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A-348-75
Sultan Ali Wazir Ali (Requérant) c.
Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion (Intimé)
Cour d'appel, le juge en chef Jackett, le juge Urie et le juge suppléant MacKay—Toronto, les 5 et 6 août 1975.
Examen judiciaire—Citoyenneté et immigration—Expul- sion—Document présenté comme étant une directive prévue à l'article 25—Y a-t-il une preuve de l'existence d'une autorisa- tion ministérielle?—Existe-t-il une preuve que le signataire était couvert par cette autorisation?—Loi sur l'immigration, S.R.C. 1970, c. I-2, art. 2, 14, 15, 22, 23, 25 27 et 60— Règlement sur les enquêtes de l'immigration, art. 6, 7b).
Selon le requérant, un document présenté comme étant une directive prévue à l'article 25 est invalide en raison de l'absence (1) de preuve que le Ministre a autorisé une personne à agir au nom du «directeur»; (2) de preuve que le signataire est couvert par cette autorisation.
Arrêt: la demande est rejetée. La personne ici en cause a l'intention de signer «au nom» du directeur, et elle est présumée jusqu'à la preuve du contraire, posséder le pouvoir qu'elle prétend exercer. Il s'agissait d'une enquête ministérielle, d'or- dre administratif, et il existait donc, à première vue, au moins une présomption que l'enquêteur spécial savait qui avait l'auto- rité requise et qu'il n'aurait pas procédé à une enquête sans avoir obtenu une directive appropriée. L'article 25 lu en corré- lation avec la définition du mot directeur l'autorisait à procéder ainsi, si le Ministre permettait au fonctionnaire d'agir «pour le compte» du directeur. Aux termes de l'article 60, l'argument soulevé au nom du requérant ne peut l'être que par le Ministre ou par une personne agissant pour son compte ou pour Sa Majesté.
Distinction faite avec l'arrêt Ramjit c. Le ministre de la
Main-d'oeuvre et de l'Immigration [1976] 1 C.F. 184.
EXAMEN judiciaire.
AVOCATS:
J. P. French pour le requérant. G. R. Garton pour l'intimé.
PROCUREURS:
Hughes, Amys, Toronto, pour le requérant. Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement de la Cour prononcés oralement par
LE JUGE EN CHEF JACKETT: On avait fixé au 5 août 1975 l'audition à Toronto d'une demande
présentée en vertu de l'article 28. Quelques jours avant cette date, un consentement au jugement annulant l'ordonnance d'expulsion visée par cette demande était déposé à la Cour. La Cour informa cependant les avocats que l'affaire devait être entendue à l'heure et au lieu originairement dési- gnés, car elle estimait ne pas pouvoir rendre un tel jugement fondé seulement sur un consentement. De plus, selon la Cour, il ne ressortait pas du dossier que l'ordonnance d'expulsion devrait être annulée.
Au cours de l'audition, on s'aperçut que le con- sentement audit jugement résultait de l'opinion que s'appliquait, en l'espèce, la décision de la présente cour dans l'affaire Ramjit c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration [[1976] 1 C.F. 184] prononcée à l'audience à Toronto, le 20 juin 1975.
La Cour entendit les avocats sur le point en litige, conclut que le motif de la décision Ramjit ne s'appliquait pas en l'espèce et refusa de pronon- cer un jugement fondé sur ce consentement. La Cour a accordé à l'avocat du requérant, qui le demandait, un délai supplémentaire pour préparer son argumentation sur d'autres aspects de l'ins- tance. Ce matin, on a entendu cette nouvelle argu mentation à laquelle l'avocat de l'intimé n'était pas tenu de répondre.
La Cour a rédigé les présents motifs dans le but d'expliquer pourquoi elle estime que l'affaire Ramjit ne s'applique pas en l'espèce.
Pour commencer, il faut rappeler qu'un enquê- teur spécial peut émettre une ordonnance d'expul- sion (voir l'article 27 de la Loi sur l'immigration) à la fin d'une enquête faisant suite:
a) au rapport prévu par l'article 22 (voir l'arti- cle 23(2)),
b) à une arrestation en vertu des articles 14 ou 15 (voir l'article 24), ou
c) au rapport prévu à l'article 18 (voir l'article 25).
Cependant, si un rapport en vertu de l'article 22 ou une arrestation en vertu des articles 14 ou 15 entraînent automatiquement la tenue d'une enquête, la Loi autorise cette procédure à la suite d'un rapport en vertu de l'article 18 seulement lorsque le «directeur» estime «qu'une enquête est
justifiée» et, en conséquence, prend des mesures pour «faire tenir une enquête». Ceci résulte de l'article 25:
25. Sous réserve de tout ordre ou de toutes instructions du Ministre, le directeur, sur réception d'un rapport écrit prévu par l'article 18 et s'il estime qu'une enquête est justifiée, doit faire tenir une enquête au sujet de la personne visée par le rapport. S.R., c. 325, art. 26.
On doit lire l'article 25 en relation avec la défini- tion de «directeur» à l'article 2:
«directeur» signifie le directeur de la division de l'immigration, au ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration ou une personne autorisée par le Ministre à agir pour le directeur;
Il faut aussi rappeler que l'«enquête» prévue à l'article 25 est tenue par un cadre administratif et porte sur une question qu'il faut examiner pour mettre en application les dispositions prohibitives de la Loi sur l'immigration, mais qu'elle doit cependant être conforme à certaines dispositions de la Loi (articles 26 et 27(1)) et aux règlements établis par le Ministre en vertu de l'article 58. Ces règlements exigent notamment que la directive prévue à l'article 25 soit donnée par écrit (Règle- ment 6) et déposée comme pièce au début de l'enquête (Règlement 7b)) 1 .
Enfin, il faut rappeler que dans l'affaire Ramjit et en l'espèce, il s'agit d'une procédure introduite en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, permettant à une personne d'attaquer la validité d'une ordonnance d'expulsion émise contre elle, la règle fondamentale veut que la charge de la preuve des faits—quand ceux-ci paraissent nécessaires—incombe au demandeur. (Cette règle ne tire à conséquence que si la contestation est fondée sur un fait non établi au dossier présenté devant cette Cour pour cette demande en vertu de l'article 28.) On ne doit pas confondre cette charge de la preuve avec l'obligation pour l'enquêteur spécial d'établir lors de l'enquête des faits justi- fiant une ordonnance d'expulsion. Dans une enquête faisant suite à un rapport en vertu de l'article 22, il incombe à la personne concernée de prouver qu'il ne lui est pas interdit d'entrer au Canada (article 26(4)), alors qu'une ordonnance d'expulsion ne peut probablement pas être émise, après enquête tenue à la suite d'un rapport en
Ce Règlement sur les enquêtes de l'immigration fut établi à l'époque les articles 18 et 25 actuels de la Loi sur l'immi- gration étaient respectivement les articles 19 et 26.
vertu de l'article 18, moins que l'enquêteur spé- cial n'ait trouvé une «preuve qu'il estime digne de foi» (article 26(3)) sur tous les faits justifiant l'ordonnance d'expulsion.
Examinons maintenant l'affaire Ramjit oit les motifs du jugement se lisent comme suit:
Selon nous, le document intitulé «pièce A», versé au dossier qui nous est soumis, ne correspond pas à ce que la transcription des procédures décrit comme étant la directive ordonnant la tenue de l'enquête, directive qui a alors été lue. Puisque le rapport de l'enquête ne mentionne pas le dépôt, en tant que «pièce A», de la directive alors lue, il ne nous semble aucune- ment démontré que le document intitulé «pièce constituait la directive ordonnant la tenue de l'enquête ou que l'article 7b) du Règlement sur les enquêtes de l'immigration avait été respecté.
De plus, selon nous, rien dans le dossier n'indique que le directeur de l'immigration ou une personne autorisée par le Ministre à agir au nom du directeur en question était la personne qui a donné la directive lue au cours de l'enquête.
J'annule donc l'ordonnance d'expulsion.
Ce qui signifie, selon nous, que la Cour a estimé, dans cette affaire, que l'enquête avait été précédée par une directive conforme aux exigences de l'arti- cle 25 z .
Nous n'interprétons pas le dernier paragraphe des motifs de l'affaire Ramjit comme signifiant que la décision était fondée sur le fait que l'omis- sion au «dossier» de l'enquête d'une indication que l'auteur de la directive avait l'autorité requise, invalidait ladite enquête. Selon nous, décider si une telle personne possédait les pouvoirs nécessaires est une question de fait à l'égard de laquelle, dans certains cas, ou peut présenter une preuve devant cette cour. Mais, nous n'avons pas à trancher la question dans cette requête, même si, à notre connaissance, la Cour a accepté une telle preuve dans d'autres affaires.
Nous allons maintenant considérer les faits per- tinents. Au début de l'enquête, un document pré- senté comme une directive conforme à l'article 25
z De toute façon, selon nous, aucune directive n'avait été présentée comme pièce au cours de l'enquête, et compte tenu des exigences de l'article 7b) du Règlement sur les enquêtes de l'immigration, on pouvait légitimement considérer cette omis sion comme réfutant toute présomption que l'enquête avait été tenue selon une directive appropriée.
fut déposé comme «pièce». Sa prétendue invalidité résultait du fait que ledit document était signé:
D. Lalonde
Directeur général adjoint (Opérations de l'immigration),
Région de l'Ontario
Au nom du directeur de la Division de l'Immigration Ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration
A la différence de l'affaire Ramjit, nous avons ici, comme «pièce» soumise à l'enquête, la «direc- tive» en vertu de laquelle elle fut tenue. On prétend que la directive est invalide en raison de:
a) l'absence de toute preuve que le Ministre a autorisé une personne à agir au nom du «direc- teur de la Division de l'Immigration du minis- tère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration», selon la définition du mot «directeur»,
et
b) de l'absence de toute preuve que le signataire de la directive était couvert par cette autorisation.
Nous répondrons qu'en premier lieu, il ressort de la directive, que le signataire a ,l'intention de signer «au nom» du directeur de la Division de l'Immigration. De fait, selon les règles ordinaires d'administration ministérielle, il est présumé jus- qu'à la preuve du contraire, posséder le pouvoir qu'il prétend exercer. Dans la présente affaire, il s'agissait de surcroît d'une enquête ministérielle, d'ordre administratif et il existait donc, à première vue, au moins une présomption que l'enquêteur spécial savait qui avait ou non l'autorité requise et qu'il n'aurait pas procédé à une enquête sans avoir obtenu une directive appropriée 3 .
Mais l'affaire n'en demeure pas là. L'article 60(1) de la Loi sur l'immigration semble indiquer expressément comment considérer les documents
3 En effect, l'enquêteur spécial déclara, en déposant la direc tive comme «pièce», qu'elle était conforme à l'article 25.
présentés comme établis conformément à la Loi'. Les passages pertinents de l'article 60(1) se lisent comme suit:
60. (1) Tout document présenté comme étant un ... docu ment sous le nom écrit ... [de la] personne autorisée par la présente loi à établir un semblable document, constitue, dans toute ... procédure sous le régime de la présente loi ... ou en découlant une preuve des faits y contenus sans établissement de la signature ou du caractère officiel de la personne qui semble l'avoir signé à moins que le fait ne soit contesté par le Ministre ou par quelque autre personne agissant pour son compte ou pour Sa Majesté.
Nous avons ici un document donnant à entendre qu'un fonctionnaire à l'immigration, agissant «pour le compte» du directeur de la Division, a fait tenir une enquête conformément à l'article 25. L'article 25 lu en corrélation avec la définition du mot «directeur», l'autorisait à le faire, si le Minis- tre permettait au fonctionnaire d'agir «pour le compte» du directeur. Selon nous, la Loi prévoit clairement à l'article 60 que l'argument ainsi sou- levé au nom du requérant' ne peut l'être que par le Ministre ou par une personne agissant pour son compte ou pour Sa Majesté.
Dans les circonstances, la demande présentée en vertu de l'article 28 sera rejetée.
4 L'article 60(1) se lit comme suit:
60. (1) Tout document présenté comme étant une ordon- nance d'expulsion, une ordonnance de rejet, un mandat, un ordre, une sommation, une directive, un avis ou autre docu ment sous le nom écrit du Ministre, du directeur, d'un enquêteur spécial, d'un fonctionnaire à l'immigration ou autre personne autorisée par la présente loi à établir un semblable document, constitue, dans toute poursuite ou autre procédure sous le régime de la présente loi ou de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration ou en découlant une preuve des faits y contenus sans établissement de la signature ou du caractère officiel de la personne qui semble l'avoir signé à moins que le fait ne soit contesté par le Ministre ou par quelque autre personne agissant pour son compte ou pour Sa Majesté.
5 I1 conteste en fait le «caractère officiel de la personne qui semble avoir signé» la directive à titre de personne relevant de la définition du mot «directeur».
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