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A-286-74
In re la Loi relative aux enquêtes sur les coali tions et in re une enquête concernant la produc tion, la fabrication, l'achat, le troc, la vente, l'en- treposage, la location, le transport et la fourniture de pétrole brut, de pétrole, de produits pétroliers raffinés et de produits connexes
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, les juges Thurlow, Pratte, Urie et Ryan—Ottawa, les 13 et 14 février 1975.
Examen judiciaire—Coalitions—Enquête dirigée contre une compagnie—Demande d'ordonnance visant à obtenir accès à tous les documents de la compagnie—Ordonnance refusée— Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, c. C-23, art. 5, 10, 12, 16 et 17—Loi sur la Cour fédérale, art. 28.
Le directeur des enquêtes et recherches institua, en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, une enquête relative à la production, la fabrication, l'achat, le troc, la vente, l'entreposage, la location, le transport et la fourniture de pétrole brut, de pétrole, de produits pétroliers raffinés et de produits connexes. Il chercha à obtenir une ordonnance enjoi- gnant un agent de police de lui donner accès à tous les documents se trouvant dans les locaux de la Shell Canada Limited. Cette dernière contesta le pouvoir accordé par la Loi au directeur d'examiner, de copier ou sortir de ses locaux certains documents qui bénéficieraient du secret entre avocat et client, si on les déposait en preuve devant un tribunal. La demande fondée sur l'article 10(5) de la Loi fut rejetée par le juge Hughes de la Haute Cour de l'Ontario qui appliqua l'arrêt Re Le Directeur des enquêtes et recherches et Canada Safeway Limited (1972) 26 D.L.R. (3') 745 et établit une distinction avec l'arrêt R. c. Colvin [1970] 3 O.R. 612. Le directeur présenta en vertu de l'article 28 une demande d'annulation de la décision du juge Hughes.
Arrêt: la demande doit être rejetée. La Cour peut connaître de la demande et, n'étant pas liée par la décision suivie par le juge Hughes, et mentionnée ci-dessus, elle doit déterminer si la décision de ce dernier est erronée pour l'un des motifs énoncés à l'article 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale. Les articles 5 et suiv. de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions confèrent au directeur des pouvoirs d'enquête au sens le plus large mais l'article 10 de la Loi ne révèle aucune intention de mettre en échec la confidentialité entre avocat et client en ce qui concerne les communications de bonne foi qui ont rendu nécessaire ce privilège en cas de déposition devant les tribunaux. La formule obligatoire d'examen antérieur à la poursuite prévue dans la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions tout autant que le témoignage devant la Cour ou l'interrogatoire préalable, porte- raient atteinte à ce privilège. Celui-ci s'applique aux communi cations entre la compagnie intimée et ses avocats salariés de la même façon qu'il s'appliquerait aux communications entre l'intimée et des avocats généralistes.
Arrêts appliqués: Commonwealth of Puerto Rico c. Her- nandez [1975] 1 R.C.S. 228, confirmant [1973] C.F. 1206. Arrêts discutés: Crompton (Alfred) Amusement Machines Limited c. Customs and Excise Commissioners
[1974] A.C. 405; Bell c. Smith [1968] R.C.S. 664; George Wimpey & Co. Ld. c. B.O.A.C. [1955] A. C. 169 et Le Roi c. Jeu Jan How (1919) 59 R.C.S. 175.
EXAMEN judiciaire. AVOCATS:
E. Sexton pour le requérant.
J. J. Robinette, c.r., et T. G. Heintzman pour
l'intimée.
PROCUREURS:
MacKinnon, McTaggart, Toronto, pour le requérant.
McCarthy & McCarthy, Toronto, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: Il s'agit d'une demande en vertu de l'article 28' visant à faire annuler une décision de M. le juge Hughes de la Haute Cour de l'Ontario rendue le 18 septembre 1974; cette décision rejetait une demande présen- tée par le directeur des enquêtes et recherches en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions en vue d'obtenir une ordonnance prévue à l'article 10(5) de ladite loi chargeant un agent de police ou un constable de prendre les mesures nécessaires pour assurer au directeur ou à son représentant l'accès à tous les documents se trou- vant dans les locaux de la Shell Canada Limited (ci-après appelée la «Shell»).
' L'article 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale se lit comme suit:
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une commission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion de procédures devant un office, une commission ou un autre tribunal fédéral, au motif que l'office, la commission ou le tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclu sion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
Pour bien comprendre le problème que soulève la demande en vertu de l'article 28, il faut exami ner brièvement certaines des caractéristiques de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions. La Partie V de la Loi crée certaines «infractions rela tives aux échanges». Les Parties I et II prévoient le «mécanisme» et la procédure d'enquête et de rap port sur la perpétration possible de ces infractions. Les autres parties de la Loi prévoient les poursui- tes et autres recours. Les dispositions concernant les enquêtes et les rapports portent notamment sur
a) le directeur et son personnel qui, en certaines circonstances, ont le pouvoir ou le devoir de faire «enquête» sur les prétendues infractions (article 5 et suivants);
b) la Commission sur les pratiques restrictives du commerce, à qui le directeur peut en certai- nes circonstances, soumettre «un exposé de la preuve obtenue au cours de l'enquête»; sur ce, la Commission, après avoir obtenu les arguments, étudie l'exposé du directeur «avec toute preuve ou matière nouvelle ou autre que la Commission juge opportune» et fait un rapport au ministre de la Consommation et des Corporations dans lequel elle passe la preuve et la matière en revue, estime l'effet, sur l'intérêt public, des arrange ments et pratiques révélés par la preuve et fait des recommandations sur l'application des recours (article 16 et suivants); et
c) la publication du rapport par le Ministre dans les 30 jours suivant sa réception, à moins de certaines circonstances précises.
Le problème en l'espèce s'est posé au cours d'une enquête du directeur alors qu'il recueillait des preuves de la manière prévue par l'article 10 de la Loi, qui se lit comme suit:
10. (1) Sous réserve du paragraphe (3), dans une enquête tenue en vertu de la présente loi, le directeur ou tout représen- tant qu'il a autorisé peut pénétrer dans tout local le direc- teur croit qu'il peut exister des preuves se rapportant à l'objet de l'enquête, examiner toutes choses qui s'y trouvent et copier ou emporter pour en faire un plus ample examen ou pour en tirer des copies tout livre, document, archive ou autre pièce qui, de l'avis du directeur ou de son représentant autorisé, selon le cas, est susceptible de fournir une telle preuve.
(2) Quiconque est en possession ou a le contrôle d'un local ou de choses mentionnés au paragraphe (1) doit permettre au directeur ou à son représentant autorisé de pénétrer dans ce local, d'y examiner toute chose, et de copier ou d'emporter tout document qui s'y trouve.
(3) Avant d'exercer le pouvoir conféré par le paragraphe (1), le directeur ou son représentant doit produire un certificat d'un membre de la Commission, lequel peut être accordé à la demande ex parte du directeur, autorisant l'exercice de ce pouvoir.
(4) Lorsqu'un document est emporté sous l'autorité du pré- sent article, pour qu'il soit examiné ou qu'il en soit tiré des copies, l'original ou une copie doit être livré à la garde d'où provenait l'original dans les quarante jours après qu'il a été emporté ou dans tel délai supplémentaire que peut ordonner la Commission pour cause, ou dont il peut être convenu par la personne de qui il a été obtenu.
(5) Lorsque le directeur ou son représentant autorisé, agis- sant sous le régime du présent article, se voit refuser l'admis- sion ou l'accès à un local, ou à une chose qui s'y trouve, ou lorsque le directeur a des motifs raisonnables de croire que cette admission ou cet accès sera refusé, un juge d'une cour supérieure ou d'une cour de comté, à la demande ex parte du directeur, peut, par ordonnance, charger un agent de police ou constable de prendre les mesures que le juge estime nécessaires pour assurer cette admission ou cet accès au directeur ou à son représentant autorisé.
Au cours d'entretiens entre des représentants du directeur et de la Shell, il devint manifeste que la Shell n'accepterait pas que le directeur puisse en vertu de l'article 10 examiner, copier ou sortir de ses locaux certains documents qui seraient assujet- tis au privilège du secret entre avocat et client, si on les déposait en preuve devant un tribunal. Sur ce, le directeur déposa auprès du juge Hughes la demande prévue à l'article 10(5) dont j'ai déjà fait mention. Certains arrêts furent soumis au juge Hughes, dont celui de Regina c. Colvin 2 dans lequel le juge Osler de la Haute Cour de l'Ontario, saisi d'une demande d'annulation d'un mandat de perquisition au bureau d'un avocat, décerné sous le régime du Code criminel, déclarait à la page 617:
[TRADUCTION] Enfin, le privilège du secret entre avocat et client, est, à cet égard, une question gênante. D'une part, aucune autorité ne devrait avoir carte blanche pour perquisi- tionner les dossiers se trouvant dans le bureau d'un avocat dans l'espoir de découvrir des documents destinés à conseiller le client dans le cours normal et légitime de sa profession. Il s'agit toutefois d'un privilège exclusif au client et il ne s'étend pas aux lettres, notes ou documents préparés dans le but d'aider un client à commettre un crime, ni aux documents qui n'ont aucun rapport avec le fait de donner un conseil judicieux mais qui sont confiés à l'avocat uniquement dans le but d'éviter une saisie entre les mains du client.
2 [1970] 3 O.R. 612.
On ne peut de manière certaine classer à l'avance les diffé- rents types de documents et, de toute façon, il faut se rappeler qu'il s'agit d'une règle de preuve et non d'une règle de pro- priété. Par conséquent, je ne serais pas disposé à annuler un mandat visant des documents dont on a des motifs raisonnables de croire qu'ils pourraient fournir une preuve concernant la perpétration d'une infraction, du seul fait qu'il est possible que ces documents soient protégés par le privilège du secret entre avocat et client. Selon moi, l'unique façon de faire valoir ce privilège est de s'objecter en temps opportun au dépôt en preuve de tout document qui bénéficierait du privilège.
Bien qu'à mon avis, on ne puisse justifier le principe général selon lequel le privilège du secret n'existe pas à l'égard de procédures criminelles, le privilège lui-même doit, ainsi que je l'ai déclaré, se limiter à l'utilisation comme preuve des docu ments qui seraient protégés.
On a également soumis au juge Hughes l'affaire Re Le directeur des enquêtes et recherches et Canada Safeway Limited 3 dans laquelle le juge Munroe de la Cour suprême de la Colombie-Bri- tannique statua sur une demande prévue à l'article 10(5) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions; voici un extrait de son jugement:
[TRADUCTION] Cette demande soulève une question d'impor- tance, savoir, l'article 10 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions supprime-t-il le privilège de common law attaché aux rapports entre avocat et client, un privilège établi il y a trois siècles, fondé sur des motifs d'ordre public, dans le but de garantir que le public peut bénéficier de services juridiques sans craindre aucun abus de confiance. Suivant cette règle afférente au secret des communications entre avocat et client, lorsque (comme en l'espèce) le client n'y a pas renoncé et que rien ne laisse supposer l'existence d'une fraude, d'un crime, d'un sub terfuge ou d'une atteinte aux droits d'un individu, le client ne peut être contraint et l'avocat ne peut être autorisé sans le consentement du client à révéler des communications verbales ou écrites intervenues entre eux sous le sceau du secret profes- sionnel, qu'il y ait ou non litige: voir l'arrêt Susan Hosiery Ltd. c. M.R.N., [1969] 2 R.C.E. 27, [1969] C.T.C. 353. En l'espèce, après avoir obtenu un certificat d'un membre de la Commission sur les pratiques restrictives du commerce, les représentants autorisés du directeur ont pénétré dans les locaux de l'intimée et prétendu avoir le droit d'examiner et de copier, ou d'empor- ter pour en faire un plus ample examen ou pour en tirer des copies, tous les livres, documents, archives ou autres pièces de l'intimée, y compris les communications entre l'intimée et ses avocats au sens ordinaire et pour les fins des services profes- sionnels de ces derniers si, à leur avis, ces documents sont pertinents à leur enquête. L'intimée prétend que ni le directeur ni aucun de ses représentants n'ont droit d'accès aux documents qui bénéficient du privilège mentionné précédemment, mais, par ailleurs, elle ne s'oppose pas à ce que le directeur et ses représentants se trouvent dans lesdits locaux et mènent leur enquête comme ils le jugent à propos.
3 (1972) 26 D.L.R. (3e) 745 à la page 746.
Le droit de pénétrer dans les locaux privés et d'examiner des documents confidentiels et privilégiés est, de toute évidence, une dérogation aux droits de common law et doit par consé- quent s'appuyer sur un texte de loi rédigé avec une clarté irrésistible. En est-il ainsi de l'article 10? L'avocat du requérant prétend que oui. Il soutient que les termes mêmes de l'article 10 ne tolèrent aucune exception du genre de celles invoquées par l'intimée. Il souligne, avec raison, qu'il s'agit d'une enquête administrative faite en vertu des dispositions de la Loi et n'ayant que trois issues possibles, savoir, la discontinuation de l'enquête (art. 14), un renvoi au procureur général du Canada (art. 15) ou la présentation d'un exposé de la preuve à la Commission (art. 18), et qu'aucune de ces issues n'équivaut à une décision affectant les droits de l'intimée: voir l'arrêt Guay c. Lafleur (1964) 47 D.L.R. (29 226, [1965] R.C.S. 12. Le moment sera venu de soulever la question du privilège, pré- tend-il, lorsque le directeur cherchera à déposer en preuve les documents litigieux au cours d'un procès ou d'une autre procé- dure judiciaire.
D'autre part, l'avocat de l'intimée souligne l'emploi du mot «preuve» qui apparaît deux fois à l'article 10(1); cela indique, affirme-t-il, que leAroit d'examiner et de copier se limite aux documents susceptibles d'apporter des éléments de preuve (recevables dans une procédure judiciaire) applicables aux questions qui font l'objet de l'enquête. Soutenir le contraire équivaut à interpréter l'article 10 comme autorisant une incur sion «dans l'espoir de trouver quelque chose qui pourrait, au seul jugement des perquisiteurs, avoir une valeur probante applicable à l'enquête ou à des accusations éventuelles», dit-il en paraphrasant les termes du juge Hall, J.C.Q.B. (tel était alors son titre), dans l'affaire Shumiatcher c. P.G. de la Saskatchewan (1960) 129 C.C.C. 270 la p. 272, 33 W.W.R. 134, 34 C.R. 154. Il convient également de citer les termes du juge des appels Ford dans l'affaire Imperial Tobacco Sales Co. c. P.G. de l'Alberta, [1941] 2 D.L.R. 673 aux pp. 678 et 679, 76 C.C.C. 84, [1941] 1 W.W.R. 401. Il a déclaré:
A mon avis, les dispositions du Code criminel portant sur le mandat de perquisition ne donnent pas à entendre qu'on devrait s'en remettre aux agents de police pour choisir, parmi les «procès-verbaux d'assemblées, lettres, documents et autres pièces» ou «parmi les livres et archives se rapportant aux affaires» d'un individu ou d'une compagnie, ceux qui peuvent, en tout ou en partie, fournir une preuve de la perpétration d'une infraction du genre de celle créée par la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions et qui sont les seuls à pouvoir faire l'objet de la perquisition et de la saisie. En réalité, si on saisit quelque chose qui ne peut être susceptible de fournir une preuve de la perpétration de l'infraction, cela équivaut, me semble-t-il, à une violation de propriété.
Dans l'affaire Procureur général c. Beech (1898), 67 L.J.Q.B. 585, la p. 590,1e lord juge Chitty déclarait que
Le Parlement a indiscutablement le pouvoir ... de modifier ou d'abroger, pour les fins de la Loi, toute règle de droit ou d'equity qui, à d'autres égards, s'appliquerait à la question. La question de savoir s'il a ou non exercé ce pouvoir revient toujours à une juste interprétation de la loi en cause. La juste, et de fait, l'unique façon d'interpréter consiste à déter- miner l'intention du législateur à partir du libellé et des dispositions de la Loi elle-même. En interprétant une loi, il faut tenir compte des règles de droit ordinaires applicables à la question, et ces règles doivent prévaloir à moins que la loi
n'indique qu'elles doivent être ignorées; et il incombe à ceux qui cherchent à soutenir qu'elles doivent être ignorées de prouver cette proposition.
Il existe, en outre, une jurisprudence abondante à l'appui de la proposition selon laquelle le bénéfice du doute doit toujours favoriser le secret entre avocat et client: Re a Solicitor (1962), 36 D.L.R. (2e) 594, 40 W.W.R. 270, [1963] C.T.C. 1.
En appliquant ces principes, j'ai conclu• que, puisqu'une preuve obtenue illégalement n'est pas pour autant irrecevable, l'intimée est justifiée, à ce stade, d'invoquer le privilège du secret et que l'article 10 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions n'exclut pas en termes exprès ou implicites, la doc trine du secret entre avocat et client. On ne doit pas déroger à cette doctrine, et encore moins la supprimer, à moins que le libellé et le but précis de l'article 10 n'exige pas une telle interprétation. En définitive, bien que le directeur et ses repré- sentants autorisés puissent pénétrer dans les locaux de l'intimée pour exécuter leurs fonctions prévues à l'article 10 de la Loi, ils peuvent ne pas avoir accès aux documents protégés par le privilège du secret entre avocat et client. Au cas de désaccord entre les parties sur la question de déterminer les documents, s'il en est, qui bénéficient du privilège et la procédure à suivre pour trancher cette question, les avocats peuvent en discuter en tout temps.
Voici comment le juge Hughes a statué sur la demande dont il était saisi:
[TRADUCTION] La demande est rejetée avec dépens.
En l'absence de motifs permettant d'établir une distinction entre la décision du juge Munroe dans l'affaire Le directeur des enquêtes c. Canada Safeway [1972] 3 W.W.R. 547 et la présente demande, ce qui est admis, je me considère tenu d'y souscrire, plus particulièrement dans la mesure l'interpréta- tion du même article de la même loi fédérale est en litige.
Ce qui ressort de la décision du juge Osier dans l'affaire Regina c. Colvin [1970] 3 O.R. 612 portant sur le secret entre avocat et client, mais traitant d'un sujet différent, constituait un obiter et le fait que je souscrive, quant au fond, à ce qui y a été dit et que j'eusse pu adopter une position différente de celle du juge Munroe si j'avais eu à trancher la demande dont il était saisie n'est pas pertinent.
La demande en vertu de l'article 28 vise à faire annuler cette décision.
Voici comment le directeur, dans le mémoire qu'il a présenté devant cette Cour, expose les questions contenues dans cette demande.
[TRADUCTION] 6. M. le juge Hughes avait-il raison de décider qu'il était lié par la décision du juge Munroe rendue dans l'affaire Safeway?
7. L'article 10 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions a-t-il une portée suffisamment grande pour accorder au direc- teur l'accès à tous les documents et par conséquent rendre inapplicable le privilège du secret entre avocat et client?
8. Si l'on décidait que le libellé de l'article 10 n'est pas suffisamment étendu pour exclure le privilège du secret entre avocat et client, il faudrait alors déterminer si l'intimé agit de
façon prématurée en invoquant ce privilège au stade de l'en- quête du directeur menée sous le régime de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions.
Dans son mémoire, la Shell expose en fait les mêmes questions et ajoute ce qui suit:
[TRADUCTION] 8. Peut-on avoir recours à une demande prévue à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale pour faire annuler une ordonnance rendue par un juge d'une Cour supérieure d'une province en vertu de l'article 10 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions?
Quant à la question touchant la compétence de cette Cour sur ce sujet, je suis d'avis que, compte tenu de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Commonwealth of Puerto Rico c. Hernandez 4 , cette Cour n'a pas à statuer sur l'argument soulevé par la Shell'.
Une fois admise la compétence de cette Cour, il ne semble pas que la question de savoir si le juge Hughes aurait se considérer lié par la décision du juge Munroe doit, à ce stade, être tranchée. Cette Cour doit déterminer si la décision du juge Hughes est mauvaise pour l'un des motifs énoncés à l'article 28(1) et doit, par conséquent, être annu- lée et, ce faisant, cette Cour n'est pas liée par la décision du juge Munroe.
Quant à la question de savoir si la Shell ' agit de façon prématurée en invoquant à ce stade la ques tion du secret entre avocat et client, il me semble que cette question ne se pose pas. Cette Cour doit déterminer si l'article 10 permet d'examiner et de tirer des copies de documents qui bénéficient dudit secret lorsqu'on les dépose à titre de preuve devant un tribunal. Si oui, la décision attaquée doit être
4 [1975] 1 S.C.R. 228, le juge Pigeon aux pages 236-239.
5 On n'a pas soulevé la question de savoir si la décision attaquée est de nature administrative et n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire (article 28(1)) et, compte tenu de ma conclusion rendue sur cette demande, cette question n'a pas à être débattue. Au cours du débat, on a également soulevé la question de savoir si la décision attaquée était une décision de la Cour suprême de l'Ontario ou une décision du juge Hughes agissant à titre de persona designata en vertu de l'article 10(5) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions. Bien que la demande ait été faussement intitulée «Cour suprême de l'Ontario» et enregistrée à tort comme étant une ordonnance de cette cour, il est manifeste, je pense, que le juge a rendu l'ordonnance à titre de persona designata en vertu de l'article 10(5).
annulée et la question renvoyée au juge Hughes pour qu'il rende la décision appropriée en vertu de l'article 10(5). Sinon, cette demande en vertu de l'article 28 doit être rejetée. Si l'on adopte la première hypothèse, il se peut que le privilège du secret entre avocat et client soit quand même invoqué ultérieurement devant une autre Cour mais ce n'est pas une question qui fait l'objet de la présente demande et que cette Cour doit trancher.
En statuant sur cette demande en vertu de l'arti- cle 28, il faudrait souligner qu'elle soulève tout simplement la question de savoir si l'article 10 a préséance sur le secret que doit garder un avocat sur les communications reçues de son client, dans la mesure il s'agit de l'examen et de la copie de documents en vertu de cet article. Ou bien l'obliga- tion qu'a un avocat de garder le secret sur les communications reçues de son client ne peut jamais être invoquée à l'encontre des mesures pré- vues à l'article 10, ou bien cette demande en vertu de l'article 28 doit être rejetée. (On ne prétend pas que les documents, auxquels ne s'appliquerait pas le privilège du secret entre avocat et client s'il était invoqué devant une cour de justice, puissent béné- ficier du caractère confidentiel et, en l'absence d'une telle prétention, la question de la procédure à suivre en pareil cas ne se pose pas.)
Il faudrait également souligner qu'il est reconnu que les principes applicables sont les mêmes en l'espèce, il s'agit de communications entre la Shell et ses avocats salariés, que s'il s'agissait de communications entre la Shell et un bureau de praticiens généralistes. Comparer avec l'arrêt Crompton Limited c. Customs and Excise Commissioners 6 .
Il n'est pas nécessaire dans ces motifs d'insister sur l'importance que le législateur a attachée aux fonctions qu'il a confiées au directeur. De toute évidence, la découverte et la condamnation des infractions créées par la Partie V de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions sont du plus grand intérêt public et l'on entendait accorder au direc- teur des pouvoirs presque illimités pour la recher- che des faits pertinents, sous l'unique réserve des garanties fondamentales imposées par d'autres intérêts publics 7 . Ceci se dégage non seulement de l'article 10 que j'ai cité, mais d'autres dispositions,
a [1974] A.C. 405, aux pages 430 et 431.
'Non seulement les pouvoirs prévus à l'article 10 ne peuvent- ils être exercés sans un certificat accordé par un membre de la
tels les articles 12 et 17 de la Loi relative aux enquêtes, sur les coalitions.
Il n'est pas non plus nécessaire de répéter ici les principes d'ordre public qui servent de fondement au privilège du secret entre avocat et client'. Il suffit de dire, sur cette question, qu'il est reconnu depuis très longtemps que la protection civile et criminelle, que nos principes de droit accordent à l'individu 9 est subordonnée à l'assistance et aux conseils que l'individu reçoit d'hommes de loi sans aucune crainte que la divulgation pleine et entière de tous ses actes et pensées à son conseiller juri- dique puisse de quelque façon être connue des tiers de manière à être utilisée contre lui.
Il faut déterminer en l'espèce, si, en conférant au directeur des pouvoirs d'enquête au sens le plus large, le législateur entendait saper les rapports confidentiels entre avocat et client qui ont rendu nécessaire le privilège du secret entre avocat et client relativement aux témoignages devant les tribunaux. A mon avis, il faut répondre à cette question par la négative.
Il doit toujours y avoir des exemples les Cours, devant les termes généraux que le législa- teur utilise pour réaliser quelque objectif impor tant d'ordre public, doivent décider si le législateur entendait, par ces termes, apporter une modifica tion fondamentale à quelque principe de droit ou institution dont il n'est fait aucune mention expli- cite. (Comparer avec les arrêts George Wimpey & Co. Ld. c. B.O.A.C. 10 et Le Roi c. Jeu Jang How 11 .) A mon avis, la présente affaire en est un exemple.
Commission (article 10(3)), mais on ne peut faire usage de la force qu'en vertu d'une ordonnance judiciaire (article 10(5)). Je considère ces deux garanties comme des mesures empêchant toute violation illégale, inutile ou abusive de la propriété ou des droits constitutionnels de tierces personnes.
' Au sujet de ce privilège, voir l'arrêt récent de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Bell c. Smith, [1968] R.C.S. 664, la page 671, le juge Spence prononce le jugement de la Cour.
Dans ce contexte, je ne pense pas qu'il faille établir de distinction artificielle entre les individus comme tels et les individus exerçant des droits par l'entremise de compagnies.
10 [1955] A.C. 169, le lord juge Reid, à la page 191. " (1919) 59 R.C.S. 175, le juge Duff, à la page 179.
Je réalise pleinement que le caractère confiden- tiel des rapports entre avocat et client s'est jus- qu'ici manifesté principalement, sinon entière- ment, par le privilège accordé au client de ne pas divulguer les communications intervenues entre lui et son avocat 12 dans son témoignage devant la Cour ou dans son interrogatoire préalable. A mon avis, toutefois, ce privilège n'est qu'une simple manifestation d'un principe fondamental qui sert de fondement à notre système judiciaire, principe auquel la formule obligatoire d'examen antérieur à la poursuite prévue dans la Loi relative aux enquê- tes sur les coalitions, tout autant que le témoi- gnage devant la Cour ou l'interrogatoire préalable, porterait nettement atteinte, tout en causant le même préjudice à notre système judiciaire 13
En réalité, il ne faut pas oublier que l'un des aspects fondamentaux du mécanisme de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions est la publication des rapports de la Commission sur les pratiques restrictives du commerce, qui contien- nent, ainsi que la Loi le demande, les sommaires de la preuve déposée par le directeur devant la Commission. Je suis persuadé que cette publica tion, ou la menace de cette publication, constitue une arme tout aussi puissante contre les infractions relatives aux échanges, prévues à la Partie V de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, que les poursuites ou les menaces de poursuites contre l'auteur de ces infractions. En interprétant l'article 10 de la Loi relative aux enquêtes sur les coali tions de manière à supprimer toute protection des rapports confidentiels entre avocat et client, on en viendrait alors à saper ces rapports de façon beau
12 Il y a, bien sûr, un autre aspect du privilège (l'exposé de l'avocat) qui ne nécessite pas de mention spéciale ici.
13 Comparer avec l'arrêt Slavutych c. Board of Governors of the University of Alberta (1975) 3 N.R. 587, reversing (1974) 41 D.L.R. (3e) 71, concernant une demande portant sur des rapports confidentiels pour justifier autre chose qu'un privilège se rattachant aux témoignages.
coup plus efficace que si l'on abolissait le privilège de ne pas témoigner en audience publique.
Il ne faut pas oublier que la discussion en l'es- pèce porte uniquement sur les communications de bonne foi entre avocat et client. Les complots entre un avocat et une autre personne en vue de com- mettre, un crime et les recours aux rapports entre avocat et client pour cacher des éléments de preuve ou des faits pertinents ne relèvent aucunement du principe du secret qui jouit de la protection de la Loi.
A mon avis, la demande en vertu de l'article 28 doit être rejetée.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE THURLOW: Je suis d'avis qu'on ne peut accéder à la demande et qu'elle doit être rejetée pour les motifs énoncés par le juge en chef. Pour ma part, je désire ajouter deux commentaires.
Tout d'abord, il me semble que la présence du paragraphe (5) dans l'article 10 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions démontre que l'on n'entendait pas conférer au paragraphe 10(1) une interprétation si large qu'elle supplante et annule un droit aussi fondamental que celui du secret des communications entre un client et son avocat, du genre de celles qui sont reconnues comme étant privilégiées.
En second lieu, il me paraît que le caractère confidentiel de ces communications, qu'elles soient orales ou écrites, prend naissance au moment de l'échange des communications. Puisque le droit à la protection du secret, communément appelé secret professionnel, n'est pas subordonné à l'exis- tence d'un procès en cours ou même prévu au moment les communications sont faites, il me semble que le droit à la protection des communica tions doit également exister à cette époque et pouvoir être invoqué en toute autre occasion, lors- que le secret peut être menacé par quiconque prétend exercer l'autorité de la Loi.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés oralement par
LE JUGE RYAN: Je suis d'avis que la demande doit être rejetée pour les motifs énoncés par le juge en chef Jackett. Je souscris également aux com- mentaires de mon collègue le juge Thurlow.
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LES JUGES PRATTE ET URIE y ont souscrit.
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