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T-2803-74
The Pas Merchants Ltd. (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance—Le juge sup pléant Bastin —Winnipeg, les 5 et 9 septembre 1974.
Compétence—Demande de radiation de la déclaration au motif qu'il n'existe aucune cause d'action—Terres d'une réserve indienne—Construction d'un centre commercial par la Couronne—Entreprise échappant aux pouvoirs de régle- mentation et de taxation provinciaux—La demanderesse n'a pas qualité pour intenter l'action—La demanderesse n'a aucun intérêt dans les autres questions soulevées—Radiation de la déclaration—Traité 5 sur les Indiens—Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, c. I-6, art. 18(2)—Acte de l'Amérique du Nord britannique, art. 92.
La Couronne défenderesse a proposé de financer la cons truction d'un centre commercial sur une réserve indienne. La compagnie demanderesse s'est opposée à ce projet, en faisant valoir que les installations commerciales existant dans la région étaient suffisantes; que la construction d'un centre commercial était contraire à l'intérêt public; que, par ailleurs, elle contrevenait au traité 5 et à la Loi sur les Indiens. La défenderesse a demandé la radiation de la déclaration.
Arrêt: la demande est accueillie, il appartenait au pouvoir exécutif de trancher la question de l'intérêt public; le traité sur les indiens ne conférait aucun droit, sauf aux parties concernées; l'article 18(2) de la Loi sur les Indiens donnait compétence au Ministre pour utiliser les terres d'une réserve, avec le consentement du conseil de la bande, pour tout objet profitable à la bande. Aucune demande en dom- mages-intérêts n'a été présentée. Une question de droit, non débattue, consistait à savoir si le gouvernement canadien, en vertu de son pouvoir de légiférer sur les affaires indiennes avait le droit d'utiliser des terres réservées à l'usage des Indiens pour exploiter une entreprise commerciale, ces terres échappant aux pouvoirs de réglementation et de taxa tion que l'article 92 de l'Acte de l'Amérique du Nord britan- nique accorde à la province. Toutefois, la demanderesse n'a aucun intérêt dans l'affaire et n'a pas qualité pour intenter une action. La déclaration est donc radiée, sous réserve du droit d'action des personnes qui pourraient faire valoir qu'el- les ont été lésées par cette réalisation.
DEMANDE. AVOCATS:
Donald Maclver pour la demanderesse.
S. Froomkin et B. Meroneck pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Udow, Maclver & Associés, Winnipeg, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés par
LE JUGE SUPPLÉANT BASTIN: Il s'agit d'une demande visant à obtenir la radiation de la déclaration au motif qu'elle ne révèle aucune cause d'action. On présume, aux fins d'une requête de ce genre, que les allégations conte- nues dans la déclaration sont vraies. En bref, elles montrent que la défenderesse a annoncé son intention de financer la construction d'un centre commercial sur la réserve indienne à Le Pas et de louer les surfaces du centre commer cial à un certain nombre de commerces. La demanderesse allègue que les installations com- merciales existant à Le Pas sont suffisantes et que sa construction ne serait d'aucun intérêt public. La demanderesse fait valoir également que le traité 5 conclu en 1875 entre le gou- vernement du Canada et certains Indiens Saul- teaux et Maskégons (Swampy Cree Indians) res- treint l'utilisation des terres de cette réserve à l'agriculture et que les terres d'une réserve ne peuvent être vendues, aliénées ni louées ou qu'il ne doit en être autrement disposé que si elles ont été cédées à la Couronne par la bande d'Indiens.
La demanderesse, une compagnie du Mani- toba dont les dirigeants et les actionnaires sont censés être des habitants et des commerçants de la ville de Le Pas, cherche à obtenir une déci- sion de la Cour selon laquelle les prétendues initiatives de la défenderesse visant à promou- voir et à financer la construction d'un centre commercial sur des terres faisant partie de la réserve indienne sont d'abord contraires au traité 5, qu'elles sont également contraire aux dispositions de la Loi sur les Indiens et qu'elles sont enfin contraires à l'intérêt public.
Selon moi, l'initiative de la défenderesse de créer un centre commercial sur cette réserve indienne soulève effectivement un point de droit
qui, toutefois, n'était pas énoncé dans la décla- ration. Les autres points peuvent être tranchés facilement.
En ce qui concerne le traité 5, il s'agissait d'un accord conclu entre le gouvernement cana- dien et les tribus indiennes en question. Suivant le principe des rapports contractuels, cet accord ne confère aucun droit et n'impose aucune obli gation à une personne qui n'y est pas partie. Il s'ensuit que son interprétation et son exécution ne concernent que les parties à l'accord et que la demanderesse n'est pas habilitée à en faire appliquer les dispositions.
Pour ce qui est de la Loi sur les Indiens, elle a été adoptée afin de permettre au gouvernement canadien de s'acquitter de ses obligations vis-à- vis des autochtones du pays. Il ne s'agit pas d'une loi d'intérêt public à l'avantage de tous les citoyens; elle ne confère aucun droit aux citoyens canadiens si ce n'est aux Indiens. Puis- que cette loi ne confère aucun droit particulier à la demanderesse, qu'elle n'a pas été adoptée dans le but de la protéger et qu'elle ne crée aucun droit d'intérêt public, il s'ensuit que la demanderesse ne peut soutenir une action qui dérogerait aux dispositions de cette loi. Je dois ajouter que l'article 18(2) de la Loi sur les Indiens donne compétence au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien pour utiliser les terres dans une réserve avec le con- sentement du conseil de la bande pour tout objet concernant le bien-être général de la bande. C'est probablement sur cette disposition qu'on s'appuie pour justifier un tel projet.
Quant à la plainte selon laquelle les initiatives de la défenderesse relatives au centre commer cial sont contraires à l'intérêt public, c'est une question relevant de la discrétion du pouvoir exécutif que la Cour ne peut examiner.
La déclaration présente un autre point faible dans la mesure elle n'allègue pas que la demanderesse est menacée de subir des domma- ges par suite des initiatives de la défenderesse et, en fait, il est impossible de voir comment cette compagnie peut être affectée d'une manière quelconque par la construction de ce centre commercial. Sans doute, les marchands exploitant un commerce à Le Pas peuvent-ils
subir un préjudice résultant de cette réalisation, mais le fait qu'ils soient actionnaires de la demanderesse ne peut affecter les intérêts de cette compagnie.
Le point de droit soulevé par les initiatives de la défenderesse consiste à déterminer si le gou- vernement canadien, en vertu de son pouvoir de légiférer sur les «Indiens» aux termes de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique a le droit d'utiliser des terres réservées à l'usage des Indiens pour exploiter une entreprise commer- ciale, telle qu'un centre commercial, échappant aux pouvoirs de réglementation et de taxation que l'article 92 accorde à la province du Mani- toba. Dans une requête de ce genre, la Cour a le pouvoir d'autoriser la demanderesse à remédier à une lacune dans la déclaration au moyen d'un amendement, mais dans le cas présent cela n'est pas possible, car la demanderesse n'a aucun intérêt dans l'affaire et n'a pas qualité pour intenter une action. La question pouvait être soulevée dans une action type introduite par un ou plusieurs demandeurs qui pourraient faire valoir qu'ils ont été lésés par cette réalisation. La question de savoir si ce point pourrait être soulevé avec succès est, bien sûr, une toute autre affaire. Dans les circonstances, j'ordonne de radier la déclaration avec dépens. Il est loisi- ble aux personnes qui sont représentées par la demanderesse nommée dans cette déclaration d'intenter une autre action si elles le jugent utile.
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