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T-809-74
Pepsico Inc., et Pepsi-Cola. Canada Ltd. (Appelantes)
c.
Le registraire des marques de commerce (Intimé)
Division de première instance, le juge Heald— Ottawa, les 25 juin et 3 juillet 1975.
Marques de commerce—Les appelantes font opposition à une demande d'enregistrement de marque de commerce—L'in- timé affirme qu'à première vue, la déclaration d'opposition ne soulève aucune question sérieuse et invite les appelantes à fournir leurs observations—Les appelantes refusent de fournir des précisions sur leurs moyens—Le registraire décide que l'opposition ne soulève aucune question sérieuse et la rejette en vertu de l'article 37(4)—A-t-il correctement interprété l'article 37(4)?—Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, c. T-10, art. 12(1), 37(2)b), c), d), (4)—Règles 408(1) et 419(1)a) de la Cour fédérale.
Les appelantes ont déposé une déclaration d'opposition à une demande d'enregistrement de marque de commerce. Dans sa réponse, l'intimé déclara qu'il estimait à première vue que la déclaration ne soulevait aucune question sérieuse, et ajouta que, dans le but «d'éviter de causer des difficultés et une injustice», il invitait les appelantes à faire leurs observations, quoique «le paragraphe 37(4) n'oblige pas le registraire à fournir à un éventuel opposant l'occasion de faire des commentaires avant de rejeter son opposition». Les appelantes ont soutenu qu'en vertu de l'article 37(4), on n'avait pas à examiner, à ce stade, les preuves et les moyens qu'un opposant pourra produire et avancer et ont décliné l'invitation d'exposer leurs moyens. L'intimé décida que l'opposition n'avait soulevé aucune ques tion sérieuse et la rejeta en vertu de l'article 37(4). Les appelantes interjetèrent appel.
Arrêt: l'appel est accueilli; le registraire a mal exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'article 37(4). Il a assimilé l'expression «question sérieuse» à l'expression «chances sérieuses d'avoir gain de cause», ce qui est tout à fait différent. En imposant le critère de «chances sérieuses», il a exigé un critère bien plus rigoureux que celui de «question sérieuse» énoncé à l'article 37(4). La Règle 419(1)a), qui prévoit la radiation d'une plaidoirie, est pertinente en l'espèce. Dans un pareil cas, la Cour doit simplement décider si «la réclamation du demandeur est soutenue». C'est la question que le registraire aurait se poser. Par analogie aux Règles de la Cour fédérale, le registraire a commis une erreur en demandant aux opposan- tes, à ce stade préliminaire, de fournir leurs preuves et moyens. En vertu de la Règle 408(1), les plaidoiries doivent alléguer uniquement des faits et non des preuves. En imposant une telle exigence, le registraire essayait de faire ce que l'article 37(8) lui prescrit de faire à l'audience, après l'examen de toutes les preuves. Le registraire doit utiliser l'article 37(4) pour rejeter les oppositions futiles, cependant, il n'a pas le droit de se servir de cet article dans le cas l'opposant a démontré que sa réclamation était soutenable.
Distinction faite avec l'arrêt: Canadian Schenley c. Le registraire des marques de commerce 15 C.P.R. (2°) 1.
Arrêt appliqué: Succession Creaghan c. La Reine [1972] C.F. 732.
APPEL. AVOCATS:
J. Clark, c.r., et D. Lack pour les appelantes. D. Friesen et F. 011ivier pour l'intimé. R. G. McClanahan, c.r., et A. M. Butler pour Dr. Pepper.
PROCUREURS:
Ogilvy, Cope, Porteous, Hansard, Marler, Montgomery & Renault, Montréal, pour les appelantes.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour Dr. Pepper.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Il s'agit d'un appel, présenté en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, c. T-10, d'une décision du registraire des marques de commerce en date du 22 janvier 1974, par laquelle ledit registraire a rejeté l'opposition des appelantes à la demande d'enregistrement de la marque de commerce «PEPPER», no 364228, présentée par la Dr. Pepper Company.
Voici les faits: la Dr. Pepper Company a déposé le 7 mai 1973 au Bureau des marques de com merce une demande d'enregistrement de la préten- due marque de commerce «PEPPER» pour une bois- son non alcoolisée, sans malt, vendue comme boisson gazeuse, et le sirop utilisé pour sa fabrica tion; la demande a été, aux fins d'opposition, publiée dans le Journal des marques de commerce le 10 octobre 1973.
Le 9 novembre 1973, dans le délai d'un mois à compter de la date de l'annonce, prévu à l'article 37 de la Loi sur les marques de commerce, les appelantes ont demandé une prorogation jusqu'au 10 décembre 1973 'du délai pour produire une opposition à ladite demande et l'intimé a accordé cette prorogation par lettre en date du 22 novem- bre 1973.
Le 10 décembre 1973, les appelantes ont produit leur déclaration d'opposition au Bureau du regis- traire. On peut résumer ainsi les motifs d'opposi- tion qui y étaient exposés:
a) Moyen tiré de l'article 37(2)b) de la Loi sur les marques de commerce:
(i) La prétendue marque de commerce «PEPPER», conformément à l'article 12(1) d), doit être utilisée pour «une boisson non alcoo- lisée, sans malt, vendue comme boisson gazeuse et le sirop servant à sa fabrication»; si elle était employée pour de telles marchandi- ses, ladite marque créerait de la confusion, au sens de l'article 6 de la Loi, avec un certain nombre de marques de commerce enregistrées de l'appelante Pepsico Inc., parmi lesquelles PEPSI -COLA; PEPSI -COLA et dessin; PEPSI; et PEPSI et dessin.
(ii) Conformément à l'article 12(1)a), le mot PEPPER, particulièrement lôrsqu'il est utilisé par une compagnie dont la raison sociale com- prend le nom «DR. PEPPER». n'est principale- ment que le nom ou le nom de famille d'une personne vivante ou qui est décédée dans les trente années précédentes.
(iii) Conformément à l'article 12(1)b), le mot «PEPPER» est une description claire ou une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises en liaison avec lesquelles on essaye de faire enregistrer la prétendue marque de commerce.
(iv) Conformément à l'article 12(1)c) et sub- sidiairement au paragraphe a)(ii) ci-dessus, le mot «PEPPER» est le nom du genre de boisson à l'égard de laquelle on projette de l'employer.
b) Moyen fondé sur l'article 37(2)c) de la Loi. La requérante n'est pas la personne ayant droit à l'enregistrement de la prétendue marque de commerce «PEPPER», parce que, conformément à l'article 16(3), ladite marque n'est pas enregis- trable, compte tenu des dispositions de l'article 12(1)a), b),c) et d).
c) Moyen fondé sur l'article 37(2)c) de la Loi. La requérante n'est pas la personne ayant droit à l'enregistrement de ladite marque de com merce puisque l'emploi du mot «PEPPER» pour «une boisson non alcoolisée, sans malt, vendue comme boisson gazeuse et le sirop servant à sa
fabrication» créerait de la confusion avec la marque de commerce de l'appelante «Pepsi-Cola of Canada Ltd.» que ladite appelante avait anté- rieurement employée au Canada et qu'elle conti nue à employer.
d) Moyen fondé sur l'article 37(2)d) de la Loi. La marque de commerce «PEPPER» utilisée pour «une boisson non alcoolisée, sans malt, vendue comme boisson gazeuse et le sirop servant à la fabriquer» n'est pas distinctive, ni adaptée à distinguer au sens de l'article 2 de la Loi sur les marques de commerce, parce qu'elle n'est pas susceptible de distinguer lesdites marchandises de la requérante de celles d'autres propriétaires et particulièrement de celles des appelantes.
Le 28 décembre 1973, les représentants des appelantes ont reçu une lettre de l'intimé en date du 21 décembre 1973, déclarant notamment:
[TRADUCTION] ... que j'estime à première vue que la déclara- tion d'opposition ne soulève aucune question sérieuse à tran- cher. Cette lettre a pour but de vous fournir l'occasion de me démontrer, en exposant d'une manière assez détaillée les preu- ves et moyens que vous avez l'intention respectivement de produire et d'avancer, qu'il y a une question sérieuse à trancher.
Je vous signale, à titre de renseignement, que je considère que les risques de confusion pouvant résulter de l'emploi simultané, dans le même domaine, de la marque de commerce de votre cliente et de la marque de commerce PEPPER pour les mêmes marchandises sont si minimes que les allégations contenues dans votre déclaration d'opposition, fondées sur les alinéas 37(2)11) et 12(1)d) ne soulèvent aucune question sérieuse. En ce qui concerne l'alinéa 12(1)b) je ne vois nullement comment le mot PEPPER est une description claire ou une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises visées dans la demande. En ce qui a trait à l'alinéa 12(1)c), le mot PEPPER est plus connu comme condiment que comme nom de famille et, par conséquent, je ne vois non plus aucune question sérieuse dans cette allégation.
Si les allégations contenues dans la déclaration d'opposition et fondées sur l'alinéa 37(2)b) ne soulèvent aucune question sérieuse, je n'en vois pas non plus dans les allégations fondées sur l'alinéa 37(2)c) et d).
Vous 'Vous rendez naturellement compte que le paragraphe 37(4) n'oblige pas le registraire à fournir à un éventuel oppo- sant l'occasion de faire des commentaires avant de rejeter son opposition en vertu de ce paragraphe. Je vous accorde cette occasion de faire des commentaires dans le but d'éviter de causer des difficultés et une injustice à l'éventuelle opposante.
Vous voudrez bien me faire tenir vos observations dans les deux semaines de la date de cette lettre.
Par lettre en date du 3 janvier 1974, les appelan- tes ont répondu comme suit à la lettre du regis- traire datée du 21 décembre 1973:
[TRADUCTION] J'ai reçu aujourd'hui votre lettre du 21 décembre 1973, dans laquelle vous déclarez que vous estimez à première vue que la déclaration d'opposition produite par la PepsiCo, Inc. et Pepsi-Cola Canada Ltd. à la demande de la Dr. Pepper Company en vue de l'enregistrement de la marque de commerce PEPPER ne soulève aucune question sérieuse à trancher.
Vous nous avez invités à vous démontrer, en exposant d'une manière assez détaillée les preuves et moyens que nous avons l'intention respectivement de produire et d'avancer, qu'il y a une question sérieuse à trancher. D'après mon interprétation de l'article 37(4) de la Loi sur les marques de commerce, vous pouvez, à ce stade, considérer si l'opposition soulève ou non une question sérieuse à trancher, mais il ne vous appartient pas, à ce stade, d'examiner les preuves et les moyens que nous pourrons produire et avancer, car cela reviendrait à préjuger des ques tions en litige. Le titre figurant en marge de l'article 37(4) est «Opposition futile» et quoique ce titre puisse ne pas faire partie intégrante de la Loi, il définit néanmoins, à mon avis, le type d'opposition qui, dans l'intention du législateur, devrait être rejeté à ce stade. La procédure d'opposition a été introduite dans la loi en 1953 et le but de cette modification est exposé d'une manière assez détaillée dans le rapport de la Commission de révision du droit des marques de commerce, que l'on trouve dans l'ouvrage Fox on Trade Marks, édition, tome 2, aux pp. 1172 et 1173. Traitant du motif d'opposition fondé sur le caractère non distinctif dans certains cas, le rapport déclarait notamment:
[TRADUCTION] Le registraire ne sera pas en mesure de statuer sur ces cas au cours de son examen initial de la demande parce que les faits pertinents ne lui auront pas encore été soumis, il pourra le faire au stade de l'opposition parce qu'alors l'opposant lui aura soumis les faits pertinents.
Évidemment ces faits ne pourront convenablement être soumis au registraire qu'après la clôture des plaidoiries (c'est-à-dire la déclaration d'opposition et la contre-déclaration) et après la production des preuves par affidavit ou autrement. A mon avis, il n'appartient pas au registraire, à ce stade, d'examiner si l'opposante aura gain de cause mais simplement s'il y a en réalité une question sérieuse à trancher. A titre d'exemple d'un cas il n'y avait pas de question sérieuse, on m'a rappelé une certaine opposition, dont ce Bureau a eu connaissance, qui était fondée sur l'enregistrement de droit d'auteur, ce 'qui n'est évidemment pas un motif convenable d'opposition.
Vous avez fait savoir que vous considérez comme minimes les risques de confusion, pour les mêmes marchandises, entre la marque de commerce PEPPER et celles de nos clientes. Voilà une opinion qui préjuge de la question. Comme le Dr. Fox l'a écrit à la page 382 de son ouvrage sur les marques de commerce (3° édition), en traitant de la confusion en général:
[TRADUCTION] Il est bien établi qu'une cour, après avoir examiné deux mots et à partir de l'opinion et de l'idée qu'elle se fait des probabilités de confusion n'est pas à même de tirer une conclusion. La conclusion doit résulter des preuves sou- mises à la cour.
Il y a eu dans le passé beaucoup d'exemples de divergences d'opinions entre d'une part le registraire des marques de com merce et d'autre part les cours et aussi entre différentes cours, sur la question de savoir si deux marques données présentaient
des similitudes susceptibles de créer une confusion. A titre d'exemple je cite le cas des termes SMARTIES et SMOOTHIES que la Cour suprême du Canada en dernier ressort a jugé suscepti- bles de créer de la confusion. La Cour suprême du Canada a aussi décidé que les termes GOLD BAND et GOLDEN CIRCLET, pour des marchandises légèrement différentes (des cigares et des cigarettes) créaient de la confusion. Le registraire et la Cour de l'Échiquier du Canada ont jugé que même des mar- ques ' apparemment aussi différentes que OVIN et ENOVID créaient de la confusion. Ceci étant, il y a certainement une question sérieuse à trancher en ce qui concerne la possibilité de confusion entre PEPPER, PEPSI et PEPSI -COLA. A ce stade, il n'est ni nécessaire ni opportun que l'on démontre au registraire que l'opposante aura probablement gain de cause.
Vous avez également mis en doute l'allégation suivant laquelle, conformément à l'article 12(1)b), le mot PEPPER est une description claire ou une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises visées par la demande. D'autre part, vous faites état de l'utilisation du mot PEPPER pour désigner un condiment, ce qui constitue un argu ment en faveur du caractère descriptif ou faussement descriptif de la marque. Nous nous proposons, en temps opportun, de produire des preuves à l'appui de notre allégation suivant l'article 12(1)b).
Vous avez aussi mentionné l'article 12(1)c) (je pense que vous aviez à l'esprit l'article 12(1)a)) et le fait que le mot PEPPER est plus connu comme condiment que comme nom de famille. A mon avis, c'est une question qui fera l'objet des preuves et des débats. Le mot «Coles» fournit l'exemple d'une marque qui a été considérée comme enregistrable par la Cour de l'Echiquier du Canada après avoir été jugé non enregistrable par le registraire des marques de commerce, dont la décision a été finalement confirmée par la Cour suprême du Canada; la décision a porté sur l'étendue de l'emploi du mot COLES soit comme nom de famille soit pour décrire une variété de choux. Je prétends respectueusement qu'à la lumière de cette jurispru dence, il n'est pas justifié de déclarer, spécialement à ce stade, que l'allégation suivant laquelle PEPPER n'est que principale- ment un nom ou un nom de famille, ne soulève aucune question sérieuse.
En ce qui concerne l'allégation faite conformément à l'article 12(1)c), des preuves seront produites en temps opportun pour l'appuyer, si la requérante dépose une contre-déclaration.
En résumé, ma réponse à votre lettre est que les allégations contenues dans la déclaration d'opposition sont sérieuses et qu'elles exposent des motifs pertinents d'opposition à la demande d'enregistrement du mot PEPPER. Il n'est pas juste, à ce stade, d'exiger que l'opposante indique les preuves qu'elle produira ni les arguments qu'elle avancera alors que la requé- rante n'a pas encore déposé une contre-déclaration. Compte tenu de la jurisprudence canadienne, on ne peut pas dire que l'opposition est futile ou qu'elle n'a aucune chance de triompher sur l'un ou tous les moyens soulevés. Dans ces conditions, d'après mon interprétation de la Loi, le registraire devrait reconnaître que plusieurs questions importantes ont été sottie- vées et permettre à l'opposition de suivre son cours norm`'àl, même s'il peut ne pas être convaincu que l'opposition sera accueillie au fond. En réalité, le registraire ne doit pas se faire une idée sur le bien-fondé de la position de l'opposante avant le dépôt de la contre-déclaration, la production de toutes les
preuves et la présentation des arguments des deux parties. La procédure d'opposition introduite en 1953 est soumise au sys- tème accusatoire et le rejet d'une opposition conformément à l'article 37(4) de la Loi sur les marques de commerce ne peut avoir lieu que si l'opposition est manifestement futile et vouée à l'échec. On ne peut pas en dire autant de la présente opposition, en raison des allégations qui y sont contenues.
Dans ces conditions, je dois décliner votre invitation à fournir des précisions sur les preuves ou les arguments; je considère qu'elle est prématurée à ce moment et qu'elle pourrait injuste- ment désavantager l'opposante.
J'attends votre décision finale sur la question pour savoir, compte tenu de cette décision, si nous aurons à poursuivre la procédure d'opposition ou interjeter appel de votre décision.
Par lettre en date du 22 janvier 1974, l'intimé a répondu comme suit:
[TRADUCTION] J'accuse réception de votre lettre en date du 3 janvier 1974. Je vous sais gré de vos commentaires sur les buts du paragraphe 37(4) de la Loi sur les marques de commerce, mais je suis déçu que vous ayez refusé l'occasion d'exposer les preuves et arguments dont vous comptez vous servir.
Je ne peux partager l'interprétation que vous donnez au para- graphe 37(4). D'après votre interprétation, l'application du paragraphe 37(4) serait limitée uniquement aux cas l'oppo- sition n'a aucune base légale. Vous vous êtes référé à une opposition fondée sur l'enregistrement d'un droit d'auteur. On pourrait trouver d'autres exemples d'oppositions fondées sur les articles 7 ou 22 de la Loi sur les marques de commerce.
En toute déférence, vous avez donné une interprétation trop étroite au paragraphe 37(4); si cette interprétation était accep- tée le registraire ne pourrait plus rejeter les oppositions les plus futiles. Depuis les trois mois que j'occupe cette fonction, j'ai lu plusieurs centaines de dossiers d'opposition et je suis convaincu que beaucoup d'opposants ont mal interprété l'économie de la procédure d'opposition ou en ont délibérément abusé, et que d'autres, de bonne foi, revendiquaient une protection beaucoup trop étendue pour leurs marques de commerce. Quelles qu'en soient les raisons, il en est résulté que beaucoup de demandes qui auraient aboutir immédiatement à l'enregistrement après l'annonce dans le Journal des marques de commerce ont subi des retards de plusieurs mois, voire d'années.
Mon prédécesseur, qui était surchargé de travail, n'appliquait pas le paragraphe 37(4). J'ai l'intention de l'appliquer—et je le ferai jusqu'à ce que les tribunaux déclarent que j'ai tort—à tous les cas j'estime que l'opposition ne soulève aucune question sérieuse à trancher.
En ce qui concerne l'interprétation du paragraphe 37(4), vous vous référez dans votre lettre à la note marginale comme définissant le type d'opposition que le législateur avait l'inten- tion de rejeter en vertu du paragraphe 37(4). J'ai la certitude que vous connaissez la disposition de la Loi d'interprétation je crois qu'il s'agit de l'article 13—qui déclare qu'une note margi- nale ne fait pas partie du texte législatif dans lequel elle figure. Il n'est pas non plus convenable d'interpréter le paragraphe 37(4) en se référant aux déclarations contenues dans le rapport de la Commission de révision du droit des marques de com merce. En outre, l'extrait du rapport de la Commission, cité
dans votre lettre, concerne une situation totalement différente de celle qui nous occupe en l'espèce.
Notre tâche est donc d'interpréter l'expression «une question sérieuse pour décision, sans faire appel à la note marginale ni au rapport de la Commission. Si le législateur avait voulu limiter l'application du paragraphe 37(4) aux seuls cas où, en droit et non en fait, l'opposition est vouée à l'échec, il aurait employé des termes plus appropriés. Par exemple, on aurait pu disposer que le registraire peut rejeter une opposition lorsqu'il est convaincu qu'elle ne soulève aucun motif légal d'opposition. Vous déclarez qu'«il n'appartient pas au registraire, à ce stade, d'examiner si l'opposante aura gain de cause,. Je suis d'accord avec vous qu'il n'a pas ce pouvoir. Par contre, il a le pouvoir discrétionnaire de déterminer, à ce stade, si l'opposition soulève une question sérieuse à trancher. L'argument, suivant lequel le registraire ne peut pas prendre une telle décision avant d'avoir pris connaissance de la contre-déclaration, des preuves et des moyens, est séduisant. Cependant, il ne tient pas compte du fait que le registraire, à la lumière de l'expérience, a une bonne idée des limites de ce qui peut être établi par des preuves. Il peut apprécier d'une manière raisonnablement exacte quels sont les meilleurs arguments possibles dont dispose l'opposante et juger, au cas celui-ci a utilisé les meilleurs arguments, s'il a des chances sérieuses d'avoir gain de cause. Si le registraire arrive à la conclusion que l'opposante n'a aucune chance sérieuse—telle est ma conclusion—il doit, à mon avis, rejeter l'opposition en vertu du paragraphe 37(4).
Je me rends compte qu'il est dangereux et difficile d'essayer d'apprécier, dans le vide pour ainsi dire, les meilleurs argu ments que l'opposante pourrait présenter. J'en ai tenu compte quand je vous ai invités à m'exposer les preuves et les moyens dont vous entendiez vous servir. Puisque vous avez refusé cette occasion, je dois prendre une décision sans le bénéfice de votre exposé.
Je conclus que l'opposition ne soulève pas une question sérieuse à trancher et, en conséquence, je la rejette en vertu du paragra- phe 37(4) de la Loi.
Cet appel porte sur le rejet en vertu de l'article 37(4) de la Loi.
La Dr. Pepper Company a demandé à la Divi sion de première instance de cette cour l'autorisa- tion d'intervenir dans le présent appel. Cette demande avait été rejetée mais sur appel à la Cour d'appel fédérale [[1975] C.F. 264], cette cour, tout en rejetant l'appel de la Dr. Pepper Company, a décidé que ladite compagnie était partie à l'ap- pel, même si son nom ne figurait pas dans l'intitulé de la cause, et qu'en conséquence la Dr. Pepper Company n'avait pas besoin d'y intervenir puisque, en dehors de toute question de procédure, elle doit être considérée comme étant partie à l'appel. A la suite de cette décision de la Cour d'appel fédérale, la Dr. Pepper Company a déposé une réponse dans laquelle en s'opposant à l'appel elle déclare notamment:
[TRADUCTION] 3. La Dr. Pepper Company affirme que le registraire des marques de commerce n'a pas commis d'erreur ni excédé ses pouvoirs en rejetant l'avis d'opposition de l'appelante.
4. La Dr. Pepper Company soutient que la demande de rensei- gnements supplémentaires du registraire, que l'appelante a refusé de fournir, était motivée par l'absence de détails ou d'éléments dans les motifs d'opposition.
5. Le registraire n'était pas tenu d'écrire la lettre du 21 décembre 1973 dans laquelle il a exprimé sa première impres sion, on ne doit tenir compte ni de cette lettre ni de ce qui a suivi, en raison du fait que l'appelante n'a fourni aucune collaboration au registraire, dans l'appréciation de la justesse de la décision du registraire et de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.
6. Le registraire des marques de commerce est persona desi- gnata en vertu de l'article 37(4) de la Loi sur les marques de commerce. Il lui appartenait de prendre cette décision et il l'a prise d'une manière pertinente.
A l'appui de l'appel, l'avocat de la Dr. Pepper et celui de l'intimé ont insisté sur la décision que j'ai rendue dans l'affaire Canadian Schenley c. Le Registraire'. Ils se sont référés particulièrement à la page 9 de la décision je déclarais que, même si je n'approuvais pas la décision rendue par le registraire en vertu de l'article 37(4) de la Loi, je n'aurais pas le droit de substituer mon opinion à celle du registraire à moins qu'il fût établi que celui-ci s'est fondé sur un faux principe ou qu'il n'a pas exercé sa discrétion avec discernement. Dans cette affaire, ce n'était pas le cas. Cependant en l'espèce j'estime que le registraire s'est fondé sur un faux principe en exerçant sa discrétion en vertu de l'article 37(4) de la Loi. Dans sa lettre du 21 décembre 1973, adressée aux représentants des appelantes, le registraire demandait de démontrer, «en exposant d'une manière assez détaillée» les «preuves et moyens que vous avez l'intention res- pectivement de produire et d'avancer, qu'il y a une question sérieuse à trancher.» A nouveau dans sa lettre du 22 janvier 1974, il s'est référé au moins deux fois à un «exposé des preuves et des moyens». En outre, il résulte clairement de ladite lettre du 22 janvier 1974 qu'en interprétant l'expression «question sérieuse» de l'article 37(4), le registraire l'assimile à l'expression «chances sérieuses d'avoir gain de cause». A mon avis, l'expression «chances sérieuses de gain de cause» est tout à fait différente de l'expression «une question sérieuse pour déci- sion». Le Shorter Oxford English Dictionary défi-
115 C.P.R. (2') 1.
nit la «chance» comme une «probabilité» ou une «promesse de réussite». Ainsi, en imposant le cri: tare des «chances sérieuses», le registraire a imposé un critère beaucoup plus rigoureux que celui énoncé à l'article 37(4), c.-à-d. une «question sérieuse».
J'approuve l'avocate des appelantes quand elle soutient que la jurisprudence de cette cour, relative à la Règle 419(1)a) qui prévoit la radiation d'une plaidoirie au motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action, a des liens de connexité avec l'expression «une question sérieuse pour décision» employée à l'article 37(4) de la Loi sur les mar- ques de commerce. Le juge Pratte, dans l'arrêt Succession Creaghan c. La Reine 2 , a exposé d'une manière concise la pratique de cette cour relative à la Règle 419(1)a), lorsqu'il a déclaré à la page 736:
Par contre, lorsque cette cour est saisie d'une demande en vertu de la Règle 419(1)a), la Cour doit simplement décider si, en supposant que tous les faits allégués dans la déclaration sont vrais, la réclamation du demandeur est soutenue.
J'estime donc que, en examinant si l'opposante avait soulevé une question sérieuse pour décision, le registraire aurait se demander si, en suppo- sant que tous les faits allégués dans la déclaration d'opposition sont vrais, la réclamation de l'oppo- sante est soutenue. En imposant à l'opposante le critère plus rigoureux de probabilité ou de chance de réussite, le registraire s'est nettement fourvoyé et s'est fondé sur un faux principe.
J'estime aussi que le registraire a commis une erreur en demandant à l'opposante, au stade préli- minaire visé par l'article 37(4), de lui fournir des preuves et des moyens. Encore une fois, je me réfère, par analogie, aux Règles de la Cour fédé- rale. La Règle 408(1) exige que chaque plaidoirie contienne un exposé précis des faits essentiels sur lesquels se fonde la partie qui plaide (c'est moi qui souligne).
En d'autres termes, une plaidoirie convenable expose les faits essentiels et non les preuves que la partie se propose de produire pour établir ces faits. Il me semble qu'en imposant une telle exigence en vertu de l'article 37(4), le registraire en réalité
2 [1972] C.F. 732.
essaye d'utiliser l'article 37(4) pour faire ce que l'article 37(8) lui prescrit de faire à l'audience, après l'examen de toutes les preuves. A mon avis, en imposant cette exigence, le registraire s'est une fois de plus fondé sur un faux principe.
J'ai soigneusement examiné la déclaration d'op- position et, si l'on peut soutenir qu'elle est en grande partie une reproduction des divers articles applicables de la Loi sur les marques de com merce, elle contient néanmoins beaucoup d'alléga- tions de faits essentiels qui, s'ils sont prouvés à l'audience, pourraient donner gain de-cause à l'ap- pelante dans son opposition.
D'une manière générale, je suis bien disposé à l'égard de l'opinion que le registraire soutient dans la correspondance citée plus haut, d'après laquelle il doit se servir de l'article 37(4) de la Loi pour rejeter les oppositions futiles et éviter ainsi des retards de plusieurs mois et d'années dans les demandes produites à son bureau. Cependant, il n'a pas le droit, à mon avis, de se servir de l'article 37(4) dans le cas l'opposant a démontré que sa réclamation était soutenable.
Pour ces raisons, l'appel est accueilli et la déci- sion rendue par le registraire en vertu de l'article 37(4) de la Loi, annulée.
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