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T-2347-74
La Reine (Requérante)
c.
John Wesley Bolton (Intimé)
et
T-3749-74
La Reine (Requérante)
c.
Horst Kohne et Barbara Mable Kohne (Intimés)
et
T-2351-74
La Reine (Requérante) c.
Edgar J. Doucet (Intimé) et
T-2356-74
La Reine (Requérante)
c.
Thomas A. Grayson (Intimé)
et
T-2346-74
La Reine (Requérante)
c.
Alfred Edinger et Dorothy Edinger (Intimés)
et
T-3683-74
La Reine (Requérante) c.
Gerald Timothy Miller et Marguerite Ritchie Miller (Intimés)
Division de première instance, le juge Decary— Vancouver, le 26 novembre 1974; Ottawa, le 14 janvier 1975.
Expropriation—Terrains dévolus à la Couronne—Anciens propriétaires parties à une convention encore en vigueur—Avis signifiés par la Couronne exigeant la possession des terrains— Invalidité des avis—Refus des mandats de prise de posses- sion—Loi sur l'expropriation, S.R.C. 1970, c. 16 (1er Supp.) art. 3, 12, 14, 15, 17, 24, 33 et 35—Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, App. III, art. 1.
Des terrains expropriés en prévision de l'expansion de l'aéro- port de Vancouver furent dévolus à la requérante le 2 mars 1973. Tous les intimés ont continué d'occuper lesdits terrains en vertu d'une convention d'occupation pour une période allant jusqu'au 31 juillet 1974. En juillet 1973 et en avril 1974, la Couronne signifia aux intimés des avis pour requérir la posses sion matérielle des terrains, puis demanda, par voie de requête, l'émission de mandats de prise de possession.
Arrêt: les requêtes sont rejetées, parce que les deux avis n'étaient pas conformes à la Loi sur l'expropriation. L'avis de juillet 1973, leur signifiant que la Couronne prendrait matériel- lement possession des terrains, était invalide parce qu'il n'indi- quait pas que la possession était «requise» aux termes de l'article 17(1)c)(i) de la Loi. En outre l'avis était contradictoire puisqu'il exigeait la possession matérielle des terrains au Zef novembre 1973 et offrait de laisser les lieux aux intimés jusqu'au 31 juillet 1974. L'avis d'avril 1974 déclarait à tort que la Couronne avait le droit de prendre matériellement possession des terrains puisque l'avis de juillet 1973 était invalide. L'avis, en mentionnant que la Couronne «requérait» les terrains, était conforme aux termes utilisés à l'article 17(1)c)(i). Mais en fait les terrains n'étaient pas «requis» à la date en cause, puisque la requérante ne pouvait obtenir des pouvoirs locaux les autorisa- tions nécessaires au commencement des travaux envisagés sur ces terrains. Les deux avis enlevaient toute signification aux droits des occupants à l'égard de l'assistance que le Ministre devait leur fournir pour leur relogement, conformément à l'arti- cle 24(5) et (6) de la Loi, ou portaient atteinte à ces droits. L'avocat des intimés insista sur le fait que l'on n'avait pas respecté le principe de l'application régulière de la loi parce que le Ministre ne les/ avait pas aidés à trouver un endroit de remplacement et avait mis fin aux négociations dès l'introduc- tion des actions intentées pour obtenir une indemnité supplé- mentaire. Il semblerait que la Loi sur l'expropriation a été utilisée pour supprimer les droits des intimés à l'égard de l'égalité devant la loi et de la jouissance de leurs biens, en violation de l'article 1 a) et b) de la Déclaration canadienne des droits.
REQUÊTE. AVOCATS:
R. Lutter pour la requérante. W. Johnstone pour les intimés.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la requérante.
Johnstone & Compagnie, Richmond, C.-B., pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE DECARY: Ces six requêtes visent l'émission d'un mandat, en conformité de l'article 35 de la Loi sur l'expropriation', permettant au ministre des Travaux publics de prendre matériel- lement possession des droits expropriés; ces requê- tes ont été entendues ensemble et les parties ont convenu que la preuve était commune à toutes les actions.
Conformément aux dispositions de la Loi sur l'expropriation, les droits expropriés avaient été dévolus sans réserve à Sa Majesté la Reine, requé- rante, le 2 mars 1973, date de l'enregistrement de l'avis de confirmation d'intention d'exproprier en conformité des dispositions de l'article 12(2) de ladite loi. Les intimés n'ont pas contesté la validité de l'expropriation, ce qui implique que l'intérêt public servi par cette expropriation était celui qu'indiquait l'avis d'intention d'exproprier, c'est-à- dire l'agrandissement de l'aéroport international de Vancouver.
Une offre d'indemnité fondée sur une évaluation écrite fut transmise à chacun des intimés, accom- pagnée de toutes les déclarations requises par l'ar- ticle 14(4) de la Loi. L'offre, dans chaque cas, fut acceptée. Aux termes de l'article 15 de la Loi, le plein montant de l'indemnité aurait être versé immédiatement après son acceptation, mais la preuve révèle que ce ne fut pas le cas et que plusieurs mois s'écoulèrent entre l'acceptation et le paiement.
Tous les intimés étaient parties à une convention prolongeant leur période d'occupation des lieux jusqu'à la fin du mois de juillet 1974, la condi tion, notamment, qu'ils paieraient les taxes et primes d'assurance afférentes à ces terrains.
Le 26 juillet 1973, les intimés reçurent un avis prétendument envoyé en conformité de l'article 17(1)c) de la Loi. Cette lettre se lit comme suit:
[TRADUCTION] Le 2 mars 1973, par expropriation, la Couronne a repris la propriété inconditionnelle des terrains décrits ci-des- sus, sur lesquels vous déteniez un droit en equity.
' S.R.C. 1970 (Pr Supp.) c. 16.
VOUS @TES AVISÉS PAR LES PRÉSENTES que la Couronne prendra matériellement possession des terrains décrits ci-dessus, en conformité de l'article 17(1)c) de la Loi sur l'expropriation, le 1e" novembre 1973 ou après cette date. Nous vous avisons en outre que vous pourrez occuper ces terrains après le 1" novem- bre et ce jusqu'au 31 juillet 1974, en exécution de la convention d'occupation que vous avez conclue avec Sa Majesté la Reine du chef du Canada.
L'article 17(1)c)(i) se lit comme suit:
17. (1) Nonobstant l'article 13, la Couronne n'a le droit de prendre matériellement possession et de faire usage de tout immeuble visé par un avis de confirmation, dans la mesure du droit exproprié, qu'à celui des moments suivants qui convient en l'espèce, savoir:
a) au moment de l'enregistrement de l'avis de confirmation, si à ce moment-là aucune autre personne qui était titulaire d'un droit sur l'immeuble immédiatement avant l'enregistre- ment de l'avis de confirmation n'occupe l'immeuble;
b) le cas échéant, au moment postérieur à l'enregistrement de l'avis de confirmation la possession matérielle ou l'usage de l'immeuble, dans la mesure du droit exproprié, est abandonné à la Couronne sans qu'un avis ait été envoyé en vertu de l'alinéa c) aux personnes indiquées dans cet alinéa; ou
c) dans tout autre cas, au moment, postérieur à l'enregistre- ment de l'avis de confirmation,
(i) le Ministre a envoyé à chacune des personnes qui paraissent avoir eu, au moment de l'enregistrement de l'avis de confirmation, un droit sur l'immeuble, dans la mesure il a été possible au procureur général du Canada d'en connaître l'existence, ou, lorsqu'une demande a été faite en vertu de l'article 16 et qu'il en a été disposé définitivement, à chacune des personnes au sujet desquelles on a décidé qu'elles avaient un droit sur cet immeuble immédiatement avant l'enregistrement de l'avis de confir mation, un avis portant que cette possession matérielle ou cet usage sont requis par la Couronne à compter de l'expiration de la période spécifiée dans l'avis et qui doit être d'au moins quatre-vingt-dix jours après l'envoi de l'avis à chacune de ces personnes, et, portant, ou bien que ce délai est expiré ou bien que cette possession matérielle ou cet usage ont été abandonnés à la Couronne avant l'expiration de ce délai, et ....
Compte tenu des dispositions de l'article 17(1)c)(i) de la Loi, je ne pense pas qu'il suffise à la requérante d'affirmer qu'elle prendra matériel- lement possession des terrains pour être en droit de le faire. Ces dispositions prévoient bien l'envoi d'un avis précisant que la possession matérielle est nécessaire. Les dispositions de l'article 3 de la Loi confèrent à la Couronne le pouvoir d'exproprier un droit réel immobilier dont elle a besoin ponr la réalisation d'un ouvrage public ou pour une autre fin d'intérêt public. La requérante ne peut procé- der à l'expropriation dans n'importe quel but, il faut qu'il s'agisse d'un ouvrage public ou d'une
autre fin d'intérêt public. Après l'enregistrement de l'avis de confirmation d'intention, la requérante devient propriétaire du droit exproprié, mais n'a pas pour autant le droit d'en prendre matérielle- ment possession. L'article 17(1) se lit en partie comme suit:
17. (1) Nonobstant l'article 13, la Couronne n'a le droit de prendre matériellement possession ... qu'à celui des moments suivants qui convient en l'espèce, savoir:
On peut déterminer la date à laquelle la Cou- ronne a le droit de prendre matériellement posses sion: c'est l'une des dates prévues auxdits articles. Puisqu'il y a occupation des lieux et qu'il n'y a aucun abandon du droit, les dates prévues aux alinéas a) et b) de l'article 17(1) ne s'appli- quent pas. En l'espèce, la requérante n'a le droit de prendre matériellement possession qu'à la date spécifiée au sous-alinéa (i) de l'article 17(1)c) qui se lit en partie comme suit:
17. (1) ... c) ...
(i) Le Ministre a envoyé ... un avis portant que cette possession matérielle ou cet usage sont requis par la Cou- ronne à compter de l'expiration de la période spécifiée dans l'avis et qui doit être d'au moins quatre-vingt-dix jours après l'envoi de l'avis à chacune de ces personnes, et....
Aux termes des dispositions de . l'article 17(1)c)(i), la requérante acquiert le droit de pren- dre matériellement possession à l'expiration de la période d'au moins 90 jours spécifiée dans l'avis, si cette possession matérielle est requise «à compter de l'expiration» de cette période. La possession matérielle ne doit être requise par la requérante moins de 90 jours après l'envoi de l'avis. Si la Loi précise que la Couronne peut prendre possession à l'expiration de la période spécifiée dans l'avis, elle ne peut en toute logique le faire auparavant.
A mon avis, pour être conforme aux dispositions de l'article 17(1)c)(i) de la Loi et donc valide, cet avis doit être précis.
L'avis en date du 26 juillet 1973 spécifie, entre autres, que:
[TRADUCTION]
a) la Couronne prendra possession matérielle des terrains décrits ci-dessus, conformément à l'article 17(1)c) de la Loi sur l'expropriation, le 1" novembre 1973 ou après cette date.
b) vous pourrez continuer à occuper les lieux après le 1" novembre, et ce, jusqu'au 31 juillet 1974, en exécution de la convention d'occupation que vous avez conclue avec Sa Majesté la Reine du chef du Canada.
J'estime que cet avis ne satisfait pas aux exigen- ces de l'article 17(1)c)(i): en effet, il n'indique pas que la possession matérielle est requise; il affirme seulement que la Couronne prendra possession matérielle des lieux le ter novembre 1973, ou après cette date, et que le destinataire de la lettre pourra continuer à occuper les lieux jusqu'au 31 juillet 1974.
Les mesures mentionnées dans cette lettre sont contradictoires: cette dernière indique en effet que la Couronne prendra matériellement possession des lieux le Z ef novembre 1973 ou après cette date, et offre de laisser les lieux aux occupants jusqu'au 31 juillet 1974. En d'autres termes, la possession matérielle requise ou non, ne se produira pas avant le l er août 1974.
Pour être valide, l'avis doit préciser que la pos session matérielle est requise et non qu'elle se produira avant d'être requise puisque, dans ce cas, la partie expropriée serait dépouillée du droit que lui confère l'article 17(1)c), de ne pas quitter les lieux avant que la possession matérielle ne soit requise, c'est-à-dire avant la date d'expiration de la période spécifiée dans l'avis. L'utilisation du terme «requis» empêche de considérer la possession matérielle comme une condition potestative dépen- dant entièrement du bon vouloir de la requérante.
En outre, une telle interprétation porterait non seulement atteinte au droit de ne pas évacuer les lieux avant que le droit ne soit requis, à l'expira- tion de la période spécifiée, mais enlèverait aussi toute signification aux dispositions de l'article 24(6) de la Loi aux termes duquel, pour détermi- ner la valeur du droit, it faut considérer soit la date du paiement de l'indemnité relative au droit soit la date la requérante a le droit de prendre matériellement possession du droit, et prendre de ces dates celle qui est antérieure à l'autre.
Les dispositions de l'article 24(6) se lisent comme suit:
24. (6) Lorsqu'un droit exproprié était, immédiatement avant l'enregistrement d'un avis de confirmation, utilisé par son titulaire aux fins de sa résidence et que la valeur de ce droit par ailleurs déterminée en vertu du présent article est inférieure au
montant minimum suffisant pour permettre au titulaire de se réinstaller,
a) soit au moment lui est fait le paiement d'une indem- nité relative au droit autrement qu'en conformité d'une offre à lui faite en vertu de l'article 14,
b) soit au moment la Couronne a eu le droit de prendre matériellement possession ou de faire usage de l'immeuble dans les limites du droit exproprié,
en prenant de ces deux dates celle qui est antérieure à l'autre, dans ou sur des lieux raisonnablement équivalant aux lieux expropriés, on doit ajouter à la valeur du droit par ailleurs déterminé en vertu du présent article le montant par lequel ce montant minimum dépasse cette valeur.
Après avoir rempli les conditions prévues à l'ar- ticle 17(1)c), la requérante a le droit de prendre possession matérielle; ensuite, elle peut effective- ment prendre matériellement possession, à l'expi- ration du délai en ayant recours à un mandat de prise de possession, selon les dispositions de l'arti- cle 35 de la Loi, si le propriétaire antérieur n'a pas évacué le droit exproprié.
L'avis en cause ne précise aucunement que le droit réel immobilier est requis à une date définie; au contraire, il y est même offert à l'occupant de rester dans les lieux. Cette offre implique qu'il ne peut y avoir possession matérielle avant la fin de la période d'occupation.
J'en conclus donc que cet avis ne donnait pas à la requérante le droit de prendre possession le ler novembre 1973 et encore moins d'exercer ce droit, qui ne peut l'être avant l'expiration de la période spécifiée dans un avis valide, conforme aux exigen- ces de l'article 17(1)c)(i) de la Loi.
Le 3 avril 1974, un document intitulé AVIS DE QUITTER LES LIEUX ET DEMANDE DE POSSES SION, fut envoyé aux intimés:
[TRADUCTION] Considérant que le titre de propriété sur les terrains et locaux susmentionnés a été dévolu à sa Majesté la Reine du chef du Canada et que Sa Majesté a ainsi le droit d'en prendre matériellement possession le 1" novembre 1973, et considérant que vous avez occupé les terrains et locaux grâce à une autorisation de Sa Majesté à compter de la date susmen- tionnée, selon les termes et conditions énoncés dans ladite convention d'occupation:
Sachez donc maintenant que:
1. Sa Majesté requiert la possession matérielle des terrains et des locaux le 1" août 1974;
2. Conformément aux termes de ladite convention d'occupa- tion, l'autorisation d'occuper les lieux expire le 1" août 1974; cette autorisation a effectivement pris fin à la date susmentionnée;
3. Nous vous demandons donc par les présentes d'évacuer les lieux et d'en céder la possession matérielle à Sa Majesté la Reine le 1°r août 1974.
A mon avis, l'affirmation du premier paragra- phe, selon laquelle la requérante «a le droit de prendre matériellement possession des terrains et locaux le l er novembre 1973» n'est pas justifiée. C'est seulement si l'avis en date du 26 juillet 1973 avait été valide, c'est-à-dire conforme aux disposi tions de l'article 17(1)c)(i), que la requérante aurait alors eu droit à la possession matérielle à compter du l er novembre 1973. En outre, compte tenu de la convention d'occupation, la requérante n'avait pas droit à possession matérielle sans envoyer un nouvel avis valide et conforme aux dispositions de l'article 17(1)c)(i) de la Loi.
En fait cet avis, en date du 3 avril 1974, affirme que:
a) la requérante requiert la possession maté- rielle au Z ef août 1974,
b) la convention d'occupation a pris fin le ler août 1974,
c) l'intimé cédera la possession matérielle le ler août 1974.
Si ce second avis était valide, la requérante aurait eu le droit de prendre matériellement pos session des terrains le 1 er août 1974 et, par la suite, si les intimés n'avaient pas évacué les lieux, de demander que soit émis un mandat de prise de possession en vertu de l'article 35 de la Loi.
Il nous faut donc examiner le sens des termes «requiert» dans l'avis et «requis» dans la Loi, aux articles 17(1)c)(i) et autres.
Dans la Loi, le terme «requis» est d'abord utilisé dans les articles fondamentaux: l'article 3, confé- rant à la Couronne le pouvoir d'exproprier, et l'article 4, prévoyant l'enregistrement d'un avis d'intention. Dans chaque cas, la version française rend «required» par «a besoin». A l'article 8(11), on utilise les termes «required» et «requis», pour la possession requise d'urgence; on utilise les mêmes termes à l'article 17(1)c)(i) et 17(2); et à l'article 35(1) les termes «required» et «nécessaire» pour le mandat de prise de possession.
Dans A New Dictionary on Historical Princi ples (1912) Oxford, volume VIII, le mot «require», «requérir», est défini comme suit:
... it requires, there is need for, it is necessary to have, bar: To be requisite or necessary.
Dans le Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, volume 1, on dit:
Avoir besoin de quelqu'un ou de quelque chose, en ressentir la nécessité ... .
Ibid. Volume VI:
requis, ise, p.p., adjectif.: Demandé, exigé comme nécessaire.
Je suis d'avis qu'aux articles susmentionnés de la Loi, les termes «required», «avoir besoin» et «requis» impliquent l'idée d'un besoin, d'une néces- sité (of a need, of a necessity). C'est le seul sens que je donne à l'article 17(1)c)(i) de la Loi compte tenu des articles examinés et du sens ordinaire de ces mots dans les dictionnaires.
Puisque «requis» signifie «nécessaire» ou «dont on a besoin», la validité d'un avis prétendument envoyé en conformité des dispositions de l'article 17(1)c) dépend de l'existence du besoin ou de la nécessité pour la requérante d'avoir le droit de prendre matériellement possession à l'expiration de la période spécifiée dans l'avis.
Deux faits évoqués en l'espèce méritent d'être mentionnés avant d'examiner cet avis: lorsqu'elle envoya l'avis en date du 3 avril, la requérante ne pouvait avoir accès au sable (qui était pourtant le sien), parce que la municipalité de Richmond n'avait pas relevé la charge limite permettant le transport du sable; en outre, même si elle y avait accès, la requérante devait attendre l'autorisation d'Environnement Canada pour draguer la rivière.
Telle que définie à l'article 33 de la Loi, «date de la possession» signifie «le jour la Couronne a obtenu le droit de prendre matériellement posses sion ou de faire usage de l'immeuble visé par l'avis de confirmation»; la requérante n'avait donc pas le droit de prendre possession le Z ef août 1974 parce que, dans l'impossibilité de répondre légitimement aux besoins, si besoins il y avait, elle ne pouvait exercer ce droit. La requérante ne pouvait trans porter le sable sans l'autorisation de la municipa- lité de Richmond et ne pouvait draguer la rivière sans le consentement d'Environnement Canada. Il me répugne de penser que la requérante puisse répondre à un besoin résultant d'un droit qu'elle ne peut légitimement exercer. J'estime qu'il est plus
raisonnable d'interpréter l'article 17(1)c)(i) de manière à ce que le besoin en cause, la possession matérielle des terrains, ne puisse être satisfait que lorsqu'on peut, utiliser légitimement les terrains aux fins pour lesquelles ils ont été expropriés.
Une autre question embarrassante fut soulevée lors de cette longue audience: l'ensemble du projet d'expansion de l'aéroport et de construction d'une seconde piste d'atterrissage parallèle dépend de la décision qui sera rendue sur l'étude en cours des effets écologiques de l'expansion de l'aéroport international de Vancouver. Le comité qui s'en occupe a déjà coûté $1,000,000.
D'autre part, le ramassage du sable en dehors de l'île Sea coûtera cette année environ $120,000 de plus qu'il n'aurait coûté si le sable avait été prélevé sur les réserves appartenant à la requérante.
La requérante a apporté la preuve qu'elle avait besoin du sable du lieu-dit MacDonald, sur l'île Sea, quelle que soit l'issue du projet, mais il n'en reste pas moins que l'on ne peut répondre aux besoins en sable sans l'autorisation de la municipa- lité et qu'on ne peut procéder au dragage sans. l'autorisation d'Environnement Canada.
Je ne peux croire qu'aux fins de la Loi, une chose ne pouvant être utilisée légitimement puisse être requise avant que son utilisation devienne légitime.
La définition de la «date de possession» à l'arti- cle 33, ainsi que sa détermination à l'article 17(1)c)(i), savoir, la date d'expiration de cette période, sont très importantes, parce qu'il s'agit d'une des deux dates auxquelles peut être établie la valeur de l'indemnité prévue à l'article 24(6) de la Loi, selon le concept de la réinstallation équivalente.
Interpréter les dispositions de l'article 17(1)c)(i), comme l'avocat de la requérante vou- drait que nous le fassions, signifierait que la date à laquelle elle a droit à la possession matérielle dépend totalement de son bon vouloir puisqu'elle peut envoyer un avis lorsqu'il lui plaît, sans démontrer qu'il existe un besoin et ainsi mettre en échec, à toutes fins pratiques, le but même de l'article 24(6) de la Loi, qui consiste à donner une
indemnité additionnelle juste selon le concept de la réinstallation équivalente.
En se référant à la Déclaration canadienne des droits, le savant avocat des intimés a insisté sur le fait qu'en l'espèce, on n'avait pas respecté le prin- cipe de l'application régulière de la loi; en effet le Ministre n'avait pas suffisamment contribué aux recherches d'un endroit de remplacement et avait mis fin aux négociations dès l'introduction de ces actions dont le but est d'obtenir une indemnité supplémentaire.
A mon avis, pour que l'article 24(5) garde son sens, il faut considérer que le Ministre doit fournir cette assistance qui, sinon, dépendrait de son bon vouloir. Le paragraphe 5 de l'article 24 se lit comme suit:
(5) Aux fins des sous-alinéas (3)b)(ii) et (4)b)(ii), on doit tenir compte du moment auquel et des circonstances dans lesquelles un titulaire a été autorisé à conserver l'occupation de l'immeuble après que la Couronne a acquis le droit d'en prendre matériellement possession ou d'en faire usage ainsi que de toute assistance fournie par le Ministre pour permettre à ce titulaire de chercher et d'obtenir des lieux de remplacement.
D'après la preuve, l'assistance donnée ne fut d'aucune valeur.
L'introduction d'une action n'empêche pas la continuation des négociations. La rupture des négociations ne se justifie pas, car l'article 14(4) prévoit clairement que l'acceptation de l'offre se fait sans préjudice du droit de réclamer une indemnité supplémentaire. Les intimés avaient donc le droit de le faire. Ils avaient le droit de réclamer des indemnités supplémentaires et la requérante n'aurait pas agir de manière à faire raisonnablement croire, en mettant fin aux négo- ciations, que les intimés devaient rapidement arri- ver à un règlement ou quitter les lieux. J'ai eu l'occasion de considérer les témoignages de chacun des intimés et la justice naturelle m'interdit de penser qu'ils ont agi de mauvaise foi en intentant une action en vue d'obtenir une indemnité supplé- mentaire ou en refusant de quitter les lieux. De fait, les intimés ont subi un préjudice et ils ont exercé les recours dont ils disposaient au mieux de leurs capacités: personne ne peut condamner une telle action.
Il est difficile de déterminer la valeur de l'assis- tance fournie, mais il est facile de se rendre compte que la rupture des négociations le jour
même du dépôt des demandes d'indemnités supplé- mentaires peut constituer des représailles injusti- fiées. Si tel est le cas, la Loi sur l'expropriation a été utilisée pour supprimer, restreindre ou violer les droits des intimés non seulement à l'égard de l'égalité devant la loi, mais aussi à l'égard de la jouissance de leurs biens.
A l'audience, l'avocat des intimés souhaitait pro- duire certains éléments de preuve pour montrer que la procédure suivie à Vancouver différait de celle suivie à Mirabel et à Pickering, mais l'avocat de la requérante s'y opposa si fortement qu'aucun de ces éléments de preuve ne fut soumis. J'estime pour ma part que l'avocat de la requérante aurait permettre que certains de ces faits soient admis en preuve afin de ne laisser aucun doute sur les différences possibles entre le traitement des inti- més et celui des parties expropriées à Mirabel et à Pickering. La Loi sur l'expropriation doit être appliquée de la même manière dans tout le pays, quel que soit le nombre de personnes touchées par l'expropriation.
La requérante n'a pas démontré qu'elle avait besoin de prendre matériellement possession des terrains le Z ef novembre 1974, car même si elle avait pu le démontrer, elle n'aurait pu procéder au transport du sable nécessaire sans l'autorisation de la municipalité de Richmond, ni au dragage sans celle d'Environnement ' Canada; en outre, si un besoin pouvait être reconnu avant qu'il ne puisse être légitimement satisfait, la requérante pourrait alors à sa convenance annihiler les dispositions de l'article 24(6) de la Loi. Un tel résultat n'est pas compatible avec l'objet ou le but de la Loi.
Les requêtes sont rejetées avec dépens payables par la requérante et chacun des intimés a droit à ses dépens, soit un sixième du total.
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