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A-73-74
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion (Appelant) (Requérant)
c.
Guillermo Lautoro Diaz Fuentes (Intimé) (Défendeur)
Cour d'appel, le juge Pratte, les juges suppléants Hyde et St-Germain—Montréal, les 29 et 30 octobre 1974.
Examen judiciaire et appel concomitants—Immigration— Ordonnance d'expulsion—Restrictions dans la nouvelle loi à l'égard des appels interjetés devant la Commission d'appel de l'immigration—Conditions relatives au «réfugié que protège la Convention»—Loi sur la Commission d'appel de l'immi- gration, art. 2, 11, 14, 15 et leurs modifications S.C. 1973-74 c. 27, art. 1, 5, 6—Loi sur la Cour fédérale, art. 28.
L'intimé est arrivé au Canada le 1°" janvier 1974 en provenance du Chili et a demandé son admission à titre d'immigrant. Comme il paraissait ne pas satisfaire aux exi- gences de la Loi sur l'immigration, une ordonnance d'expul- sion fut prononcée contre lui par un enquêteur spécial. L'intimé déclara être un réfugié politique et déposa un avis. d'appel à la Commission accompagné d'une déclaration sous serment, comme le prescrit l'article 11(2) de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration. Peu de temps après, «un groupe de membres de la Commission formant quorum», au lieu de procéder en la façon prévue à l'article 11(3) pour déterminer si «elle doit permettre que l'appel suive son cours», tint une audience les deux parties étaient représentées; l'avocat de l'intimé cita des témoins afin d'établir que son client était un «réfugié que protège la Convention». La Commission rendit deux décisions: 1. per- mettant que l'appel suive son cours, et 2. ordonnant que l'appel contre l'ordonnance d'expulsion soit accueilli. L'ap- pelant interjeta appel de la deuxième décision.
Arrêt: la décision accueillant l'appel est infirmée; l'affaire est renvoyée devant la Commission pour que l'appel suive son cours conformément à la Loi. Le fait que la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration fasse mention de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés n'a pas pour effet d'incorporer au droit canadien interne l'interdiction que contient cette convention de déporter des réfugiés. L'article 11(1)c) accorde un droit d'appel, sous certaines conditions, à celui qui prétend être un «réfugié que protège la Convention». La Commission peut référer à la Convention dans deux buts seulement, savoir: 1. pour déter- miner si, suivant l'article 11, une personne dont l'expulsion a été ordonnée bénéficie d'un droit d'appel à la Commission, et 2. pour déterminer s'il y a lieu pour la Commission d'accorder un redressement spécial, en vertu de l'article 15(1).
APPEL et demande d'examen judiciaire.
AVOCATS:
G. R. Léger pour l'appelant.
J. S. Bless et B. S. Mergler pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelant.
Mergler, Bless, Leclaire, Marion, Lebel & Bélanger, Montréal, pour l'intimé.
Voici les motifs du jugement prononcés orale- ment en français par
LE JUGE PRATTE: Le Ministre de la Main- d'oeuvre et de l'immigration attaque, aussi bien par voie d'appel qu'en la façon prévue à l'article 28, la décision de la Commission d'appel de l'immigration qui a admis l'appel interjeté par l'intimé de l'ordonnance d'expulsion qu'un enquêteur spécial avait prononcée contre lui.
Pour comprendre les questions que soulève ce litige, il faut d'abord rappeler que toutes les personnes qui sont frappées d'une ordonnance d'expulsion n'ont plus aujourd'hui comme elles l'avaient autrefois, le droit de faire appel à la Commission d'appel de l'immigration. Depuis l'adoption de la Loi modifiant la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, S.C. 1973-74, c. 27, ce droit d'appel, qui porte aussi bien sur des questions de fait que des questions de droit ou des questions mixtes, est réservé à 4 classes de personnes. Cela ressort de l'article 11(1) de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration:
11. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), une per- sonne frappée d'une ordonnance d'expulsion, en vertu de la Loi sur l'immigration peut, en se fondant sur un motif d'appel qui implique une question de droit, une question de fait ou une question mixte de droit et de fait, interjeter appel devant la Commission, si au moment l'ordonnance d'ex- pulsion est prononcée contre elle, elle est
a) un résident permanent;
b) une personne qui cherche à être admise au Canada en qualité d'immigrant ou de non-immigrant, l'exception d'une personne qui, aux termes du paragraphe 7(3) de la Loi sur l'immigration est réputée être une personne qui cherche à être admise au Canada) et qui, au moment un fonctionnaire à l'immigration a établi, conformément à l'article 22 de la Loi sur l'immigration, le rapport la concernant, était en possession d'un visa valide d'immi-
grant ou de non-immigrant, selon le cas, que lui avait délivré hors du Canada un fonctionnaire à l'immigration;
c) une personne qui prétend être un réfugié que protège la Convention; ou
d) une personne qui prétend être citoyen canadien.
Pour l'intelligence de cette disposition, il est nécessaire de savoir que le mot «Convention» utilisé dans l'expression «réfugié que protège la Convention» est défini de la façon suivante à l'article 2 de la Loi:
2. Dans la présente loi
«Convention» désigne la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951, et comprend tout protocole à cette Conven tion que le Canada a ratifié ou auquel il a adhéré; [S.C. 1973-74, c. 27, art. 1.]
Suivant cette Convention internationale le Canada s'est engagé, aux conditions prévues à la Convention, à ne pas expulser de son terri- toire les personnes qui sont des réfugiés au sens de la Convention. Quant au terme «citoyen canadien», il désigne une personne qui est citoyen au sens de la Loi sur la Citoyenneté canadienne, ce qui lui donne, suivant l'article 3(1) de la Loi sur l'immigration, le droit d'entrer au Canada.
Alors que le droit d'appel des personnes men- tionnées aux alinéas a) et b) de l'article 11(1) leur est accordé en raison d'une situation de fait (la résidence permanente au Canada, la posses sion d'un visa obtenu à l'étranger) qui ne con- siste pas dans une simple expression de volonté de leur part, en revanche le droit d'appel des personnes mentionnées aux alinéas c) et d) résulte du seul fait que, au moment l'ordon- nance d'expulsion a été prononcée ils ont pré- tendu être soit «un réfugié politique que protège la Convention», soit un citoyen canadien. Comme rien n'empêche toute personne qui cherche à venir au Canada de prétendre être un réfugié ou un citoyen canadien, le but du nouvel article 11, qui était de limiter les appels à la Commission, n'aurait pas été atteint si le droit d'appel des personnes mentionnées aux alinéas c) et d) n'avait pas été assujetti à certaines conditions. Ces conditions sont au nombre de
deux et sont énoncées aux paragraphes (2) et (3) de l'article 11. 1
Celui qui prétend être citoyen canadien ou
réfugié doit donc d'abord, c'est la première con dition à laquelle son droit d'appel est subor- donné, joindre à son avis d'appel une déclara- tion assermentée énonçant essentiellement sa prétention et les faits sur lesquels elle se fonde. Cette déclaration doit ensuite, et c'est la seconde condition, être examinée par un «groupe de membres de la Commission formant quorum». Si, se fondant sur l'examen de cette
déclaration', la Commission estime que la pré- tention est frivole, elle doit ordonner l'exécution aussi prompte que possible de l'ordonnance d'expulsion; le droit d'appel est alors perdu. Si, au contraire, l'examen de la déclaration révèle à la Commission que la prétention n'est pas fri- vole «elle doit permettre que l'appel suive son cours». A compter de ce moment l'appelant mentionné à l'alinéa c) ou l'alinéa d) devient un
appelant «à part entière» et son appel doit pro- céder comme celui qui aurait été interjeté par une personne mentionnée à l'alinéa a) ou l'ali-
1 11. (2) Lorsqu'un appel est interjeté devant la Commis sion conformément au paragraphe (1) et que le droit d'appel se fonde sur l'une des prétentions visées par les alinéas (1)c) ou d), l'avis d'appel présenté à la Commission doit contenir une déclaration sous serment énonçant
a) la nature de la prétention;
b) un énoncé suffisamment détaillé des faits sur lesquels se fonde la prétention;
c) un résumé suffisamment détaillé des renseignements et de la preuve que l'appelant entend présenter à l'appui de la prétention lors de l'audition de l'appel; et
d) tout autre exposé que l'appelant estime pertinent en ce qui concerne la prétention.
(3) Nonobstant toute autre disposition de la présente loi, lorsque la Commission reçoit un avis d'appel et que l'appel se fonde sur une prétention visée par les alinéas (1)c) ou d), un groupe de membres de la Commission formant quorum doit immédiatement examiner la déclaration mentionnée au paragraphe (2). Si, se fondant sur cet examen, la Commis sion estime qu'il existe des motifs raisonnables de croire que le bien-fondé de la prétention pourrait être établi s'il y avait audition de l'appel, elle doit permettre que l'appel suive son cours; sinon, elle doit refuser cette autorisation et ordonner immédiatement, l'exécution aussi prompte que possible de l'ordonnance d'expulsion.
2 Et non pas, il faut le noter, sur les faits révélés lors de l'enquête tenue par l'enquêteur spécial ou sur d'autres faits qui pourraient être prouvés lors d'une audience que tiendrait la Commission.
néa b). Il s'agit d'un appel d'une ordonnance d'expulsion qui peut se fonder, comme l'indique l'article 11(1), sur tout motif qui implique une question de droit, une question de fait ou une question mixte. La Commission doit entendre cet appel et, ensuite, le décider de l'une ou de l'autre des façons prévues à l'article 14:
14. La Commission peut statuer sur un appel prévu à l'article 11 ou à l'article 12,
a) en admettant l'appel;
b) en rejetant l'appel; ou
c) en prononçant la décision et en rendant l'ordonnance que l'enquêteur spécial qui a présidé l'audition aurait prononcer et rendre. 1966-67, c. 90, art. 14.
Comme, en rendant pareille décision, la Com mission tranche un appel d'une ordonnance d'expulsion, il est évident qu'elle ne doit admet- tre un appel que si il lui paraît que l'ordonnance attaquée n'aurait pas dû, dans les circonstances que révèle la preuve, être prononcée.
Si la Commission en vient à la conclusion que l'appel de l'ordonnance d'expulsion doit être rejeté, elle doit alors se demander si il est opportun d'accorder à l'appelant, quelle que soit la catégorie d'appelant à laquelle il appartienne, un redressement spécial en vertu de l'article 15(1) 3 .
15. (1) Lorsque la Commission rejette un appel d'une ordonnance d'expulsion ou rend une ordonnance d'expul- sion en conformité de l'alinéa 14 c), elle doit ordonner que l'ordonnance soit exécutée le plus tôt possible. Toutefois,
a) dans le cas d'une personne qui était un résident perma nent à l'époque a été rendue l'ordonnance d'expulsion, compte tenu de toutes les circonstances du cas, ou
b) dans le cas d'une personne qui n'était pas un résident permanent à l'époque a été rendue l'ordonnance d'ex- pulsion, compte tenu
(i) de l'existence de motifs raisonnables, de croire que la personne intéressée est un réfugié que protège la Con vention ou que, si l'on procède à l'exécution de l'ordon- nance, elle sera soumise à de graves tribulations, ou [S.C. 1973-74, c. 27, art. 6.]
(ii) l'existence de motifs de pitié ou de considérations d'ordre humanitaire qui, de l'avis de la Commission, justifient l'octroi d'un redressement spécial,
la Commission peut ordonner de surseoir à l'exécution de l'ordonnance d'expulsion ou peut annuler l'ordonnance et ordonner d'accorder à la personne contre qui l'ordonnance avait été rendue le droit d'entrée ou de débarquement.
J'en viens maintenant aux faits qui ont donné lieu à cet appel.
L'intimé, de nationalité Chilienne, est arrivé à Dorval le 1 e1 janvier 1974 et il a demandé à être admis au pays à titre d'immigrant. Comme il paraissait ne pas satisfaire aux exigences de la Loi sur l'immigration, une ordonnance d'expul- sion fut prononcée contre lui par un enquêteur spécial. Prétendant être un réfugié politique, l'intimé déposa aussitôt un avis d'appel à la Commission et accompagna son avis d'une déclaration assermentée, comme le prescrit le paragraphe (2) de l'article 11. Peu de temps après, «un groupe de membres de la Commis sion formant quorum», au lieu de procéder à l'examen de la déclaration assermentée de l'in- timé en la façon prévue au paragraphe (3) de l'article 11, tint une audience l'intimé aussi bien que l'appelant étaient représentés. L'avocat de l'intimé, invité par la Commission à établir que son client était un réfugié protégé par la Convention, fit entendre plusieurs témoins; le représentant de l'appelant n'en fit entendre aucun. Chaque partie fit ensuite part à la Com mission de ses représentations et l'affaire fut prise en délibéré. Le 14 mars 1974, la Commis sion rendit deux décisions (qui, cependant, ne furent signées que le lendemain). Le dispositif de la première de ces décisions se lit comme suit:
CETTE COMMISSION ORDONNE que l'appel interjeté contre une ordonnance d'expulsion rendue contre l'appelant le jour de janvier 1974 suive son cours.
Cette décision n'est pas attaquée par l'appelant qui fait appel seulement de la deuxième déci- sion. Cette décision se lit comme suit:
Lors de l'audition de cet appel le jour de mars 1974, en présence du procureur de l'appelant et du conseiller de l'intimé, et après lecture du dossier et des représentations qui ont été versées, et après avoir entendu la preuve et les plaidoiries;
CETTE COMMISSION ORDONNE que cet appel contre une ordonnance d'expulsion émise le jour de janvier 1974, soit et est de fait admis.
Les motifs de la décision de la Commission révèlent que, de la preuve offerte lors des audiences qu'elle avait tenues, la Commission a d'abord conclu que l'intimé était bien «un réfu- gié que protège la Convention». Comme, sui-
vent la Convention (telle que l'a interprétée la Commission), l'intimé ne pouvait être expulsé du Canada, la Commission a aussi conclu que l'ordonnance d'expulsion prononcée contre l'in- timé était invalide et, en conséquence, elle a admis l'appel.
L'avocat de l'appelant a soumis que cette décision devait être infirmée. Il a prétendu qu'une ordonnance d'expulsion n'est pas inva- lide du seul fait qu'elle a été prononcée contre une personne qui est «un réfugié que protège la Convention». Suivant lui, la seule décision que pouvait prendre la Commission au terme de ses audiences, c'était de laisser l'appel suivre son cours.
Les avocats de l'intimé ont défendu la légalité de la décision de la Commission en affirmant que les dispositions de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration avaient pour effet d'in- corporer la Convention au droit interne canadien.
«La Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés» n'est mentionnée qu'une fois dans la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration; c'est dans la définition du mot «Convention» que donne l'article 2. Cette défi- nition n'a d'autre but que de préciser le sens de l'expression «réfugié que protège la Conven tion» qui est employée à l'article 11(1)c) et à l'article 15(1)b). L'article 11(1)c), je l'ai déjà dit, accorde un droit d'appel, sous certaines condi tions, à celui qui prétend être «un réfugié que protège la Convention». Quant à l'article 15(1)b), il donne le pouvoir à la Commission, dans le cas elle rejette un appel d'une ordon- nance d'expulsion, de casser cette ordonnance ou d'ordonner qu'il soit sursis à son exécution s'il existe des motifs raisonnables de croire «que la personne intéressée est un réfugié que pro- tège la Convention». Cela étant, il m'apparaît que, en appliquant la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, la Commission peut référer à la Convention relative au statut des réfugiés dans deux buts seulement, savoir
1. pour déterminer si, suivant l'article 11 une personne dont l'expulsion a été ordonnée bénéficie d'un droit d'appel à la Commission, et
2. pour déterminer si il y a lieu pour la Com mission d'accorder un redressement spécial en vertu de l'article 15(1).
Le fait que la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration fasse mention de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés n'a donc pas pour effet d'incorporer au droit interne canadien l'interdiction que contient cette Convention de déporter des réfugiés. En consé- quence, une ordonnance d'expulsion n'est pas invalide du seul fait qu'elle a été prononcée contre un réfugié que protège la Convention.
Pour ces motifs, je crois que la décision de la Commission admettant l'appel de l'intimé devrait être infirmée et que l'affaire devrait être renvoyée devant la Commission pour que l'ap- pel suive son cours suivant la Loi.
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LE JUGE SUPPLÉANT HYDE a souscrit à l'avis.
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LE JUGE SUPPLÉANT ST-GERMAIN a souscrit à l'avis.
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