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A-118-74
Donald R. McCleery, ancien Sergent d'État- major de la Gendarmerie royale du Canada (Requérant)
c.
La Reine, le solliciteur général du Canada, l'ho- norable Warren Allmand et le Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (Intimés)
et
D. S. Thorson, sous-procureur général du Canada (Mis-en-cause)
Cour d'appel, les juges Thurlow, Pratte et Ryan —Montréal, les 19 et 20 juin; Ottawa, le 2 août 1974.
Examen judiciaire—Demande présentée par un membre de la Gendarmerie royale en vue d'obtenir l'annulation de son renvoi par le Commissaire—On demande de mettre fin à cette demande pour défaut de compétence—Rejet de la requê- te—Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, S.R.C. 1970, c. R-9, art. 3, 5, 7(1),(4), 13(1)a), 21 et 38 et Règlements 150, 151 et 173, et Ordre permanent 1200; S.R.C. 1952, c. 241, art. 14; S.R.C. 1927, c. 160, art. 14; S.R.C. 1886, c. 45, art. 11; S.C. 1874, c. 22, art. 16; Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-3, art. 22(1) et 23(1)—Loi sur la Cour fédérale, art. 28, et Règle 1402.
On demande en vertu de l'article 28 l'annulation d'une décision du Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada par laquelle il a congédié le requérant de la Gendar- merie. Les intimés et l'intervenant ont demandé le rejet de cette demande au motif que la décision en cause ne pouvait faire l'objet d'un examen en vertu de l'article 28, en raison (1) de l'énoncé de l'article 28(1) et (2) de la définition des termes «office, commission ou autre tribunal» à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale.
Arrêt: 1. pour que l'article 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale ne puisse s'appliquer à l'ordonnance, il faut qu'il s'agisse d'«une décision ou ordonnance de nature adminis trative qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire». On a admis qu'il s'agissait d'une décision de nature administrative. Mais il s'agissait aussi d'une décision «soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire», puisque le pouvoir de congédier en vertu de l'article 13(2) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, est régi par le Règlement adopté en vertu de l'article 21. Le Règlement précise dans quelles circonstances le pouvoir de congédier peut être exercé. L'ordre permanent 1200 a pour effet de réduire encore le pouvoir de congédier en une série de règles, ayant force de loi, dont le but est d'assurer l'application du principe d'audi alteram. 2. On aurait pu soutenir que, en décidant de congédier un membre de la Gendarmerie en vertu de l'article 13(2) de la Loi n'agissait pas en qualité d'«office, commission ou autre
tribunal fédéral», au sens de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale, en se fondant sur la législation antérieure relative à la Gendarmerie qui prévoyait que l'engagement d'une per- sonne comme membre de la Gendarmerie n'était qu'un contrat avec le Commissaire. Cependant, l'énoncé de la Loi actuelle indique clairement que le pouvoir du Commissaire découle non du contrat d'engagement, mais de la Loi elle- même. La requête visant à mettre fin à la demande est rejetée et est accordé en même temps un délai supplémen- taire pour présenter une requête en vertu de la Règle 1402(2) afin de modifier la cause dans la demande présentée en vertu de l'article 28, aux termes de la Règle 1402(1).
Arrêts examinés: Ridge c. Baldwin [1964] A.C. 40; Cooper c. Wandsworth Board of Works (1863) 14 C.B.N.S. 180.
REQUÊTE. AVOCATS:
Arthur H. Campeau pour le requérant.
I. G. Whitehall pour les intimés.
Paul J. Evraire pour le mis-en-cause.
PROCUREURS:
Ogilvy, Cope, Porteous, Hansard, Marier, Montgomery et Renault, Montréal, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés par
LE JUGE THURLOW: On demande par la pré- sente requête une ordonnance mettant fin à une demande présentée en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale afin d'obtenir l'examen et l'annulation d'une décision du commissaire de la Gendarmerie royale du Canada par laquelle il a congédié le requérant comme membre de la Gendarmerie, en vertu de l'article 173 du Règle- ment établi en vertu des dispositions de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada' . On sou- tient, à l'appui de la requête, que la décision ne peut faire l'objet d'un examen en vertu de l'arti- cle 28 et que la Cour n'a pas compétence. La Cour a entendu en même temps, sur consente- ment, une demande semblable visant à mettre fin aux procédures engagées, en vertu de l'arti- cle 28, par Gilles G. Brunet demandant l'exa- men d'une ordonnance du Commissaire par
' S.R.C. 1970, c. R-9.
laquelle il fut congédié de la Gendarmerie; comme aucune distinction n'a été établie entre les deux affaires, les motifs qui suivent s'appli- queront aux deux requêtes.
En vertu du paragraphe 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale, la Cour a compétence pour enten- dre et se prononcer sur une demande d'examen et d'annulation:
... d'une décision ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature administrative qui n'est pas légale- ment soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une commission ou un autre tribunal fédéral ... .
L'expression «office, commission ou autre tribunal fédéral» est définie de la manière sui- vante à l'article 2:
... un organisme ou une ou plusieurs personnes ayant, exerçant ou prétendant exercer une compétence ou des pouvoirs conférés par une loi du Parlement du Canada ou sous le régime d'une telle loi ... .
La définition se poursuit par l'exclusion de cer- tains organismes mais ces exceptions ne sont pas applicables.
On a avancé deux théories à l'encontre de cette demande; la première est fondée sur l'énoncé même du paragraphe 28(1), l'autre sur l'énoncé de la définition des termes «office, commission ou autre tribunal fédéral», à l'article 2.
En ce qui concerne l'énoncé du paragraphe 28(1), les parties ont admis que l'ordonnance attaquée par la demande présentée en vertu de l'article 28 était une décision de nature adminis trative, mais on souleva la question de savoir s'il s'agissait d'une décision «légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire».
A cet égard, les articles suivants de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada sont pertinents:
3. Il doit être maintenu une gendarmerie pour le Canada, composée d'officiers et autres membres, laquelle portera le nom de Gendarmerie royale du Canada.
5. Le gouverneur en conseil peut nommer un officier, appelé commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, qui, sous la direction du Ministre, est investi de l'autorité sur la Gendarmerie et de la gestion de toutes les matières s'y rattachant.
L'article 6 vise d'autres officiers de la Gendar- merie et prévoit leur nomination par le gouver- neur en conseil.
7. (1) Le Commissaire doit nommer les membres de la Gendarmerie autres , que les officiers, pour des fonctions permanentes ou temporaires.
(4) Le Commissaire peut désigner comme agent de la paix tout membre et tout gendarme spécial nommé aux termes de l'article 10.
Durée des fonctions des membres
13. (1) Les officiers de la Gendarmerie détiennent leurs fonctions au gré du gouverneur en conseil.
(2) Sauf s'il est nommé pour une fonction temporaire chaque membre autre qu'un officier doit, lors de sa nomina tion, signer un acte d'engagement pour une période n'excé dant pas cinq ans, mais un tel membre peut être congédié ou renvoyé par le Commissaire en tout temps avant l'expiration de la durée de son engagement.
21. (1) Le gouverneur en conseil peut édicter des règle- ments sur l'organisation, l'entraînement, la discipline, l'effi- cacité, l'administration et le bon gouvernement de la Gen- darmerie et, en général, sur la réalisation des objets de la présente loi et la mise à exécution de ses dispositions.
(2) Sous réserve de la présente loi et des règlements établis en conformité du paragraphe (1), le Commissaire peut édicter des règles, appelées «ordres permanents», visant l'organisation, l'entraînement, la discipline, l'effica- cité, l'administration et le bon gouvernement de la Gendarmerie.
La Loi prévoit aussi des dispositions relatives à la discipline dans la Gendarmerie, à la procé- dure suivie lors d'un procès pour infractions ressortissant au service ainsi qu'aux peines encourues. L'article 38 prévoit qu'un officier prononçant une déclaration de culpabilité peut recommander la destitution d'un membre de la Gendarmerie.
Le Règlement établi par le gouverneur en conseil en vertu du paragraphe 21(1) prévoit notamment que:
LICENCIEMENT
150. Tout membre autre qu'un officier peut être licencié de la Gendarmerie pour n'importe laquelle des raisons suivantes:
a) fin de la période d'engagement,
b) rachat,
c) inaptitude,
d) incompétence,
e) décès,
f) désertion,
g) révocation,
h) ordre du Ministre, pour répondre aux nécessités du service,
0 permutation,
D) âge maximal,
k) fin de la période de service maximale,
1) dispense; ou
m) retraite.
151. Tout membre doit être informé immédiatement de toute recommandation faite en vue de son licenciement de la Gendarmerie.
RENVOI
173. Le Commissaire peut recommander le renvoi d'un officier et peut renvoyer un membre autre qu'un officier qui n'a pas la compétence requise pour servir dans la Gendarmerie.
L'ordre permanent 1200 pris en vertu du para- graphe 21(2) de la Loi prévoit que:
[TRnnucnoN] RECOMMANDATIONS RELATIVES AU
RENVOI
1200. (1) Lorsqu'on informe un membre, conformément au Reg. 151, d'une recommandation faite en vue de son licenciement de la Gendarmerie, on doit aussi l'informer de son droit d'appeler de cette recommandation auprès du Commissaire.
(2) Sous réserve du paragraphe (3), un tel appel doit être fait par écrit et dans les quatre jours de la date de la signification de cette recommandation.
(3) Lorsqu'une recommandation est faite en application de l'art. 38 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada et que le membre déclaré coupable demande une transcription écrite de la preuve, les dispositions de l'art. 41 de la Loi sont applicables.
Les arguments avancés à l'appui de sa théorie par l'avocat des intimés et de l'intervenant sui- vent deux lignes principales. La première con- siste à dire qu'en vertu de l'article 13(2) de la Loi, le pouvoir du Commissaire relativement au licenciement d'un membre de la Gendarmerie est absolu et peut être ou ne pas être motivé; il n'est donc pas nécessaire d'exercer ce pouvoir selon un processus judiciaire ou quasi judiciaire. La seconde consiste à dire que les nominations de membres de la Gendarmerie sont discrétion- naires et que, puisque le Commissaire est auto-
risé aux termes du paragraphe 7(1) à les nommer, il a le pouvoir en vertu du paragraphe 23(1) 2 de la Loi d'interprétation de les licencier à sa discrétion. A cet égard, l'avocat se réfère aux déclarations de Lord Reid et de Lord Hodson dans l'affaire Ridge c. Baldwin 3 à l'ap- pui de la théorie selon laquelle le pouvoir discré- tionnaire de licencier peut être exercé sans être motivé et que la personne détenant un tel pou- voir n'est pas obligée de le faire selon un pro- cessus judiciaire ou quasi judiciaire.
On n'a pas suggéré cependant qu'une disposi tion ayant force de loi ne pourrait servir à exiger qu'un tel pouvoir soit exercé selon un processus judiciaire ou quasi judiciaire.
Selon mon point de vue sur cette affaire, on peut concevoir, à la lumière des opinions expri- mées dans l'affaire Ridge c. Baldwin, que l'arti- cle 13(2), s'il pouvait être lu séparément des autres dispositions de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, autoriserait le congédiement ou renvoi d'un membre de la Gendarmerie sans observer le principe audi alteram partem. Cela découlerait apparemment du fait que l'article 13(2) ne spécifie aucun motif pour le congédie- ment ou renvoi. Même dans ce cas, j'aurais quelque hésitation à dire qu'un membre peut être congédié ou renvoyé sans être autorisé à présenter son point de vue sur l'affaire, lorsque le motif allégué pour son congédiement ou renvoi est sa mauvaise conduite. Dans une telle situation, le droit à une audition pourrait décou- ler du principe énoncé dans l'affaire Cooper c. Wandsworth Board of Works 4 . Mais j'estime qu'il n'est pas nécessaire de s'arrêter plus lon-
2 23. (1) Les mots autorisant la nomination d'un fonction- naire public à titre amovible comportent le pouvoir
a) de mettre fin à sa charge, de le destituer ou de le suspendre de ses fonctions,
b) de le nommer de nouveau ou de le réintégrer dans ses fonctions, et
c) d'en nommer un autre qui le remplacera ou agira à sa place,
à la discrétion de l'autorité investie du pouvoir de faire la nomination.
[1964] A.C. 40, aux pages 65, 66 et 129 respectivement. 4 (1863) 14 C.B.N.S. 180.
guement sur cette question puisqu'à mon avis, le paragraphe 13(2) doit être lu en corrélation avec les autres dispositions de la Loi, en particulier l'article 21.
J'estime également qu'il est quelque peu dou- teux, vu l'énoncé du paragraphe 13(2), que les nominations de membres de la Gendarmerie en tant que telles, soient faites à titre amovible en vertu du paragraphe 22(1) 5 de la Loi d'interpré- tation ou que ces membres peuvent être congé- diés ou renvoyés par le Commissaire, à sa dis- crétion, en vertu du paragraphe 23(1) de cette même loi. Ce dernier paragraphe s'applique dans le cas une disposition contient des «mots autorisant la nomination d'un fonction- naire public à titre amovible» et j'estime qu'il est pour le moins douteux qu'il s'agisse d'une conséquence du paragraphe 7(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada lorsque ce para- graphe est examiné à la lumière des dispositions spéciales sur la durée des fonctions des officiers et membres (article 13). Que les membres puis- sent être congédiés ou renvoyés à la discrétion du Commissaire ou non, rien dans le dossier déposé à la Cour dans cette affaire ne laisse entendre que la procédure effectivement utilisée pour le licenciement du requérant résultait de l'exercice d'un tel pouvoir et, si un tel pouvoir de congédier ou renvoyer peut être exercé, je ne pense pas que l'on puisse l'invoquer pour con- clure que le pouvoir prétendument exercé par le Commissaire était celui qui pouvait l'être et était une décision prise autrement que selon un pro- cessus judiciaire ou quasi judiciaire. Il me semble en outre que l'exercice de tout pouvoir qui peut être conféré au Commissaire par le paragraphe 23(1) de la Loi d'interprétation, comme celui qui découle du paragraphe 13(2) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, doit être sujet aux autres dispositions législati- ves concernant la Gendarmerie qui traitent de la cessation de fonction des membres.
22. (1) Chaque fonctionnaire public nommé avant ou après le 1°r septembre 1967 ou à cette date, aux termes ou sous le régime d'un texte législatif ou autrement, est réputé avoir été nommé à titre amovible seulement, sauf disposition contraire dudit texte ou de sa commission ou nomination.
Les Règlements établis en vertu de l'article 21 de cette dernière loi sur «l'organisation, l'entraî- nement, la discipline, l'efficacité, l'administra- tion et le bon gouvernement de la Gendarmerie et, en général, sur la réalisation des objets de la présente loi et la mise à exécution de ces dispo sitions» ont force de loi et, à mon avis, semblent avoir effectivement prévu les cas et circon- stances dans lesquels le pouvoir de licencier des membres devait être exercé. Si, pour ce faire, les Règlements ont restreint les motifs qu'un Commissaire pourrait autrement considérer suf- fisants pour justifier un renvoi, il me semble que cette conséquence a été envisagée et prévue par l'article 21; à mon avis, il en résulte une limita tion du pouvoir de renvoyer ou de congédier conféré par l'article 13(2). Vu les motifs déjà exprimés, je pense aussi, bien qu'il soit appa- remment inutile de trancher ce point, que, si comme on le prétend, le paragraphe 23(1) de la Loi d'interprétation confère le pouvoir de con- gédier ou renvoyer de façon discrétionnaire, son exercice par le Commissaire se limite aussi aux cas un membre peut être congédié ou ren- voyé en vertu des Règlements sur l'administra- tion et le bon gouvernement de la Gendarmerie.
Je vais examiner maintenant la procédure. L'article 151 du Règlement comporte une dispo sition statutaire selon laquelle tout membre doit être avisé immédiatement de toute recomman- dation en vue de son licenciement de la Gendar- merie. Il est évident que le but de cette disposi tion est de donner au membre intéressé la possibilité de faire part au Commissaire de ses objections à la recommandation faite à son encontre; même si je devais conclure sur la base de cette seule disposition, je penserais que les Règlements avaient pour effet d'exiger que le pouvoir de congédier ou renvoyer un membre, aux termes du paragraphe 13(2), ne soit exercé que si ledit membre a eu la possibilité raisonna- ble de présenter ses objections. A mon avis, la méthode à suivre pour exercer ce pouvoir relève de ce que peuvent prévoir les Règlements «sur ... la mise à exécution [des] dispositions» de cette loi au sens du paragraphe 21(1) et l'application de l'article 151 du Règlement à ce pouvoir suffirait en elle-même à le classer parmi
les pouvoirs dont l'exercice est légalement soumis à un processus quasi judiciaire.
Mais il y a également la disposition de l'Ordre permanent 1200 ayant aussi force de loi; elle exige que le membre intéressé soit informé de son droit de faire «appel» de cette recommanda- tion et prévoit en outre le délai d'«appel» et la manière de l'interjeter. A mon sens, cet ordre contribue aussi à réduire la procédure prévue pour l'exercice de ce pouvoir à une série de règles qui ont force de loi et envisagent le respect du principe audi alteram partem et sem- blent même être conçues pour assurer que ce principe est respecté.
Il s'ensuit donc à mon avis que la décision du Commissaire de licencier le requérant était une décision légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire au sens du paragra- phe 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale et que les prétentions des intimés et de l'intervenant fondées sur l'énoncé même de ce paragraphe ne peuvent être retenues.
Suivant l'autre théorie, le Commissaire, en décidant de licencier un membre de la Gendar- merie en vertu du paragraphe 13(2) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, n'agissait pas en tant qu'«office, commission ou autre tribunal fédéral» selon les définitions de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale. On a soutenu que, compte tenu de l'évolution de la Gendarmerie, du point de vue législatif, l'engagement d'un membre dans le service est un contrat avec le Commissaire et qu'en conséquence, lorsque le Commissaire renvoie un membre, dans l'exer- cice de son pouvoir qu'une référence incorpore à la formule d'engagement signée par le membre, il exerce simplement un droit en vertu d'un contrat et non un pouvoir conféré par une loi du Parlement du Canada ou sous le régime
d'une telle loi au sens de l'article 2. -
Il aurait sans doute été possible de soutenir, en se fondant sur les lois antérieures relatives à la Gendarmerie, que l'engagement d'une per- sonne dans le service dépendait seulement du Commissaire ou de la personne détenant ce poste. Par exemple l'article 16 des Statuts du
Canada de 1874, c. 22 dispose spécifiquement que:
L'engagement sera contracté envers le commissaire et pourra être maintenu par le commissaire en exercice.
On trouve des énoncés similaires dans les S.R.C. 1886, c. 45, art. 11; S.R.C. 1927, c. 160, art. 14; et S.R.C. 1952, c. 241, art. 14. Mais depuis l'entrée en vigueur, le l er avril 1960, du chapitre 54 des Statuts du Canada 1959, qui édictait les dispositions citées précédemment dans les présents motifs et dans lequel cet énoncé a été abandonné, il me semble qu'on ne peut plus soutenir l'idée que l'engagement d'un membre est un contrat conclu avec le Commis- saire. A mon avis, en vertu de la Loi actuelle, l'engagement d'un membre n'est plus qu'un engagement à servir la Couronne selon les termes et dans les conditions prévues par la Loi et les Règlements ainsi que les Ordres perma nents pris en vertu de la Loi et tout pouvoir que détient le Commissaire pour congédier ou ren- voyer un tel membre découle de la Loi elle- même et non de l'engagement. La prétention de l'avocat des intimés et de l'intervenant ne peut donc être soutenue.
En conséquence, je rejette la requête visant à mettre fin à la demande et, en ce qui concerne la requête subsidiaire visant à obtenir une proroga- tion du délai imparti pour présenter une requête en vertu de la Règle 1402(2) afin de modifier la cause relativement à la demande présentée en vertu de l'article 28 aux termes de la Règle 1402(1), j'accorde un délai supplémentaire de dix jours à compter de la date de l'ordonnance.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés par
LE JUGE PRATTE: Je souscris à l'opinion de mon collègue le juge Thurlow selon laquelle, pour les motifs qu'il a donnés, le pouvoir que détient le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada de congédier ou renvoyer un membre de la Gendarmerie lui est conféré par la Loi.
Je suis également d'avis que la décision du Commissaire de renvoyer le requérant était une décision légalement soumise à un processus
judiciaire ou quasi judiciaire. Comme cependant je ne partage pas toutes ses opinions sur ce point, j'expliquerai succinctement comment je suis parvenu à cette conclusion.
A mon avis, une décision est légalement sou- mise à un processus judiciaire ou quasi judi- ciaire lorsqu'elle ne peut légalement être prise sans que les parties intéressées aient d'abord une possibilité raisonnable de se faire entendre . 6 La Loi confère au Commissaire de la Gendar- merie royale du Canada le pouvoir de congédier ou renvoyer les membres de la Gendarmerie. Le Règlement et les Ordres permanents adoptés en vertu de l'article 21 de la Loi sur la Gendarme- rie royale du Canada exigent que le Commis- saire n'exerce pas ce pouvoir sans avoir aupara- vant donné au membre intéressé la possibilité de se faire entendre. A mon avis, les dispositions du Règlement et des Ordres permanents, dans la mesure ils régissent la manière dont le Com- missaire doit exercer un de ses pouvoirs statu- taires, ont été validement adoptés en vertu de l'article 21 de la Loi. Aux termes du Règlement, le Commissaire ne pouvait donc pas décider de licencier le requérant sans lui donner aupara- vant la possibilité de faire valoir ses prétentions; pour cette raison, il s'agissait d'une décision légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire.
Pour toutes ces raisons, je dispose de cette requête de la manière suggérée par mon collè- gue le juge Thurlow.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés par
LE JUGE RYAN: Je souscris au rejet de la requête visant à mettre fin à la demande.
La décision par le Commissaire de licencier le requérant, bien qu'elle soit de nature administra tive, était une décision soumise légalement au moins à un processus quasi judiciaire au sens de l'article 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale.
6 Voir les arrêts: Biais c. Basford [1972] C.F. 151; Laza- rov c. Le Secrétaire d'État du Canada [1973] C.F. 927; Howarth c. La Commission nationale des libérations condi- tionnelles [1973] C.F. 1018.
L'article 7(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada confère au Commissaire le pouvoir de nommer les membres de la Gendar- merie autres que les officiers. L'article 13(2) de la Loi exige qu'un tel membre, lors de sa nomi nation, signe un acte d'engagement pour une période n'excédant pas cinq ans. L'article 13(2) autorise aussi le Commissaire à congédier ou renvoyer un membre autre qu'un officier avant l'expiration de la durée de son engagement.
Le Règlement et les Ordres permanents pris en vertu de l'article 21 de la Loi imposent certaines restrictions d'ordre procédural à l'exercice par le Commissaire de son pouvoir de congédier ou renvoyer. Les articles 150, 151 et 173 du Règlement et l'Ordre permanent numéro 1200, qui sont applicables en l'espèce, sont cités dans le jugement de mon collègue le juge Thur - low. L'article 151 du Règlement impose l'obliga- tion d'informer un membre de toute recomman- dation faite en vue de son licenciement_ . En vertu de l'Ordre permanent 1200(1), il doit aussi être informé de «son droit d'appeler de cette recommandation auprès du Commissaire». Cet article du Règlement et cet Ordre permanent imposent au Commissaire le devoir de procéder au moins selon un processus quasi judiciaire. Il m'est inutile de décider si l'article 151 du Règle- ment suffisait en lui-même pour imposer un tel devoir, car lorsqu'il est considéré en corrélation avec l'Ordre permanent 1200, il est évident que son objet est, selon les termes employés par mon collègue le juge Thurlow à propos de l'arti- cle 151 du Règlement, «de donner au membre intéressé la possibilité de faire part au Commis- saire de ses objections à la recommandation à son encontre». Des décisions antérieures de cette cour, citées par mon collègue le juge Pratte, appuient la conclusion que ces disposi tions suffisent à imposer l'obligation d'agir au moins selon un processus quasi judiciaire lors- qu'on rend une décision de nature administra tive.
En l'espèce, le Commissaire agissait en vertu de l'article 173 du Règlement et il est évident que l'article 151 du Règlement et l'Ordre perma nent 1200 étaient applicables. Le fait qu'il a peut-être pu procéder autrement n'est pas perti nent en l'espèce. Il n'est donc pas strictement
nécessaire de déterminer si, indépendamment de l'article 13(2) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, le Commissaire a le pouvoir de renvoyer en vertu de l'article 23(1) de la Loi d'interprétation ou si, ayant ce pouvoir, il serait lié par le Règlement et Ordres permanents lors- qu'il exerce ce pouvoir. Cependant, compte tenu de l'article 13 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, je partage les doutes de mon collègue le juge Thurlow sur la prétention que les nominations des membres de la Gendarme- rie, autres que les officiers, «soient faites à titre amovible en vertu du paragraphe 22(1) de la Loi d'interprétation ou que ces membres peuvent être congédiés ou renvoyés par le Commissaire, à sa discrétion, en vertu du paragraphe 23(1) de cette même loi».
Je souscris à l'opinion selon laquelle le Com- missaire, en renvoyant un membre de la Gen- darmerie autre qu'un officier, exerce un pouvoir conféré par la Loi. Pour les raisons exprimées par mon collègue le juge Thurlow, je rejette la prétention selon laquelle, en renvoyant un membre, le Commissaire exerce simplement un droit qu'il détient en vertu d'un contrat.
Je dispose de la demande de prolongation du délai de la manière indiquée par mon collègue le juge Thurlow.
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