sens de l'art. 81(1).
Je ne suis pas d'accord avec cette opinion et je fonderais mon jugement sur cet article, et sur lui seulement. Ces cotisations devaient être faites en vertu de cet article avec la conséquence nécessaire d'un dégrèvement aux termes de l'art. 38(1). Si je comprends bien, c'est ce que le fonctionnaire a fait.
La Cour de l'Échiquier laisse le résultat intact, mais fonde son jugement sur l'application des art. 137(2) et 8(1). Si ces articles étaient appliqués, il n'y aurait pas de dégrèvement pour dividendes. Il y a un illogisme dans le jugement de la Cour de l'Échiquier. Je dirais donc qu'il y a eu liquidation et cessation de l'entreprise de l'ancienne société, bien qu'il soit apparent qu'il n'y a pas eu de liquidation en bonne et due forme aux termes de la Loi sur les liquidations ou des dispositions de liquidation de l' Ontario Companies Act.
Il adopte ensuite la décision du juge Maclean dans l'affaire Merritt c. M.R.N. 8 aux pages 181 et 182 de ce jugement:
[TRADUCTION] Je n'éprouve aucune difficulté quant à l'inter- prétation à donner aux termes «liquidation, cessation ou réorga- nisation» tels qu'ils sont utilisés dans l'art. 19(1) de la Loi. En interprétant ces termes, nous devons considérer la substance et la forme de ce qui a été fait ici. Dans la cause In Re South African Supply and Cold Storage Company [1904] 2 Ch. D., 268, le juge Buckley devait décider si oui ou non il y avait eu une liquidation aux fins de reconstitution ou de fusion; il a déclaré [TRADUCTION] que «ni le mot reconstitution ni le mot fusion n'ont un sens juridique défini. Chacun d'entre eux est un terme commercial et non un terme juridique, et même comme terme commercial n'a pas un sens exact. Je crois que cela serait
e [1941] R.C.É. 175.
également vrai des termes de l'art. 19(1) que je viens de mentionner. Il n'y a pas eu de «liquidation» de la Security Company par un liquidateur, mais je crois qu'en fait il y a eu liquidation des affaires de cette société et que ce sens peut être donné ici au mot «liquidation», bien que je n'aie pas à décider catégoriquement car, de toute façon, il y a eu cessation des affaires de la Security Company, et que cela ait été le résultat d'une vente à la Premier Company ou d'une fusion avec celle-ci est, à mon avis, sans importance. Je pense donc qu'il n'y a pas matière à discussion quant au fond mais que la Security Company a cessé ses opérations au sens réel et commercial, et que moyennant compensation elle a disposé de tous ses biens et avoirs, si loin que cela puisse nous mener pour décider de cette affaire. Il n'est donc aucunement nécessaire d'essayer de donner une définition précise des mots «liquidation, cessation ou réorganisation». Pour ce qui est de la Security Company on s'en est à peu près tenu au sens et à l'esprit de ces termes.
puis il fait remarquer que l'article 19(1) est à l'origine du présent article 81(1) et qu'aux fins de ses motifs, il n'y a aucune différence entre les deux.
Le second arrêt de la Cour suprême, Craddock c. M.R.N. 9 , adopta les motifs exprimés dans l'af- faire Smythe (précitée) pour appliquer l'article 81(1). Le juge de première instance dans cette affaire, le juge Gibson, avait confirmé les nouvelles cotisations à l'impôt adressées aux contribuables en appliquant l'article 137(2), après avoir déclaré que cet article formait un tout et n'était pas subor- donné aux autres articles de la Loi, puisqu'il s'agissait d'une disposition prévoyant l'assujettisse- ment à l'impôt, et qu'en conséquence, il n'était pas nécessaire d'avoir recours à des dispositions spéci- fiques de la Loi pour assujettir à l'impôt l'avantage en résultant et on ne pouvait demander aucun dégrèvement pour dividendes à l'égard de ces avantages.
Il n'était pas nécessaire dans ces affaires d'exa- miner le sens des mots «lors de» dans l'expression «lors de la liquidation, de la cessation ou de la réorganisation de son entreprise» à l'article 81(1) 1 °. Le demandeur prétend que l'article 81(1) ne s'applique pas parce que le paiement des actions du groupe David ne constituait pas une distribu tion ou autre sorte d'appropriation des fonds de la compagnie à une époque elle avait en main un revenu non distribué, et, en outre, parce que cette
9 [1969] R.C.É.23.
10 Il faut remarquer que la version française utilise un terme plus expressif, «lors de», que la version anglaise («on»).
opération ne fut pas effectuée «lors de la liquida tion, de la cessation ou de la réorganisation» de l'entreprise de cette compagnie. J'ai conclu que, même si le paiement leur fut versé indirectement en raison de certains agissements de tierces person- nes sur lesquelles les frères David n'avaient aucun contrôle, le résultat final revenait néanmoins à l'utilisation des fonds de la compagnie, y compris son revenu non distribué, pour le paiement de leurs actions et l'expression «ou autrement affectés un ou plusieurs de ses actionnaires) à leur avantage» est assez large pour inclure les opérations en cause. Il m'est plus difficile de conclure que ces opéra- tions eurent lieu «lors de» la liquidation, de la cessation ou de la réorganisation de l'entreprise. A mon avis, si l'on veut définir le terme «lors de», il faut au moins le considérer comme l'équivalent de «en même temps que» ou peut-être «à la suite de» ou «résultant de». Bien que la compagnie ait mis fin en août à ses opérations commerciales lors de la vente de ses actifs physiques, et que la déclaration du juge Maclean dans l'affaire Merritt (précitée), approuvée par la Cour suprême, soit assez large pour appliquer l'article 81(1) à la «cessation» d'une entreprise commerciale active, même s'il n'y a pas eu «liquidation», il est cependant vrai qu'en l'es- pèce ce n'est pas au moment de, ni < span> de» la cessation des opérations commerciales de la com- pagnie, en août, que les fonds furent appropriés à l'avantage du groupe David, mais seulement cinq mois plus tard. Il est clair cependant que le groupe Dunn avait l'intention de liquider non seulement les opérations commerciales mais toute l'entreprise de la compagnie immédiatement après en avoir acquis le contrôle, comme l'indique le procès-ver bal des réunions du 30 décembre 1965. Même s'il est vrai que les événements ultérieurs indiquent que la liquidation n'eut pas lieu à ce moment-là, mais qu'on continua d'exploiter la compagnie comme société de placements, je ne pense pas que cette situation change le fait que la liquidation faisait apparemment partie du projet; comme je l'ai déjà indiqué, je ne pense pas que le groupe David puisse faire valoir avec succès qu'il ignorait ce qui avait été prévu même s'il n'en connaissait pas tous les détails, ni ne pouvait contrôler les agissements du groupe Dunn après la passation des pouvoirs. Il est certain qu'après l'exécution des diverses opérations du 30 décembre, la compagnie ne conservait dans son compte en banque, qu'une
somme très faible, puisque le solde au 31 décembre se chiffrait à $1,848.86. Cette somme ne pouvait suffire pour couvrir les deux chèques de $75,000 et $25,000 destinés au fisc et qui, selon la preuve, ne furent jamais envoyés puisque les contributions au régime de pension avaient suffisamment réduit le montant de l'impôt payable par la compagnie pour que ces paiements ne soient plus requis. A toutes fins pratiques, les activités commerciales de la compagnie prirent fin à la suite des différentes opérations du 31 décembre. A mon avis, l'article 81(1)b) de la Loi doit donc être appliqué, comme il le fut dans la nouvelle cotisation; les membres du groupe. David ont donc droit à un dégrèvement pour dividendes en vertu de l'article 38 de la Loi pour leurs parts respectives du revenu distribué en main, censés avoir été inclus dans les sommes qui leur furent versées. Si l'on retient une telle inter- prétation, il n'est pas nécessaire d'examiner l'arti- cle 81(1)b) ou c) qui s'applique dans le cas il n'y a pas eu «liquidation, cessation ou réorganisa- tion» de l'entreprise de la compagnie. L'application de ce dernier article serait moins favorable au demandeur puisqu'il n'y aurait pas alors de dégrè- vement à l'égard du dividende imposable. Je sous- cris à l'opinion de la défenderesse selon laquelle l'article 8(1) serait applicable si l'article 81(1) ne l'était pas; j'accepte cependant la décision de la défenderesse d'appliquer l'article 81(1).
Compte tenu de cette conclusion et à la lumière de la jurisprudence établie par la Cour suprême dans les affaires Smythe et Craddock (précitées), il est sans doute inutile et superflu d'examiner dans quelle mesure l'article 137(2) serait applica ble; au cas cependant ma conclusion selon laquelle l'article 81(1) s'applique, soulèverait quel- ques questions, je traiterai brièvement de l'alterna- tive que constituerait l'application de l'article 137(2). Dans ledit article, l'expression «nonobstant la forme ou l'effet juridique des opérations ou le fait qu'une ou plusieurs autres personnes y aient été également parties» est très large, comme d'ail- leurs l'expression «qu'il y ait eu ou non une inten tion d'éviter ou d'éluder des impôts prévus par la présente loi». Je ne doute pas qu'en raison des diverses opérations en cause, soit la compagnie soit la fiducie du régime de retraite de la compagnie ait conféré un avantage au groupe David, dans la mesure à la suite de ces opérations ils ont pu retirer le surplus non distribué de la compagnie
sans payer d'impôts à cet égard. Le demandeur ne peut donc invoquer l'article 137(3) car, même s'il est possible que le groupe David ait traité à dis tance avec les acheteurs, j'ai conclu qu'ils ne pou- vaient invoquer leur ignorance des intentions et projets des acheteurs et ne peuvent donc affirmer que l'achat de leurs actions n'avait pas été conclu «comme partie de quelque autre opération». C'est pourquoi, à mon avis, l'appel du demandeur aurait aussi échoué sur ce point s'il avait été nécessaire de considérer l'application de cet article.
L'action du demandeur est donc rejetée avec dépens et je conclurai de la même manière dans les deux autres affaires, Fernand David, T-2747-72 et Raymond Pepin, T-2749-72.
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