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A-244-74
L'Association canadienne des amputés de guerre (Requérante)
c.
Le Conseil de révision des pensions et la Commis sion canadienne des pensions (Intimés)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges Pratte et Urie—Ottawa, les 26 février et 14 mars 1975.
Examen judiciaire Le Conseil de révision des pensions a-t-il interprété incorrectement l'art. 26(2) de la Loi sur les pensions? Une interprétation en vertu de l'art. 81(3) de la loi est-elle une décision au sens de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale?—S'agit-il d'aune décision ... de nature administra tive qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciairea?—Loi sur les pensions, S.R.C. 1970, c. P-7, art. 26(1) et (2) et 81(3)—Loi sur la Cour fédérale, art. 28.
En réponse à une demande en vertu de l'article 81(3) de la Loi sur les pensions, le Conseil de révision des pensions a interprété l'article 26(1) et (2) comme n'autorisant pas la Commission canadienne des pensions à élargir la catégorie des pensionnés à laquelle avaient été consentis des avantages spé- ciaux en 1938.
Arrét: la décision est annulée et la question renvoyée au Conseil; on devrait enjoindre ce dernier d'interpréter l'article 26(2) comme autorisant la Commission à établir la règle en question, assortie d'une clause d'application générale, à condi tion qu'elle le fasse de bonne foi dans le but de donner des directives à ceux auxquels elle s'adresse sur la manière d'éva- luer le degré d'invalidité. (1) L'«interprétation» du Conseil constitue une décision au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. (2) En vertu de l'article 26(2), la Commission légifère par délégation, réglementant ainsi le montant des pensions; l'article 26(2) autorise l'établissement de la règle proposée aussi longtemps qu'elle se fonde sur des appréciations du taux d'invalidité résultant d'une blessure attribuable au service militaire. Les paragraphes (1) et (2) de l'article 26 autorisent la Commission à adopter un principe du genre de celui qui est soumis à notre examen et le Conseil a commis une erreur en déclarant qu'elle aurait avoir une autorisation du Parlement et que tout élargissement de ce principe est soumis à une telle sanction.
Arrêt suivi: In re Danmor Shoe Company Ltd. [1974] 1 C.F. 22.
EXAMEN judiciaire. AVOCATS:
B. N. Forbes et J. D. Adam pour la
requérante.
D. F. Friesen pour les intimés.
PROCUREURS:
Adam, Forbes, Singer, Ottawa, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Je souscris à la solution proposée en l'espèce par mon collègue le juge Urie et à ses motifs de jugement pour autant qu'ils traitent du pouvoir de la Commission de préparer, en vertu de l'article 26(2), des instruc tions pour l'avenir. Compte tenu de la complexité de cette affaire, j'ai décidé d'énoncer aussi briève- ment que possible mon raisonnement pour parvenir à ce résultat.
Est présentée en vertu de l'article 28 une demande d'annulation d'une «interprétation» donnée le 23 juillet 1974 par le Conseil de révision des pensions, en vertu de l'article 81(3) de la Loi sur les pensions', qui avait en effet décidé que l'article 26(2) de ladite loi 2 n'autorisait pas la Commission canadienne des pensions à ajouter aux
«instructions et . à la table des invalidités» éta- blies en vertu de cette disposition une clause libel- lée comme suit:
Quand un pensionné, titulaire d'une pension stabilisée à un taux d'au moins 50 p. 100 versée à l'égard d'une ou plusieurs invalidités résultant d'une amputation ou d'une blessure ou d'un traumatisme atteint l'âge de 55 ans, puis de 57 ans, puis de 59 ans, l'évaluation de son invalidité devrait être majorée chaque fois de 10%, sous réserve qu'il ne saurait y avoir plus de trois augmentations dont aucune ne doit dépasser 10 p. 100 et que l'évaluation totale ne doit pas excéder 100 p. 100.
' L'article 81(3) se lit comme suit:
(3) Le Conseil de révision des pensions doit recevoir toute demande d'interprétation d'une disposition des Parties III à VII de la présente loi présentée par la Commission, le chef avocat-conseil du Bureau ou tout organisme d'anciens com- battants constitué en corporation en vertu d'une loi du Parle- ment du Canada.
2 L'article 26 est rédigé en partie comme suit:
26. (1) Sous réserve des dispositions de l'article 12, les pensions pour invalidité doivent, sauf les prescriptions du paragraphe (3), être accordées ou maintenues selon le degré d'invalidité résultant de blessure ou de maladie ou de leur aggravation, selon le cas, du requérant ou du pensionné.
(2) L'estimation du degré d'invalidité doit être basée sur les instructions et sur une table des invalidités, que doit préparer la Commission pour la gouverne des médecins et des chirurgiens qui font les examens médicaux aux fins de pension.
Avant d'examiner le fond de la demande, on doit décider si cette cour est compétente en la matière. En d'autres termes, il faut déterminer si une «interprétation» donnée par le Conseil de révision des pensions, en vertu de l'article 81(3) de la Loi sur les pensions, constitue une «décision» dont cette cour peut prononcer l'annulation en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale'.
Une interprétation donnée aux termes de l'arti- cle 81(3) découle de la disposition législative sui- vante: «le Conseil de révision des pensions doit recevoir toute demande d'interprétation d'une dis position des Parties III à VII ... présentée par la Commission, le chef avocat-conseil du Bureau ou tout organisme d'anciens combattants». Par consé- quent, pour que cette cour soit compétente, il faut en premier lieu que l'«interprétation» donnée par le Conseil conformément à cette demande soit une «décision» au sens de ce mot à l'article 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale. En second lieu, en supposant que cette «interprétation» s'assimile à ce type de décision, cette cour sera compétente s'il s'agit d'une décision «autre qu'une décision ... de nature administrative qui n'est pas légalement sou- mise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire» 4 .
L'article 28(1) se lit comme suit:
28. (1) Nonobstant Particle 18 ou les dispositions de toute autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une commission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion de procédures devant un office, une commission ou un autre tribunal fédéral, au motif que l'office, la commission ou le tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclu sion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
4 On n'a soulevé aucune question quant à savoir si le Conseil est tenu en droit, aux termes de l'article 81(3), de donner une «interprétation». Selon moi, il incombe manifestement au Con- seil de se prononcer sur toute «demande d'interprétation» ainsi que l'autorise cette disposition.
Pour déterminer si une «interprétation» donnée conformément à l'article 81(3) constitue une «déci- sion» au sens de ce mot à l'article 28(1), je pense qu'il faut tenir compte du fait que ce terme à l'article en question n'englobe pas tout ce que peut évoquer le mot «décision» dans son acception la plus large. Par exemple, aux termes de l'article 11.1(1) de la Loi sur les pensions, le Bureau de services juridiques des pensions a pour fonctions de donner des conseils juridiques aux requérants cher- chant à obtenir une pension et un avocat-conseil du Bureau des pensions rend une décision, au sens large de ce mot (portant sur ce que sont, selon lui, les droits du requérant), lorsqu'il le conseille, comme la Loi l'exige; et pourtant, il ne fait aucun doute, selon moi, que l'avis juridique ainsi donné ne constitue pas une «décision», au sens de ce mot à l'article 28(1). En revanche, l'article 23 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publi- que impose bien à la Commission des relations de travail dans la Fonction publique de trancher cer- taines questions de droit ou de compétence et, d'après moi, dans ce cas, la Commission rend une «décision», au sens de ce mot à l'article 28(1). Je n'ai pas l'intention d'essayer d'énoncer maintenant une règle permettant de tracer la ligne de démar- cation entre ces deux catégories de décisions. Il sera toujours temps d'essayer de le faire lorsqu'on se sera familiarisé plus à fond avec les mécanismes de l'article 28(1). Il suffit en l'espèce de décider de quel côté de la ligne se situe une «interprétation» en vertu de l'article 81(3).
Il n'existe aucun doute dans mon esprit qu'une «interprétation», au sens de l'article 81(3), consti- tue une «décision» relativement à la signification de la disposition en cause. La difficulté de la ranger dans une catégorie, au regard de l'article 28(1), résulte de la difficulté à décider de l'effet juridique d'une telle «interprétation». Si l'article 81(3) n'avait d'autre effet que de faire du Conseil un bureau de consultations juridiques pour les orga- nismes énumérés audit article, de toute évidence, les interprétations en vertu de l'article 81(3) ne constitueraient pas des décisions au sens de l'arti- cle 28(1). Toutefois, ce n'est pas, à mon avis, le but ou l'effet de l'article 81(3). Cet article crée plutôt un moyen rapide de résoudre les problèmes
d'interprétation de la Loi sur les pensions et je suis convaincu que les interprétations données confor- mément à cette loi ont un effet juridique contrai- gnant, dont la portée n'a pas besoin, aux fins actuelles, d'être précisées. Comme l'«interpréta- tion» en vertu de l'article 81(3) a un effet juridique contraignant et est l'objet même de cet article, j'en conclus donc qu'il s'agit d'une «décision», au sens de ce mot à l'article 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale.
Examinons maintenant si une interprétation en vertu de l'article 81(3) est une décision autre qu'une «décision ... de nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus judi- ciaire ou quasi judiciaire». Une telle interprétation ne relève pas, selon moi, de cette expression si elle est
a) de nature législative, ou
b) de nature administrative et est légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire.
Selon moi, la meilleure approche consiste à affirmer qu'une interprétation donnée en vertu de l'article 81(3) constitue une décision de nature législative (c'est-à-dire qu'elle équivaut à un règle- ment qui est assimilable à une loi et a la même force exécutoire) et, pour ce motif, relève de l'arti- cle 28(1). Toutefois, il n'y a pas lieu d'exprimer une opinion tranchée sur la question car, si une telle interprétation n'est pas de nature législative, elle est de nature administrative, de sorte qu'elle relève, selon moi, de l'articlé 28(1) pour le motif énoncé au paragraphe suivant.
Si une telle interprétation est de nature adminis trative, elle est, selon moi, légalement soumise à un
5 Tout au moins, elles lient la Commission et les organismes payeurs et peut-être même le Conseil lui-même et les tribu- naux, sous réserve toujours de leur annulation sous le régime de dispositions telles que l'article 28. Si une telle «interprétation» lie le Conseil tant qu'elle n'a pas fait l'objet d'une annulation, il se peut que l'«interprétation» mise en cause en l'espèce ait été, après examen, jugée valide en vertu d'une première interpréta- tion donnée par le Conseil, le 15 mai 1973, sous le régime de l'article 81(3). Toutefois, ce point n'ayant pas été porté à notre attention, nous n'avons donc pas à l'examiner. Dans le cas contraire, tout laisse à penser que l'enquête aurait révélé que la question restait en suspens et qu'aucune «interprétation» défini- tive de ce point n'avait été donnée à cette époque. (Voir la lettre de M. Jutras le 15 mai 1974, page 168: « ... cette question n'a pas été débattue le 3 avril 1973».)
processus judiciaire ou quasi judiciaire. L'article 81(4) 6 de la Loi sur les pensions prévoit l'établis- sement de règlements concernant la procédure que devra suivre le Conseil pour l'«audition» et l'étude de ces demandes d'interprétation. De toute évi- dence, le législateur exige que les intéressés aient eu l'occasion d'être entendus avant que le Conseil ne donne une interprétation et que lesdites inter- prétations soient soumises à un processus quasi judiciaire.
Ma conclusion sur cette première question est donc que la Cour est compétente pour trancher cette demande présentée en vertu de l'article 28.
J'en viens maintenant à la question de fond soulevée par cette demande introduite en vertu de l'article 28.
Tout d'abord, avant d'examiner cette question, il faudrait rappeler qu'en 1938, une première version de la règle proposée, énoncée au second paragra- phe des présentes, avait été ajoutée aux «instruc- tions et ... à la table des invalidités» qui, avant cette date, avaient été établies en vertu de la Loi sur les pensions (maintenant article 26(2)). Toute- fois, elle était libellée de manière à se limiter aux invalidités «résultant d'amputations, de blessures ou de traumatismes attribuables ou consécutifs à un engagement direct avec l'ennemi». Lorsque ce point a été soumis au Conseil et à cette cour, il a été débattu comme si le problème était de savoir si la Commission pouvait supprimer l'expression «attribuables ou consécutifs à un engagement direct avec l'ennemi» de la règle qu'elle avait éta- blie initialement 7 . La question qu'il faut trancher et que le Conseil aurait trancher, est posée, selon moi, plus précisément, comme je l'ai indiqué, au second paragraphe des présentes, à savoir:
e L'article 81(4) est ainsi rédigé:
(4) Le gouverneur en conseil peut établir des règlements concernant la procédure que devra suivre le Conseil de révision des pensions pour l'audition et l'étude des demandes d'interprétation présentées en vertu du paragraphe (3).
Tout au long du dossier, on trouve des références aux approbations «ministérielles» obtenues par la Commission avant d'établir les différentes versions de la règle à diverses époques. Toutefois, comme il ne paraît pas y avoir d'exigence dans la Loi imposant à la Commission d'obtenir cette approbation, je ne vois pas comment celle-ci a un effet sur les pouvoirs de la Commission à l'avenir. Il n'est pas nécessaire, aux fins de la présente demande, d'examiner si la consultation avec le Minis- tre avait d'une quelconque façon influé sur la validité des actions passées de cette commission indépendante.
La Commission canadienne des pensions peut- elle, en vertu de l'article 26(2) de la Loi sur les pensions, ajouter aux «instructions et ... à la table des invalidités» établies en vertu de cette disposition une clause libellée comme suit?:
Quand un pensionné, titulaire d'une pension stabilisée à un taux d'au moins 50 p. 100 versée à l'égard d'une ou de plusieurs invalidités résultant d'une amputation, d'une blessure ou d'un traumatisme, atteint l'âge de 55 ans, puis de 57 ans, puis de 59 ans, l'évaluation de son invalidité devrait être majorée chaque fois de 10 p. 100 sous réserve qu'il ne saurait y avoir plus de trois augmentations, dont aucune ne doit dépasser 10 p. 100 et que l'évaluation totale ne doit pas excéder 100 p. 100. 8
Il semblerait évident que, si la Commission peut, dans le cadre des pouvoirs que lui confère l'article 26, adopter une règle en la forme de celle de 1938, elle peut le faire en supprimant la restriction, de sorte que la règle s'applique non seulement dans le cas d'une pension d'invalidité relative à une bles- sure résultant d'un «engagement direct avec l'en- nemi», mais aussi dans le cas cette invalidité était par ailleurs «attribuable ou a été contractée au cours du ... service militaire». Toutefois, si je comprends bien la décision du Conseil, la Commis sion n'avait pas le pouvoir, en vertu de l'article 26, d'adopter la règle actuelle et, par conséquent, n'a pas le pouvoir de la reprendre en en supprimant la restriction 9 . Si le point de vue du Conseil s'avère exact, il semblerait en découler que la règle actuelle est nulle et de nul effet, à moins qu'il n'existe une loi, dont il n'a pas été fait mention, conférant un effet juridique à cette règle ultra vires qui a été appliquée en fait pendant une longue période.
8 En effet, la partie pertinente de la demande présentée en vertu de l'article 81(3) se lisait comme suit:
Le Conseil de révision des pensions interprète les disposi tions des paragraphes 26(1) et 26(2) de la Loi sur les pensions, de telle sorte que la Commission ait le pouvoir d'accorder les augmentations automatiques en fonction de l'âge aux anciens membres des forces qui touchent une pension à l'égard d'une amputation ou d'une blessure par arme à feu résultant d'un accident; ...
9 Selon le Conseil, on devrait néanmoins admettre la règle actuelle comme assortie d'un effet juridique car on l'applique en fait depuis 1938, mais on ne peut l'élargir, sauf sur décision du Parlement.
Avant de décider que la règle, telle qu'elle se présente actuellement, excède totalement les pou- voirs de la Commission en vertu de l'article 26, conclusion qui, semble-t-il, aurait des effets pro- fondément perturbateurs, il faut examiner ce que la Commission fait au juste sous le régime de l'article 26(2). A cette fin, il est tout d'abord nécessaire d'exposer très brièvement la partie per- tinente de la Loi sur les pensions.
L'article 12(1)a) de la Loi sur les pensions prescrit qu'en ce qui concerne un certain type de service militaire, des pensions sont accordées «con- formément aux taux énoncés dans l'annexe A», lorsque la blessure ayant occasionné l'invalidité, au sujet de laquelle la demande de pension est faite, s'est produite au cours de ce service militaire ou y est attribuable. A l'annexe A figure une échelle des taux de pensions qui varient notamment avec le «taux d'invalidité». Les demandes de pension doivent être présentées à la Commission 10 qui doit recueillir la documentation pertinente et mener les enquêtes ", et enfin, si elle est convaincue que le requérant a droit à une compensation, elle doit «fixer le montant de la compensation à payer> 12 ; celle-ci doit être accordée «selon le degré d'invali- dité résultant de la blessure». 13
Nulle part dans la Loi, pour autant que j'ai pu m'en assurer, il n'est stipulé expressément qu'un rapport d'un médecin ou d'un chirurgien doit être soumis à la Commission lorsque celle-ci accorde une compensation en vertu de l'article 63. (La production de ces rapports semblait sans doute aller de soi sans qu'il y ait lieu de la mentionner expressément dans la Loi.) Néanmoins, la seule disposition de la Loi concernant les méthodes à suivre pour déterminer le montant de la compensa tion par rapport au «degré d'invalidité» résultant de la «blessure» se trouve à l'article 26(2). Il s'agit des pouvoirs de la Commission d'émettre «des ins
Article 61. " Article 62.
12 Article 63(1)a).
13 Article 26(1).
trustions et une table des invalidités» pour la gou- verne des médecins et des chirurgiens qui font les examens médicaux aux fins de pension. L'article 26(2) prévoit par ailleurs que «d'estimation du degré d'invalidité doit être basée» sur ces instruc tions et sur cette table. Bien que je trouve quelque peu curieux que l'article 26(2) stipule que la Com mission doive préparer ces instructions et cette table «pour la gouverne des médecins et des chirur- giens qui font les examens médicaux aux fins de pension», j'estime néanmoins que, considéré dans son ensemble, l'article 26(2) autorise effectivement la Commission à préparer des instructions et une table des invalidités. Cette dernière devra elle- même en tenir compte, aussi longtemps qu'elles sont en vigueur, pour établir une compensation en vertu de l'article 63(1), tout comme devront le faire les médecins qui préparent les rapports sur lesquels la Commission se fonde pour prendre ses décisions. 14 En d'autres termes, en vertu de l'arti- cle 26(2), la Commission légifère par délégation, réglementant ainsi le montant des pensions, même s'il s'agit d'un type de législation un peu différent de celui auquel nous sommes habitués d'ordinaire.
Par conséquent, il faut en fait examiner si, une fois établies les tables fixant les taux applicables comme base de départ pour l'évaluation des invali- dités dans le cas de diverses catégories de blessures 15 , la Commission peut ajouter une ins truction selon laquelle, lorsqu'un pensionné atteint des âges déterminés dans le cas de certaines caté- gories de blessures, ces taux seront majorés de certains montants précis. 16
Le Conseil a estimé en fait dans ses motifs que la règle, telle qu'énoncée en 1938, était ultra vires
14 De toute évidence, le seul but de ces instructions et de cette table des invalidités est de constituer un point de départ pour le cas normal et non de faire enfiler aux médecins ou à la Commission une «camisole de force». Voir l'article 2.03 du chapitre 2, qui est ainsi libellé:
La table des invalidités n'existe qu'aux fins d'aider la Commission canadienne des pensions et les médecins à s'ac- quitter de leurs obligations. Elle ne constitue aucunement des normes définitives ou absolues.
I3 La partie restante du document émise en vertu de l'article 26(2).
16 Le principe proposé faisant l'objet d'un examen par suite de la demande d'«interprétation».
des pouvoirs conférés à la Commission par l'article 26(2), car elle a été établie en vue d'accorder un avantage supplémentaire à ceux qui avaient subi une blessure en face de l'ennemi.
L'avocat du gouvernement a en fait déclaré à cette cour que la règle proposée maintenant est ultra vires des pouvoirs conférés à la Commission en vertu de l'article 26, car elle accorde un avan- tage en raison d'une invalidité résultant du vieillis- sement et ne constitue pas une règle pour évaluer l'invalidité résultant d'une blessure attribuable au service militaire.
La requérante conteste devant cette cour la proposition selon laquelle la règle est ultra vires des pouvoirs de la Commission en vertu de l'article 26(2).
Selon moi, le Conseil a commis une erreur dans son approche de la question en examinant en pre mier lieu si la règle actuelle est valide, compte tenu de la restriction limitant son application aux bles- sures subies en face de l'ennemi. La seule question à trancher était de savoir si l'on pouvait adopter une règle d'application générale. De toute façon, il n'existe, selon moi, aucune preuve dans le docu ment émis par la Commission en vertu de l'article 26(2) de nature à étayer la conclusion du Conseil selon laquelle l'intention de la Commission, en 1938, au moment de l'adoption de la règle pour la première fois, était d'accorder un avantage pécu- niaire supplémentaire aux personnes ayant subi une blessure en face de l'ennemi." Manifestement, la règle rajuste le taux d'invalidité résultant d'une blessure à cause du vieillissement et constitue, par conséquent, une règle d'évaluation. Il existe certai- nes preuves indirectes indiquant que la règle en question se fondait sur des avis médicaux selon lesquels on savait par expérience que le taux d'in- validité à cause de blessures graves augmentait en fonction de l'âge. D'autre part, il existe certaines preuves indirectes selon lesquelles cette règle a été posée pour conférer un avantage aux personnes
i7 II n'y a pas lieu de mentionner le paragraphe 5 du chapitre 2 de ce document car il s'agit simplement de l'exposé de la décision que cette demande présente en vertu de l'article 28 attaque.
ayant subi une blessure en face de l'ennemi. Je ne suis pas certain que, même si l'on devait se pronon- cer sur la validité de la règle établie au départ en 1938, il conviendrait d'examiner ces preuves indi- rectes comme révélatrices de l'intention de la Commission. 18
Quel que soit le statut juridique de la règle actuelle, selon moi, l'article 26(2) autorise l'éta- blissement de la règle proposée aussi longtemps qu'elle se fonde sur des appréciations du taux d'invalidité résultant d'une blessure attribuable au service militaire.
Par conséquent, selon moi, la décision du Con- seil mise en cause devrait être annulée et la ques tion renvoyée à ce dernier en lui enjoignant d'inter- préter l'article 26(2) comme autorisant la Commission à établir la règle en question, assortie d'une clause d'application générale, à condition qu'elle le fasse de bonne foi dans le but de donner des directives sur la manière d'évaluer le degré d'invalidité «résultant d'un traumatisme ... ou de son aggravation».
* * *
LE JUGE PRATTE: J'y souscris.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: En vertu de l'article 28, sont demandés l'examen et l'annulation d'une décision du Conseil de révision des pensions (ci-après appelé le Conseil), tribunal constitué en vertu des dispositions de la Loi sur les pensions, S.R.C. 1970, c. P-7, (ci-après appelé la Loi). En réponse à une demande de la requérante présentée conformé- ment à l'article 81(3) de la Loi, le Conseil a interprété l'article 26(1) et (2) de la Loi comme n'autorisant pas la Commission canadienne des pensions (ci-après appelée la Commission) à élar- gir la catégorie de pensionnés à laquelle avaient été consentis des avantages spéciaux en 1938.
'$ Je dois indiquer que j'ai peine à concevoir comment on aurait pu instruire des commissaires du fait que le taux d'invali- dité augmenterait en fonction de l'âge si la blessure avait été par suite d'un engagement direct avec l'ennemi et non autre- ment. Toutefois la question de la validité de la règle actuelle ou de cette restriction n'a pas été soulevée par la demande présen- tée en vertu de l'article 28 et je n'exprime aucune opinion à cet égard.
Pour comprendre la nature du problème posé, il serait utile d'examiner brièvement l'économie de la Loi.
La Loi a créé la Commission canadienne des pensions pour succéder à la Commission de pen sion du Canada. Aux fins de cette demande, l'arti- cle 5(1) énonce de façon assez claire la compé- tence et les attributions de la Commission:
5. (1) Sous réserve des dispositions de la présente loi et de tout règlement, la Commission possède un pouvoir illimité, une pleine autorité et une exclusive juridiction pour étudier et juger toutes matières et questions concernant l'attribution, l'augmen- tation, la diminution, la suspension ou l'annulation de toute pension prévue par la présente loi et le recouvrement de tout paiement en trop qui a pu être effectué; et le ministère et le receveur général doivent assurer l'exécution des jugements de la Commission.
L'article 12 figurant dans la Partie III de la Loi confère le droit aux pensions aux différentes caté- gories de personnes, conformément aux taux figu- rant en annexe en cas de décès, de blessures ou de maladies, attribuables au service militaire accom- pli pendant la première guerre mondiale ou pen dant la seconde guerre mondiale.
Les alinéas a),b),c) et g) de l'article 12(1) se lisent comme suit:
12. (1) En ce qui concerne le service militaire accompli pendant la première guerre mondiale ou pendant la seconde guerre mondiale, et sous réserve de l'exception contenue au paragraphe (2),
a) des pensions sont accordées aux membres des forces ou à leur égard, conformément aux taux énoncés dans l'annexe A, lorsque la blessure ou maladie ou son aggravation ayant occasionné l'invalidité au sujet de laquelle la demande de pension est faite, s'est produite au cours de ce service mili- taire ou y est attribuable;
b) des pensions sont accordées relativement aux membres des forces qui sont décédés, conformément aux taux énoncés dans l'annexe B, lorsque la blessure ou maladie ou son aggravation ayant occasionné le décès au sujet duquel la demande de pension est faite, s'est produite au cours de ce service militaire ou y est attribuable;
c) nulle déduction ne doit être effectuée sur le degré d'invali- dité véritable d'un membre quelconque des forces qui a servi sur un théâtre réel de guerre pendant la première ou la seconde guerre mondiale, à cause d'une invalidité ou d'une affection entraînant incapacité qui existait en lui antérieure- ment à sa période de service dans l'une ou l'autre des guerres susdites, mais le service accompli par un membre des forces sur un théâtre réel de guerre ne peut être compté, pour les fins du présent alinéa, que s'il a été fait dans la guerre particulière à l'égard de laquelle la pension a été accordée pour du service y accompli, et aucune pension ne doit être payée pour une invalidité ou une affection entraînant incapa- cité qui, à l'époque il est devenu membre des forces, était
évidente ou a été consignée lors d'un examen médical avant l'enrôlement;
g) sous réserve de l'exception prévue à l'alinéa c), lorsqu'une pension a été accordée à un membre des forces qui a servi sur un théâtre réel de guerre, soit pendant la première guerre mondiale, soit pendant la seconde guerre mondiale, cette pension doit être continuée, augmentée, diminuée ou discon tinuée comme si l'invalidité complète avait été contractée pendant le service, mais le service accompli sur un théâtre réel de guerre ne peut être compté, pour les fins du présent paragraphe, que s'il a été accompli pendant la guerre parti- culière à l'égard de laquelle la pension a été accordée.
L'annexe A dont il est fait mention à l'alinéa a) du paragraphe (1), fixe les différentes catégories de pensions en les numérotant de 1 à 20. Chaque catégorie comprend une échelle des taux d'invali- dité qui semble être déterminée par référence à la table des invalidités établie par la Commission conformément à l'article 26(2) de la Loi, quoique rien dans la Loi ne vienne confirmer cette impres sion. Pour chaque catégorie, un pourcentage en chiffres ronds constitue le taux annuel de pension. Par exemple, la catégorie 5 s'applique à une échelle d'invalidité comprise entre 78% et 82%. Le taux annuel pour cette catégorie est fixé à 80%. Y figure également le montant annuel payable, dans chaque catégorie, au pensionné, son épouse et ses enfants à charge.
Le Conseil de révision des pensions a interprété les paragraphes (1) et (2) de l'article 26 qui figurent également à la Partie III de la Loi. Cette interprétation fait l'objet de la demande présentée en vertu de l'article 28. Ces paragraphes sont ainsi rédigés:
26. (1) Sous réserve des dispositions de l'article 12, les pensions pour invalidité doivent, sauf les prescriptions du para- graphe (3), être accordées ou maintenues selon le degré d'inva- lidité résultant de blessure ou de maladie ou de leur aggrava tion, selon le cas, du requérant ou du pensionné.
(2) L'estimation du degré d'invalidité doit être basée sur les instructions et sur une table des invalidités, que doit préparer la Commission pour la gouverne des médecins et des chirurgiens qui font les examens médicaux aux fins de pension.
La procédure à suivre pour faire une demande de compensation, pour déterminer l'admissibilité à une compensation et le montant de celle-ci est prévue à la Partie VI de la Loi. En premier lieu, toute demande de compensation doit être présentée à la Commission, comme le prescrit l'article 62.
Une fois la demande tranchée par la Commis sion, si le requérant n'est pas satisfait, il peut de
plein droit présenter une autre demande à la Com mission et, après la seconde décision, si le requé- rant n'est toujours pas satisfait, la Commission peut, à sa discrétion, étudier une demande ultérieure.
Aux termes de l'article 67, un requérant qui n'est pas satisfait quant au montant d'une compen sation qui lui est accordée, peut demander une audition par deux membres de la Commission et, si sa demande est accueillie, les deux commissaires désignés pour présider l'audition peuvent confir- mer ou modifier la décision de la Commission quant au montant de la compensation.
Les articles 68 72 inclusivement traitent du
cas d'un requérant qui n'est pas satisfait quant à son admissibilité à une compensation ou dont la compensation a été annulée ou réduite par la Commission. Ces articles prévoient que le prési- dent désigne trois membres de la Commission qui sont constitués en comité d'examen pour entendre le cas du requérant, la procédure relative à la conduite de l'appel et la décision du comité d'examen.
Un requérant qui n'est pas satisfait de la déci- sion du comité d'examen ou de la décision des deux membres de la Commission, désignés en vertu de l'article 67, peut interjeter appel de la décision devant le Conseil de révision des pensions. Ce Conseil est indépendant de la Commission et se compose d'un président et de quatre autres mem- bres nommés par le gouverneur en conseil pour un mandat fixe.
L'obligation pour le Conseil de recevoir toute demande d'interprétation de toute disposition des Parties III à VII de la Loi est prévue à l'article 81(3). C'était une requête introduite en vertu de cet article qui menait à l'interprétation en cause. Cet article est ainsi rédigé:
81. (3) Le Conseil de révision des pensions doit recevoir toute demande d'interprétation d'une disposition des Parties III à VII de la présente loi présentée par la Commission, le chef avocat-conseil du Bureau ou tout organisme d'anciens combat- tants constitué en corporation en vertu d'une loi du Parlement du Canada.
Comme on l'a indiqué précédemment, la requé- rante, en l'espèce, a adressé au Conseil une demande d'interprétation des paragraphes (1) et (2) de l'article 26 de la Loi. La décision du Conseil
du 23 juillet 1974, suite à l'audition consécutive à cette demande d'interprétation, constitue l'objet de la présente demande.
La demande d'interprétation, présentée le 10 avril 1974, découlait d'un «énoncé de principe» 19 de la Commission relativement aux augmentations automatiques de la pension en fonction de l'âge pour certaines catégories de pensionnés; il était inséré dans la table des invalidités et des instruc tions de la Commission préparées sous le régime de l'article 26(2) de la Loi.
Il ressort du dossier que l'énoncé de principe a tout d'abord fait partie de la table avec l'approba- tion du ministre des Pensions et de la Santé natio- nale en 1938. Depuis, il a été modifié à plusieurs reprises, chaque fois, semble-t-il, avec l'approba- tion du Ministre. La version actuelle du principe aurait été adoptée le 28 juin 1973, après son approbation par le ministre des Anciens combattants; 20 elle est ainsi libellée:
Quand un pensionné, titulaire d'une pension stabilisée à un taux d'au moins 50 p. 100, versée à l'égard d'une ou de plusieurs invalidités résultant d'une amputation ou affection attribuables ou consécutives à un engagement direct avec l'ennemi, atteint l'âge de 55 ans, puis de 57 ans, puis de 59 ans, il faut hausser chaque fois de 10 p. 100 l'évaluation de son invalidité, sous réserve qu'il ne saurait y avoir plus de trois augmentations, dont aucune ne doit dépasser 10 p. 100, et que l'évaluation totale ne doit pas excéder 100 p. 100.
Avant d'aborder le fond de la demande, il est nécessaire d'examiner la prétention des intimés selon laquelle l'interprétation en cause n'est pas une décision ou une ordonnance, au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. A cet égard, il est manifeste, selon moi, que la Commis sion d'appel des pensions est un office, une com mission ou autre tribunal fédéral, au sens de ces mots dans la Loi sur la Cour fédérale. Voici le
19 Comme on le verra, l'énoncé de principe s'assimile plus, dans son contexte, à un règlement, une règle ou à une directive, fait admis par les avocats. C'est pourquoi j'ai placé l'expression «énoncé de principe» entre guillemets à ce stade de mes motifs; l'expression sera toutefois utilisée toute seule par la suite, le caractère véritable de l'utilisation de ce mot étant entendu.
20 Bien qu'on ait dit que le premier énoncé de principe et chaque modification avaient reçu l'approbation ministérielle avant leur adoption par la Commission et leur insertion dans la table des invalidités et des instructions, rien dans la Loi n'im- pose cette approbation préalable et le fait que ces approbations ont été obtenues n'est pas déterminant.
raisonnement suivi par le juge en chef Jackett dans l'affaire In re Danmor Shoe Company Ltd. [1974] 1 C.F. 22, aux pages 28 et 29, pour établir la distinction entre une décision d'un office, une com mission ou autre tribunal relativement à une affaire pour laquelle il est compétent, et une décla- ration d'un tel organisme dans le cadre d'une question préliminaire ou interlocutoire qui ne tran- che pas de façon définitive le litige qui lui est soumis:
Une décision susceptible d'annulation en vertu de l'article 28(1) doit donc être une décision prise dans l'exercice ou le prétendu exercice d'«une compétence ou des pouvoirs» conférés par une loi du Parlement. Il va de soi qu'une décision du tribunal, prise en vertu d'«une compétence ou des pouvoirs» expressément conférés par la loi, est une «décision» relevant de cette catégo- rie. Une décision prise dans le prétendu exercice d'«une compé- tence ou des pouvoirs» conférés par la loi relève aussi manifeste- ment de l'article 28(1). Une décision de ce genre a pour effet juridique de régler l'affaire, ou elle prétend avoir cet effet. Une fois que, dans une affaire donnée, le tribunal a exercé sa «compétence ou ses pouvoirs» en rendant une «décision», la question est tranchée et même le tribunal ne peut y revenir. (A moins, bien sûr, qu'il ait les pouvoirs exprès ou implicites de défaire, ce qu'il a fait, ce qui est une compétence supplémentaire.)
Il existe une différence manifeste entre une «décision» de la Commission dont l'objet relève de sa «compétence et de ses pouvoirs» et une déclaration de ladite Commission sur la nature des pouvoirs qu'elle va exercer pour rendre une décision rele vant de sa «compétence ou de ses pouvoirs». Une fois que la Commission, dans une affaire donnée, a rendu une décision relevant de sa «compétence ou de ses pouvoirs», cette décision a un effet juridique et la Commission a épuisé ses pouvoirs à l'égard de cette affaire. Cependant, lorsque la Commission prend position sur la nature des pouvoirs qu'elle a l'intention d'utiliser, cette «décision» n'a aucun effet juridique. Dans un tel cas, il n'y a pas eu décision en droit.
L'article 81(3) prescrit au Conseil de recevoir toute demande d'interprétation d'une disposition des Parties III à VII de la Loi présentée, comme en l'espèce, par tout organisme d'anciens combat- tants. Pour autant que je sache, aucune disposition expresse de la Loi n'indique qu'une interprétation ainsi préparée est définitive et engage toutes les parties pour toutes les affaires à venir; la décision du Conseil n'est cependant pas une simple déclara- tion, c'est une décision dans le cadre de ses pou- voirs exprès qui, en tant que telle, est susceptible d'examen sur demande présentée en vertu de l'arti- cle 28. Décider que ce n'est pas une décision de ce
genre rendrait inutile toute interprétation faite en vertu de ce paragraphe. 21
L'avocat de l'intimé a prétendu que le critère pour déterminer la nature de la décision en cause consiste, en premier lieu, à savoir si la décision est définitive ou si le tribunal a le droit de changer d'opinion et, en second lieu, à savoir si la décision a un quelconque effet juridique. D'après lui, la réponse à ces deux questions, en ce qui concerne une décision du Conseil sur une demande d'inter- prétation en vertu de l'article 81(3), doit être négative.
Une fois que le Conseil a donné son interpréta- tion, elle doit avoir un effet juridique permanent, lier la Commission qui doit l'appliquer en mettant en oeuvre la Loi. Cet effet juridique se poursuivra et, me semble-t-il, liera aussi bien le Conseil que la Commission jusqu'à ce qu'un tribunal, dans le cadre d'une demande de ce genre, décide que l'interprétation donnée était erronée. Les argu ments des intimés fondés sur les deux critères énoncés par leur avocat doivent donc, selon moi, être jugés irrecevables.
En supposant que la décision exigée est «une décision ou ordonnance ... de nature administra tive», au sens de ces mots à l'article 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale, il est alors nécessaire de déterminer si elle est légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire. L'article 81(4) autorise le gouverneur en conseil à établir des règlements «concernant la procédure que devra suivre le Conseil de révision des pensions pour l'audition et l'étude des demandes d'interprétation présentées en vertu du paragraphe (3)». (C'est moi qui souligne.) Aucune règle de procédure n'a été ainsi fixée, bien que la Cour ait été avisée que le Conseil suivait des règles de procédure non offi- cielles. Ce point n'est pas déterminant car ce para- graphe stipule très clairement que tout examen de la demande se fera à l'audition. Il s'agit donc d'une
21 L'emploi du terme «interprétation» à l'article 81(1) con- traste avec son emploi à l'article 81(3). Dans le premier cas, la «décision» à laquelle la Commission doit parvenir vise à tran- cher un appel interjeté d'une compensation ou d'une admissibi- lité. L'«interprétation» que le Conseil est tenu de faire dans le cadre de l'appel n'est pas, à mon avis, une «décision» définitive ou une ordonnance, au sens de ces mots à l'article 28, alors que l'interprétation prescrite au paragraphe (3) l'est. Toutefois, il n'est pas nécessaire dans la présente demande de décider si cette distinction apparente est justifiée.
décision soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire.
Venons-en maintenant au fond du litige; voici l'extrait pertinent de la demande d'interprétation soumise au Conseil de révision des pensions:
[TRADUCTION] SACHEZ QUE le Secrétaire national de l'Associa- tion canadienne des amputés de guerre, conformément à l'arti- cle 81(3) de la Loi sur les pensions, demande
(1) Que le Conseil de révision des pensions accueille une demande d'interprétation, présentée en vertu des paragraphes
(1) et (2) de l'article 26 de la Loi sur les pensions, portant que la Commission est autorisée à prévoir une augmentation automatique selon l'âge aux anciens membres des forces titulaires d'une pension résultant d'une amputation ou d'une blessure par arme à feu due à un accident; et
(2) Que le Conseil s'est mépris en décidant, le 15 mai 1973, que toute politique d'augmentation automatique selon l'âge nécessiterait une mesure législative; et ....
En rendant sa décision, le Conseil a décidé en fait que la Commission, aux termes de l'article 26, n'était pas habilitée à adopter l'énoncé de principe actuel, mais qu'il conviendrait néanmoins de lui accorder un effet juridique car il était en fait appliqué depuis 1938, mais qu'il ne pouvait être élargi, si ce n'est par le législateur.
La requérante a soutenu devant cette cour que le Conseil de révision des pensions avait commis une erreur de droit, faute de déclarer ultra vires la restriction insérée dans la disposition de la table des invalidités relative à l'augmentation automati- que selon l'âge et limitant son application aux pensionnés dont l'amputation ou la blessure étaient attribuables ou résultaient d'un engagement direct avec l'ennemi, du fait que cette restriction allait à l'encontre des pouvoirs conférés à la Commission par l'article 26(2) de la Loi.
Selon moi, il faudrait en premier lieu souligner que les instructions et la table des invalidités auto- risées par l'article 26(2) s'inscrivent «pour la gou- verne des médecins et des chirurgiens qui font les examens médicaux aux fins de pension», lorsqu'il s'agit d'évaluer le taux d'invalidité du requérant. Il est donc utile de s'arrêter à l'économie de la table des invalidités. Le chapitre 1 comporte une intro duction et des définitions; le chapitre 2 donne des directives générales à l'usager; et dans les 18 cha- pitres suivants, on donne des directives générales aux médecins qui examinent des types particuliers d'amputation, de blessures et de maladies, en four- nissant pour chaque cas les tables d'évaluation,
exprimées en pourcentages, pour l'invalidité du requérant en cause. C'est sur le chapitre 2 que se fonde la présente mesure.
Il est surprenant que l'avocat des intimés ait prétendu que tout énoncé de principe était ultra vires, et non simplement la clause limitant son application aux pensionnés dont les invalidités résultaient ou étaient attribuables à un engage ment direct avec l'ennemi. Il fonde sa plaidoirie sur le fait que nulle part dans la Loi il n'est prévu que, lorsqu'un intéressé atteint un âge donné, il devient automatiquement admissible à la pension et que la compensation doit être établie, comme le prescrit l'article 26, selon le degré d'invalidité. Pour étayer son point de vue, l'avocat se réfère à la Partie VI de la Loi dans laquelle est exposée la procédure pour demander et recevoir une pension et interjeter éventuellement appel. Selon sa plai- doirie, il ressort clairement de la lecture des arti cles de cette partie concurremment avec l'article 26(1) que la Commission doit fixer une première compensation et que tout changement à celle-ci doit intervenir sur une base individuelle «selon le degré d'invalidité» et non pas automatiquement en fonction de l'âge, indépendamment de tout chan- gement réel dans l'invalidité du pensionné qui a atteint l'âge donné.
Je ne crois pas que l'énoncé de principe, lors- qu'on le lit conjointement avec les directives consé- cutives au chapitre 2 de la table des invalidités, étaye l'argumentation des intimés selon laquelle la compensation est automatique dans le sens pro- posé. Le paragraphe 4 du chapitre 2 est ainsi rédigé:
[TRADUCTION] 4. Les directives suivantes concernant l'ap- plication du principe de l'augmentation automatique en fonc- tion de l'âge continuent à s'appliquer:
a) le seul fait qu'une invalidité restera vraisemblablement supérieure à 50% ne constitue pas en soi une exigence suffisante pour qu'on accorde une augmentation automatique selon l'âge.
b) la Commission doit être convaincue que l'invalidité ne va vraisemblablement pas augmenter.
c) lorsque l'évaluation d'une invalidité a été maintenue au même niveau pendant 10 ans et plus, on peut estimer que l'invalidité ne va vraisemblablement pas augmenter.
d) un pensionné victime d'une ou plusieurs invalidités avec une évaluation fixe dans une échelle comprise entre 48% et 52% et dont la pension est, par conséquent, payable au taux de 50%, est admissible au bénéfice d'une compensation en vertu du principe énoncé précédemment. [C'est moi qui souligne.]
L'avocat a par ailleurs admis que, tandis que les dossiers des pensionnés, titulaires de pension excé- dant 50%, sont soumis automatiquement à un examen, lorsque ceux-ci atteignent 55 ans, 57 ans et 59 ans, les augmentations ne sont pas accordées automatiquement. A ce moment-là, le pensionné est examiné par les médecins, l'histoire détaillée de son cas fait l'objet d'un examen complet. Si la Commission est alors convaincue que les directives énoncées à l'article 4 du chapitre 2 de la table des invalidités de même que les critères énoncés ail- leurs dans la table ont été satisfaits, il y aura une augmentation de 10% de ses prestations de pen sion. La Cour a été informée que l'octroi d'une pension a toujours été fondé sur le degré d'invali- dité exprimé en pourcentage. Des pensionnés atteints d'incapacité semblable devraient, aux termes de ce système, recevoir, autant que possi ble, des pensions analogues. Bien évidemment, ces pourcentages sont fixés arbitrairement par la Commission afin d'uniformiser l'application de la Loi. L'utilisation d'un pourcentage supplémentaire arbitraire relatif à une invalidité que la Commis sion déclare, sur le conseil des médecins, aggravée par le vieillissement, se conforme, selon moi, avec la seule façon logique d'appliquer la Loi, ce qu'on a fait dès le départ.
En d'autres termes, la table des invalidités four- nit des indications aux conseillers médicaux de la Commission pour l'aider à évaluer le degré d'inva- lidité du pensionné, tant en regard de sa demande originale de pension que, par la suite, pour l'esti- mation du degré d'invalidité supplémentaire à des âges donnés. C'est la Commission qui fixe la com pensation en définitive et elle peut admettre ou rejeter les conclusions des médecins. Par consé- quent, selon moi, l'article 26(1) et (2) autorise la Commission à adopter un principe du genre de celui qui est soumis à notre examen et le Conseil a commis une erreur en déclarant qu'elle aurait avoir une autorisation du Parlement et que tout élargissement de ce principe est soumis à une telle sanction.
Toutefois, je ne pense pas que les articles en cause ou toute autre disposition de la Loi permet- tent de restreindre l'application de ce principe aux personnes dont les invalidités sont dues ou résul- tent d'un engagement direct avec l'ennemi. Comme on l'aura remarqué, les alinéas 12(1)a) et
b) prévoit que les pensions seront accordées aux bénéficiaires en cas de décès, de blessures ou de maladies qui se sont produites au cours du service militaire ou attribuables à celui-ci. Les alinéas c) et g) de ce paragraphe s'appliquent apparemment aux personnes qui sont servi «sur un théâtre réel de guerre» et cette expression est définie comme suit à l'article 2(1) de la Loi:
«service sur un théâtre réel de guerre» signifie
a) tout service à titre de membre des forces de l'armée ou des forces aériennes du Canada au cours de la période commençant le 14 août 1914 et se terminant le 11 novembre 1918, dans la zone des armées alliées sur l'un des continents européen, asiatique ou africain, ou en tout autre lieu le membre a été blessé ou a contracté une maladie comme conséquence directe d'un acte hostile de l'ennemi;
b) tout service à titre de membre des forces navales du Canada au cours de la période visée à l'alinéa a), en haute mer ou en n'importe quel lieu le contact avec les forces hostiles de l'ennemi a été établi, ou en tout autre lieu le membre a été blessé ou a contracté une maladie comme conséquence directe d'un acte hostile de l'ennemi; et
c) tout service à titre de membre des forces au cours de la période commençant le l er septembre 1939 et se terminant
(i) le 9 mai 1945, lorsque le service a été fait que ce soit hors du Canada, et
(ii) le 15 août 1945, lorsque le service a été fait dans l'océan Pacifique ou en Asie,
ou en quelque lieu au Canada le membre a été blessé ou a contracté une maladie comme conséquence directe d'un acte hostile de l'ennemi.
Comme on peut le voir, nulle part dans cette définition ni, évidemment, ailleurs dans la Loi, n'apparaît l'expression «attribuables à un engage ment direct avec l'ennemi ou en résultant». D'ail- leurs, aucune disposition ne confère à la Commis sion le pouvoir, lorsqu'elle décide de l'admissibilité à la pension ou du montant d'une compensation, de faire une distinction entre les personnes dont les invalidités sont imputables à un engagement direct avec l'ennemi et celles qui découlent d'un accident. Par conséquent, imposer ce genre de restriction excède les pouvoirs de la Commission. Toutefois, puisque, comme je l'ai déjà établi, elle a effective- ment le pouvoir en vertu de la Loi d'émettre un énoncé de principe sans une telle restriction, l'in- terprétation du Conseil est erronée et doit être annulée. Il convient donc d'ordonner au Conseil de réviser son interprétation de l'article 26(2), étant entendu que ce dernier autorise la Commission d'étendre l'application du principe en question à toutes les personnes titulaires de pensions d'invali- dité à un taux fixe de 50% ou plus eu égard à une
amputation ou une blessure, pourvu qu'il ne serve qu'à instruire les personnes à qui il est destiné de la façon dont on doit évaluer le degré d'invalidité.
Pour les motifs mentionnés précédemment, je souscris à l'ordonnance proposée par le juge en chef.
* * *
LE JUGE PRATTE: J'y souscris.
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