Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-419-74
In re l'extradition de Wong Shue Teen
Cour d'appel, les juges Pratte, Urie et Ryan— Vancouver, les 21, 22 et 23 avril, Ottawa, le 8 mai 1975.
Examen judiciaire—Extradition—Affidavits—Ont - ils été correctement «légalisés»? Sont-ils admissibles—Loi sur l'extradition, S.R.C. 1970, c. E-21, art. 16 et 17 Loi sur la preuve du Canada, S.R.C. 1970, c. E-10, art. 23.
La preuve soumise au juge d'extradition consistait dans des copies de deux affidavits qui semblent avoir été faits à Hong- Kong en présence du consul des États-Unis. Les deux docu ments ont été visés par un fonctionnaire américain et ont été «légalisés» par le sceau officiel du ministère de la Justice de ce pays. Le requérant prétend que lesdits documents ne sont pas admissibles.
Arrêt: la décision est annulée; les affidavits ont été admis à tort. En vertu de la Loi sur l'extradition, les documents doivent être légalisés par un fonctionnaire du pays la déposition a été faite. La preuve de l'existence d'un document est différente de sa légalisation. L'attestation conformément à l'art. 23 de la Loi sur la preuve au Canada établit qu'une copie est une reproduction fidèle mais elle n'établit pas l'authenticité du document original.
DEMANDE d'examen judiciaire. AVOCATS:
W. Wong pour le requérant. S. J. Hardinge pour l'intimé.
PROCUREURS:
Lew et Wong, Vancouver, pour le requérant. Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: Il s'agit d'une demande pré- sentée en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, en vue d'obtenir l'examen et l'annulation de la décision d'un juge agissant en vertu de la Loi sur l'extradition (S.R.C. 1970, c. E-21), par laquelle il lançait un mandat d'incarcération à l'égard du requérant Wong Shue Teen, en vue de son extradition aux États-Unis d'Amérique.
La preuve soumise à l'encontre du requérant, à l'audience tenue par le juge d'extradition, consis- tait dans les copies de deux affidavits qui semblent avoir été faits sous serment à Hong-Kong en pré- sence du consul des États-Unis. Les deux docu-
ments ont été visés par un fonctionnaire américain et ont été «légalisés» par le sceau officiel du minis- tère de la Justice de ce pays.
Le savant juge d'extradition décida que ces documents étaient admissibles en preuve en vertu de l'article 16 de la Loi sur l'extradition et, plus particulièrement, que la légalisation de ces docu ments remplissait les exigences des alinéas a) et b) de l'article 17'. J'ai le regret de ne pouvoir sous- crire à cette opinion.
En vertu de l'article 16 «les dépositions ou décla- rations reçues dans un État étranger, sous serment ... , et les copies de ces dépositions ou déclara- tions» peuvent être reçues en preuve, lors de procé- dures d'extradition, si elles «sont régulièrement légalisées». L'article 17 prévoit que «les pièces mentionnées à l'article 16 sont réputées dûment légalisées si elles le sont» d'une des manières décri- tes aux alinéas a) et b) de l'article ou «de la manière prescrite par la loi alors en vigueur».
Si nous considérons ensemble les articles 16 et 17, il devient alors évident que pour remplir les conditions prévues aux alinéas a) ou b) de l'article 17, une déposition ou déclaration reçue sous ser- ment dans un état étranger doit être légalisée par un fonctionnaire du pays la déclaration ou déposition a été faite. Les deux affidavits en cause ont été faits à Hong-Kong et ont prétendument été
' Les articles 16 et 17 de la Loi sur l'extradition se lisent comme suit:
16. Les dépositions ou déclarations reçues dans un État étranger, sous serment ou sous affirmation, si l'affirmation est permise par la loi de cet État, et les copies de ces dépositions ou déclarations, et les certificats ou les pièces judiciaires étrangers établissant le fait d'une déclaration de culpabilité, peuvent, s'il sont régulièrement légalisés, être reçus en preuve dans toutes procédures en vertu de la présente Partie. S.R., c. 322, art. 16.
17. Les pièces mentionnées à l'article 16 sont réputées dûment légalisées, si elles le sont de la manière prescrite par la loi alors en vigueur ou,
a) si le mandat est donné comme ayant été signé ou le certificat comme ayant été attesté, ou les dépositions ou déclarations, ou leurs copies, comme ayant été certifiées originales ou conformes, par un juge, un magistrat ou un
fonctionnaire de l'État étranger; et
b) si les documents sont attestés sous le serment ou l'affir- mation, d'un témoin, ou sous le sceau officiel du ministre de la Justice ou de quelque autre ministre de cet État étranger, ou d'une colonie, dépendance ou partie consti- tuante de cet État, duquel sceau le juge prend connais- sance judiciaire sans plus amples preuves. S.R., c. 322, art. 17.
légalisés par un fonctionnaire des États-Unis et le sceau du ministère de la Justice de ce pays. Ils n'ont donc pas été légalisés d'une des manières décrites aux alinéas a) et b) de l'article 17.
Lorsqu'on lui opposa cette objection (qui, je dois bien le dire, ne fut jamais explicitement invoquée avant l'audition de cette demande), l'avocat des États-Unis suggéra que l'expression «État étran- ger» à l'article 17 se rapportait à l'état réclamant l'extradition plutôt qu'à celui la déposition avait été faite. Il se rendit rapidement compte, cepen- dant, que cette suggestion ne lui était d'aucune aide car si l'expression «État étranger» à l'article 17 se rapportait à l'état réclamant l'extradition, il faudrait lui donner le même sens à l'article 16. Dans ce cas, on ne pourrait recevoir en preuve, en vertu de l'article 16, que les affidavits faits dans l'état réclamant l'extradition.
Toutefois l'argument principal invoqué par l'avocat des États-Unis ne consistait pas à dire que les deux affidavits faits à Hong-Kong avaient été légalisés d'une des manières décrites aux alinéas a) et b) de l'article 17, mais à soutenir que ces deux affidavits avaient été légalisés «de la manière pres- crite par la loi alors en vigueur». Il prétendait que cette expression à l'article 17 se rapportait à l'arti- cle 23 de la Loi sur la preuve au Canada, qui se lit comme suit:
23. (1) La preuve d'une procédure ou pièce quelconque d'une cour de la Grande-Bretagne ou de la Cour suprême ou de la Cour fédérale du Canada ou d'une cour d'une province du Canada, ou de toute cour d'une colonie ou possession britanni- que, ou d'une cour d'archives des États-Unis d'Amérique, ou de tout État des États-Unis d'Amérique, ou d'un autre pays étranger, ou juge de paix ou d'un coroner dans une province du Canada, peut se faire, dans toute action ou procédure, au moyen d'une ampliation ou copie certifiée de la procédure ou pièce, donnée comme portant le sceau de la cour, ou la signa ture ou le sceau du juge de paix ou du coroner, selon le cas, sans aucune preuve de l'authenticité de ce sceau ou de la signature du juge de paix ou du coroner, ni autre preuve.
Avant de poursuivre, je tiens à rappeler ici que toute les parties ont admis que les deux affidavits faits à Hong-Kong à la demande des États-Unis, aux seules fins des procédures d'extradition au Canada, avaient été déposés auprès de la Cour de district (district sud de New-York). Je tiens aussi à ajouter que les deux copies de ces affidavits reçues en preuve aux fins des procédures d'extradi-
tion avaient été légalisées de la manière prévue à l'article 23 de la Loi sur la preuve au Canada.
L'avocat de l'état réclamant l'extradition sou- tient qu'une fois déposés auprès du tribunal à New-York, les deux affidavits de Hong-Kong fai- saient partie des archives dudit tribunal et, du même coup, devenaient des documents couverts par l'article 23. En conséquence, conclut l'avocat, ces affidavits peuvent être reçus en preuve «dans toute action ou procédure au moyen d'une ... copie certifiée ... donnée comme portant le sceau de la cour».
A mon avis, cet argument ingénieux était erroné parce qu'il confond la preuve de l'existence d'un document avec sa légalisation. L'article 23 de la Loi sur la preuve au Canada porte sur la preuve de certains documents et ne s'applique pas à leur légalisation.
La légalisation n'est pas une simple formalité. Une fois que l'affidavit a été légalisé d'une des manières décrites aux alinéas a) ou b) de l'article 17, son authenticité non seulement en tant que document, mais aussi en tant qu'affidavit, est éta- blie. La situation était assez différente lorsqu'un fonctionnaire d'un tribunal à New-York certifie de la manière prévue à l'article 23 de la Loi sur la preuve au Canada qu'un certain document est une copie conforme d'un autre document déposé auprès du tribunal, ledit document étant apparem- ment un affidavit fait à Hong-Kong. Une telle attestation établit simplement que la copie certi- fiée conforme est une reproduction fidèle de l'ori- ginal; elle n'établit aucunement l'authenticité du document original. En d'autres termes, le certificat délivré en l'espèce par le tribunal de New-York établit que des documents, identiques aux copies certifiées conformes, ont été déposés auprès de ce tribunal; il n'établit aucunement que les deux documents originaux sont effectivement des décla- rations faites sous serment.
Puisque toute la preuve soumise à l'encontre du requérant dans ces procédures d'extradition consis- tait dans des documents qui n'auraient pas être
reçus en preuve, nous devons à mon avis annuler la décision attaquée.
* * *
LE JUGE RYAN: Je souscris.
* * *
LE JUGE URIE: Je souscris.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.