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A-130-73
Fred Juster (Appelant)
c.
La Reine (Intimée)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge Pratte et le juge suppléant Hyde—Montréal, les 10 et 22 septembre 1974.
Impôt sur le revenu—«Agriculture»—Contribuable s'occu- pant de courses de chevaux dans l'espoir de réaliser un profit—Entrepreneurs indépendants assurant l'entretien et l'entraînement des chevaux—Contribuable «entretenant des chevaux de course»—Limitation du montant des pertes subies—Loi de l'impôt sur le revenu, art. 13, 42 et 139(1)p)—Loi sur les langues officielles, S.R.C. 1970, c. 0-2, art. 8(2)a).
Il était bien établi que le revenu de l'appelant ne provenait principalement «ni de l'agriculture ni d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source» au sens de l'article 13(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le Ministre a fondé ses cotisations pour les années d'imposition 1965 à 1968 sur le fait que l'appelant, s'occupant en tant qu'associé de faire courir des chevaux dans l'espoir de réaliser un profit, «entretenait des chevaux de course» au sens de la définition du mot «agriculture» donnée à l'article 139(1)p) de la Loi de l'impôt sur le revenu, de façon à pouvoir limiter le montant des pertes en vertu de l'article 13(1). L'appelant a prétendu que «l'entretien de chevaux de course» était assuré non pas par lui, mais par des entrepreneurs indépendants qui, pour le compte de petits exploitants comme lui, entretenaient et entraînaient les chevaux entre les courses. La Commission de révision de l'impôt a annulé les cotisations établies par le Ministre et la Division de première instance les a rétablies. Le contribuable a fait appel.
Arrêt: l'appel est rejeté; d'après la définition du mot «agriculture» donnée dans la version anglaise de l'article 139(1)p), et en s'appuyant sur les buts apparents de l'article 13 (contrôle de la déduction de pertes demandée par les «gentlemen-farmers») et de l'article 42 (établissement d'une moyenne des pertes subies par les fermiers), les mots «entretien de chevaux de course» visent non seulement l'exploitation d'une écurie de course, mais aussi des activités moins nobles consistant à faire courir des chevaux lorsque l'exploitant ne possède pas sa propre écurie, ses enclos et son personnel et qu'il confie par contrat le soin et l'entraîne- ment effectifs de ses chevaux. Compte tenu à la fois des versions anglaise et française, conformément à la Loi sur les langues officielles, on doit donner aux mots utilisés dans la définition d'«agriculture» le sens plus large plutôt que plus restreint indiqué précédemment.
APPEL en matière d'impôt sur le revenu. AVOCATS:
Stephen S. Heller pour l'appelant. Jean Potvin pour l'intimée.
PROCUREURS:
Martineau, Walker, Allison, Beaulieu, Phelan & Mackell, Montréal, pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit d'un appel d'une décision de la Division de première instance dans lequel le seul point réellement soulevé au cours des débats porte sur le sens du mot «agriculture» dont la définition donnée à l'article 139(1) de la Loi de l'impôt sur le reve- nu' se lit comme suit:
p) «agriculture» comprend la culture du sol, l'élevage ou l'exposition d'animaux de ferme, l'entretien de chevaux de course, l'élevage de la volaille, l'élevage des animaux à fourrure, la production laitière, la fructiculture et l'apicul- ture, mais ne comprend pas une charge ou un emploi auprès d'une personne se livrant à une entreprise agricole;
Plus particulièrement, si on reconnaît qu'on y décrit une entreprise et, par conséquent, une activité lucrative quelconque, la seule question à trancher en cette cour est celle de savoir si les mots «entretien de chevaux de course», pris dans le contexte de cette définition visent:
a) l'entreprise consistant à posséder des che- vaux «de course», ce qui impliquerait au minimum
(i) de faire courir ces chevaux,
(ii) d'entretenir les chevaux, y compris de les entraîner lorsqu'ils ne courent pas, et
(iii) d'encaisser le produit des courses, 2 ou
b) l'entreprise consistant à entretenir, contre rémunération, des chevaux de course apparte- nant à d'autres personnes.
Le problème se pose en raison du fait que, tandis que la société, dont l'appelant était membre, et des petits exploitants du même genre s'employaient à faire courir des chevaux dans l'espoir de réaliser un profit provenant
' S.R.C. 1952, c. 148.
2 Dans les circonstances de l'espèce, cela comprendrait sans doute également l'achat et la vente d'une partie, si ce n'est de la totalité, des chevaux utilisés pour les courses, moyennant une contrepartie.
ces courses, c'était des entrepreneurs indépen- dants qui, moyennant une rémunération journa- lière pour chaque cheval, assuraient l'entretien et l'entraînement de leurs chevaux entre les courses; et l'appelant déclare que cet entrepre neur indépendant exploitait, et que le petit exploitant n'exploitait pas une entreprise d'«en- tretien de chevaux de course», de sorte que c'est l'entrepreneur indépendant et non le petit exploitant de courses, qui exploite une entre- prise relevant de l'«agriculture» au sens de la définition donnée dans la Loi. Si la prétention de l'appelant est fondée, l'article 13 de la Loi de l'impôt sur le revenu ne lui est pas applicable et l'appel est accueilli. Dans le cas contraire, l'arti- cle 13 lui est applicable et l'appel est rejeté.
Si l'on se contentait d'examiner la définition du mot «agriculture» donnée dans la version anglaise de la Loi, il apparaîtrait clairement, selon moi, qu'on désirait appliquer les mots «entretien de chevaux de course» non seule- ment à ce qu'on pense habituellement quand il s'agit de l'exploitation d'une écurie de course, mais aussi aux activités moins nobles consistant à faire courir des chevaux dans l'hypothèse l'exploitant ne possède pas sa propre écurie, ses enclos et soir personnel de «palefreniers» et d'entraîneurs et qu'il confie par contrat le soin et l'entraînement effectifs de ses chevaux. Cela semblerait découler du contexte de la définition dans laquelle des expressions telles que «culture du sol», «élevage de la volaille» et «apiculture» sont manifestement utilisées, dans chaque cas, pour se rapporter à toute la gamme des opéra- tions constituant la catégorie particulière de l'entreprise décrite de façon succincte par les mots généralement utilisés pour la décrire.
Cette façon de voir la question semblerait être renforcée par le fait que les buts apparents de l'article 13 (contrôle de la déduction des pertes effectuée par les «gentlemen-farmers») et de l'article 42 (établissement d'une moyenne des pertes subies par les fermiers), les deux articles de la Loi de l'impôt sur le revenu «agricul- ture» est un mot clé, sembleraient s'appliquer particulièrement à une entreprise de «courses» mais non à une entreprise consistant à entretenir des chevaux contre rémunération, peu importe
si ces chevaux sont utilisés uniquement pour des «courses» ou s'ils sont utilisés à d'autres fins telles que l'équitation, le saut, les exposi tions, etc.
Pour les motifs énoncés précédemment je souscris donc au jugement rendu par le savant juge de première instance sur les seuls argu ments qui semblent lui avoir été soumis.
Toutefois, un argument supplémentaire a fait l'objet d'un débat devant cette cour, savoir, lorsque la définition du mot «agriculture» donnée dans la version française de la Loi, qui fait «pareillement autorité», est débattue, on doit admettre le sens le plus restreint applicable à la définition.
La version française du mot «agriculture» se lit comme suit:
p) «agriculture» comprend la culture du sol, l'élevage ou l'exposition d'animaux de ferme, l'entretien de chevaux de course, l'élevage de la volaille, l'élevage des animaux à fourrure, la production laitière, la fructiculture et l'apicul- ture, mais ne comprend pas une charge ou un emploi auprès d'une personne se livrant à une entreprise agricole;
On constate que les mots qui correspondent à «maintaining of horses for racing» sont «l'entre- tien de chevaux de course» qui, traduits libre- ment en anglais, signifient «care of race horses» et qui ne sont pas susceptibles de tous les diffé- rents sens des mots anglais auxquels peut être attribuée l'idée d'«avoir ou entretenir» des che- vaux «pour les faire courir», mais qui indiquent assez directement ce que fait l'entrepreneur indépendant dans ce cas, à savoir prendre soin des «chevaux de course» et les garder en bonne forme.
En vertu de la Loi sur les langues officielles, S.R.C. 1970, c. O-2, nous avons l'obligation, en de telles circonstances, d'examiner les deux ver sions «afin de donner ... le même effet au texte législatif en tout lieu du Canada» (article 8(2)a) S.R.C. 1970, c. O-2).
Compte tenu de l'économie générale du texte de loi, je suis parvenu à la conclusion, non sans avoir des doutes considérables, que les mots, tant dans la version anglaise que dans la version française, doivent s'entendre dans le sens plus large plutôt que dans le sens plus restreint indi- qué précédemment. La définition du mot «agri-
culture» a adopté de courtes «formules» afin d'indiquer différentes catégories d'opérations. La plupart des «formules» adoptées étaient des expressions bien connues indiquant des catégo- ries précises d'activités. Pour l'opération parti- culière qui nous est soumise, il n'existait appa- remment aucune formule bien connue suffisamment large pour englober tout ce que le Parlement avait à l'esprit. Il se peut que ni la version anglaise ni la version française adoptées dans la définition ne soient les meilleures pour décrire l'intention du législateur telle que je la conçois. En reconnaissant toutefois qu'on essayait de créer une formule et en ayant à l'esprit les objectifs posés par les articles 13 et 42, ce que nous sommes tenus de faire en vertu de l'article 11 de la Loi sur l'interprétation, il me semble que le Parlement essayait de décrire l'entreprise de l'homme d'affaires se livrant aux «courses» plutôt que les opérations plus réguliè- res de l'homme d'affaires qui fournit habituelle- ment un service contre rémunération. Selon moi, dans le dernier cas, ce n'est pas pour le même motif qu'on limite ce qui est déductible au titre des pertes ou qu'on permet «l'établisse- ment d'une moyenne» des sources de revenus sur une période de plusieurs années.
J'aimerais également ajouter que je souscris aux motifs prononcés par mon collègue le juge Pratte qui, selon moi, sont tout à fait conformes aux opinions que j'ai exprimées.
Par conséquent, je conclus que l'appel doit être rejeté avec dépens.
LE JUGE SUPPLÉANT HYDE: J'y souscris.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés par
LE JUGE PRATTE: Il s'agit d'un appel interjeté d'un jugement de la Division de première ins tance annulant une décision de la Commission de révision de l'impôt et rétablissant les cotisa- tions à l'impôt sur le revenu de l'appelant éta- blies par le ministre du Revenu national pour les années d'imposition 1965, 1966, 1967 et 1968. Ces cotisations ont été établies sur le fondement que l'article 13 de la Loi de l'impôt sur le revenu
empêchait l'appelant de déduire dans le calcul de son revenu, pour lesdites années, la totalité des pertes qu'il avait subies en tant qu'associé de la société «Fleur de Lys Stable Reg'd.».
Il est bien établi que le revenu de l'appelant ne provenait principalement «ni de l'agriculture ni d'une combinaison de l'agriculture et de quel- que autre source». La seule question soulevée par cet appel porte sur la nature de l'entreprise exploitée par la société «Fleur de Lys Stable Reg'd.». Si cette entreprise avait trait à l'«agri- culture» les cotisations ont été dûment établies et l'appel doit être rejeté; dans le cas contraire, l'appel doit être accueilli parce qu'alors, l'article 13 ne s'appliquait pas à l'appelant.
L'article 139(1)p) comporte une définition du mot «agriculture»:
139. (1) Dans la présente loi,
p) «agriculture» comprend la culture du sol, l'élevage ou l'exposition d'animaux de ferme, l'entretien de chevaux de course, l'élevage de la volaille, l'élevage des animaux à fourrure, la production laitière, la fructiculture et l'apicul- ture, mais ne comprend pas une charge ou un emploi auprès d'une personne se livrant à une entreprise agricole;
La preuve indique clairement qu'entre 1965 et 1968 la société «Fleur de Lys Stable Reg'd» a exploité une entreprise consistant à acheter, vendre et faire courir des chevaux de course. La preuve révèle également que, ne possédant aucun terrain ni aucune écurie, la société con- fiait ses chevaux de course à un entrepreneur indépendant qui, moyennant une rémunération journalière, les prenait en pension et en prenait soin.
Le juge de première instance a constaté qu'une partie intégrante de l'entreprise de la société consistait à entretenir des chevaux de course et, pour ce motif, il a conclu que l'entre- prise de la société entrait dans le cadre de la définition du mot «agriculture» donnée à l'arti- cle 139(1)p).
A l'audition de l'appel, l'avocat de l'appelant n'a pas véritablement contesté la conclusion du juge de première instance selon laquelle la société avait entretenu ses chevaux dans le but de les faire courir. Sa prétention principale, la seule qui mérite considération, portait que le juge de première instance avait commis une
erreur de droit en déduisant que la société, du fait qu'elle était propriétaire de chevaux qu'elle entretenait dans le but de les faire courir, se livrait à l'«agriculture». Selon l'avocat, lorsque la Loi de l'impôt sur le revenu définit le mot «agriculture», elle vise une source de revenu. Il s'ensuit, d'après lui, que les différentes activités dont il est fait mention dans la définition doi- vent être considérées comme des sources de revenu. L'avocat a fait valoir que si on lit la définition relevée à l'article 139(1)p) à la lumière de ces considérations, il devient évident que l'expression «entretien de chevaux de course» ne se rapporte pas à l'activité d'une personne qui entretient des chevaux de course dans le but de les faire courir, mais qu'elle se rapporte exclusivement à l'activité d'un entre preneur indépendant qui, moyennant une rému- nération, prend soin de chevaux de course appartenant à d'autres personnes, puisque que c'est uniquement dans ce dernier cas que l'en- tretien des chevaux peut constituer une source de revenu.
Cet argument, tout logique qu'il puisse paraî- tre, perd toute sa valeur, selon moi, lorsqu'on examine l'objet de la définition relevée à l'arti- cle 139(1)p) et lorsqu'on lit l'expression «entre- tien de chevaux de course» dans le contexte de sa définition. D'après moi, il devient clair que cette expression se rapporte à l'entreprise con- sistant à posséder des chevaux de course et non pas à celle qui consiste à entretenir, moyennant une rémunération, des chevaux de course appar- tenant à d'autres personnes.
La définition du mot «agriculture» a pour objet de délimiter le champ d'application des articles de la Loi qui contiennent des règles relatives à l'agriculture, à savoir les articles 13 et 42. L'article 13 limite le montant que le contribuable peut soustraire de son revenu au titre des pertes qu'il a subies à la suite de l'exercice d'activités agricoles, comme source secondaire de revenu. Il semble raisonnable d'appliquer cette disposition à la personne qui possède des chevaux de course, qu'elle appar- tienne ou non à la catégorie de personnes qu'on qualifie parfois de «gentleman-farmer»; il ne semblerait toutefois y avoir aucune raison d'ap- pliquer cette disposition à la personne qui,
comme source secondaire de revenu, exploite une entreprise distincte consistant exclusive- ment à surveiller des chevaux moyennant une rémunération. En vertu de l'article 42, un con- tribuable dont le revenu provient principalement de l'agriculture ou de la pêche a le privilège d'établir la moyenne de son revenu sur une période de cinq années au lieu de payer l'impôt sur une base annuelle comme les autres contri- buables. Il semble sage d'étendre ce privilège à la personne dont le revenu provient principale- ment de la possession de chevaux de course; il ne semblerait exister aucun motif d'étendre ce privilège au contribuable dont la principale source de revenu consiste à prendre des che- vaux en pension moyennant une rémunération. Si l'expression «entretien de chevaux de course» avait le sens restreint avancé par l'ap- pelant, les articles 13 et 42 s'appliqueraient, selon moi, à des situations que ces articles n'étaient de toute évidence pas censés recouvrir et ils ne s'appliqueraient pas à d'autres situa tions qu'ils étaient probablement destinés à réglementer.
Il n'en demeure pas moins, toutefois, que l'expression «entretien de chevaux de course» (de même que sa contrepartie anglaise mainte nance of horses for racing) n'est pas la meilleure pour décrire l'entreprise de la personne qui entretient ou possède des chevaux de course. Cette anomalie, toutefois, s'explique facilement si on lit cette expression dans son contexte. La définition du mot «agriculture» contient une énumération des différentes expressions dési- gnant des activités d'entreprises. La plupart de ces expressions, telles que «élevage d'animaux de ferme», «élevage de la volaille», «la fructi- culture», «l'apiculture», désignent dans leur sens littéral des activités qui ne sont pas des sources de revenu, si ce n'est comme élément d'une activité lucrative. L'emploi de ces expres sions dans la définition ne crée, dans la plupart des cas, aucune difficulté car nombre d'entre elles sont bien connues et sont utilisées dans le langage de tous les jours pour désigner des types d'entreprises dans lesquelles les activités mentionnées jouent un rôle prédominant. L'en- treprise consistant à posséder des chevaux de course, à les entretenir, à les entraîner, à les faire courrir et à encaisser les gains n'est peut
être pas aussi courante que «l'élevage d'ani- maux de ferme» et, pour cette raison, il se peut que la formule employée pour la décrire ne soit pas une expression aussi bien connue dans le monde des courses que le sont, dans leurs sphè- res respectives, les expressions employées pour qualifier les autres types d'entreprises mention- nés dans la définition.
Pour ces motifs je rejette l'appel avec dépens.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT HYDE: J'y souscris.
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