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A-78-74
Lorraine Carol Button (Appelante) c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges suppléants MacKay et Smith—Toronto, le 22 jan- vier; Ottawa, le 24 février 1975.
Examen judiciaire—Immigration-Appelante cherchant à être admise en tant que visiteur—Admettant avoir déjà été en possession de marijuana dans son pays d'origine—S'agit-il «d'un crime impliquant turpitude morale»?—Loi sur l'immi- gration, S.R.C. 1970, c. I-2 art. 5d) et k), 7, 11, 22, 23, 25, 26(4), 27 et 50—Loi sur la Commission d'appel de l'immigra- tion, S.R.C. 1970, c. I-3, art. 11, 14, 23—Loi sur les stupé- fiants, S.R.C. 1970, c. N-1—Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23, art. 8—Loi sur la Cour fédérale, art. 28, 52.
En 1973, l'appelante, citoyenne américaine, cherchait à être admise au Canada pour une visite de deux jours. A la suite d'un rapport établi par un fonctionnaire à l'immigration, un enquê- teur spécial a mené une enquête complémentaire à son sujet en vertu de l'article 23(1); pendant l'enquête, elle lui a admis qu'aux États-Unis, depuis 1971 jusqu'en 1972, elle avait pos- sédé de la marijuana à plusieurs reprises. L'enquêteur spécial ordonna son expulsion au motif qu'après son admission d'«avoir commis un crime impliquant turpitude morale», c'est-à-dire la possession illégale de marijuana, une drogue au sens de la Loi sur les stupéfiants, elle relevait d'une catégorie de personnes interdites aux termes de l'article 5d) de la Loi sur l'immigra- tion. La majorité des membres de la Commission d'appel de l'immigration a rejeté son appel. Elle a interjeté un autre appel devant la Cour d'appel.
Arrêt: l'ordonnance d'expulsion en vertu de l'article 5d) de la Loi sur l'immigration est annulée et la question est renvoyée à la Commission d'appel de l'immigration; elle devra examiner la question de savoir si l'ordonnance d'expulsion peut se fonder sur l'article 5k) de la Loi sur l'immigration qui mentionne spécifiquement l'usage de stupéfiants.
Le juge en chef Jackett et le juge suppléant Smith: l'appe- lante et l'intimé se sont mis d'accord pour dire que, bien que la possession de marijuana soit un crime, il ne s'agit pas d'un «crime impliquant turpitude morale»; cette entente ne libère toutefois pas cette cotir de l'obligation de trancher la question soulevée en appel en vertu de l'article 23 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration; elle doit déterminer si la Commission a commis une erreur sur une question de droit en décidant que l'ordonnance d'expulsion avait été émise à bon droit. Aucun élément de preuve, ne permet de conclure que l'appelante était, au moment elle s'est présentée à la fron- tière canadienne, une personne qui a admis avoir commis «un crime impliquant turpitude morale». Son admission quant à la possession de marijuana ne peut s'appliquer qu'à sa vie aux États-Unis. La Loi sur les stupéfiants du Canada ne s'applique que dans les limites territoriales du Canada. Aucune preuve n'a été présentée pour établir que la loi étrangère, en vertu de laquelle la possession de marijuana par l'appelante était illé-
gale, impliquait nécessairement turpitude morale. L'intimé a prétendu qu'en vertu de l'article 26(4) de la Loi sur l'immigra- tion, la requérante avait l'obligation de prouver qu'il ne lui était pas interdit d'entrer au Canada. Toutefois, cette obligation existe bien dans le cas d'une enquête qui suit un rapport en vertu de l'article 23(2) mais pas dans le cas d'un «examen complémentaire» dont l'appelante a fait l'objet en vertu de l'article 23(1). La Commission a donc commis une erreur en décidant que l'article 5d) de la Loi sur l'immigration pouvait servir de fondement à l'ordonnance d'expulsion. Toutefois, en vertu de l'article 14 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, la Commission devait s'assurer que l'ordonnance d'expulsion ne pouvait se fonder sur un autre motif. Cette cour statue donc, en vertu de l'article 52 de la Loi sur la Cour fédérale, que la question est renvoyée à la Commission pour qu'elle examine (étant donné sa compétence sur les questions de droit et de fait en vertu de l'article 11 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration) la question de savoir si l'appelante faisait partie de la catégorie de personnes énoncée à l'article 5k) de la Loi sur l'immigration, c'est-à-dire «des personnes qui, à quelque époque,» se sont occupées «à employer ... de quelque façon illégale» tout stupéfiant au sens de la Loi sur les stupéfiants.
Le juge suppléant MacKay: la seule question à trancher pour ce qui concerne l'article 5d) de la Loi sur l'immigration consiste à déterminer si les actes admis par l'appelante consti- tuaient «un crime impliquant turpitude morale» en vertu de la loi canadienne. Le fardeau qu'impose à l'appelante l'article 26(4) de la Loi s'applique à toutes les personnes qui cherchent à entrer au Canada, y compris celles qui font l'objet d'une enquête complémentaire en vertu de l'article 23(1). La Com mission n'a pas commis d'erreur en se prononçant sur l'appel en l'absence de preuve selon laquelle ce que l'appelante a reconnu , avoir fait dans son pays était un crime impliquant turpitude morale en vertu de la loi de ce pays. Cependant l'enquêteur spécial et la Commission se sont tous deux trompés en omettant de considérer si les dispositions de l'article 5k) de la Loi s'appliquaient.
Arrêts discutés: R. c. Walkem (1908) 8 W.L.R. 857, 14 C.C.C. 122 [permission d'appeler refusée [1908] A.C. 197]; R. c. Martin [1956] 2 All E.R. 86, Board of Trade c. Owen [1957] A.C. 602; Schiffer c. Le ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immigration [1974] 2 C.F. 695; Julius c. Bishop of Oxford (1880) 5 App. Cas. 214 et Srivastava c. Le ministre de la Main d'oeuvre et de l'Immigration [1973] C.F. 138.
APPEL. AVOCATS:
I. Scott, c.r., pour l'appelante.
A. C. Pennington et R. G. Vincent pour
l'intimé.
PROCUREURS:
Cameron, Brewin and Scott, Toronto, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF JACKETT et LE JUGE SUP PLÉANT SMITH: Par les présentes, appel est inter- jeté, en vertu de l'article 23 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, d'une déci- sion de la Commission d'appel de l'immigration rejetant l'appel interjeté par l'appelante d'une ordonnance d'expulsion rendue par un enquêteur spécial au motif que (n'étant pas une citoyenne canadienne et n'ayant pas de domicile au Canada) elle était une personne qui (au moment où, venant des États-Unis, elle cherchait à être admise au Canada en tant que visiteur) a admis «avoir commis un crime impliquant turpitude morale», et relevait donc de la catégorie interdite aux termes de l'article 5d) de la Loi sur l'immigration qui se lit en partie comme suit:
5. Nulle personne, autre qu'une personne mentionnée au paragraphe 7(2), ne doit être admise au Canada si elle est membre de l'une des catégories suivantes:
d) les personnes qui ont été déclarées coupables de quelque crime impliquant turpitude morale, ou qui admettent avoir commis un tel crime, excepté les personnes dont l'admission au Canada est autorisée par le gouverneur en conseil ...
Les faits de l'espèce ne semblent faire l'objet d'aucune controverse. Le 9 mars 1973, l'appelante, en provenance des États-Unis, a cherché à être admise au Canada, comme visiteur, pour une période de 2 jours. Au cours de son interrogatoire à la frontière par un fonctionnaire à l'immigration, elle a admis, d'après le rapport établi par ce dernier en vertu de l'article 22 de la Loi sur l'immigration, [TRADUCTION] «avoir commis un crime impliquant turpitude morale, à savoir la possession illégale d'une substance (marijuana) qui est une drogue au sens de la Loi sur les stupé- fiants»'. Au cours de l'«enquête complémentaire» menée ultérieurement par l'enquêteur spécial en vertu de l'article 23(1) de la Loi sur l'immigra- tion, elle a admis, d'après le rapport présenté par l'enquêteur à la Commission d'appel de l'immigra- tion, «avoir commis l'infraction», mais a prétendu qu'il ne s'agissait pas d'un «crime impliquant turpi tude morale»; l'enquêteur spécial prononça alors l'ordonnance d'expulsion qui fit l'objet d'un appel
' Son «admission» au Canada n'a pas été autorisée par le gouverneur en conseil.
à la Commission. Le rapport de l'enquêteur spécial présenté à la Commission se lit en partie comme suit:
[TRADUCTION] 3. Preuve à l'appui de l'ordonnance
Mlle Button a admis que, depuis la fin de l'année 1971 jusqu'à la fin de l'été 1972, elle avait possédé, illégalement, de la marijuana à plusieurs reprises. Elle a ajouté qu'elle en avait fait usage durant cette période mais qu'elle ne s'était jamais livrée au trafic de la marijuana. Elle a admis savoir que la possession de marijuana était contraire à la loi mais que, pour sa part, elle ne considérait pas cet acte comme un crime impliquant turpi tude morale. On lui a demandé si le gouverneur en conseil avait autorisé son admission au Canada et elle a répondu par la négative.
4. Identité et citoyenneté
Lorraine Carol Button invoque la citoyenneté américaine en raison de sa naissance à Wilkes Barre (Pennsylvanie), le 19 mai 1952. Elle déclare être célibataire et ne pas demander la citoyenneté ou un domicile canadiens. Son plus proche parent est son père, Robert Button, qui habite à Mountain Top (Pennsylvanie), 122 sud rue Main. Son lieu de résidence fixe est chez son père mais elle est actuellement étudiante à l'Uni- versité Bucknell à Lewisburg (Pennsylvanie).
5. Arrivée et moyen de transport
Mlle Button s'est présentée au pont de Queenston le 9 mars 1973, cherchant à obtenir le statut de visiteur pour une période de deux jours afin d'assister à un séminaire sur l'amnistie pour les déserteurs, à l'Université York à Toronto. Mue Button avait sur elle $43 en espèces et voyageait en automobile en compa- gnie d'un groupe d'autres étudiants de l'Université Bucknell qui se rendaient tous au même séminaire.
6. Faits antérieurs à son arrivée au Canada
D'après les renseignements qu'elle nous a fournis, Mue Button a d'abord fréquenté l'école primaire à Mountain Top (Pennsyl- vanie), puis l'Académie Ste-Anne à Wilkes Barre (Pennsylva- nie) elle a obtenu son diplôme le 12 mai 1970 et a enfin fréquenté l'Université Bucknell à Lewisburg (Pennsylvanie) elle est étudiante en sciences politiques.
Arrivé au pont de Queenston, le véhicule dans lequel avait pris place Mik Button a été fouillé de fond en comble par un agent des douanes, ce qui lui permit d'y découvrir un paquet de marijuana. Le détachement local de la Gendarmerie royale n'ayant pu, après enquête, établir à qui appartenait la mari juana, aucune accusation n'a donc été portée aux termes de la Loi sur les stupéfiants.
7. Déclaration d'intention
Mi Button a indiqué que son intention était de voyager en compagnie de ses camarades étudiants jusqu'à l'Université York ils assisteraient à un séminaire sur l'amnistie pour les déserteurs, projet s'inscrivant dans le cadre de leur classe de sciences politiques.
8. Dispositions finales
Après la signification de l'ordonnance d'expulsion, Mu , Button a été renvoyée aux États-Unis le 9 mars 1973.
Dans le cadre de l'appel interjeté devant la Commission d'appel de l'immigration, l'avocat de l'appelante «accepta» le rapport de l'enquêteur spé-
cial et soumit en preuve «le rapport de la Commis sion d'enquête sur l'usage des drogues à des fins non médicales» 2 (communément appelé le rapport de la Commission Le Dain); l'avocat de l'intimé, quant à lui, n'a présenté aucune preuve.
La majorité des membres de la Commission d'appel de l'immigration siégeant en appel (Me Benedetti et Me Appellini) ont déclaré: «Il ne fait aucun doute qu'en vertu de la Loi sur les stupé- fiants, la possession de la marijuana est un crime, ce qui n'a pas été plaidé au cours de l'audition», et ils ont ajouté qu'il s'agissait de décider, dans le cadre de cet appel, «si la possession et l'usage de la marijuana, fait admis par Mlle Button, est un crime impliquant turpitude morale». Ils ont alors exa- miné des décisions antérieures de la Commission et des passages du rapport de la Commission Le Dain qui occupe une bonne partie de leur jugement dont la longueur ne saurait pour autant nous dispenser de les reproduire en annexe aux présents motifs. Au terme de la décision de la Commission rendue à la majorité, «la possession de la marijuana est un crime impliquant turpitude morale» et l'ordon- nance d'expulsion émise contre l'appelante était reconnue valide.
Un des membres de la Commission (M me Steele) a prononcé des motifs dissidents et la partie de son jugement, reproduite également en annexe aux présents motifs, résume bien son point de vue sur la question examinée par la majorité.
Dans le cadre de l'appel interjeté devant cette cour, l'appelante a non seulement soutenu, comme l'énonce son mémoire déposé devant cette cour, que la Commission avait commis une erreur en décidant [TRADUCTION] «que la simple possession ou utilisation de la marijuana constitue un crime impliquant turpitude morale» et que, par consé- quent, l'ordonnance d'expulsion devrait être annu- lée, mais l'intimé, contrairement au point de vue qu'il avait fait valoir devant la Commission d'appel de l'immigration, a également soutenu que l'ordon- nance d'expulsion devrait être «annulée». Pour jus- tifier son point de vue, l'intimé a énoncé, à la
2 Selon la portée réelle de l'article 5d), il existe des doutes quant à l'admissibilité du document comme preuve. Ce doute surgit quant à la question de fait auquel il s'applique.
partie III de son mémoire déposé devant cette cour, l'argument suivant dont voici un extrait:
[TRADUCTION] 2. L'article 5d) de la Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2 (ci-après appelée «la Loi sur l'immigra- tion») se lit en partie comme suit:
5. Nulle personne, autre qu'une personne mentionnée au paragraphe 7(2), ne doit être admise au Canada si elle est membre de l'une des catégories suivantes:
d) les personnes qui ont été déclarées coupables de quel- que crime impliquant turpitude morale, ou qui admettent avoir commis un tel crime, excepté les personnes dont l'admission au Canada est autorisée par le gouverneur en conseil ....
4. L'appelante a reconnu avoir déjà été en possession de marijuana.
5. La possession de marijuana est un crime en vertu de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, c. N-I, art. 4(2).
6. Le présent appel se limite à trancher le point de savoir si l'appelante appartient à la catégorie de personnes «qui ont été déclarées coupables de quelque crime impliquant turpitude morale, ou qui admettent avoir commis un tel crime» ou, en bref, de savoir si le crime d'être en possession de marijuana implique turpitude morale, au sens de la Loi sur l'immigration.
7. L'intimé fait valoir qu'en utilisant l'expression «crime impli- quant turpitude morale» le législateur a voulu différencier ces crimes des autres crimes n'impliquant pas turpitude morale. Dans un sens, pratiquement tous les crimes impliquent un degré de turpitude morale, même s'il ne s'agit que d'une forte dose d'insouciance ou de négligence, mais l'intimé fait respectueuse- ment valoir que le législateur en adoptant l'article 5d) de la Loi sur l'immigration a nécessairement voulu circonscrire cette catégorie de crimes qui comportent un signe distinctif particu- lier les différenciant des autres crimes.
8. L'intimé fait donc valoir qu'un crime impliquant turpitude morale, au sens cette expression est utilisée dans la Loi sur l'immigration, est un crime impliquant un acte de bassesse, de vilenie ou de dépravation dans les relations privées et sociales entre l'homme et son prochain ou l'homme et la société en général, et ce, contrairement aux règles de droit et aux obliga tions ordinaires et habituelles qui régissent les relations des gens entre eux; il a en lui-même une connotation immorale, peu importe qu'il soit punissable par la loi; il ne concerne que les infractions graves qui sont malum in se.
9. L'intimé fait valoir qu'un crime impliquant turpitude morale doit être reconnu comme tel par la communauté dans son ensemble et il ne doit exister aucun désaccord fondamental dans la société quant à ce signe distinctif.
10. L'intimé fait valoir respectueusement que la possession de marijuana, pourtant un crime, n'est plus reconnue comme un crime impliquant turpitude morale par une grande partie de la société canadienne contemporaine.
S'il s'agissait d'une poursuite judiciaire ordi- naire entre deux personnes privées, le point de vue adopté par l'intimé devant cette cour dégagerait cette dernière de l'obligation de parvenir elle-
même à une quelconque conclusion relativement à la question soulevée par cet appel. Toutefois, selon son interprétation de l'article 23 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, la présente cour n'est compétente pour examiner une décision de la Commission d'appel de l'immigration que dans l'hypothèse elle est convaincue que la Commission a commis une erreur sur une «ques- tion de droit, y compris une question de compé- tence», et l'autre chef de compétence, en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, qu'on pourrait probablement invoquer, même à cette époque tardive si, ce faisant, on faisait œuvre utile, se trouverait limité de la même façon, vu les faits de la présente espèce. La question qu'il appartient à la Cour de trancher est, par conséquent, de savoir si, à la lumière des faits qui ont été soumis à la Commission d'appel de l'immigration, cette commission a commis une erreur sur une question de droit, en décidant que l'ordonnance d'expulsion avait été émise à bon droit.
Même si, comme semblent l'avoir toujours sup- posé le fonctionnaire à l'immigration, l'enquêteur spécial, la Commission d'appel de l'immigration et les parties, l'article 5d) est la seule disposition de la Loi sur l'immigration qui mérite examen, nous estimons que, vu les faits qui ressortent du dossier, rien ne permettait de conclure que l'appelante était, au moment elle s'est présentée à la fron- tière canadienne, une personne qui a admis «avoir commis ... quelque crime impliquant turpitude morale».
La requérante a effectivement admis qu'elle avait auparavant eu en sa possession et utilisé de la marijuana à une époque la Loi sur les stupé- fiants du Canada (S.R.C. 1970, c. N-1) interdisait à toute personne d'être en possession d'un stupé- fiant (dont fait partie, par définition, la drogue communément appelée marijuana), sauf de la manière autorisée par ladite loi ou ses règlements d'application. Toutefois, cette loi ne s'appliquait que dans les limites territoriales du Canada' et, à la lumière des faits du dossier, on peut simplement en déduire que l'appelante a admis avoir été en possession de marijuana aux États-Unis, son pays
Comparer avec l'arrêt R. c. Walkem (1908) 8 W.L.R. 857; 14 C.C.C. 122 (la permission d'interjeter appel a été refusée [1908] A.C. 197). Voir aussi la déclaration du juge Devlin (Suite à la page suivante)
d'origine elle a vécu et fréquenté l'université. (Rien ne permet de déduire qu'elle se trouvait au Canada pendant la période en cause.) Il s'ensuit que les faits admis par la requérante ne démon- trent pas qu'elle a été coupable d'une quelconque infraction aux termes de la Loi sur les stupéfiants du Canada et, selon nous, il n'y a pas lieu de croire que la loi d'un pays étranger puisse coïncider avec une loi canadienne définissant une infraction, sauf lorsque cette infraction fait partie des infractions traditionnelles communément appelées malum in se 4 .
(Suite de la page précédente)
(c'était alors son titre) dans l'arrêt R. c. Martin [1956] 2 All E.R. 86, la page 92: [TRADUCTION] «lorsqu'un crime est créé par la loi, on doit porter attention aux termes contenus dans la loi pour définir la nature du crime; et si l'application de la loi est restreinte du point de vue territorial, il en est de même pour la nature du crime», et voir l'article 8 de la Loi d'interprétation qui se lit en partie comme suit:
8. (1) Sauf disposition contraire, chaque texte législatif s'applique à tout le Canada.
(3) Toute loi du Parlement du Canada actuellement en vigueur, édictée antérieurement au 11 décembre 1931, qui, expressément ou par induction nécessaire ou raisonnable, était destinée, quant à son ensemble ou à l'une de ses parties, à avoir une application extra-territoriale, doit être interprétée comme si, à la date de son adoption, le Parlement du Canada avait alors le plein pouvoir d'édicter des lois d'une application extraterritoriale, ainsi que le prévoit le Statut de Westmins- ter, 1931.
La question de l'application du principe de la territorialité d'une loi criminelle soulève des difficultés particulières dans l'hypothèse d'un complot, lorsque aucune loi de ce type n'a été expressément adoptée pour s'appliquer en dehors des frontières territoriales de l'État. Comparer avec l'arrêt Board of Trade c. Owen [1957] A.C. 602.
4 Voir la déclaration du juge Devlin dans l'affaire Martin (précitée) à la page 92: [TRADUCTION] «Toutefois, les crimes envisagés par la common law et qui constituent, pour la plu- part, des infractions à la morale, comme le meurtre et le vol, ne sont pas censés avoir de limites territoriales. Ce sont des infractions universelles. Qu'il soit commis en France ou en Angleterre, un meurtre reste un crime; mais, s'il est commis en France, les tribunaux anglais, en vertu de la common law, ne seraient pas compétents pour infliger la peine car cela consti- tuerait une violation de la souveraineté française. ... Par conséquent, en règle générale, on peut opérer une distinction entre les infractions qui sont des crimes contre la morale et doivent être considérées comme un manquement grave quel que soit l'endroit elles ont été commises et les infractions qui sont simplement une violation des règlements édictés pour favoriser la meilleure administration ou gouvernement ... d'un pays déterminé comme l'Angleterre.
En ce qui concerne maintenant l'infraction incriminée en l'espèce savoir la possession illégale de stupéfiants en viola tion de la Dangerous Drugs Act, 1951 du Royaume-Uni]-- quelle que puisse être la situation en regard des autres infrac tions définies par la loi—il appert clairement que cette infrac tion n'est un crime que si elle a été commise en Angleterre.»
Bien entendu, cela ne clôt pas l'affaire car la possession illégale de marijuana pouvait constituer un «crime impliquant turpitude morale» suivant la loi du pays étranger est survenue la possession admise par l'appelante et, en fait, cette dernière a admis que sa possession était illégale. Toutefois, selon nous, l'admission de possession illégale ne constitue pas l'admission d'un «crime impliquant turpitude morale», même en supposant que la nature d'une loi étrangère puisse, à bon droit, faire l'objet d'une «admission» par un profane.
A notre sens, l'expression «crime impliquant tur pitude morale» est ambiguë. Correctement inter- prétée, elle peut signifier soit
a) la perpétration d'un acte qui est un crime dont la définition donnée par la loi implique nécessairement turpitude morale, soit
b) la perpétration d'un acte constituant un crime, cet acte ayant été commis dans des cir- constances telles qu'il implique turpitude morale.
Dans chacun des cas, il n'existe aucun fonde- ment pour conclure qu'en l'espèce, la requérante a commis un crime impliquant turpitude morale. La législation étrangère constitue, au regard d'un tri bunal canadien, un fait qui doit être établi par preuve pertinente ou par présomption. Rien dans le dossier soumis en l'espèce n'a permis d'établir la législation étrangère et, selon nous, il ne peut exister aucune présomption selon laquelle la loi d'un autre pays est la même qu'une loi canadienne créant une infraction à la loi régissant la posses sion de drogues; par conséquent, on ne peut se prononcer sur le point de savoir si la loi étrangère, en vertu de laquelle la possession de marijuana par l'appelante était illégale, implique nécessairement turpitude morale. En réalité, le simple fait d'inter- dire la possession «sauf ainsi que l'autorise la présente loi ou les règlements», selon les termes mêmes utilisés dans la Loi sur les stupéfiants, peut fort bien couvrir des actes qui, abstraction faite du sens des mots «turpitude morale» utilisés à l'article 5d), peuvent impliquer un élément comme la pos session en vertu d'un permis qui n'a pas été renou- velé par négligence. Par ailleurs, rien dans le dos-
lier ne permet d'établir les circonstances à l'origine de la «possession» de fait par la requérante, de sorte qu'on ne peut se prononcer sur le point de savoir s'il s'agit de circonstances «impliquant turpi tude morale». Bien entendu, il peut y avoir des cas de possession et d'usage illégaux qui, dans des circonstances particulières, ne peuvent être suffi- samment immoraux, au regard des normes d'une société quelconque, pour impliquer «turpitude morale»—par exemple des expériences scientifi- ques authentiques poursuivies en supposant à tort que ces expériences ne sont pas illégales.
En parvenant à cette conclusion, nous avons prêté une attention particulière aux prétentions avancées pour le compte de l'intimé portant que la requérante avait l'obligation de prouver qu'il ne lui était pas interdit d'entrer au Canada (article 26(4) de la Loi sur l'immigration) 5 . Toutefois, selon
5 Les dispositions pertinentes se lisent comme suit:
22. Lorsqu'un fonctionnaire à l'immigration, après avoir examiné une personne qui cherche à entrer au Canada, estime qu'il serait ou qu'il peut être contraire à quelque disposition de la présente loi ou des règlements de lui accor- der l'admission ou de lui permettre autrement de venir au Canada, il doit la faire détenir et la signaler à un enquêteur spécial.
23. (1) Lorsque l'enquêteur spécial reçoit un rapport prévu à l'article 22 sur une personne qui cherche à venir au Canada des États-Unis ou de Saint-Pierre-et-Miquelon, il doit, après l'enquête complémentaire qu'il juge nécessaire et sous réserve de tous règlements établis à cet égard, admettre cette personne ou lui permettre d'entrer au Canada, ou rendre contre elle une ordonnance d'expulsion et, dans ce dernier cas, ladite personne doit, le plus tôt possible, être renvoyée au lieu d'où elle est venue au Canada.
(2) Lorsque l'enquêteur spécial reçoit un rapport prévu par l'article 22 sur une personne autre qu'une personne mentionnée au paragraphe (1), il doit l'admettre ou la laisser entrer au Canada, ou il peut la faire détenir en vue d'une enquête immédiate sous le régime de la présente loi.
25. Sous réserve de tout ordre ou de toutes instructions du Ministre, le directeur, sur réception d'un rapport écrit prévu par l'article 18 et s'il estime qu'une enquête est justifiée, doit faire tenir une enquête au sujet et la personne visée par le rapport.
26. (1) Une enquête tenue par un enquêteur spécial doit avoir lieu privément, mais en présence de l'intéressé chaque fois que la chose est pratiquement possible.
(2) L'intéressé, s'il le désire et à ses propres frais, a le droit d'obtenir un avocat, et d'être représenté par avocat, lors de son audition.
(3) L'enquêteur spécial peut, à l'audition, recevoir toute preuve qu'il estime digne de foi dans les circonstances parti- culières à chaque cas, et fonder sa décision sur cette preuve.
nous, cette obligation n'existe que dans le cas d'une «enquête» comme celle qui suit le rapport reçu par l'enquêteur spécial en vertu de l'article 23(2) et non dans le cas de l'examen «complémen- taire» moins formel prévu à l'article 23(1), lors- qu'il s'agit d'aune personne qui cherche à venir au Canada des États-Unis ou de Saint-Pierre-et- Miquelon». Par conséquent, on ne peut l'appliquer à l'appelante dans cette affaire. (Il faut opérer une distinction entre l'obligation de faire la preuve envisagée à l'article 26 et l'obligation qui repose sur toute personne interjetant appel devant la Commission d'appel de l'immigration des faits que l'enquêteur spécial a relevés contre elle 6 .) Selon nous, les règles ordinaires de justice naturelle sou- lèvent une objection encore plus grande lorsqu'il s'agit de tirer, à l'endroit de l'appelante, des con clusions fondées sur l'absence totale de preuve portant sur l'une ou l'autre des questions vraisem- blablement pertinentes, même dans l'hypothèse d'une «enquête» dans laquelle s'applique effective- ment l'obligation de faire la preuve prévue par la loi, à moins qu'il n'apparaisse qu'on a clairement indiqué à la personne cherchant à entrer au Canada qu'un point de droit particulier était sou- levé contre elle et qu'on lui a donné une chance raisonnable de s'acquitter de l'obligation de faire la preuve relative à ce point de droit. Dans la présente affaire, il semble évident que l'enquêteur spécial et la Commission d'appel de l'immigration ont pris pour acquis que la loi applicable était la
(4) Lors d'une enquête portant sur une personne qui cher- che à entrer au Canada, il incombe à cette personne de prouver qu'il ne lui est pas interdit d'entrer au Canada.
27. (1) A la conclusion de l'audition d'une enquête, l'en- quêteur spécial doit rendre sa décision le plus tôt possible et, si les circonstances le permettent, en présence de la personne intéressée.
(2) Lorsque l'enquêteur spécial décide que la personne intéressée
a) peut de droit entrer ou demeurer au Canada;
b) dans le cas d'une personne cherchant l'admission au Canada, n'est pas membre d'une catégorie interdite; ou
c) dans le cas d'une personne au Canada, n'est pas recon- nue, par preuve, une personne décrite à l'alinéa 18(1)a), b), c), d) ou e),
il doit, en rendant sa décision, admettre ou laisser entrer cette personne au Canada, ou y demeurer, selon le cas.
(3) Dans le cas d'une personne autre que celle dont le paragraphe (2) fait mention, l'enquêteur spécial doit, en rendant sa décision, émettre contre elle une ordonnance d'expulsion.
6 Voir par exemple l'arrêt Schiffer c. Le ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immigration [1974] 2 F.C. 695.
Loi sur les stupéfiants du Canada et qu'en consé- quence, on n'a vraisemblablement pas avisé la requérante qu'elle se trouvait devant une préten- tion concernant l'état de la loi étrangère ou les circonstances entourant la possession illégale dans le pays étranger, et qu'elle devait la réfuter.
Pour les motifs précédents, nous sommes d'avis que la majorité de la Commission d'appel de l'im- migration a commis une erreur en décidant que l'article 5d) pouvait servir de fondement à l'ordon- nance d'expulsion faisant l'objet de l'appel inter- jeté en l'espèce.
Toutefois, il ne découle pas nécessairement de cette conclusion que la Commission aurait accueillir l'appel interjeté de l'ordonnance d'expul- sion et l'annuler. Le pouvoir et l'obligation impli- cite de la Commission 7 , dans le cadre d'un appel portant sur la validité d'une ordonnance d'expul- sion, sont énoncés à l'article 14 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, qui est ainsi libellé:
14. La Commission peut statuer sur un appel prévu à l'arti- cle 11 ou à l'article 12,
a) en admettant l'appel;
b) en rejetant l'appel; ou
c) en prononçant la décision et en rendant l'ordonnance que l'enquêteur spécial qui a présidé l'audition aurait pronon- cer et rendre.
Par conséquent, lorsque la Commission conclut, comme à notre avis elle aurait le faire en l'espèce, qu'une ordonnance d'expulsion ne peut se fonder sur le motif invoqué par l'enquêteur spécial, elle doit s'assurer que l'ordonnance d'expulsion ne peut, suivant le dossier qui lui est soumis, se fonder sur quelque autre motif, avant de pouvoir légale- ment accueillir l'appel et annuler cette ordonnan- ce 8 ; et, dans la présente affaire, il existe, selon nous, un autre alinéa de l'article 5 dont la Com mission devait tenir compte avant de s'acquitter de son obligation de décider si l'ordonnance d'expul-
Julius c. Bishop of Oxford (1880) 5 App. Cas. 214.
Comparer avec l'arrêt Srivastava c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1973] C.F. 138, aux pages 154à 157.
Sion aurait être prononcée suivant le dossier qui lui était soumis'.
Si la Commission avait conclu, comme à notre avis elle aurait le faire, qu'il ne ressortait pas du dossier qui lui était soumis que la requérante avait admis avoir commis un crime impliquant turpitude morale au sens de l'article 5d), elle aurait alors se demander si, néanmoins, l'ordon- nance d'expulsion pouvait se fonder sur l'article 5k) 1 ° qui interdit l'admission au Canada de qui- conque a été membre de la catégorie de personnes énoncée à cet article, cette catégorie comprenant «les personnes qui, à quelque époque,» se sont occupées à «employer ... de quelque façon illé- gale» toute substance qui est un stupéfiant au sens de la Loi sur les stupéfiants. Le dossier soumis à la Commission a révélé que, depuis la fin de l'année 1971 jusqu'à la fin de l'été 1972, la requérante avait possédé illégalement de la marijuana à plu- sieurs reprises et qu'elle en avait fait usage durant cette période; et l'un des aspects de la question
9 Il faut se rappeler que l'appel interjeté devant la Commis sion était un appel impliquant une question de droit et de fait (article 11 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigra- tion) et que l'appel interjeté devant cette cour se limitait à une question de droit (article 23 de la Loi).
10 L'article 5k) de la Loi sur l'immigration se lit comme suit: 5. Nulle personne, autre qu'une personne mentionnée au paragraphe 7(2), ne doit être admise au Canada si elle est membre de l'une des catégories suivantes:
k) les personnes qui s'occupent, ou qui, pour des motifs raisonnables, sont soupçonnées d'être susceptibles de s'oc- cuper, à donner, employer, pousser d'autres à employer, distribuer, vendre, offrir ou exposer pour la vente, ou acheter, de quelque façon illégale, toute substance qui est un stupéfiant au sens de la Loi sur les stupéfiants, ou à en faire ainsi le commerce ou trafic, ou les personnes qui, à quelque époque, s'y sont occupées, sauf si, dans ce dernier cas, au moins cinq années ont passé depuis qu'elle se sont ainsi livrées à de telles occupations et si, de l'avis du Ministre, elles ne sont pas susceptibles de faire illégale- ment usage ou commerce de ces substances ni de faire en sorte que d'autres personnes agissent ainsi;
pourrait fort bien être que l'usage de drogue possé- dée illégalement constituait un usage illégal". La question de savoir si, suivant le dossier soumis, la Commission aurait conclure que, durant la période en cause, la requérante «s'est occupée» à employer «de quelque façon illégale» de la mari juana est une question, au moins dans le premier cas, qui relevait de la compétence de la Commis sion dans la mesure elle doit établir les faits; et, selon nous, la Commission devait se poser cette question avant de prendre la décision de rejeter l'appel ou de l'accueillir et d'annuler l'ordonnance d'expulsion 12.
Le pouvoir et l'obligation de cette cour, lors- qu'elle tranche un appel interjeté d'un tribunal autre que la Division de première instance, sont énoncés dans la partie de l'article 52 de la Loi sur la Cour fédérale qui se lit comme suit:
52. La Cour d'appel peut
e) dans le cas d'un appel qui n'est pas un appel d'une décision de la Division de première instance,
(i) rejeter l'appel ou rendre la décision qui aurait être rendue, ou
(ii) à sa discrétion, renvoyer la question pour jugement conformément aux directives qu'elle estime appropriées;
Voici les termes du jugement que nous nous propo- sons de rendre conformément à cet article:
1. L'appel sera accueilli et la décision de la Commission d'appel de l'immigration annulée.
2. La question sera renvoyée à la Commission pour nouvel examen et nouvelle décision, suivant le dossier qui lui était soumis au moment elle a rendu sa décision, compte tenu du fait que
a) l'ordonnance d'expulsion ne peut se fonder sur l'article 5d) de la Loi sur l'immigration et
b) la Commission devrait examiner la ques tion de savoir si l'ordonnance d'expulsion peut se fonder sur l'article 5k) de la Loi sur l'immigration.
11 Le juge suppléant Smith émet des doutes sur la possibilité de tirer cette conclusion. Notre collègue MacKay est porté à penser que c'est la conclusion qui s'impose. Le juge en chef n'est pas encore parvenu à une quelconque conclusion sur la question. Nous souscrivons tous à la décision proposée.
12 Comparer avec l'arrêt Schiffer c. Le ministre de la Main- d'oeuvre et de l'Immigration, [1974] 2 F.C. 695.
ANNEXE A
PARTIE I
Extraits des motifs de la majorité de la Commission d'appel de l'immigration
Il ne fait aucun doute qu'en vertu de la Loi sur les stupéfiants, la possession de la marijuana est un crime, ce qui n'a pas été plaidé au cours de l'audition. Il faut donc décider dans le présent appel si la possession et l'usage de la marijuana, fait admis par Mue Button, est un crime impliquant turpitude morale.
Dans l'appel Moore c. Le ministre de la Main- d'oeuvre et de l'Immigration, [1973] Vol. 4, A.I.A. 226, on trouve le texte suivant à la page 243:
L'expression «turpitude morale», employée dans la Loi, n'a pas la précision qui est de rigueur dans une loi et bien que la Loi sur l'immigration ne soit pas pénale en soi, elle impose quand même des sanctions de nature pénale, par exemple, l'expulsion. Il a été dit que les procédures d'expulsion visent à déterminer le statut, et, par conséquent, elles ne sont pas de nature pénale. Néanmoins, les conséquences qui découlent de ces procédures sont de nature pénale et il est donc regrettable que la Loi ne soit pas plus précise sur la question que les membres soient contraints de rendre des décisions fondées sur leur conception personnelle de la morale, conception sujette aux préjugés inhérents à toute opinion personnelle: voir Erskin Maximillian Turpin c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration [1969] A.I.A. (révisé) 1.
Le problème de l'application pratique à un ensemble de faits est bien exposé dans King c. Brooks (1960), 31 W.W.R. 673, 129 C.C.C., page 239, 24 D.L.R. (2') 567, page 572, confirmé 33 W.W.R. 192, 129 C.C.C. 239, 25 D.L.R. (2') 567 (Man. C.A.), le juge Monnin déclare:
[TRADUCTION] Qu'est-ce que la turpitude morale? L'expres- sion moral turpitude (turpitude morale) n'est pas définie dans l'ouvrage «Words and Phrases de Sanagan» ni dans «Words and Phrases Judicially Defined» édition anglaise, pas plus que dans «The Canadian Abridgment». Les avocats ne m'ont cité qu'une seule affaire canadienne traitant de la turpitude morale, Re Brooks, (précitée), et il m'a été impos sible d'en découvrir d'autres. Il existe par contre un grand nombre de décisions américaines.
Le Bouvier's Law Dictionary, 3' éd., vol. 2, p. 2246, donne la définition suivante de «moral turpitude» (turpitude morale) [TRADUCTION] «Un acte bas, ignoble ou pervers relatif aux devoirs d'ordre privé ou social d'une personne envers autrui ou envers la société en général, contraire aux droits et devoirs généralement reconnus par les hommes les uns à l'égard des autres. Re Henry (1908) 15 Idaho 755, 99 Pac. 1054, 21 L.R.A. (N.S.) 207. Cela n'inclut pas nécessairement la publi cation d'un libellé diffamatoire contre George V; U.S. c. Uhl (1914) 210 Fed. 860. Voir aux mots Deportation (expulsion) et Immigration (immigration).»
L'édition américaine de «Words and Phrases—Permanent Edition»—aux pages 554 et suivantes du volume 27, contient de nombreuses prétendues définitions et références à des
affaires d'immigration, à des procédures de radiation du tableau de l'ordre du Barreau, à des crimes malum per se, et ainsi de suite. En voici quelques exemples:
En vertu de la loi autorisant l'expulsion d'un étranger déclaré coupable d'un crime impliquant turpitude morale, il faut déterminer si le crime dont l'étranger a été déclaré coupable dans une juridiction étrangère impliquait «turpi- tude morale» en se fondant sur les critères existant aux Etats-Unis. La Loi sur l'immigration du 5 février 1917, 19, 8 U.S.C.A. 155, Mercer c. Lence (1938), 96 F. 122. (p. 555)
Le mot «turpitude» dans son acception usuelle évoque de façon inhérente l'idée de bassesse ou d'ignominie, de méchanceté abominable, de perversion. En droit, le mot «turpitude» désigne tout ce qui est contraire à la justice, à l'honnêteté, à la modestie et aux bonnes mœurs. Le mot «morale» qui suit le plus souvent le mot «turpitude» ne semble rien ajouter au sens de l'expression si ce n'est qu'il insiste sur le sens du mot en formant avec lui une tautolo- gie dans la loi sur le divorce. Holloway c. Holloway (1906), 55 S.E. 191, 126 Ga. 459, 7 L.R.A. (N.S.) 272, 115 Am. St. Rep. 102, 7 Ann. Cas. 1164; Webst. Dict., Black Law Dict; Bouv. Law Dict. (p. 557).
La «turpitude morale» est un acte bas, ignoble ou pervers relatif aux devoirs d'ordre privé ou social d'une personne envers autrui ou envers la société en général, contraire aux droits et devoirs généralement reconnus par les hommes, les uns à l'égard dés autres. Bien qu'il ne soit pas très clair à quel moment un acte devient de la turpitude, il ne fait aucun doute que le crime de vol, quelle que soit la valeur de l'objet volé, implique «turpitude morale» dans l'accep- tion usuelle de cette expression. Re Henry [précité], (pp. 561 et 562). [Souligné par moi-même.]
Dans l'affaire Turpin c. Le ministre de la Main- d'oeuvre et de l'Immigration [1969] A.I.A. (révi- sé) 1, on note à la page 16:
La définition de «turpitude morale» généralement admise se trouve dans le dictionnaire juridique de Bouvier:
[TRADUCTION] Un acte de bassesse, de vilenie ou de dépra- vation dans les relations privées et sociales entre l'homme et son prochain ou l'homme et la société en général, et ce contrairement aux règles, aux droits et aux obligations qui ordinairement règlent les relations des gens entre eux (Re Henry (1909) 99 Pac. 1054, 15 Idaho 755).
Dans Hecht c. McFaul (1961) C.S. (Que.) 392, l'une des trois décisions canadiennes sur la question, l'honorable juge cite la définition donnée au 27A «Words and Phrases» 186, 196, et il accorde à cette définition son approbation tacite:
[TRADUCTION] En général «turpitude morale» est quelque chose faite contrairement à la justice, l'honnêteté, la modes- tie ou les bonnes moeurs ... «Crime malum in se». Générale- ment, les crimes malum in se inpliquent turpitude morale. L'expression «turpitude morale» a une acception bien définie ne s'étendant qu'à la commission des crimes malum in se, et ceux qui sont considérés comme des félonies, c'est un acte de bassesse, de vilenie ou de dépravation dans les relations privées et sociales entre l'homme et son prochain ou l'homme et la société en général, et ce contrairement aux règles, aux droits et aux obligations qui, ordinairement, règlent les rela-
tions des gens entre eux, toute chose faite contrairement à la justice, l'honnêteté, la modestie et les bonnes mœurs. ...
La Cour est d'accord avec la remarque du juge Monnin dans King c. Brooks (1960) 3 W.W.R. 673 la page 683, 24 D.L.R. (2') 567 affirmed 33 W.W.R. 192, 129 C.C.C. 239, 25 D.L.R. (2') 779 (Man. C.A.).
[TRADUCTION] Je suis tout à fait d'accord avec les décisions américaines qui considèrent que le mot «morale» qui suit le mot «turpitude» n'ajoute rien au sens. C'est un pléonasme auquel on a recours pour marquer l'insistance sur le mot.
et on trouve également à la page 17 ce qui suit:
Cependant, la Cour doit prendre l'expression telle qu'elle se trouve dans la Loi sur l'immigration canadienne et, selon les définitions ci-devant données, du moins jusqu'à ce qu'une meil- leure définition puisse être formulée, il apparaît nettement que le crime doive nécessairement comporter des éléments de dépra- vation, de bassesse, de malhonnêteté ou d'immoralité.
Dans l'affaire précitée, Klipper c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [[1975] 8 A.I.A. 426 aux pages 435 et suiv.] le vice-président Campbell s'est reporté au rapport Le Dain de 1972, et plus particulièrement à la déclaration qui figure à la page 266 qui se lit comme suit:
Fondement de la Préoccupation Sociale.
Généralités.—La nocivité du cannabis est loin d'avoir été démontrée de façon complète et concluante. On trouve dans presque toute la preuve des défauts de méthodologie ou de raisonnement. Les tenants des diverses opinions passent leur temps à élucider les témoignages. Et il y a de plus en plus de témoignages à élucider. La documentation canadienne et étran- gère sur les accidents psychologiques provoqués par le cannabis atteint des proportions imposantes. La causalité n'est pas facile à établir de façon probante, mais les hypothèses persistent. Les autres causes possibles de ces troubles mentaux ne manquent pas, mais nous ne saurions nier la possibilité qu'ils soient attribuables au cannabis.
Quant à notre connaissance des effets lointains, elle n'est guère plus précise qu'à l'époque du rapport provisoire. Comme nous le disions alors, on mettra au moins dix ans à trouver la réponse à certaines questions primordiales. Il faudra au moins tout ce temps pour déterminer l'importance statistique des troubles psychiques attribués au cannabis par les cliniciens. Ce que nous avons appris des effets lointains depuis le rapport provisoire invite à une observation prudente plutôt qu'à l'opti- misme. A l'heure actuelle, ces rapports de cliniciens qui ont l'occasion d'observer des cas d'usage habituel et excessif n'ont guère qu'une valeur indicative, mais ensemble ils accentuent la pénible impression que chez certains sujets et à certaines doses, le cannabis peut causer des troubles mentaux graves. Deux questions se posent: chez quels types de sujets et à quelles doses? Il faudra sans doute compter un bon nombre d'années avant que des modalités d'usage bien établies n'apportent des réponses qui aient quelque valeur statistique. L'extension du cannabisme en Amérique du Nord est un phénomène encore trop récent. Nous devrions dès maintenant sélectionner des groupes d'usagers et des groupes de contrôle, puis les suivre de
près pendant plusieurs années.
Également à la page 268 du rapport (pièce A-2), figure ce qui suit [TRADUCTION] :
Effets sur le développement des adolescents.—Nous croyons d'une manière générale que l'usage du cannabis ne peut être que préjudiciable aux adolescents à cause de son effet probable sur la maturation, et que c'est sur ce point que devrait être centrée notre préoccupation sociale. Il ne s'agit pas ici d'une conclusion appuyée sur des faits, mais d'une déduction de ce que nous savons sur le cannabis et sur l'adolescence.
Les expériences subjectives d'intoxication cannabique—sur- tout si elle est provoquée par des fortes doses à effets hallucino- gènes—et d'intoxication alcoolique sont, à notre avis, essentiel- lement différentes. L'alcool peut émousser la perception et produire une libération du comportement, alors que les halluci- nogènes peuvent provoquer une véritable exaltation des percep tions et une distorsion qualitative des notions d'espace et de temps. Le phénomène s'accompagne souvent d'altérations per- ceptives du «moi corporel» et de l'identité. Il est très concevable que les expériences hallucinogènes, à cause de leur nature particulière, puissent avoir des effets traumatiques durables sur la maturation d'un adolescent de 12 ou 13 ans qui n'est pas encore en mesure de les assimiler sans en subir un préjudice.
Il serait naïf de croire que les adolescents peuvent, depuis l'âge de douze ans, se livrer à l'intoxication cannabique et à ses effets hallucinogènes sans compromettre sérieusement leur apti tude à faire face à la réalité, qui constitue l'un des aspects essentiels de la maturation. Il est probable, en outre, que l'usage du cannabis précipitera les troubles mentaux chez les sujets prédisposés. Les constatations relatives aux effets du cannabis sur l'apprentissage et sur le rendement scolaire ne sont pas concluantes, mais elles indiquent clairement qu'un usage fréquent du cannabis peut nuire à ces fonctions, surtout à cause des effets sur la mémoire à court terme et sur l'attention. Que l'usage immodéré du cannabis gêne ces fonctions est une quasi-certitude.
Ce qu'il y a de plus grave au sujet du cannabis, c'est probablement que les adolescents en font usage. Les tenants les plus acharnés de la légalisation sont d'ailleurs loin d'en faire une question négligeable. A peu près tous les projets de la légalisation prévoient une limite d'âge, ordinairement 18 ans, en deçà de laquelle on ne pourrait s'en procurer.
Lorsqu'il a rendu le jugement de la Cour dans l'affaire Klipper le vice-président Campbell a déclaré, entre autres, ceci [voir pages 9 et 10 [1975] 8 A.I.A. 426, aux pages 437-438]:
En ayant à l'esprit les citations ci-dessus, il est tout à fait évident que la marijuana est un stupéfiant doté d'une possibilité de nuire à ceux qui en font un usage persistant. Ceci s'applique particulièrement aux adolescents, lesquels peuvent souffrir d'une grave entrave dans le développement de la capacité à affronter la réalité; il y a la probabilité que les désordres mentaux seront accélérés chez ceux qui y sont particulièrement vulnérables; la quasi-certitude que l'usage intensif du chanvre
aura un effet fâcheux sur la capacité d'apprendre et sur le rendement scolaire. L'usage du haschich selon diverses combi- naisons de dose, d'agencement et d'arrangement peut susciter d'éventuelles réactions paniques ou psychotiques violentes et aiguës comme, par exemple, la dépression, l'anxiété, des courtes réactions paniques ou psycho-pathologiques (rapport Le Dain p. 67). Il s'ensuit que, puisque la marijuana est susceptible de faire du mal, la société telle que nous la connaissons doit être protégée de façon qu'elle puisse exister en tant qu'ordre viable sur le plan politique et social en vue de maintenir un processus créateur et démocratique du développement humain et de l'épanouissement individuel. La personne qui est en possession de marijuana pour son propre usage a donc commis un acte générique de bassesse qui est contraire aux devoirs sociaux dont elle doit s'acquitter envers la société en général, contraire également à la règle reconnue et coutumière des droits et des devoirs de l'homme envers son prochain.
Le tribunal est arrivé à la conclusion que la simple possession de marijuana—sans parler de sa détention pour en faire tra- fic—est un crime impliquant turpitude morale. En prononçant ce jugement, le tribunal n'a pas négligé les conclusions et la recommandation du commissaire Marie-Andrée Bertrand (rap- port, page 303) qui a recommandé une politique de distribution légale du haschich ni le fait que la majorité des commissaires, à la p. 282 du rapport, ont exprimé une réserve générale concer- nant le délit de simple possession ainsi formulée:
[TRADUCTION] Les réserves les plus graves que nous for- mulons en ce moment à l'égard de l'interdiction de simple possession tiennent au fait que le prix que notre société doit payer pour cette interdiction semble comporter beaucoup trop d'inconvénients, pour les individus et pour la société, à comparer aux avantages qu'on semble en retirer. Nous esti- mons que cette probabilité est telle que nous sommes justifiés à ce moment-ci, de diminuer le plus possible la portée de l'infraction de simple possession, jusqu'à ce que des études plus poussées nous aient appris s'il y a même lieu de la garder. Les inconvénients actuels de cette interdiction, ainsi que le tort causé aux individus et à la société, sont, à notre avis, parmi les problèmes majeurs que pose l'usage des drogues à des fins non médicales.
La réserve exprimée à l'époque le rapport a été rédigé était fondée essentiellement sur le coût actuel de sa répression. Cela n'amoindrit pas le fait que la possession génériquement simple de la marijuana et son utilisation peuvent occasionner de graves problèmes mentaux et donc sa possession, comme on l'a déjà mentionné, est un acte de bassesse, d'immoralité et de dépravation qui rentre dans la définition de la turpitude morale. De plus, le fait qu'une personne accusée de possession de marijuana puisse ne recevoir qu'une légère condamnation, être frappée d'une amende ou même se voir accorder un acquitte- ment conditionnel ou absolu ne modifie pas la nature générique du crime. Le fait que la marijuana est utilisée par des gens dans beaucoup d'autres pays et par, peut-être, un million de cana- diens est sans intérêt pour le point en litige. Il y a bien plus de millions de canadiens qui n'utilisent pas la marijuana qu'il n'y a des utilisateurs de ce stupéfiant.
M ll e Button a avoué à l'enquêteur spécial qu'elle s'était adonnée à la marijuana depuis la fin de 1971 jusqu'à la fin de l'été de 1972. A la page 49
du Rapport intitulé LE CANNABIS, rapport de la Commission d'enquête sur l'usage des drogues à des fins non médicales (pièce A-1 à l'audience de l'appel), sous la rubrique intitulée «Effets de l'ivresse cannabique», nous lisons ce qui suit:
La drogue a parfois des effets pénibles chez quelques indivi- dus au sein d'un groupe ou chez le même sujet en des circon- stances différentes, mais ces effets sont relativement rares et de peu d'importance. La plupart des habitués ont connu, semble- t-il, de ces effets secondaires, tels la crainte, l'anxiété, la dépression, l'irritabilité, les nausées, les maux de tête, le refroi- dissement des extrémités, le mal de dos, les vertiges, la vue brouillée, l'affaiblissement de l'attention, la confusion mentale, la torpeur, la sensation de lourdeur, la faiblesse et la somno lence. On a également signalé la désorientation, la dépersonna- lisation, les hallucinations, la méfiance, les manifestations para- noïdes et parfois la panique, l'affolement et les états psychotiques et dépressifs aigus. Schwarz a dressé une longue liste des manifestations pathologiques attribuées au cannabis par les auteurs.
En parcourant le rapport, le lecteur s'aperçoit que la marijuana peut précipiter la psychose chez un sujet à personnalité instable et désorganisée, lorsque la dose dépasse son degré de tolérance. Bien que les recherches sur l'usage de la marijuana se poursuivent, et que les données dont nous dispo- sons au sujet des effets physiologiques soient limi- tées et contradictoires, on constate cependant les faits suivants: (voir pages 128 et 129 du rapport sur le Cannabis (pièce A-1)):
Le passage à l'héroïne et aux autres drogues. Depuis vingt ans, le lien entre cannabis et héroïne fait l'objet d'une vive controverse. Selon des études effectuées aux États-Unis, la majorité des héroïnomanes avaient déjà pris du cannabis, sauf en certaines régions, en particulier dans les États du sud-est. Avant 1950, on possédait peu de témoignages du passage du cannabis à l'héroïne et il en était peu question. De même au Canada, jusqu'à ces derniers temps, il ne semblait y avoir aucune relation entre l'usage de l'une et de l'autre drogue. Les héroinomanes étudiés étaient dans l'ensemble de gros consom- mateurs d'alcool, de barbituriques et de tabac, mais ne connais- saient guère le cannabis. La situation semble avoir changé, et nombre de jeunes héroinomanes canadiens font état d'un usage antérieur ou concomitant de marijuana, d'amphétamines et de L.S.D.
Selon diverses études faites aux États-Unis auprès de person- nes arrêtées pour délits relatifs au cannabis ou autres infrac tions, ces sujets auraient été de nouveau traduits en justice pour délits relatifs à l'héroïne. Dans certains cas, cependant, c'est en prison que les sujets avaient pris contact avec des héroïnomanes et connu leurs sources d'approvisionnement. Selon Robins, parmi un groupe de noirs de Saint-Louis qui avaient fait usage de cannabis vers 1940, 20p.100 ont reconnu avoir pris de l'héroïne par la suite.
LE CANNABIS, rapport de la Commission d'en- quête sur l'usage des drogues à des fins non
médicales est publié depuis 1972 et le rapport provisoire de la Commission d'enquête sur l'usage des drogues à des fins non médicales depuis 1973. Le Parlement n'a pas retiré la marijuana de la liste des drogues interdites par la Loi sur les stupé- fiants et, bien que la possession de cette drogue ne soit pas un délit aussi grave que la possession de l'opium, de la morphine, de la cocaïne, etc., la marijuana est cependant énumérée dans la même annexe de la Loi et ainsi, doit être considérée comme une drogue dangereuse jusqu'à preuve satisfaisante du contraire et tant que la Loi ne sera pas modifiée.
ANNEXE A PARTIE II
Extrait des motifs dissidents d'un membre de la Commission d'appel de l'immigration
A mon avis, la possession de la marijuana à des fins personnelles constitue sans aucun doute un crime sur déclaration de culpabilité et cette drogue n'a pas été retirée de la liste de la Loi sur les stupéfiants. Je ne crois pas que la possession de la marijuana à des fins personnelles constitue un crime qui satisfasse aux conditions imposées par les décisions antérieures de la Commission d'appel de l'immigration, à savoir que cette infraction doit être classée parmi celle qui «sont commises con- trairement aux règles, aux droits et aux obligations qui ordinairement règlent les relations des gens entre eux».
Posséder de la marijuana à des fins personnelles fait actuellement l'objet d'une controverse si répandue et si fréquente dans certains secteurs de la société que je ne pense pas que cet acte peut être contraire «aux règles, aux droits et aux obligations qui ordinairement règlent les relations des gens entre eux.» On pourrait dire à juste titre «et ce contrairement aux règles, aux droits et aux obliga tions qui ordinairement règlent les relations des gens entre eux, de plus de cinquante ans» ou «contrairement aux règles, aux droits et aux obli gations qui ordinairement règlent les relations entre hommes et femmes dans certaines régions du pays» ou «contrairement aux règles, aux droits et aux obligations qui ordinairement règlent les rela tions des gens entre eux dans les maisons de repos», mais l'on ne peut dire «contrairement aux règles, aux droits et aux obligations qui règlent ordinaire- ment les relations des gens entre eux.»
Lorraine Carol Button a admis, à la page 2 de' l'enquête complémentaire, qu'elle avait fait usage de marijuana mais qu'elle n'en avait jamais fait le trafic. Elle a avoué qu'elle savait que la possession de la marijuana était contraire à la loi mais qu'à son avis, elle ne considérait pas cet acte comme un crime impliquant turpitude morale.
Pour les motifs susmentionnés, je suis d'avis que la possession de la marijuana pour en faire un usage personnel n'est pas un crime impliquant turpitude morale et, par conséquent j'admettrais le présent appel en vertu de l'article 14 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration.
ANNEXE B
ADDENDA DU JUGE EN CHEF
Je n'ai pas pensé nécessaire, dans la présente affaire, de parvenir à une conclusion sur la portée
de l'expression «crime impliquant turpitude morale» relevée à l'article 5d) de la Loi sur l'im- migration. Toutefois, j'estime opportun, pour plu- sieurs raisons, d'énoncer, sous forme d'addenda à
nos motifs de jugement, l'opinion à laquelle je suis actuellement parvenu sur ce sujet.
Compte tenu du pouvoir exclusif du Parlement conféré en vertu de l'article 91(27) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867 13 de légifé-
13 Les passages pertinents de l'article 91 se lisent comme suit: 91. Il sera loisible à la Reine, de l'avis et du consentement du Sénat et de la Chambre des Communes, de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets par le présent acte exclusivement assi gnés aux législatures des provinces; mais, pour plus de garan- tie, sans toutefois restreindre la généralité des termes ci-haut employés dans le présent article, il est par le présent déclaré que (nonobstant toute disposition contraire énoncée dans le présent acte) l'autorité législative exclusive du parlement du Canada s'étend à toutes les matières tombant dans les caté- gories de sujets ci-dessous énumérés, savoir:
27. La loi criminelle, sauf la constitution des tribunaux de juridiction criminelle, mais y compris la procédure en matière criminelle.
Et aucune des matières énoncées dans les catégories de sujets énumérés dans le présent article ne sera réputée tomber dans la catégorie des matières d'une nature locale ou privée com prises dans l'énumération des catégories de sujets exclusive- ment assignés par le présent acte aux législatures des provinces.
rer au Canada, en matière criminelle, on aurait pu penser que le mot «crime» figurant dans une loi du Canada signifierait «acte interdit et assorti de con- séquences pénales» par une loi adoptée par le Parlement «dans l'intérêt public» en application du pouvoir législatif exclusif prévu à l'article 91(27). 14 Toutefois, il est établi depuis longtemps que le mot «crime», dans le contexte de certaines lois du Canada, comprend en outre les infractions créées par les législatures provinciales ainsi que les infractions créées par le Parlement comme acces- soires aux lois adoptées en vertu d'un pouvoir
législatif autre que son pouvoir de légiférer en matière criminelle. l5
En outre, les pouvoirs du Parlement de créer un crime en vertu de l'article 91(27) ne se limitent pas aux actes qui (selon les tribunaux) sent immoraux ou, pour reprendre l'ancienne «formule», malum in se. Comme l'a déclaré lord Atkin dans l'affaire Proprietary Articles: 16
[TRADUCTION] La moralité et la criminalité sont loin d'être la même chose, de même, la criminalité ne fait pas nécessairement partie d'un domaine plus étendu qui serait la moralité, à moins que la morale courante ne désapprouve nécessairement tous les actes interdits par l'État, auquel cas on se trouve dans un cercle vicieux. Il apparaît assez vain à leurs Seigneuries de chercher à confiner les crimes à une catégorie d'actes qui, de par leur nature véritable, appartiennent au domaine du «droit criminel», car on ne peut fixer le domaine du droit criminel qu'en exami- nant quels actes l'État qualifie de crimes à chaque période en cause et le seul trait commun qu'on pourra trouver auxdits actes est que l'État les interdit et que ceux qui les commettent sont punis.
En d'autres termes, si je comprends bien, il appar- tient au Parlement de décider quels sont les actes qui, de par leur nature, devraient être interdits et assortis de conséquences pénales dans l'intérêt public et devenir ainsi des crimes, aux termes des pouvoirs qui lui sont conférés par l'article 91(27). Par ailleurs, les interdictions assorties de consé- quences pénales, afin de rendre applicable une loi
14 Voir le jugement de lord Atkin dans les affaires Proprie tary Articles [1931] A.C. 310, la page 324, et Le procureur général de la Colombie-Britannique c. Le procureur général du Canada [1937] A.C. 368, la page 375.
15 Voir l'arrêt In re Richard (1907) 38 R.C.S. 394; Re McNutt (1912) 47 R.C.S. 259; Mitchell c. Tracey (1919) 58 R.C.S. 640; et le jugement de lord Sumner dans l'affaire Le Roi c. Nat Bell Liquors Ltd. (1921) 62 R.C.S. 118, et [1922] 2 All E.R. (Rep.) 335.
16 [1931] A.C. 310, la page 324.
qui ressortit du domaine exclusif de l'autorité législative provinciale, ne relèvent pas de la compé- tence législative conférée au Parlement en vertu de l'article 91(27). Cela ressort de l'examen de l'arrêt The Board of Commerce auquel a procédé lord Atkin dans l'arrêt The Proprietary Articles" et aussi d'autres affaires comme l'arrêt Reciprocal Insurers'. De même, selon moi, lorsque le Parle- ment crée une infraction afin de rendre applicable une loi adoptée relativement à une matière autre que le droit criminel, il ne crée pas un «crime» en vertu de l'article 91(27) mais une infraction de la même nature que les infractions pouvant être créées par les législatures provinciales en vertu de
l'article 92(15) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867 19
L'analyse précédente de nos dispositions consti- tutionnelles relatives aux crimes et infractions m'amène à conclure que, en matière de saine politique législative,
a) chaque fois qu'en vertu de l'article 91(27) le Parlement exerce ses pouvoirs l'habilitant à créer un crime, il met en oeuvre une conclusion d'ordre législatif selon laquelle un acte est, en lui-même, si mauvais qu'il doit être interdit et assorti de conséquences pénales, et
b) chaque fois qu'une législature ou le Parle- ment crée une infraction en vertu d'un autre chef législatif, un acte qui n'est pas nécessaire- ment mauvais en lui-même est interdit en vue de mettre en oeuvre un schéma législatif conçu pour
parvenir à certaines fins sociales, économiques ou autres.
Selon moi, l'article 3(1) de la Loi sur les stupé- fiants n'est pas une loi adoptée par le Parlement en vertu de l'article 91(27), mais une loi se rapportant
11 [1931] A.C. 310 aux pages 325 et suiv.
18 [1924] A.C. 328.
19 L'article 92(15) se lit comme suit:
92. Dans chaque province la législature pourra exclusive- ment faire des lois relatives aux matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir:
15. L'infliction de punitions par voie d'amende, pénalité, ou emprisonnement, dans le but de faire exécuter toute loi de la province décrétée au sujet des matières tombant dans aucune des catégories de sujets énumérés dans le présent article;
à une matière qui relève des mots introductifs de l'article 91. Il n'interdit aucun acte parce que mauvais en lui-même, mais interdit la possession de stupéfiants «sauf ainsi que l'autorise la présente loi ou les règlements . ..». Il semblerait qu'il s'agisse d'une loi d'ordre réglementaire adoptée par le Parlement dans la mesure elle se rattache au bien-être du Canada dans son ensemble et non à une question «d'intérêt local ou privé» au niveau de chaque province. Cela semble entrer dans le cadre du raisonnement du Conseil privé dans sa décision de 1946, Renvoi relatif à la Loi de tempé- rance du Canada, 20 dans laquelle le vicomte Simon, rendant le jugement au nom de la Cham- bre, a déclaré aux pages 205 et 206:
[TRADUCTION] De l'avis de leurs Seigneuries, c'est dans la vraie matière de cette législation qu'il faut en rechercher le caractère véritable: si elle est telle qu'elle dépasse les préoccu- pations ou les intérêts locaux ou provinciaux et doit par sa nature même constituer une préoccupation pour le Dominion dans son ensemble, par exemple, dans les affaires de l'Aéronau- tique [1932] A.C. 54 et de la Radiocommunication, [1932] A.C. 304 elle entre alors dans les attributions du Parlement du Dominion à titre de matière relative à la paix, à l'ordre et au bon gouvernement du Canada, en dépit du fait qu'elle peut par d'autres côtés se rattacher à des matières spécifiquement réser- vées aux législatures provinciales. La guerre et une épidémie de peste en sont sans nul doute des exemples; il peut en être de même du trafic des boissons ou des drogues ou du ` port d'armes....
Du passage précédent placé dans son contexte, j'ai tiré la conclusion provisoire que le sens du mot «crime» utilisé à l'article 5d) est suffisamment large pour inclure tout acte qui est interdit et assorti de conséquences pénales, peu importe qu'il soit interdit parce que l'autorité législative compé- tente le considère comme étant, en lui-même, si mauvais qu'il doit être interdit, ou qu'il ne soit interdit que pour rendre applicable une loi destinée à mettre en vigueur une loi adoptée pour atteindre certains objectifs sociaux, économiques ou autres. Cette conclusion semblerait découler inévitable- ment du fait que l'article 5d) ne s'applique qu'aux crimes «impliquant turpitude morale».
Il s'agit de savoir en outre si le mot «crime» utilisé à l'article 5d) vise un acte qualifié de crime par la loi du Canada sans tenir compte du lieu il a été commis. Compte tenu de la fonction de l'article 5, à laquelle je ferai allusion plus tard, et
20 [1946] A.C. 193.
du sens de l'article 5d), selon moi, le mot «crime» utilisé à l'article 5d) vise un acte qui était interdit et assorti de conséquences pénales aux temps et lieu de sa perpétration. L'article 5d) vise des per- sonnes qui «ont été déclarées coupables de quelque crime impliquant turpitude morale, ou qui admet- tent avoir commis un tel crime». Selon moi, l'ex- pression «crime impliquant turpitude morale» doit avoir la même signification, qu'on la lise avec l'expression «déclarées coupables de» ou avec l'ex- pression «admettent avoir commis». Une personne ne peut pas être déclarée coupable d'un acte s'il n'était pas interdit aux temps et lieu de sa perpé- tration. Il s'ensuit que, lorsque l'alinéa vise l'ad- mission d'un «crime impliquant turpitude morale», il vise l'admission d'un acte qui était interdit aux temps et lieu de sa perpétration. Il est concevable qu'une loi du Canada dont l'application jouit de l'extra-territorialité puisse interdire un acte quel- que part hors du Canada mais, normalement, cette interdiction découlerait d'une loi de la législature compétente en ce lieu.
Il me faut enfin déterminer quel sens on doit donner, en matière d'interprétation judiciaire, à l'expression «impliquant turpitude morale».
Suivant la position qui semble avoir été implici- tement adoptée la Cour doit décider, suivant son appréciation de l'opinion publique, quelles offenses impliquent turpitude morale et quelles ne l'impli- quent pas. Dans le cadre de cette approche, il existe une divergence d'opinions sur l'autre ques tion de savoir si cet élément doit se trouver dans la définition de l'infraction donnée par la loi ou doit être tranché comme une question de fait suivant les circonstances entourant la perpétration de l'in- fraction. Selon moi, ce dernier point de vue accepte comme principe que le Parlement, sans le dire, laissait cette question, qui est essentiellement de politique législative, à l'appréciation des tribunaux. 21
Pour l'examen de cette question, il est utile, comme pour toute question d'interprétation légis-
21 I1 ne semblerait pas qu'en l'absence de mots explicites, nous devrions conclure qu'on a eu l'intention de faire varier l'application de la loi en fonction de l'interprétation de la magistrature de temps à autre quant à la généralité des opi nions de la communauté sur des questions de moralité publique.
lative, de se pencher sur l'économie générale de la loi dont relève la disposition qui doit être interpré- tée. La Loi sur l'immigration, à cet égard, envi sage deux problèmes différents, à savoir: à quelles personnes devrait-on interdire l'entrée au Canada et quelles personnes déjà au Canada devrait-on expulser du pays. L'article 5 traite du premier problème, en voici un extrait:
5. Nulle personne, autre qu'une personne mentionnée au paragraphe 7(2), ne doit être admise au Canada si elle est membre de l'une des catégories suivantes:
d) les personnes qui ont été déclarées coupables de quelque crime impliquant turpitude morale, ou qui admettent avoir commis un tel crime, excepté les personnes dont l'admission au Canada est autorisée par le gouverneur en conseil ...
e) les prostituées, les homosexuels ou les personnes qui vivent des fruits de la prostitution ou de l'homosexualité, les soute- neurs, ou les personnes qui viennent au Canada pour ces fins ou d'autres objets immoraux;
j) les personnes qui tentent d'amener au Canada ou d'em- baucher des prostituées ou autres personnes aux fins de prostitution, d'homosexualité ou pour d'autres objets immoraux;
g) les mendiants ou vagabonds de profession;
i) les alcooliques chroniques;
j) les personnes adonnées à l'usage de toute substance qui est un stupéfiant au sens de la Loi sur les stupéfiants;
k) les personnes qui s'occupent, ou qui, pour des motifs raisonnables, sont soupçonnées d'être susceptibles de s'occu- per, à donner, employer, pousser d'autres à employer, distri- buer, vendre, offrir ou exposer pour la vente, ou acheter, de quelque façon illégale, toute substance qui est un stupéfiant au sens de la Loi sur les stupéfiants, ou à en faire ainsi le commerce ou trafic, ou les personnes qui, à quelque époque, s'y sont occupées, sauf si, dans ce dernier cas, au moins cinq années ont passé depuis qu'elles se sont ainsi livrées à de telles occupations et si, de l'avis du Ministre, elles ne sont pas susceptibles de faire illégalement usage ou commerce de ces substances ni de faire en sorte que d'autres personnes agis- sent ainsi;
L'article 18 traite du second problème; en voici un extrait:
18. (1) Lorsqu'il en a connaissance, le greffier ou secrétaire d'une municipalité au Canada, dans laquelle une personne ci-après décrite réside ou peut se trouver, un fonctionnaire à l'immigration ou un constable ou autre agent de la paix doit envoyer au directeur un rapport écrit, avec des détails complets, concernant
b) toute personne autre qu'un citoyen canadien, qui, si elle se trouve au Canada, a été déclarée, par une cour compétente, coupable d'une infraction impliquant désaffection ou manque de fidélité envers Sa Majesté;
c) toute personne, autre qu'un citoyen canadien qui, si elle est hors du Canada, se livre à l'espionnage, au sabotage ou à toute activité préjudiciable à la sécurité du Canada;
d) toute personne, autre qu'un citoyen canadien, qui est déclarée coupable d'une infraction sous le régime de l'article 3, 4, 5 ou 6 de la Loi sur les stupéfiants;
e) toute personne, autre qu'un citoyen canadien ou une personne ayant un domicile canadien, qui
(ii) a été déclarée coupable d'une infraction visée par le Code criminel,
(iv) était un membre d'une catégorie interdite lors de son admission au Canada,
(v) est, depuis son admission au Canada, devenue une personne qui, si elle demandait son admission au Canada, se la verrait refuser du fait qu'elle est membre d'une catégorie interdite autre que celles dont les alinéas 5a), b), c) et s), donnent la description,
(2) Quiconque, sur enquête dûment tenue par un enquêteur spécial, est déclaré une personne décrite au paragraphe (1) devient sujet à expulsion.
L'opinion à laquelle je suis parvenu, provisoire- ment, après examen et comparaison de ces disposi tions, est que le Parlement a déclaré, par le truche- ment de l'article 18, que toute personne qui entre au Canada et qui, en l'absence d'un statut perma nent quel qu'il soit, est déclarée coupable d'avoir enfreint notre Code criminel ou certaines autres lois, y compris la Loi sur les stupéfiants, doit être considérée à cet égard comme ayant commis une infraction d'une nature telle qu'elle est dans l'obli- gation de quitter le pays. En définissant ces infrac tions, il n'était pas nécessaire d'adopter une for- mule générale pour délimiter celles qui étaient suffisamment graves pour nécessiter leur départ, car il était possible de se reporter à des lois du Canada ou à des infractions particulières. Par contre, pour préciser quelle personne devrait être empêchée d'entrer au Canada, il était nécessaire d'adopter une formule générale établissant cette délimitation car la plupart des personnes entrant au Canada, à qui l'entrée devrait être interdite en raison d'activités criminelles, auraient été recon- nues coupables d'actes interdits par une loi étran- gère; c'est pourquoi on a adopté la formule «crime impliquant turpitude morale». Celle-ci, devrais-je penser, a été adoptée dans l'optique d'une règle bien tranchée et permettant de parvenir facilement au même résultat pour ce qui touche le maintien de personnes à l'extérieur du pays, que celle adop- tée par l'article 18 aux fins d'expulsion de person-
nes. Il convient de remarquer dans cette optique que l'article 5, exception faite de l'alinéa d), énu- mère presque toutes les catégories concevables de personnes autres que les criminels habituels, y compris les personnes impliquées d'une façon ou d'une autre avec des stupéfiants, qui pourraient être considérées comme non admissibles.
Par conséquent, selon moi, une interprétation possible de l'article 5d), interprétation qui est au premier chef une règle que les tribunaux sont à même d'appliquer, porte qu'un «crime impliquant turpitude morale» signifie une infraction qui a été définie par la législature compétente parce que cette dernière a manifesté par sa législation qu'elle considérait l'acte interdit comme étant si mauvais en lui-même qu'il devait être interdit et assorti de conséquences pénales, mais ne comprend pas une infraction définie par la législature compétente pour rendre applicable quelque autre type de schéma législatif. Je reconnais, toutefois, que cette règle peut fort bien nécessiter un changement si le problème se pose relativement à un «crime» contre la loi d'un pays étranger alors que l'acte interdit n'a pas été reconnu par le Parlement du Canada comme impliquant une turpitude morale exigeant qu'il soit interdit à ce titre et assorti de conséquen- ces pénales au Canada.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT MACKAY: J'ai eu l'hon- neur de lire les motifs du jugement de monsieur le juge en chef et je suis d'accord pour que cette affaire soit renvoyée à la Commission d'appel de l'immigration pour nouvel examen en vertu des dispositions de l'article 5k).
Je désire toutefois exprimer mon opinion sur l'interprétation des articles 5d), 5k), 22, 23 et 26(4) de la Loi sur l'immigration.
L'article 5 énonce les différentes catégories de personnes qui, n'ayant pas la citoyenneté cana- dienne, se voient refuser l'entrée au Canada.
L'article 5d) se lit en partie comme suit:
... les personnes qui ont été déclarées coupables de quelque crime impliquant turpitude morale, ou qui admettent avoir commis un tel crime, ...
Il s'agit de savoir quelle loi et quelles normes il faut appliquer pour déterminer si la personne cher- chant à entrer au Canada a été déclarée coupable d'un crime impliquant turpitude morale ou a admis avoir commis un tel crime. Cette décision doit-elle se fonder sur la loi et les normes du Canada ou la loi et les normes du pays dont est citoyen la personne cherchant à entrer au Canada?
Selon moi, le but de l'article 5 étant d'empêcher l'entrée au Canada des personnes ou catégories de personnes dont il est fait mention dans cet article, le point de savoir si une personne cherchant à entrer relève d'une quelconque des catégories énu- mérées à l'article 5 doit se déterminer au regard de la loi canadienne et des normes canadiennes.
Si par conséquent il est admis ou autrement prouvé qu'une personne cherchant à entrer au Canada a été déclarée coupable d'un acte qui, d'après la loi et les normes du Canada, serait un crime impliquant turpitude morale ou a commis un tel acte, cette personne ne sera pas admise car, dans le cas contraire, le paragraphe serait détourné de son but.
Chaque pays a le droit d'établir ses propres normes relativement aux personnes auxquelles il accordera le droit d'entrer—ce droit ne peut être contrôlé ou limité par les lois et normes d'un autre pays. Par exemple, d'après la jurisprudence améri- caine, l'adultère est considéré comme un crime dans certains états et on a décidé qu'il s'agissait d'un crime impliquant turpitude morale. L'adul- tère n'est pas un crime au Canada et une personne qui, cherchant à entrer au Canada, a admis avoir été déclarée coupable d'un adultère ou admis l'avoir commis dans un pays l'adultère est considéré comme un crime, ne pourrait pas se voir refuser l'entrée pour ce motif.
L'application des lois et normes d'un autre pays pour déterminer l'admissibilité au Canada d'un citoyen de cet autre pays nécessiterait, de la part des fonctionnaires à l'immigration, de bien connaî- tre ou de vérifier les lois et normes de tous les pays d'où pourraient provenir les personnes qui deman- dent l'admission au Canada; il s'agirait d'une tâche irréalisable, sinon difficile.
Pour tous ces motifs, je ne pense pas qu'il ait été nécessaire de présenter des témoignages ou de
prouver que les actes, que l'appelante en l'espèce a admis, constituaient un crime impliquant turpitude morale dans l'État elle avait sa résidence. La seule question à trancher était de savoir si les actes qu'elle a admis constituaient un crime impliquant turpitude morale en vertu de la loi et des normes du Canada.
Je pense que l'article 50 de la Loi sur l'immi- gration vient corroborer le point de vue que j'ai exprimé; cet article se lit comme suit:
Tout acte, toute omission ou chose qui, en raison de la présente loi ou des règlements, serait punissable comme une infraction, si elle avait lieu au Canada, constitue, si elle a lieu en dehors du Canada, une infraction à la présente loi ou aux règlements et peut être jugée et punie au Canada.
Il en est de même en vertu de la jurisprudence des États-Unis. The Immigration and Nationality Act [U.S. Code 1970, Vol. 2, Title 8, 1182(9)] contient la disposition suivante:
[TRADUCTION] Les étrangers qui ont été déclarés coupables d'un crime impliquant turpitude morale, ou les étrangers qui reconnaissent avoir commis un pareil crime, ou les étrangers qui reconnaissent avoir commis des actes qui contiennent les éléments essentiels d'un pareil crime ... se verront refuser l'entrée aux États-Unis.
Dans le Corpus Juris Secundum, vol. 3, p. 914, sous la rubrique «Immigration», on trouve la décla- ration suivante:
[TRADUCTION] La loi des États-Unis est applicable pour déterminer si un crime commis par un étranger dans un autre pays est de nature à empêcher son admission.
Giammario c. Hurney (CA) Pa 311 F 2' 285.
Quant à l'application de l'article 26(4), voici les articles pertinents de la Loi:
11. (1) Les fonctionnaires supérieurs de l'immigration sont des enquêteurs spéciaux, et le Ministre peut nommer les autres fonctionnaires à l'immigration qu'il juge nécessaires pour agir en qualité d'enquêteurs spéciaux.
(2) Un enquêteur spécial a le pouvoir d'examiner la question de savoir si une personne doit être admise à entrer au Canada ou à y demeurer ou si elle doit être expulsée, et celui de statuer en l'espèce.
(3) Un enquêteur spécial possède tous les pouvoirs et toute l'autorité d'un commissaire nommé en vertu de la Partie I de la Loi sur les enquêtes et, sans restreindre la généralité de ce qui précède, peut, aux fins d'une enquête,
a) émettre une sommation à toute personne, lui enjoignant de comparaître aux temps et lieu y mentionnés, de rendre témoignage sur toutes questions à sa connaissance concer- nant le sujet de l'enquête et d'apporter avec elle et de
produire tout document, livre ou pièce, en sa possession ou sous son contrôle, en ce qui regarde le sujet de l'enquête;
b) faire prêter serment et interroger toute personne sous serment, affirmation ou autrement;
c) émettre des commissions ou requêtes en vue de recueillir des témoignages au Canada;
d) retenir les services des avocats, techniciens, commis, sté- nographes ou autres personnes qu'il estime indispensables à une enquête complète et régulière; et
e) accomplir toutes autres choses nécessaires pour assurer une enquête complète et régulière.
22. Lorsqu'un fonctionnaire à l'immigration, après avoir examiné une personne qui cherche à entrer au Canada, estime qu'il serait ou qu'il peut être contraire à quelque disposition de la présente loi ou des règlements de lui accorder l'admission ou de lui permettre autrement de venir au Canada, il doit la faire détenir et la signaler à un enquêteur spécial.
23. (1) Lorsque l'enquêteur spécial reçoit un rapport prévu à l'article 22 sur une personne qui cherche à venir au Canada des États-Unis ou de Saint-Pierre-et-Miquelon, il doit, après l'enquête complémentaire qu'il juge nécessaire et sous réserve de tous règlements établis à cet égard, admettre cette personne ou lui permettre d'entrer au Canada, ou rendre contre elle une ordonnance d'expulsion et, dans ce dernier cas, ladite personne doit, le plus tôt possible, être renvoyée au lieu d'où elle est venue au Canada.
(2) Lorsque l'enquêteur spécial reçoit un rapport prévu par l'article 22 sur une personne autre qu'une personne mentionnée au paragraphe (1), il doit l'admettre ou la laisser entrer au Canada, ou il peut la faire détenir en vue d'une enquête immédiate sous le régime de la présente loi.
26. (1) Une enquête tenue par un enquêteur spécial doit avoir lieu privément, mais en présence de l'intéressé chaque fois que la chose est pratiquement possible.
(2) L'intéressé, s'il le désire et à ses propres frais, a le droit d'obtenir un avocat, et d'être représenté par avocat, lors de son audition.
(3) L'enquêteur spécial peut, à l'audition, recevoir toute preuve qu'il estime digne de foi dans les circonstances particu- lières à chaque cas, et fonder sa décision sur cette preuve.
(4) Lors d'une enquête portant sur une personne qui cherche à entrer au Canada, il incombe à cette personne de prouver qu'il ne lui est pas interdit d'entrer au Canada.
Les articles 22 29 inclusivement figurent sous la rubrique «Enquêtes». L'article 22 exige qu'un fonctionnaire à l'immigration, lorsqu'il estime qu'il serait ou qu'il peut être contraire aux dispositions de la Loi ou des règlements d'accorder l'admission à toute personne cherchant à entrer au Canada, doit la signaler à un enquêteur spécial.
Je suis d'avis que l'article 26 a une portée générale et s'applique à toutes les personnes qui, n'étant pas citoyens canadiens, cherchent à entrer
au Canada et qu'une enquête complémentaire, aux termes de l'article 23(1), effectuée par un enquê- teur spécial relativement aux personnes qui cher- chent à venir au Canada des Etats-Unis ou de Saint-Pierre-et-Miquelon, est réellement une enquête et que toutes les dispositions de l'article 26, y compris le paragraphe (4), sont applicables à ces personnes.
Tout en reconnaissant que la Commission d'ap- pel de l'immigration n'a pas commis une erreur de droit en se prononçant sur l'appel qui lui était soumis, en l'absence de preuve selon laquelle ce que l'appelante a reconnu avoir fait était un crime impliquant turpitude morale en vertu de la loi de son pays de résidence, dans lequel elle a reconnu avoir commis les crimes, je pense que, le Parle- ment ayant prévu en vertu de l'article 5k) une catégorie spéciale pour les personnes qui ont commis des actes en violation de la Loi sur les stupéfiants du Canada, l'enquêteur spécial et la Commission d'appel de l'immigration se sont tous deux trompés en omettant de considérer si les dispositions de l'article 5k) s'appliquaient; dans ce cas, ils n'auraient alors probablement pas eu à résoudre le problème embarrassant et controversé de savoir si les actes admis par l'appelante consti- tuaient un crime impliquant turpitude morale en vertu du paragraphe 5d) d'application plus générale.
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