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A-218-73
La Reine (Défenderesse- Appelante) c.
Transworld Shipping Ltd. (Demanderesse-Inti- mée)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge Thurlow et le juge suppléant Hyde—Montréal, le 6 mai; Ottawa, le 30 juin 1975.
Couronne—Contrats—A la suite d'un appel d'offres, l'ap- pelante accepte la soumission de l'intimée—L'appelante modi- fie les conditions et ne signe pas la charte-partie de l'intimée— La bivision de première instance accorde des dommages-inté- rêts—Appel—Loi sur le ministère des Transports, S.R.C. 1970, c. T-15, art. 3, 15—Acte de l'Amérique du Nord britan- nique, 1867, art. 106—Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, c. F-10, art. 25, 33, 34—Loi sur la Cour fédé- rale, art. 57(3)—Règles 408, 409 de la Cour fédérale—Règle- ment sur les marchés de l'État, art. 6, 14, 15.
L'appelante a fait un appel d'offres pour l'affrètement de «navires battant pavillon du Commonwealth», et a accepté la soumission de l'intimée.. Mais, lorsque la charte-partie a été envoyée à l'appelante pour signature, celle-ci fit savoir à l'inti- mée qu'elle ne serait pas signée, parce que l'on exigeait alors des «navires battant pavillon canadien». La Division de première instance accorda des dommages-intérêts pour rupture de contrat.
Arrêt: l'appel est rejeté; l'argument selon lequel aucun con- trat ne s'était formé au moment de l'acceptation de l'offre, est sans fondement. Dès l'acceptation, chaque partie était liée. Il y avait un contrat valable en vue d'une charte-partie que l'appe- lante a résilié par violation anticipée. Les autres moyens de l'appelante, quoique fondés sur des faits qui n'ont pas été débattus en première instance, ne sont pas non plus fondés. (1) Lorsque la Couronne n'a pas soutenu que l'autorisation néces- saire du conseil du Trésor n'avait pas été obtenue, on doit présumer qu'elle l'a été. A moins que le Règlement sur les marchés de l'État ne contienne une disposition spéciale préci- sant qu'aucun contrat portant sur un montant supérieur à celui prescrit par le règlement «n'aura vigueur ou effet» sauf s'il est autorisé, il est douteux qu'un tel défaut vicie un contrat par ailleurs valable. (2) L'article 15 de la Loi sur le ministère des Transports ne s'applique qu'aux contrats écrits, et il n'a pas été établi que le fonctionnaire qui a accepté l'offre n'était pas «une personne spécialement autorisée»; cette autorisation ne peut, en vertu de l'article 15, être contestée que par le Ministre ou par une personne agissant en son nom ou au nom de la Couronne. Une telle contestation est ici tardive.
Arrêts appliqués: La Reine c. Murray [1965] R.C.É. 663, [1967] R.C.S. 262; Le Roi c. Vancouver Lumber Company (1920) 50 D.L.R. 6; Mackay c. Le procureur général de la Colombie-Britannique [1922] 1 A.C. 457; St. Ann's Island Shooting and Fishing Club Ltd. c. Le Roi [ 1949] 2 D.L.R. 17 (C.É.), [1950] R.C.S. 211; La Reine c. Hender- son (1898) 28 R.C.S. 425; Dominion Building Corpora tion c. Le Roi [1933] A.C. 533; N.M. «Tordenskjold» c. N.M. «Euphemia» (1909) 41 R.C.S. 154 et Le «Tasma-
nia» (1890) 15 A.C. 223. Arrêt examiné: Drew c. La Reine [1956-1960] R.C.E. 339. Arrêts analysés: Carltona, Ltd. c. Commissioners of Works [1943] 2 All E.R. 560; Church- ward c. La Reine (1865) L.R. 1 Q.B. 173 et Commercial Cable Company c. Le Gouvernement de Terre-Neuve [1916] 2 A.C. 610.
APPEL. AVOCATS:
R. Cousineau pour l'appelante. R. Langlois pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante.
Langlois, Drouin & Laflamme, Québec, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: L'appelante inter- jette appel d'un jugement de la Division de pre- mière instance ' allouant à l'intimée la somme de $110,124.24 avec intérêts et dépens pour rupture de contrat.
L'action à la Division de première instance résultait des mesures prises \par le ministre des Transports dans le cadre de ce qu'on a appelé «le programme de réapprovisionnement de l'Arctique de 1970».
Ce «programme» avait apparemment pour but de transporter à des postes de l'Arctique des provi sions destinées à des personnes privées et à divers ministères du Gouvernement; toutefois, à la lumière des rares preuves relatives à ce pro gramme, j'estime qu'on doit conclure qu'il a été autorisé et intégré aux activités du ministère des Transports aux termes ou en application d'une législation appropriée.
On peut brièvement résumer ainsi les faits non contestés:
a) Le 13 mai 1970, le ministère des Transports faisait un appel d'offres pour l'affrètement de pétroliers et de cargos «battant pavillon du Com monwealth» pour des étapes déterminées de ladite opération de transport. Cet appel d'offres
' [1973] Ç.F. 1274.
contenait une description détaillée des condi tions de chacune des chartes-parties projetées.
b) Le 21 mai 1970, l'intimée a fait une soumis- sion par écrit visant le navire Theokletos, qui aurait été affrété pour une période de 60 jours commençant entre le 12 et le 22 juillet 1970. L'offre de l'intimée reprenait les conditions pré- vues dans l'appel, avec certaines modifications.
c) Le 28 mai 1970 ou vers cette date, un fonc- tionnaire du ministère des Transports a informé l'intimée par téléphone que sa soumission était acceptée et qu'elle devait donc préparer la charte-partie et la soumettre pour signature au ministère. 2
d) L'intimée a préparé et signé une charte-par- tie suivant les termes de son offre, et le 11 juin 1970 l'a envoyée au ministère pour signature.
e) Le 22 juin 1970, après que l'intimée eut envoyé la charte-partie au ministère pour signa ture, mais avant qu'elle n'ait été signée au nom de l'appelante, le ministère fit savoir a l'intimée que sa charte-partie, rédigée suivant sa soumis- sion, ne serait pas signée parce qu'on avait décidé d'affréter un navire «battant pavillon canadien».
Si j'ai bien compris les preuves et les arguments, il est, en effet, notoire, même si on ne l'a jamais dit d'une manière expresse, qu'en matière d'affrète- ment, l'exigence d'un navire battant pavillon cana- dien est tellement plus onéreuse que celle d'un navire battant pavillon du Commonwealth que cela revient à exiger un objet d'une espèce différente du point de vue commercial.
Je dois aussi dire que le ministère, après avoir manifesté l'intention de ne pas honorer l'accepta- tion qu'il avait donnée à l'offre de l'intimée, a effectivement accordé un «choix»: ou bien l'intimée fréterait le Theokletos, après l'avoir fait immatri-
2 Il paraît que cette année-là, les acceptations n'ont pas été données par écrit. L'appelante n'a tiré aucun argument de ce fait et je ne connais aucun principe du droit des contrats ou du droit spécial régissant les contrats administratifs, qui exigerait qu'elles soient faites par écrit.
culer au Canada, aux conditions figurant dans l'offre pour un navire battant pavillon du Com monwealth, ou bien le ministère ferait un nouvel appel d'offres; à mon avis, malgré le «choix» pro- posé, on était en présence d'une simple résiliation d'une transaction commerciale intervenue, ainsi qu'il en ressort du dossier, sans aucune raison commercialement valable, ni acceptation de l'obli- gation, qui en découlait, de payer des dommages- intérêts pour ,rupture de contrat; et ceci, en dépit du fait que, d'après les preuves, le changement de «politique» qui a provoqué cette rupture de contrat avait été arrêté par les responsables du ministère en accord avec le Ministre et en pleine connais- sance de l'augmentation des coûts, qu'il entraîne- rait. 3 A mon avis, la «transaction commerciale», ou contrat, ainsi violée était un contrat en vue d'une charte-partie à des conditions déterminées et non la charte-partie qui aurait été établie en exécution de cette «transaction».
Dans cet appel, on ne pouvait pas sérieusement soutenir que, s'il s'était agi d'une affaire entre particuliers, il y aurait moyen d'attaquer le juge- ment faisant l'objet de l'appel. 4 L'appel est en réalité fondé sur l'idée que certaines règles régis- sant la formation des contrats entre un particulier et le gouvernement du Canada (Sa Majesté du chef du Canada) empêchaient la formation d'un contrat valable dans des circonstances où, s'il s'agissait de particuliers, il y aurait eu un contrat valable.'
3 Voir la note de service du Dr Camu au directeur des opérations maritimes, en date du 19 juin 1970. On a certaine- ment agi délibérément en violation de ce qui avait été convenu en acceptant l'offre. Une note, citée dans le mémoire déposé devant cette cour au nom de l'appelante indique qu'un haut fonctionnaire a fait savoir au sous-ministre: [TRADUCTION] «j'ai donné ... des instructions de n'utiliser que des navires battant pavillon canadien» et [TRADUCTION] «Nous pouvons nous atten- dre ... à des réactions de la part de la Transworld ... qui a déjà été verbalement avisée que son pétrolier avait été accepté ....»
Cette remarque est sujette à l'argument, qui a été avancée aussi vigoureusement que possible, selon lequel l'acceptation de l'offre n'a donné lieu à aucun contrat, parce que les parties avaient envisagé une charte-partie écrite. Je pense que cet argument, en plus d'être faux du point de vue commercial, n'a aucun fondement juridique.
'Pour une analyse du droit applicable aux contrats entre le gouvernement fédéral et des particuliers en vertu de notre constitution, voir La Reine c. Murray [1965] 2 R.C.É. 663; [1967] R.C.S. 262.
Avant d'examiner les questions soulevées en l'es- pèce, il y a lieu, à mon avis, de passer en revue d'une manière générale certaines considérations que l'on doit avoir à l'esprit quand se pose la question de savoir s'il y a un contrat entre le gouvernement du Canada et une autre personne dans un domaine relevant de la compétence du ministère des Transports. Je pense aux points suivants:
a) le pouvoir d'agir au nom du Ministère,
b) le contrôle parlementaire,
c) le Règlement sur lés marchés de l'État, et
d) l'article 15 de la Loi sur le ministère des Transports.
En -ce qui conéerne le pouvoir d'agir pour un ministère en matière de contrat, comme le pouvoir d'une personne passant un contrat en qualité de mandataire d'un particulier, si une personne con- tracte au nom de Sa Majesté, le mandataire doit avoir la capacité d'agir au nom de son commet- tant; et, s'agissant , d'un gouvernement dans notre système de gouvernement responsable, un tel pou- voir est ordinairement conféré soit par une loi, soit par une ordonnance en conseil.' A cet égard, on doit noter que les actes ordinaires du gouverne- ment au Canada sont répartis parmi des ministères créés par la loi, ayant chacun à sa tête un ministre de la Couronne chargé, de par la loi, de la «ges- tion» et de la direction de son ministère. A mon avis, sauf les restrictions légales qui peuvent par ailleurs être imposées, un ministre a légalement le pouvoir de passer les contrats d'usage, relatifs à cette partie de l'activité du gouvernement fédéral qui est assignée à son ministère.' En ce qui con- cerne le ministère des Transports la disposition pertinente est l'article 3 de la Loi sur le ministère des Transports, ainsi libellé:
e Comparer avec l'arrêt Drew c. La Reine (1959) [1956- 1960] R.C.É. 339, la page 350, et avec les arrêts qui y sont cités.
7 Naturellement un tel pouvoir ne s'étend pas aux cas où, d'après une loi, le pouvoir d'agir ou de contracter est expressé- ment ou implicitement réservé au gouverneur en conseil ou aux personnes qu'il autorise expressément. Comparer avec les arrêts Le Roi c. Vancouver Lumber Company (1920) 50 D.L.R. 6; Mackay c. Le procureur général de la Colombie-Britannique [1922] 1 A.C. 457; et St. Ann's Island Shooting and Fishing Club Ltd. c. Le Roi [1949] 2 D.L.R. 17 (C.E.) et [1950] R.C.S. 211.
3. (1) Est établi un ministère .du gouvernement du Canada; appelé ministère des Transports, auquel, préside le ministre des Transports nommé par commission sous le grand sceau.
(2) Le Ministre a la gestion et la direction du ministère et occipe sa charge à titre amovible.
Si l'on admet a priori que le Ministre a légalement le pouvoir de passer des contrats dans le cadre de son ministère, il s'ensuit à mon avis que, sauf disposition légale contraire, ce pouvoir peut être et sera, dans le cours normal des choses, exercé par les fonctionnaires de son ministère. Cet aspect de notre système gouvernemental a été décrit comme suit dans l'arrêt Carltona, Ltd. c. Commissioners of Works: 8
[TRADUCTION] Dans le régime d'administration publique de ce pays, les fonctions qui sont conférées aux ministres bon droit du point de vue constitutionnel puisque les ministres sont constitutionnellement responsables) sont si variées qu'aucun ministre ne pourrait jamais personnellement les remplir. Pour prendre l'exemple du cas présent, chaque ministère a sans aucun doute soumis des milliers de réquisitions dans ce pays. On ne peut pas supposer que ce règlement impliquait que, dans chaque cas, le Ministre en personne devait s'occuper de l'af- faire. Les tâches imposées aux ministres et. les pouvoirs qui leur sont conférés sont normalement exercés sous leur autorité par les fonctionnaires responsables du Ministère. S'il en était autre- ment, tout l'appareil de l'État serait paralysé. Constitutionnel- lement, la décision d'un tel fonctionnaire représente naturelle- ment la décision du Ministre. Le Ministre est responsable. C'est lui qui doit répondre devant le Parlement de tout ce que ses fonctionnaires ont fait sous son autorité et si, pour une affaire importante, il a choisi un fonctionnaire subalterne dont on ne peut s'attendre qu'il exécute le travail avec compétence, le Ministre devra en répondre devant le Parlement. Tout le sys- tème d'organisation et d'administration ministérielles s'appuie sur l'idée qu'étant responsables devant le Parlement, les minis- tres feront en' sorte que les tâches importantes soient confiées à des fonctionnaires expérimentés. S'ils ne le font pas, c'est au Parlement qu'on devra se plaindre de leurs agissements.
Je passe maintenant à ce que j'ai appelé le contrôle parlementaire. En vertu de l'article 106 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867, 9 les fonds du gouvernement fédéral ne peuvent être dépensés que sur autorisation du Parlement. Pour empêcher qu'un contrat ne respectant pas cette exigence puisse produire des effets, bien que le
8 [1943] 2 All E.R. 560, le maître des rôles lord Greene à la page 563.
9 L'article 106 est ainsi rédigé:
106. Sujet aux différents paiements dont est grevé par le présent acte le fonds consolidé de revenu du Canada, ce fonds sera approprié par le Canada au service public.
gouvernement soit responsable de toute violation de ses obligations juridiques 10 , la Loi sur l'admi- nistration financière contient les dispositions suivantes:
25. (1) Nul contrat ou autre arrangement stipulant le paie- ment d'une somme d'argent par Sa Majesté ne doit être conclu ni avoir vigueur ou effet à moins que le sous-chef ou quiconque est chargé à un autre titre de l'administration d'un service pour lequel il existe un crédit parlementaire ou pour lequel un poste est inclus dans des dépenses dont la Chambre des communes est alors saisie sur lesquelles ce paiement sera imputé, ne certifie qu'il existe sur ce crédit ou poste un solde disponible non grevé suffisant pour l'exécution de tous engagements découlant de ce contrat ou autre arrangement qui, en vertu des stipulations de ces derniers, viendraient à échéance pendant l'année financière le contrat ou autre arrangement a été conclu. [C'est moi qui souligne.]
33. Chaque contrat prévoyant le paiement d'une somme d'argent par Sa Majesté renferme essentiellement la stipulation que le paiement y mentionné est assujetti à l'existence d'un crédit concernant le service particulier pour l'année financière un engagement sous son régime viendrait en cours de paiement."
(En l'espèce on n'a soulevé aucune défense fondée sur ces dispositions, il n'est donc pas nécessaire de s'y référer sauf pour dresser un tableau complet des plaidoiries et de comparer les expressions utili sées à l'article 25(1), savoir: «Nul contrat ... stipulant le paiement d'une somme d'argent par Sa Majesté ne doit ... avoir vigueur ou effet à moins que le sous-chef ... ne certifie qu'il existe ... un solde disponible non grevé suffisant ...» avec les expressions équivalentes de l'article 34 de la Loi sur l'administration financière et du Règlement sur les marchés de l'État.)
Le troisième point de vue duquel on doit exami ner la formation des contrats du gouvernement est celui du Règlement sur les marchés de l'État, établi sous l'empire de l'article 34 de la Loi sur
10 Comparez avec l'article 57(3) de la Loi sur la Cour fédérale, ainsi libellé:
Les sommes d'argent ou dépens adjugés à une personne contre la Couronne, dans toutes procédures devant la Cour, doivent être prélevés sur le Fonds du revenu consolidé.
En réalité, cette disposition permet de payer avec des fonds publics conformément à une décision de la Cour, même si l'article 57(3) est le seul crédit parlementaire autorisant ce paiement.
11 Comparer avec les arrêts Churchward c. La Reine (1865) L.R. 1 Q.B. 173, et Commercial Cable Company c. Le Gouver- nement de Terre-Neuve [1916] 2 A.C. 610.
l'administration financière, ainsi libellé:
34. Le gouverneur en conseil peut établir des règlements sur les conditions auxquelles les contrats peuvent être conclus et, nonobstant toute autre loi,
a) peut ordonner qu'aucun contrat aux termes duquel des paiements sont requis au delà du montant ou des montants que le gouverneur en conseil peut prescrire ne sera conclu ou n'aura vigueur ou effet, sauf si la conclusion du contrat a été approuvée par le gouverneur en conseil ou le conseil du Trésor; [C'est moi qui souligne.]
Les dispositions pertinentes du Règlement sur les marchés de l'État semblent être les suivantes:
6. Sous réserve des dispositions du présent règlement, nul marché ne doit être conclu sans l'agrément du Conseil du Trésor.
PARTIE III.
MARCHÉS DE SERVICE.
Soumissions.
14. Avant qu'il ne soit conclu de marché de service, l'auto- rité contractante doit solliciter des soumissions, sauf dans les cas ou catégories de cas l'autorité contractante considère que la sollicitation de soumissions n'est pas d'intérêt public.
Conclusion de marchés de service.
15. (1) Une autorité contractante peut, sans l'agrément du Conseil du Trésor, conclure un marché de service (autre qu'un marché ayant pour effet de nommer ou d'employer une per- sonne à titre de fonctionnaire, de commis ou d'employé de Sa Majesté) à l'une quelconque des fins suivantes:
e) Services de transport autres que ceux qui sont prévus à l'alinéa d) ou le louage ou l'affrètement de véhicules, vais- seaux ou avions si
(i) le montant payable en vertu du marché ne dépasse pas vingt-cinq mille dollars, ou
(ii) le montant payable en vertu du marché dépasse vingt- cinq mille dollars, mais ne dépasse pas cinquante mille dollars, et au moins deux soumissions ont été obtenues dont la plus basse a été acceptée; 12
Je pense qu'il faut se référer en l'espèce à une dernière disposition spéciale de nos lois, en ce qui concerne les contrats du ministère des» Transports: l'article 15 de la Loi sur le ministère des Trans ports, ainsi rédigé:
15. Nul titre, contrat, document ou écrit se rattachant à quelque affaire sous la direction ou la gestion du Ministre ou
12 Il semble que le conseil du Trésor, par une lettre adressée au sous-ministre des Transports, avait effectivement augmenté ce montant de $50,000 à $350,000 en ce qui concerne «les contrats pour l'affrètement de vaisseaux» par ce ministère.
relevant de lui, ne lie Sa Majesté, à moins qu'il ne soit, signé par le Ministre, ou à moins qu'il ne soit signé par le sous-ministre et contresigné par le secrétaire du ministère, ou à moins qu'il ne soit signé par quelque personne que le Ministre a spécialement autorisée par écrit à cet effet; et cette autorisation du Ministre à une personne qui prétend agir en son nom ne peut être contestée que par le Ministre ou par une personne qui agit en son nom ou au nom de Sa Majesté."
Après avoir évoqué les grandes lignes des règles régissant les opérations contractuelles menées par les fonctionnaires du ministère des Transports au nom du gouvernement fédéral, il y a lieu mainte- nant d'examiner les plaidoiries en l'espèce.
Laissant de côté les allégations de faits résumées ci-dessus, qui ont été soit admises ou prouvées à l'audience, ainsi que certaines allégations qui ne
semblent pas pertinentes et celles relatives au mon- tant des dommages (question qui n'a pas été soule- vée en l'espèce), la seule partie des plaidoiries à laquelle on doive se référer concerne les points de la défense soulevant les moyens spéciaux suivants:
[TRADUCTION] 3.—La défenderesse n'a pas, par l'intermédiaire d'un représentant dûment autorisé du ministère des Transports, avisé la demanderesse que son offre relative au «N.M. Theokle- tosn avait été acceptée. 14
7.—Au moment la demanderesse a été informée que seuls les navires battant pavillon canadien seraient utilisés pour le programme de réapprovisionnement de l'Arctique en 1970, la charte-partie visée au paragraphe 8 de la déclaration avait été ni signée ni dûment approuvée par un représentant dûment autorisé du ministre des Transports.
13 Cet article doit être interprété à la lumière des arrêts La Reine c. Henderson (1898) 28 R.C.S. 425 et Dominion Build ing Corporation c. Le Roi [ 1933] A.C. 533.
14 Il est à peine nécessaire de mentionner les paragraphes 5 et 6 de la défense, ainsi • rédigés:
[TRADucTION]5.—L'appel d'offre de la demanderesse en date du 13 mai 1970 pour le programme de réapprovision- nement de l'Arctique contenait la clause suivante: «Compte tenu du prix et de la qualité, on pourra donner la préférence à des navires appartenant à des Canadiens et immatriculés au Canada. Les navires équipés pour affron- ter la glace seront spécialement pris en considération, compte tenu encore une fois du prix et de la qualité ...a. 6.—La demanderesse était parfaitement au courant de la clause précitée et la connaissait.
La clause de l'appel d'offres visée au paragraphe 5 aurait pu justifier l'acceptation d'une offre par ailleurs inacceptable. Une fois acceptée une offre à laquelle elle ne s'appliquait pas, cette clause doit être considérée comme sans effet.
8.—Le 24 juin 1972 ou vers cette date, la demanderesse, de son plein gré, a décidé de retirer son offre relative au «N.M. Theokletos».
9.—La défenderesse soutient qu'aucun contrat ou charte-partie valable n'a été conclu au sujet du «N.M. Theokletos» et qu'en tout cas la demanderesse a mis fin aux négociations préalables en vue de la conclusion d'un contrat en retirant son offre de louer ledit navire.
Dans ces plaidoiries, on a avancé un argument selon lequel aucun contrat ne s'était formé au moment de l'acceptation de l'offre, parce qu'on envisageait une charte-partie écrite. J'approuve entièrement le savant juge de première instance quand il déclare qu'il n'y a aucun fondement à cet argument. Il est certain que, du point de vue commercial, 15 le marché dans tous ces détails a été conclu au moment de l'acceptation de l'offre. (Si ce n'était pas le cas, toute l'affaire était une farce du point de vue des deux parties.) Il, était certes nécessaire de conclure une charte-partie écrite pour se conformer aux exigences légales et mariti- mes ultérieures, mais, à mon avis, dès le moment de l'acceptation de l'offre, chaque partie était liée par le marché et avait le droit d'exiger de l'autre le respect des conditions du marché. En d'autres termes, juste avant la résiliation, le gouvernement pouvait réclamer une charte-partie contenant les conditions convenues pour qu'il puisse assurer l'ap- provisionnement nécessaire des ports de l'Arctique. (A ce moment, il était fort probablement trop tard pour trouver une solution de rechange.) De même, l'intimée, à ce moment, pouvait exiger que le gouvernement accepte, aux conditions convenues, la charte-partie du navire qu'il avait affecté à ce contrat dès l'acceptation de l'offre. (A ce moment, il était fort probablement trop tard pour trouver une solution de rechange permettant d'utiliser le navire pour des opérations aussi lucratives.) 16
15 I1 était nettement d'usage dans ce commerce d'utiliser le mot «marché» pour indiquer le moment de conclusion d'une affaire (avant la signature d'une charte-partie); en l'espèce, toutes les parties concernées ont admis qu'il y a eu «marché» à l'acceptation de l'offre.
16 Soutenir que les parties n'envisageaient pas de se lier par contrat avant que, dans le cadre des activités ministérielles normales, des chartes-parties en due forme fussent signées—ce qui probablement interviendrait après l'approvisionnement de l'Arctique—revient à imaginer un arrangement trop irréaliste et étranger aux saines pratiques commerciales pour être attri- bué à des fonctionnaires supérieurs ou à des hommes d'affaires expérimentés.
Dès qu'il est établi—et je pense que la preuve l'établit en l'espèce—qu'il existait, au moment de l'acceptation de l'offre, un contrat valable en vue d'une charte-partie, et que le contrat a été résilié par l'appelante en violation (anticipée) des termes dudit contrat, il devient évident que les arguments contenus dans les paragraphes 7, 8 et 9 de la défense ne peuvent justifier une telle violation du contrat. Il ne reste que le paragraphe 3 il est dit que l'appelante n'a pas, par l'intermédiaire d'uun représentant dûment autorisé du ministère des Transports», «avisé» l'intimée que son «offre .. . avait été acceptée». Sur ces trois points, qui sont des questions de fait, toutes les preuves ainsi que les conclusions du savant juge de première instance vont à l'encontre de l'appelante. Il s'ensuit que l'argument invoqué au paragraphe 3 de la défense ne tient pas non plus.
Pour les raisons susmentionnées, j'estime que l'appel doit être rejeté avec dépens.
Cependant, avant d'en terminer, j'estime qu'il est judicieux de commenter les moyens soulevés, non pas dans la défense, mais dans l'exposé déposé au nom de l'appelante à cette cour et au, cours des débats par son avocat, même si, à mon avis l'appe- lante ne pouvait pas les soulever dans cet appel parce qu'ils sont fondés sur des faits qui n'ont pas été débattus en première instance."
' 7 Comparer avec l'arrêt NM. «Tordenskjold» c.' NM. «Euphemia» (1909) 41 R.C.S. 154, et Le Tasmania (1890) 15 A.C. 223, lord Herschell déclarait à la page 225: [TRADUCTION] Mes Seigneurs, je pense qu'on devrait exa miner d'une manière très minutieuse un point comme celui-ci, qui n'a pas été soulevé en première instance et est présenté pour la première fois en cours d'appel. Le déroule- ment d'un procès en première instance est commandé par les points qui y sont soulevés et les questions posées aux témoins s'y rapportent. Et il est évident qu'on ne se soucie pas d'élucider les faits qui ne concernent pas ces points.
Voir aussi, au sujet de la possibilité d'amender les plaidoiries à ce stade avancé, la Règle 420 ainsi libellée:
Règle 420. (1) La Cour pourra, aux conditions qui semblent justes le cas échéant, à tout stade d'une action, permettre à une partie d'amender ses plaidoiries, et tous les amendements nécessaires seront faits aux fins de déterminer la ou les véritables questions en litige entre les parties.
(Suite à la page suivante)
Si j'ai bien compris, le premier de ces moyens est fondé sur la thèse selon laquelle, en raison du Règlement sur les marchés de l'État, aucun con- trat ne s'était formé par l'acceptation de l'offre. D'après ce moyen, le contrat en vue de la charte- partie du Theokletos était un contrat en vertu duquel le montant payable dépassait $350,000; l'agrément du conseil du Trésor était donc néces- saire à ce contrat, et cet agrément n'a pas été obtenu. Ces faits n'ont pas été plaidés et n'ont pas fait l'objet, en tant que tel, de communication ou de preuves à l'audience. A mon avis, il appartenait à l'appelante de soulever ce moyen (avec les faits à l'appui) dans sa défense. Cela découle des Règles 408(4) et 409, ainsi libellées:
Règle 408. (4) La déclaration qu'une chose a été faite ou qu'un événement s'est produit, lorsque ce fait constitue une condition préalable sur laquelle doivent nécessairement se fonder les conclusions d'une partie, doit être considérée comme implicitement énoncée dans sa plaidoirie.
Règle 409. Une partie doit plaider spécifiquement toute ques tion (par exemple l'exécution, la décharge, une loi de prescrip tion, la fraude ou tout fait impliquant une illégalité)
a) qui, selon ses allégations, empêche de faire droit à une demande ou une défense de la partie opposée,
b) qui, si elle n'est pas spécifiquement plaidée, pourrait prendre la partie opposée par surprise, ou
c) qui soulève des questions de fait ne découlant pas des plaidoiries antérieures.
A mon avis, la justice exige que tout moyen de défense, fondé sur les dispositions spéciales d'une loi, soit plaidé, particulièrement s'il est fondé sur des faits précis, pour que la partie adverse puisse prendre connaissance de ces faits et se préparer à produire des preuves s'y rapportant. Il en est d'au- tant plus ainsi lorsque ce moyen de défense est fondé sur une règle à usage interne, applicable à l'administration publique et est invoqué par le
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(2) Aucun amendement ne doit être permis en vertu de la présente Règle
a) sauf à des conditions destinées à protéger toutes les parties quant à la communication, l'interrogatoire préala- ble et la préparation de l'instruction, et
b) pendant ou après l'instruction, sauf pour faire concor- der les plaidoiries avec les questions en litige sur lesquelles les parties sont allées en justice ou à condition qu'il y ait une nouvelle instruction, ou que les autres parties obtien- nent par ailleurs la possibilité de communication, d'interro- gatoire préalable et de préparation de l'instruction qui peuvent leur être nécessaires pour répondre aux allégations nouvelles ou amendées.
gouvernement contre un tiers demandeur. Permet- tre en appel une modification visant à soulever un moyen de défense fondé sur des faits non plaidés et non débattus en première instance ouvrirait la porte à des possibilités d'injustice grossière. A mon avis, (laissant de côté le montant qui serait payable en vertu du contrat et qui n'est pas bien établi) lorsque la Couronne, dans sa défense, n'a pas soutenu qu'on n'avait pas obtenu l'autorisation nécessaire du conseil du Trésor avant l'appel d'of- fres, ou tout au moins avant l'acceptation de l'of- fre, il faut présumer qu'en réalité une telle autori- sation avait été obtenue. 18 En tout cas, à moins que, comme prévu à l'article 34 de la Loi sur l'administration financière, le Règlement sur les marchés de l'État ne contienne une disposition spéciale, que je n'ai pas été en mesure de retrou- ver, précisant qu'aucun contrat «n'aura vigueur ou effet» sauf si la conclusion en a été autorisée par le conseil du Trésor, au cas le contrat porte sur un montant supérieur à celui prescrit par le règle- ment, je doute fort que le défaut d'obtenir cette autorisation ne constitue rien d'autre que la viola tion d'une obligation existant entre les fonctionnai- res du ministère et leurs supérieurs hiérarchiques et, à mon avis, il ne s'ensuit pas qu'un tel défaut vicie nécessairement un contrat par ailleurs vala- ble. A ce sujet, il faut noter que la nécessité de l'autorisation du conseil du Trésor découle uni9ue- ment du Règlement sur les marchés de l'Etat, établi sous l'empire de la partie de l'article 34 de la Loi sur l'administration financière qui autorise l'établissement de règlements sur les conditions auxquelles «les contrats peuvent être conclus» et non pas
a) d'une directive prise dans l'exercice du pou- voir, conféré par l'article 34, d'«ordonner» que certains contrats n'auront «vigueur ou effet»; ou
b) d'une partie du pouvoir de conclure des con- trats dont il était question dans les arrêts Le Roi c. Vancouver Lumber Co., 19 Mackay ç. Le pro
18 Comparer avec Le Roi c. Vancouver Lumber Co. (1920) 50 D.L.R. 6, le vicomte Haldane à la page 9, et Mackay c. Le procureur-général de la Colombie-Britannique [1922] 1 A.C. 457, le vicomte Haldane à la page 461; dans les deux cas une telle supposition a été réfutée par la preuve que l'autorisation nécessaire avait été accordée.
19 (1920) 50 D.L.R. 6.
cureur- général de la Colombie-Britannique 20 et St. Ann's Island Shooting and Fishing Club Ltd. c. Le Roi. 21 *
L'autre argument qui n'a pas été soulevé dans les plaidoiries est que le contrat n'est pas valable en vertu de l'article 15 de la Loi sur le ministère des Transports que je reproduis à nouveau pour plus de commodité:
15. Nul titre, contrat, document ou écrit se rattachant à quelque affaire sous la direction ou la gestion du Ministre ou relevant de lui, ne lie Sa Majesté, à moins qu'il ne soit signé par le Ministre, ou à moins qu'il ne soit signé par le sous-ministre et contresigné par le secrétaire du ministère, ou à moins qu'il ne soit signé par quelque personne que le Ministre a spécialement autorisée par écrit à cet effet; et cette autorisation du Ministre à une personne qui prétend agir en son nom ne peut être contestée que par le Ministre ou par une personne qui agit en son nom ou au nom de Sa Majesté.
Comme je l'ai déjà dit, je ne suis pas favorable au point de vue du savant juge de première instance selon lequel cet article ne s'applique pas au genre d'affaires publiques dont il est question dans cet appel. Cependant à mon avis, on ne peut se fonder sur cet article pour s'opposer à la réclamation qui fait l'objet du présent appel parce que
a) compte tenu de la déclaration faite en pas- sant par le juge Taschereau dans l'arrêt La Reine c. Henderson 22 aux pages 432 et 433, il ne s'applique qu'aux «contrats écrits» et le
w [1922] 1 A.C. 457.
21 [1949] 2 D.L.R. 17 (C.É.) et [1950] R.C.S. 211.
* Si une loi avait prescrit l'autorisation du conseil du Trésor ou du gouverneur en conseil comme condition préalable à la validité du contrat et que ce point ait été régulièrement invoqué dans les plaidoiries, je doute fort que l'on pût empêcher la Couronne de s'en prévaloir comme l'a déclaré le savant juge de première instance. Comparer avec l'arrêt St. Ann's Island Shooting and Fishing Club c. Le Roi [1950] R.C.S. 211, le juge Rand déclarait à la page 220: [TRADUCTION] o.. . il ne peut y avoir de déchéance en présence d'une disposition de loi expresse», et avec Gooderham & Worts Ltd. c. C.B.C. [1947] A.C. 66.
22 (1898) 28 R.C.S. 425.
contrat en l'espèce, formé par l'acceptation orale d'une «offre» écrite, n'en est pas un 23 , et
b) on n'a pas soutenu ni établi que le fonction- naire qui a accepté l'offre n'était pas une «per- sonne que le Ministre a spécialement autorisée par écrit à cet effet» et que «cette autorisation du Ministre à une personne qui prétend agir en son nom» ne peut, en vertu de l'article 15, «être contestée que par le Ministre ou par une per- sonne qui agit en son nom ou au nom de Sa Majesté»; lorsqu'on n'a pas soulevé un tel moyen, qui est une question de fait, au moment les faits ont été débattus, il est, à mon avis trop tard pour le faire en appel.
* * *
LE JUGE THURLOW: J'y souscris.
* * *
LE JUGE SUPPLÉANT HYDE: J'y souscris.
23 Voir aussi l'arrêt Dominion Building Corporation c. Le Roi [1933] A.C. 533. Je me rends compte qu'il était établi que Jacques Fortier avait le pouvoir de signer des documents au nom du Ministre mais j'avais l'impression qu'il s'agissait de documents de nature officielle et que la preuve n'excluait pas que d'autres personnes pouvaient détenir le pouvoir de signer les documents ordinaires pour les affaires courantes du ministère.
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