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A-31-74
Le ministre du Revenu national (Appelant) (Intimé)
c.
Canadian Glassine Co., Ltd. (Intimée) (Appe- lante)
Cour d'appel, les juges Pratte et Le Dain et le juge suppléant Kerr—Ottawa, le 7 janvier et le 17 février 1976.
Impôt sur le revenu—Dépenses engagées pour la construc tion de conduites—Sont-elles déductibles à titre de dépenses engagées pour produire un revenu?—Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148, art. 12(1)a).
L'intimée a conclu un accord avec la Cie A en vertu duquel cette dernière a construit des conduites de vapeur et de pâte à papier, qui sont restées la propriété de la Cie A et sont utilisées par l'intimée dans l'exploitation de son entreprise. L'intimée a versé à la Cie A, sur une période de 25 ans, la somme de $268,623.48 au titre du coût de construction et a déduit de son revenu chaque année le 1 /25» de ladite somme. Le Ministre a rejeté ces déductions mais la Division de première instance a jugé qu'elles étaient régulières. Le Ministre interjette appel.
Arrêt: l'appel est accueilli; la dépense n'est pas déductible car c'est une somme déboursée à compte de capital et apportant un avantage ne donnant pas droit à une allocation à l'égard du coût en capital. Dans son bilan, l'intimée qualifie de «tenure à bail», l'avantage pour lequel elle a payé $268,623.48; cela démontre que la véritable contrepartie du paiement était la construction des conduites plutôt que l'exécution des deux contrats d'approvisionnement. La somme ne peut être considé- rée comme une partie du coût de la pâte et de la vapeur. Il s'agit d'un paiement en contrepartie d'un avantage qui a aug menté la valeur de l'usine de l'intimée. Il a été versé «une fois pour toutes» «dans le but d'apporter un élément d'actif ou un avantage pour le bénéfice durable» de l'entreprise de l'intimée. Il s'agit d'une dépense engagée pour mettre sur pied une structure génératrice de bénéfices; elle n'a pas été engagée dans l'exploitation de cette structure. La thèse selon laquelle la dépense, en supposant qu'elle constitue une somme déboursée à compte de capital, a été effectuée pour obtenir une concession est fondée sur la supposition erronée selon laquelle il existe une concession à chaque fois qu'une personne jouit d'un droit. Le mot «concession» se réfère au droit d'exercer une activité qui n'aurait pu être poursuivie autrement, du moins dans les mêmes conditions.
Par le juge Le Dain (dissident): L'appel devrait être rejeté. La dépense représente une partie du coût d'exploitation pour obtenir de la pâte et de la vapeur et n'a rien procuré à l'intimée qui puisse être considéré comme un élément d'actif ou un avantage de la nature d'une immobilisation. Un contrat d'ap- provisionnement ne constitue pas un élément d'actif ou un avantage de la nature d'une immobilisation. C'est l'objet du contrat qui permet de réaliser des bénéfices. Un paiement en contrepartie du contrat constitue un paiement en contrepartie de l'approvisionnement. Pour considérer l'ensemble de la dépense comme un paiement effectué en contrepartie de la pâte
et de la vapeur, il n'est pas nécessaire que la dépense soit manifestement applicable, dans des proportions certaines, au prix à l'unité de la pâte et de la vapeur. Compte tenu du fait que la dépense portait sur la pâte et sur la vapeur, sans précision quant aux proportions imputables à chaque contrat, et que les deux contrats sont restés en vigueur pendant une période de temps supérieure à leur durée initiale, comme l'on s'y attendait probablement à l'époque de leur conclusion, il n'est pas déraisonnable d'amortir toute la dépense sur une période de 25 ans.
Arrêts analysés: British Insulated and Helsby Cables, Limited c. Atherton [1926] A.C. 205; Anglo-Persian Oil Company, Limited c. Dale [1932] 1 K.B. 124; M.R.N. c. Tower Investment Inc. [1972] C.F. 454; M.R.N. c. Algoma Central Railway [1968] R.C.S. 447; Van Den Berghs Ltd. c. Clark [1935] A.C. 431; Canada Starch Company Limited c. M.R.N. [1969] 1 R.C.E. 96; Bowater Power Company Ltd. c. M.R.N. [1971] C.F. 421; Pigott Investments Limited c. La Reine 73 DTC 5507; La Reine c. F. H. Jones Tobacco Sales Co. Ltd. [1973] C.F. 825; Rossmor Auto Supply Limited c. M.R.N. [1962] C.T.C. 123; Consolidated Textiles Limited c. M.R.N. [1947] R.C.É. 77; Associated Investors of Canada Limited c. M.R.N. [1967] 2 R.C.É. 96; M.R.N. c. Anaconda Ameri- can Brass Ltd. [1956] A.C. 85; B.P. Australia Ltd. c. Commissioner of Taxation [1966] A.C. 224; Regent Oil Co. Ltd. c. Strick [1966] A.C. 295; Sun Newspapers c. Federal Commissioner of Taxation (1938-39) 61 C.L.R. 337; Hallstroms Proprietary Limited c. Federal Commis sioner of Taxation (1945-46) 72 C.L.R. 634; Commis sioner of Taxes c. Nchanga Consolidated Copper Mines Ltd. [1964] A.C. 948; John Smith and Son c. Moore [1921] 2 A.C. 13; Hood Barrs c. Inland Revenue Com missioners [ 1957] 1 All E.R. 832 et Stow Bardolph Gravel Co. Ltd. c. Poole [1954] 3 All E.R. 637.
APPEL. AVOCATS:
A. Garon, c.r., et W. Lefebvre pour l'appelant.
R. de Wolfe MacKay, c.r., et B. A. Crane pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelant.
Duquet, MacKay, Weldon & Bronstetter, Montréal, et Gowling and Henderson, Ottawa, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: J'ai eu l'avantage de lire les motifs de jugement prononcés par mon collègue le juge Le Dain. Bien que je sois du même avis que
lui sur plusieurs points, je ne partage pas son opinion selon laquelle la dépense en cause fut à juste titre déduite lors du calcul du revenu de l'intimée. A mon avis, cette dépense constitue une somme déboursée à compte de capital et a apporté un avantage ne donnant pas droit à une allocation à l'égard du coût en capital.
Dans son bilan, l'intimée a désigné «tenure à bail», l'avantage pour lequel elle a payé $268,- 623.48. A mon avis, cela démontre clairement que la véritable contrepartie du paiement était la cons truction des conduites plutôt que l'exécution des deux contrats d'approvisionnement. Pour ce motif, je ne peux considérer la somme de $268,623.48 comme une partie du prix ou du coût de la pâte et de la vapeur. Cette somme me semble avoir été déboursée pour relier physiquement et d'une façon permanente l'usine de l'intimée et celle d'Anglo- Canadian. Grâce à cet aménagement, l'usine de l'intimée pouvait facilement et à peu de frais s'ap- provisionner en vapeur et en pâte. A mon avis, la somme de $268,623.48 fut payée en contrepartie d'un avantage qui, en fait, a augmenté la valeur et l'attrait de l'usine de l'intimée. Ce paiement fut effectué «une fois pour toutes» et «dans le but d'apporter un élément d'actif ou un avantage pour le bénéfice durable» du commerce de l'intimée. De plus, il s'agit, à mon avis, d'une dépense engagée pour mettre sur pied la structure génératrice de bénéfices du commerce de l'intimée; elle n'a pas été engagée pour opérer cette structure. Que je considère la dépense en cause du point de vue juridique ou pratique, ma conclusion demeure la même; il s'agit d'une dépense de capital.
J'étudierai maintenant l'argument de l'intimée selon lequel la dépense, en supposant qu'elle cons- titue une somme déboursée à compte de capital, a été effectuée pour obtenir une concession lui don- nant le droit de déduire, dans le calcul de son revenu pour les années en cause, une allocation à l'égard du coût en capital en vertu de l'article 11(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu et de l'article 1100(1)c) des Règlements. Cette thèse me semble fondée sur la supposition erronée selon laquelle il existe une concession à chaque fois qu'une personne jouit d'un droit. Ce n'est pas le cas. Peu importe la signification exacte du mot «concession» aux Règlements de l'impôt sur le
revenu, il se réfère au droit, accordé à une per- sonne, d'exercer une activité qu'elle n'aurait pu poursuivre autrement, du moins dans les mêmes conditions.
Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel avec dépens dans cette cour et dans la Division de première instance.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Appel est interjeté d'une décision de la Division de première instance' accueillant le pourvoi de l'intimée contre les cotisa- tions à l'impôt sur le revenu pour les années d'im- position se terminant en février 1966, 1967, 1968 et 1969.
Le litige porte sur la nature d'une dépense de $268,623.48 effectuée par l'intimée en 1953 et amortie sur une période de vingt-cinq années, en déduisant de son revenu 1/25e de ladite somme, soit $10,744.94, pendant chacune des années d'im- position en cause. Il s'agit de déterminer si cette dépense constitue une dépense courante ou une somme déboursée à compte de capital, auquel cas il faut établir s'il en est résulté un élément d'actif ou un avantage donnant droit à une allocation à l'égard du coût en capital.
Par suite d'un accord en date du 15 août 1951 (ci-après appelé «l'accord principal»), entre Anglo- Canadian Pulp and Paper Mills Ltd. (ci-après appelée «Anglo-Canadian») et Deerfield Glassine Company Inc. (ci-après appelée «Deerfield»), l'inti- mée fut constituée en corporation en 1952, en conformité de la Loi sur les corporations cana- diennes. L'intimée fut constituée à titre de filiale de Deerfield, une compagnie du Massachusetts, pour la fabrication de papier cristal semi -sulfurisé et autres catégories de papier léger. L'intérêt d'Anglo-Canadian dans l'accord consistait à four- nir de la pâte à papier à l'intimée, selon ses besoins; pour Deerfield, la longue durée de l'ac- cord et le prix avantageux du papier représentaient l'occasion d'établir une filiale au Canada. En outre, Anglo-Canadian s'engageait, à certaines conditions, à approvisionner l'intimée en vapeur, selon ses besoins.
[1974] 1 C.F. 131.
L'accord principal prévoyait la constitution de l'intimée en compagnie et le montant de son capi- tal-actions autorisé; la vente par Anglo-Canadian à l'intimée, du terrain nécessaire à l'emplacement de l'usine projetée; la conclusion d'un accord entre Anglo-Canadian et l'intimée (ci-après appelé «accord de construction») en vertu duquel Anglo- Canadian s'engageait à construire, à ses propres frais, deux conduites souterraines la reliant à l'usine de l'intimée, pour le transport et la livraison à l'intimée de la pâte humide et de la vapeur; un accord (ci-après appelé «contrat relatif à la pâte à papier») aux termes duquel Anglo-Canadian con- venait de fournir à l'intimée, selon ses besoins, de la pâte humide pendant une période initiale de vingt ans et un accord (ci-après appelé «contrat relatif à la vapeur») en vertu duquel Anglo-Cana- dian s'engageait à fournir à l'intimée la vapeur, pour répondre aux besoins de cette dernière, pen dant une période initiale de cinq années. L'accord de construction, le contrat relatif à la pâte à papier et le contrat relatif à la vapeur ont été parafés le 25 avril 1952, reprenant presque sans modification les conditions prévues dans l'accord principal.
En contrepartie des obligations qu'assumait Anglo-Canadian, à savoir la vente d'un terrain à l'intimée, la construction des conduites de vapeur et de pâte à papier et l'exécution du contrat relatif à la pâte à papier et du contrat relatif à la vapeur, l'accord principal prévoyait l'attribution et l'émis- sion par l'intimée, au nom d'Anglo-Canadian, d'actions de classe «B» et autres titres, d'un mon- tant ou d'une valeur égale à vingt-cinq pour cent des actions émises et en circulation et des autres titres de l'intimée. Ainsi, en juin 1953, Anglo- Canadian souscrivit des actions classe B et des billets à 5% qui lui furent attribués et émis en son nom aux conditions suivantes:
[TRADUCTION] QUE la souscription d'Anglo-Canadian Pulp and Paper Mills Limited (ci-après appelée «Anglo-Canadian») portant sur 100,000 actions du capital-actions de la compagnie, entièrement libérées et non évaluables, de classe «B», sans valeur nominale, au prix total de $171,518.22 ainsi que des billets à 5% de la compagnie, pour la somme en capital totale de $281,250, l'ensemble représentant la contrepartie de la somme de $452,768.22, soit:
a) La somme de $150,922.74, correspondant à toutes les avances déjà faites par Anglo-Canadian à la compagnie,
b) La somme de $301,845.48, correspondant à la valeur:
(i) d'un terrain sis dans la ville de Québec transféré à la compagnie par Anglo-Canadian;
(ii) de l'accord conclu par Anglo-Canadian en vertu duquel elle s'engageait à terminer, à ses frais, avant que l'usine de la compagnie ne commence à fonctionner, la construction de conduites de vapeur et de pâte à papier allant de l'usine d'Anglo-Canadian à l'usine de la compa- gnie, toutes deux situées dans la ville de Québec, à la condition que le coût de la conduite à vapeur lui soit remboursé, et
(iii) de l'exécution par Anglo-Canadian du contrat relatif à la pâte et du contrat relatif à la vapeur, conclus avec la compagnie;
tel que stipulé dans l'accord daté du 25 avril 1952, entre Anglo-Canadian et la compagnie;
soit par les présentes acceptées; et
QUE le prix global ou la contrepartie de l'attribution et de l'émission desdites actions de classe «B» soit par les présentes fixé à $171,518.22; et
QUE ledit terrain, transféré à la compagnie par Anglo-Cana- dian pour la somme de $1, soit par les présentes évalué à $33,222; et
QUE ledit accord en vertu duquel Anglo-Canadian s'enga- geait à construire, à ses frais, les conduites de vapeur et de pâte (elle s'est acquittée de cette obligation) et l'exécution par Anglo-Canadian du contrat relatif à la pâte et du contrat relatif à la vapeur, conclus avec la compagnie soient par les présentes évalués à $268,623.48;
Aux termes de l'accord de construction, Anglo- Canadian devait rester propriétaire des conduites souterraines reliant les deux usines même si l'inti- mée devait lui rembourser les frais d'entretien et de réparation. L'accord prévoyait en outre que l'intimée devait rembourser à Anglo-Canadian le coût de construction de la conduite de vapeur, jusqu'à concurrence des avances faites par Anglo- Canadian; à ce sujet, les parties admettent que l'intimée a effectivement remboursé au complet le coût de la conduite de vapeur, soit $71,882. Aucune obligation semblable n'affectait la con- duite de pâte. Aux fins des contrats relatifs à la pâte et à la vapeur, Anglo-Canadian ne devait pas tenir compte de la dépréciation des conduites pour fixer le prix de la pâte et de la vapeur.
Le contrat relatif à la pâte, d'une durée initiale de vingt ans, est automatiquement renouvelable pour des périodes successives de cinq années cha- cune, sauf si l'une des parties le dénonce avec préavis d'une période minimale de cinq ans, à courir depuis la fin de la période initiale ou d'une
période subséquente de renouvellement. Le vérifi- cateur des comptes de l'intimée a témoigné que le contrat relatif à la pâte à papier est encore en vigueur, ayant été automatiquement renouvelé à la fin de la période initiale. En vertu du contrat relatif à la pâte, Anglo-Canadian s'engage à four- nir la pâte nécessaire à l'intimée jusqu'à un maxi mum de 12,000 tonnes par année. Elle s'engage en outre, à moins d'une dispense écrite de l'intimée, à ne livrer de pâte à aucun autre fabricant de papier cristal semi -sulfurisé et autres catégories de papier léger. En contrepartie, l'intimée convient, à moins d'obtenir le consentement écrit d'Anglo-Canadian, d'utiliser la pâte à papier que cette dernière lui livre uniquement pour fabriquer du papier cristal semi -sulfurisé et autres catégories de papier léger. Il va sans dire que la clause établissant le prix est la plus importante; en définitive, l'intimée devra payer le prix courant appliqué aux ventes à l'est du Mississippi, aux Etats-Unis, dont on soustrait 50% du coût du transport de l'usine d'Anglo-Canadian (Québec) à l'usine de Deerfield (Massachusetts). Comme le prix courant comprend le transport jusqu'à destination, l'accord entre Anglo-Canadian et l'intimée vise essentiellement à partager l'écono- mie de fret résultant des contrats d'approvisionne- ment par conduites. Cela semble constituer la principale raison pour laquelle Deerfield a décidé d'établir une filiale canadienne sur un terrain con- tigu à l'usine d'Anglo-Canadian. De 1955 1972, l'intimée a ainsi économisé environ $802,000 sur le prix d'achat de la pâte.
Le contrat relatif à la vapeur avait une durée initiale de cinq ans, renouvelable automatiquement pour des périodes successives d'une année chacune, à moins qu'en vue d'y mettre fin, l'une des parties ne donne un préavis de deux années, recevable en tout temps après la troisième année du contrat. Selon la preuve présentée en première instance, ce contrat est encore en vigueur. Puisque l'outillage de l'intimée fonctionne grâce à des turbines à vapeur, un approvisionnement assuré en vapeur lui est indispensable.
Dans son état financier, l'intimée a porté à l'actif ce que lui a procuré la dépense de $268,- 623.48, soit la construction des conduites et l'exé- cution des contrats relatifs à la pâte et à la vapeur, et en a imputé l'amortissement annuel au revenu.
Dans le bilan et d'autres documents faisant état des actifs de la compagnie et de leur dépréciation, cette dépense est désignée «tenure à bail.»
L'appelant a refusé ces déductions du revenu. Les avis de nouvelle cotisation comprenaient notamment ce qui suit:
[TRADUCTION] Ajouter:
L'allocation à l'égard du coût en capital demandée relativement aux améliorations
foncières 10,744.94
Dans son avis d'opposition, l'intimée énonce comme suit ses motifs d'opposition:
[TRADUCTION] Le contribuable prétend que la somme de $268,623.48 versée à Anglo correspond au coût du droit d'utili- ser les conduites de vapeur et de pâte humide et constitue donc une tenure à bail pour laquelle il peut demander des allocations à l'égard du coût en capital en vertu de l'article 11(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu et de l'article 1100(1)b) des Règlements ou qu'elle représente une somme déboursée ou dépensée par le contribuable en vue de tirer un revenu de son entreprise et est donc déductible à ce titre en vertu de l'article 12(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, et amortie à juste titre sur toute la durée des contrats relatifs à la pâte à papier et à la vapeur, en conformité des usages comptables dans une entreprise comme celle du contribuable.
En première instance, l'intimée a soumis trois arguments différents:
[TRADUCTION] a) la dépense de $268,623.48 correspond au coût du droit d'utiliser les condui- tes de vapeur et de pâte humide et constitue donc une tenure à bail pour laquelle elle peut demander des allocations à l'égard du coût en capital, en vertu de l'article 11(1)a) de la Loi et de l'article 1100(1)b) des Règlements;
b) ladite dépense représente la somme versée pour obtenir une concession pouvant faire l'objet d'une demande d'allocation à l'égard du coût en capital aux termes de l'article 11(1)a) de la Loi et de l'article 1100(1)c) des Règlements; et
c) la dépense constitue une somme déboursée ou dépensée en vue de tirer un revenu de son entre- prise, et non une dépense ou un paiement à compte de capital, amortie à juste titre, aux fins de déduction du revenu annuel, sur une période de vingt-cinq ans, soit la période initiale, plus une période de prorogation du contrat relatif à la pâte à papier.
Le savant juge de première instance a conclu que les contrats n'accordent pas à l'intimée une tenure à bail portant sur les conduites parce qu'Anglo-Canadian en conserve la possession et que les accords ne contiennent pas une des caracté- ristiques essentielles du bail, savoir la délivrance de la chose louée au locataire afin qu'il en ait la possession ou puisse en jouir.
En outre, le juge de première instance est d'avis que les contrats n'accordent pas une concession à l'intimée au sens de la catégorie 14 de l'Annexe B des Règlements car même si les droits acquis par l'intimée pouvaient constituer une concession, cel- le-ci n'a pas été consentie pour une durée limitée, comme l'exige la catégorie 14.
Enfin, le juge de première instance a conclu que la dépense en cause avait été engagée en vue de gagner un revenu tiré de l'entreprise du contribua- ble au sens de l'article 12(1)a) de la Loi, qu'il ne s'agissait pas d'une somme déboursée ou d'un paie- ment à compte de capital au sens de l'article 12(1)b), et que cette dépense pouvait à juste titre être déduite et amortie à ces fins, sur une période de vingt-cinq années, conformément aux usages et aux principes de bonne comptabilité.
Le savant juge est parvenu à cette conclusion en estimant que la dépense en cause n'avait pas apporté au contribuable un avantage pour le «bénéfice durable» de son commerce, au sens du célèbre dictum du lord chancelier, le vicomte Cave, dans l'arrêt British Insulated and Helsby Cables, Limited c. Atherton [1926] A.C. 205 aux pages 213 et 214 que voici:
[TRADUCTION] Mais quand on fait des dépenses non seulement une fois pour toutes, mais encore dans le but d'apporter un élément d'actif ou un avantage pour le bénéfice durable d'un commerce, je pense qu'il y a de très bonnes raisons (en l'ab- sence de circonstances particulières conduisant à une conclu sion contraire) de traiter une telle dépense comme si elle était à juste titre imputable non pas au revenu mais au capital.
Le juge de première instance a conclu que le mot «durable» signifiait «permanent» et que puis- que les contrats relatifs à la pâte et à la vapeur avaient des durées limitées et qu'Anglo-Canadian était en mesure d'y mettre fin en donnant le préavis requis, on ne pouvait considérer qu'ils apportaient des bénéfices durables.
Il a fondé sa conclusion sur les principes ou critères énoncés dans l'arrêt Anglo-Persian Oil
Company, Limited c. Dale [1932] 1 K.B. 124, et applicables en l'espèce et a jugé que, comme le paiement effectué dans cette affaire pour mettre fin à un mandat à titre onéreux, la dépense en l'espèce a été engagée en vue de limiter les dépen- ses d'exploitation du contribuable et n'a rien ajouté à ses immobilisations.
Le juge de première instance a statué que la dépense pouvait être amortie sur une période de vingt-cinq ans conformément au principe de «l'im- putation des dépenses aux revenus correspon- dants», reconnu dans l'affaire M.R.N. c. Tower Investment Inc. [1972] C.F. 454.
Les plus hautes instances ont établi qu'il n'exis- tait pas de critère unique et précis pour déterminer si une dépense doit être traitée comme une dépense de capital ou une dépense courante, et qu'au mieux, la jurisprudence illustre les différents élé- ments à considérer et en fonction desquels un tribunal doit, en dernière analyse et à la lumière des circonstances particulières, prononcer un juge- ment conforme au bon sens et à l'esprit juridique. Voir B.P. Australia Ltd. c. Commissioner of Tax ation of the Commonwealth of Australia [1966] A.C. 224, la page 264; Regent Oil Co. Ltd. c. Strick (Inspector of Taxes) [1966] A.C. 295, aux pages 312 et 313; M.R.N. c. Algoma Central Railway [1968] R.C.S. 447, à la page 449.
Ces arrêts spécifient certains principes ou critè- res de distinctions fondamentales à employer dans l'analyse de cette question. Le plus courant, consi- déré dans plusieurs de ces arrêts comme le critère déterminant, est le concept d'«un élément d'actif ou un avantage pour le bénéfice durable» du com merce du contribuable, exposé par lord Cave dans l'arrêt British Insulated and Helsby Cables, Lim ited c. Atherton (précité). Vient ensuite la distinc tion entre une dépense engagée pour mettre sur pied ou développer l'organisation ou la structure génératrice de revenus d'une compagnie et une dépense engagée pour opérer cette structure ou organisation. Voir Van Den Berghs Ltd. c. Clark [1935] A.C. 431, aux pages 442 et 443; Sun Newspapers Limited c. Federal Commissioner of Taxation (1938-39) 61 C.L.R. 337, aux pages 359 et 361; Hallstroms Proprietary Limited c. Federal Commissioner of Taxation (1945-46) 72 C.L.R. 634, aux pages 646 et 647; Canada Starch Com pany Limited c. M.R.N. [1969] 1 R.C.É. 96 [68
DTC 5320 la page 5323]. Dans l'arrêt Anglo- Persian Oil Company, Limited c. Dale [1932] 1 K.B. 124, à la page 138, on a insisté sur la différence entre les immobilisations et les fonds de roulement. Certains arrêts ont approuvé l'énoncé suivant des principes essentiels formulés par le juge Dixon (tel était alors son titre) dans l'affaire Sun Newspapers (précitée), à la page 363:
[TRADUCTION) A mon sens, il faut examiner trois aspects: a) la nature de l'avantage recherché (son caractère permanent peut alors entrer en ligne de compte), b) son utilisation, son importance ou la façon d'en jouir (comme pour le critère précédent, la fréquence de l'emploi peut représenter un élément à considérer) et c) les moyens adoptés pour l'obtenir; par exemple, des compensations ou des débours ont-ils été effectués périodiquement en contrepartie de l'utilisation ou de la jouis- sance et pour une durée proportionnée au paiement? ou encore, existe-t-il une clause définitive pour en garantir à l'avenir l'utilisation ou la jouissance, ou un paiement final à cet effet?
Cependant les tribunaux ont, à l'occasion, exprimé un certain scepticisme à l'égard des critè- res suggérés et tendent de plus en plus à suivre la méthode proposée la page 648] par le juge Dixon lui-même dans l'arrêt Hallstroms (précité), selon laquelle la distinction entre une dépense cou- rante et une dépense de capital doit dépendre de: [TRADUCTION] «... l'effet envisagé de la dépense d'un point de vue pratique et commercial plutôt que de la classification juridique des droits, s'il en est, garantis, employés ou épuisés en cours de route». Cette méthode se distingue par une recher- che de l'effet réel, industriel ou commercial, visé par la dépense: Bowater Power Company Limited c. M.R.N. [1971] C.F. 421 [71 DTC 5469 aux pages 5480 et 5481]; Pigott Investments Limited c. La Reine 73 DTC 5507, la page 5514; La Reine c. F. H. Jones Tobacco Sales Co. Ltd. [1973] C.F. 825 [73 DTC 5577, la page 5581].
En l'espèce, en contrepartie de la dépense effec- tuée par l'intimée, Anglo-Canadian a convenu de construire des conduites souterraines reliant son usine à celle de l'intimée, en vue de lui livrer de la pâte à papier et de la vapeur, et d'exécuter des contrats à long terme en vertu desquels elle s'enga- geait à fournir de la pâte et de la vapeur à l'intimée. L'appelant prétend que ce contrat assure à l'intimée un approvisionnement de pâte et de vapeur et apporte un avantage pour le bénéfice durable de son entreprise. On affirme que cette dépense forme une partie intégrante des accords
financiers fondamentaux—les opérations portant sur les capitaux—au terme desquels l'intimée fut constituée en corporation, et que l'accord de cons truction, le contrat relatif à la pâte à papier et le contrat relatif à la vapeur forment l'assise de l'entreprise. En revanche, l'intimée allègue que la dépense représente une partie du prix pour obtenir de la pâte et de la vapeur, un versement par anticipation ou «préliminaire» qui relève des frais d'exploitation. Elle soutient en outre que si l'on considère qu'il s'agit d'une dépense de capital, elle a obtenu une concession en contrepartie et qu'elle peut, à ce titre, demander une allocation à l'égard du coût en capital. En l'espèce, l'intimée n'a pas maintenu qu'elle avait obtenu une tenure à bail.
La contrepartie du paiement de $268,623.48, effectué par l'intimée sous forme d'actions de classe B et de billets à 5%, présente donc un double aspect: les conduites et les contrats d'approvision- nement. De toute évidence, ils vont de pair; l'un ne pourrait exister sans l'autre. Ils forment ensemble un accord spécial ou un système pour l'approvi- sionnement à long terme, en pâte et en vapeur, à des conditions particulièrement, favorables.
Anglo-Canadian demeure propriétaire des con- duites et en conserve la pleine possession et le plein contrôle. Elles apportent donc un élément d'actif, pour le bénéfice d'Anglo-Canadian et non de l'inti- mée, qui ne possède aucun droit à leur égard. L'intimée était tenue de rembourser à Anglo- Canadian le coût de la conduite à vapeur et les frais d'entretien et de réparation des deux condui- tes, mais n'a acquis aucun droit sur celles-ci. Ces conduites servent exclusivement au transport de la pâte et de la vapeur chez l'intimée. Même si cette dernière ne possède aucun droit de propriété à leur égard, les conduites en cause lui donnent accès, directement et instantanément à sa source d'appro- visionnement en pâte et en vapeur, ce qui comporte assurément certains avantages. En présumant, par exemple, que cet accès matériel garantisse un approvisionnement prompt et rapide et permette de résoudre sans délai les problèmes de livraison, peut-on considérer la proximité des conduites comme un avantage pour le bénéfice durable de l'entreprise de l'intimée, au sens du dictum de lord Cave? On m'en a presque convaincu mais, après un examen approfondi, j'estime qu'il n'existe aucune distinction fondamentale entre la proximité
des conduites et l'avantage que peut représenter pour un client, le mode de livraison adopté par le fournisseur. Aux fins de l'impôt sur le revenu, les éléments d'actif matériels d'un fournisseur ne peu- vent être considérés comme un avantage pour le bénéfice durable de l'entreprise de son client uni- quement parce qu'ils sont essentiels à un approvi- sionnement constant.
Même si dans ses états financiers, l'intimée a porté à l'actif, la contrepartie de la dépense, sous la rubrique «tenure à bail», j'estime que cela ne l'empêche pas de présenter alternativement, l'argu- ment invoqué dans son avis d'opposition aux coti- sations et devant cette cour, selon lequel la dépense en question constitue une dépense courante, amor- tissable sur une période de vingt-cinq ans. La méthode employée par l'intimée pour amortir la dépense et l'imputer au revenu à chacune des années d'imposition en cause, est compatible avec cet argument. La nature de cette dépense ou de la contrepartie doit être déterminée à la lumière des contrats en cause et des conditions de l'attribution et de l'émission des actions de classe B et des billets à 5%, et non d'après sa désignation aux états financiers de l'intimée. Je partage la conclu sion du juge de première instance selon laquelle les contrats, en autant qu'ils se rapportent aux condui- tes, ne contiennent pas une exigence ou caractéris- tique essentielle du bail en droit civil, savoir, l'obli- gation de livrer la chose de façon à en procurer la jouissance paisible au locataire; et, en fait, l'inti- mée n'a pas maintenu devant nous qu'il s'agissait d'une tenure à bail. Je pense qu'une classification juridique erronée aux états financiers de l'intimée ne devrait pas l'empêcher de prétendre, alternati- vement, qu'il s'agit d'un autre type de dépense. En outre, il est évident à mon sens que l'exploitation des conduites par Anglo-Canadian, exclusivement pour la livraison de la pâte et de la vapeur à l'intimée ne peut être considérée comme une con cession accordée à cette dernière. Même si le terme «concession» était approprié pour désigner le droit exclusif d'utiliser les conduites, telle n'est pas la nature du droit de l'intimée. Anglo-Canadian utilise les conduites pour livrer de la pâte et de la vapeur à l'intimée; quel que soit l'avantage que cette situation lui procure, il ne donne pas droit à une allocation à l'égard du coût en capital. La nature incertaine de cet avantage considéré sous l'angle du capital, renforce ma conviction que la
dépense relative aux conduites ne devrait pas être considérée comme une dépense de capital mais comme une dépense d'exploitation, engagée pour obtenir de la pâte et de la vapeur.
Dans la mesure la dépense a été engagée pour l'exécution, par Anglo-Canadian, des contrats relatifs à la pâte et à la vapeur, peut-on dire qu'elle a entraîné un avantage pour le bénéfice durable de l'entreprise de l'intimée au sens du dictum de lord Cave? Bien peu d'autorités traitent directement de la nature d'un paiement global pour obtenir un contrat d'approvisionnement. Dans l'arrêt John Smith and Son c. Moore [1921] 2 A.C. 13, un contribuable avait acheté l'entreprise de vente de charbon de son père et a vainement tenté de déduire lors du calcul des bénéfices, une somme de £30,000 qui correspondait à la valeur au moment de l'achat, de certains contrats à court terme conclus avec des houillères pour approvisionner l'entreprise en charbon. En fait, le fils n'avait pas déboursé cette somme mais avait payé un montant moins élevé que la valeur nette de l'ensemble de l'entreprise. La majorité de la Chambre des lords a conclu que la somme de £30,000 n'était pas une déduction admissible aux fins du calcul des bénéfi- ces. D'après lord Haldane et lord Sumner, majori- taires, il s'agissait d'une dépense de capital—une somme imputable aux immobilisations. Selon lord Cave, majoritaire, l'entreprise était active et la dépense engagée pour les contrats d'approvisionne- ment ne relevait pas de l'entreprise, aux fins de son commerce, mais du fils qui y investissait ses pro- pres deniers. Ce paiement n'avait donc aucune incidence sur les bénéfices de l'entreprise. Le vicomte Finlay, dissident, a jugé que ladite somme avait été versée en paiement du charbon.
Bien qu'une abondante jurisprudence ait com menté l'arrêt Smith, il semble presque impossible d'en tirer une règle générale, étant donné la parti- cularité des faits et les différents motifs de l'opi- nion majoritaire. Voir Commissioner of Taxes c. Nchanga Consolidated Copper Mines Ltd. [1964] A.C. 948, aux pages 962 et 964; B.P. Australia Ltd. c. Commissioner of Taxation of the Com monwealth of Australia [ 1966] A.C. 224, aux pages 268 et 269; Regent Oil Co. Ltd. c. Strick
(Inspector of Taxes) [1966] A.C. 295, aux pages 322, 323 et 353. On ne peut donc prétendre que cet arrêt établit la règle qu'un paiement global versé à un fournisseur pour obtenir un contrat d'approvisionnement constitue une dépense de capital. Comme le disait lord Pearce dans l'arrêt B.P. Australia (précité) à la page 269: [TRADUC- TION] «On ne peut certainement pas conclure que le résultat aurait été le même si le fils avait versé £30,000 aux houillères, en contrepartie des contrats.»
A mon sens, un contrat d'approvisionnement peu importe ses conditions et ses avantages, ne consti- tue pas un élément d'actif ou un avantage de la nature d'une immobilisation. D'aucune façon ne peut-il être considéré comme une partie de la structure ou de l'organisation génératrice de revenu d'une entreprise. Il ne produit ni n'entraîne aucune distribution. C'est l'approvisionnement prévu au contrat qui permet de réaliser des bénéfi- ces. Le contrat reflète uniquement les obligations juridiques qu'entraînent des opérations relatives à l'exploitation de l'entreprise. Sans doute cet élé- ment est-il précieux pour l'entreprise mais il n'a tout de même pas la valeur d'une immobilisation. La valeur du contrat réside dans le fait qu'il stipule l'approvisionnement. A mon sens un paie- ment en contrepartie du contrat constitue un -paie- ment en contrepartie de l'approvisionnement.
L'appelant s'est principalement fondé sur l'arrêt Hood Barrs c. Inland Revenue Commissioners [1957] 1 All E.R. 832, pour étayer la thèse qu'une somme globale versée pour obtenir un moyen de s'approvisionner en matière première ou en stock constitue une dépense de capital. Dans cette affaire, on avait effectué des paiements en contre- partie du droit d'abattre de grandes quantités de bois sur pied. La majorité de la Chambre des lords jugea qu'il s'agissait de dépenses de capital. Le contribuable n'avait pas acheté le stock mais un moyen de l'obtenir. Lord Keith d'Avonholm déclara:
[TRADUCTION] Il m'est impossible de conclure que ce droit tout à fait spécial devrait être considéré comme du stock de l'appe- lant. J'estime que la nature de ce droit, le caractère indéfini de sa durée et l'absence de désignation des arbres sur lesquels il porte, sans oublier l'envergure du contrat et l'absence de quel- que preuve établissant l'intention ou les moyens pris par l'appe- lant pour l'exécuter dans un avenir rapproché nient l'argument selon lequel il possédait ce qu'on pourrait appeler du stock.
A mon avis, l'appelant a tout simplement acquis le droit de se rendre sur le terrain de la compagnie pour y marquer, abattre et transporter des arbres, selon la quantité, la dimension et la description stipulées aux contrats. L'argent versé pour ce droit constituait à mon avis, une dépense de capital et non une dépense courante.
Leurs seigneuries se sont référées avec approba tion à la décision rendue dans une affaire sembla- ble, Stow Bardolph Gravel Co. Ltd. c. Poole [1954] 3 All E.R. 637, la Cour a statué que des paiements effectués pour des gisements d'où les contribuables extrayaient du sable et du gravier pour la vente aux fins de leur commerce étaient des dépenses de capital.
A mon avis, les droits obtenus en contrepartie des dépenses engagées dans ces affaires ne sont pas vraiment analogues aux contrats d'approvisionne- ment en l'espèce, ni à l'ensemble des accords rela- tifs à l'approvisionnement, dont celui portant sur le moyen de livraison qu'offrent les conduites. En vertu des contrats d'approvisionnement et grâce aux conduites, l'intimée reçoit directement la pâte et la vapeur, sans être obligée de s'engager dans une activité de production ou d'extraction, inévita- ble en matière de droit de coupe ou de droit d'extraire du sable et du gravier. Que l'on consi- dère ces droits comme des droits réels immobiliers ou autrement, il est évident que leur nature diffère de celle des droits accordés à l'intimée, en vertu des contrats relatifs à la pâte et à la vapeur.
L'avocat de l'appelant a fortement insisté sur la thèse que, pour reprendre ces mots, la dépense forme une partie intégrante des accords financiers fondamentaux—les opérations portant sur les capi- taux—au terme desquels l'intimée fut constituée en corporation. A mon avis, le fait que cette dépense ait été engagée avant que l'intimée ne commence à fonctionner, dans le cadre des accords financiers précédant sa création, ne signifie pas nécessairement qu'il s'agit d'une dépense de capi tal plutôt que d'une dépense courante. Conclure des contrats d'approvisionnement forme une partie nécessaire de l'exploitation d'une compagnie et, si la dépense consistait en un paiement global spécial, versé par anticipation pour obtenir de la matière première et de l'énergie—c'est mon opinion sur la question—, il s'agirait d'une dépense courante engagée au moment de la création de la compa- gnie. Des dépenses d'exploitation peuvent être engagées en même temps que des dépenses d'orga-
nisation et de capital. On a également insisté sur le mode de paiement à Anglo-Canadian, savoir, des actions de classe B et des billets à 5%, conformé- ment à l'accord principal qui stipulait qu'elle détiendrait au moins vingt-cinq pour cent des actions en circulation et autres titres de l'intimée, et aurait le droit d'être représentée au conseil d'administration. Évidemment, ce n'est pas parce qu'un paiement est fait en actions ou autres titres d'une compagnie qu'il doit être considéré comme une dépense de capital; ce mode de paiement peut très bien couvrir une dépense courante. On prétend cependant que la façon d'établir le montant de la dépense et de la relier aux accords financiers qui ont abouti à la création de l'intimée, permet de conclure que la dépense n'était aucunement reliée au coût de la pâte et de la vapeur. Selon l'avocat, la dépense n'est pas imputable aux unités de pâte et de vapeur. A mon avis, pour considérer l'ensem- ble de la dépense comme un paiement effectué en contrepartie de la pâte à papier et de la vapeur, il n'est pas nécessaire que la dépense soit manifeste- ment applicable, dans des proportions certaines, au prix à l'unité de la pâte et de la vapeur. Elle ne doit pas nécessairement constituer un paiement par anticipation, au sens strict du terme, pour être traitée comme une partie des frais d'exploitation engagés pour obtenir de la pâte et de la vapeur.
Bien que j'arrive à la même conclusion que le savant juge de première instance, mes motifs diffè- rent. A mon avis, la dépense représente simple- ment une partie du coût d'exploitation, incombant à l'intimée, pour s'approvisionner en pâte et en vapeur et en contrepartie duquel elle n'a rien obtenu qui puisse être considéré comme un élé- ment d'actif ou un avantage de la nature d'une immobilisation. Ma conclusion n'est pas fondée sur la signification du mot «durable» dans le dictum du vicomte Cave, ni sur la thèse que la dépense visait à diminuer les dépenses d'exploitation. Si un con- trat d'approvisionnement pouvait constituer un avantage de la nature d'une immobilisation, je serais d'avis qu'en l'espèce, les contrats revêtent un caractère suffisamment permanent pour qu'on considère qu'ils apportent un avantage durable. Bien qu'en fait la durée de tout actif ne soit pas illimitée, la principale distinction réside entre ce qu'on entend conserver indéfiniment et ce qui sera éventuellement remplacé. Je ne pense pas non plus que le fait que la dépense vise à réduire les dépen-
ses d'exploitation prouve d'une manière concluante qu'il s'agit d'une dépense courante. De nombreuses immobilisations, sinon toutes, ont pour but de réduire les dépenses d'exploitation. Certains emplacements et plans d'usine et certains types d'outillage et méthodes de fabrication visent à réaliser des économies d'exploitation. Le principal objet d'une dépense de capital est de parvenir à un coût d'exploitation avantageux.
Il s'agit maintenant de décider si l'intimée pou- vait amortir la dépense sur une période de vingt- cinq années, en déduisant de son revenu le 1/25e de ladite somme, soit $10,744.94, pendant chacune des années d'imposition en cause. La méthode appropriée de traiter un revenu et une dépense dans le calcul des bénéfices aux fins de l'impôt sur le revenu, en vue de traduire fidèlement la vérita- ble situation financière du contribuable, constitue une question de droit, à être tranchée par le tribu nal, à la lumière de la preuve des usages et des principes de bonne comptabilité. Les usages de comptabilité ne permettent pas de trancher cette question d'une façon automatique. Si, dans un cas particulier, ils sont utilisés comme règle aux fins du calcul de l'impôt sur le revenu, ils ne doivent pas aller à l'encontre des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu, peu importe à quel point ils semblent judicieux et raisonnables du point de vue commercial: M.R.N. c. Anaconda American Brass Ltd. [1956] A.C. 85.
En l'espèce, le seul témoignage portant sur les usages de comptabilité appropriés ou reconnus est celui d'un comptable au service du bureau de vérification auquel a recours l'intimée. Les points essentiels de son opinion concernant la méthode appropriée de traiter une dépense sont contenus dans les extraits suivants d'un affidavit; ils furent lus et consignés au dossier et ont fait l'objet d'un contre-interrogatoire de la part de l'avocat de l'appelant:
[TRADUCTION] En supposant que cette somme constitue une dépense pouvant à juste titre être déduite dans le calcul du revenu de Canadian Glassine Co. Ltd., j'estime qu'il est con- forme aux usages et aux principes de bonne comptabilité d'amortir cette somme ou de la reporter sur un nombre raison- nable d'années. Mon opinion est fondée sur le fait qu'il y a normalement une correspondance entre le revenu et les dépen- ses. Cette dépense a permis à la compagnie de diminuer son coût de production au cours des années suivantes. Ce montant de $268,623.48 fut donc correctement amorti sur un nombre raisonnable d'années.
Étant donné que la durée des contrats pour l'approvisionne- ment en pâte conclus par les compagnies était de 20 ans, renouvelable pour des périodes successives de 5 ans, sauf s'il y avait avis de résiliation, j'estime, dans ces circonstances, qu'une période d'amortissement de 25 ans est raisonnable.
Ce témoignage non contredit constitue la preuve des usages de comptabilité reconnus et applicables dans un cas comme celui-ci. Mais la Loi de l'impôt sur le revenu permet-elle d'y recourir? Sur ce point, le savant juge de première instance s'est appuyé sur l'arrêt M.R.N. c. Tower Investment Inc. [1972] C.F. 454, où, après avoir examiné la jurisprudence pertinente, le juge Collier a conclu que le principe «de l'imputation des dépenses aux revenus correspondants» avait été appliqué d'une façon régulière, car il traduisait la véritable situa tion financière du contribuable, et qu'il n'était pas prohibé par la Loi. Il s'agit donc de déterminer si l'on peut inférer des termes de l'article 12(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, applicable en l'espèce,—«Dans le calcul du revenu, il n'est opéré aucune déduction à l'égard d'une somme débour- sée ou dépensée, sauf dans la mesure elle l'a été par le contribuable en vue de gagner ou de pro- duire un revenu tiré de biens ou d'une entreprise du contribuable»—qu'une dépense doit entière- ment être déduite du revenu dans l'année elle a été effectuée ou engagée. Dans l'arrêt Rossmor Auto Supply Limited c. M.R.N. [1962] C.T.C.
123, la page 126, le président Thorson s'est exprimé comme suit:
[TRADUCTION] Selon l'interprétation que je donne à l'article 12(1)a), les débours ou les dépenses qui peuvent être déduits dans le calcul du revenu d'un contribuable pour l'année, savoir une somme déboursée ou dépensée par le contribuable en vue de gagner ou de produire un revenu tiré de biens ou d'une entreprise du contribuable, se limitent aux sommes déboursées ou dépensées par le contribuable durant l'année sur laquelle porte la cotisation.
Le savant président s'est référé à son opinion au même effet, prononcée antérieurement dans Con solidated Textiles Limited c. M.R.N. [1947] R.C.É. 77, aux pages 82-83, au sujet de l'article 6a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1927, c. 97, il avait déclaré:
[TRADUCTION] A mon avis, l'article 6a) ne permet pas la déduction de débours ou de dépenses qui n'ont pas été faites ou engagées durant l'année d'imposition sur laquelle porte la cotisation. Je crois que cet énoncé est tout à fait conforme à l'intention générale de la Loi, car elle traite chaque année d'imposition en prenant les rentrées et les dépenses de ladite année et en déduisant les dernières des premières en vue
d'obtenir le profit net, le gain ou les gratifications directement ou indirectement reçus pour chaque année comme revenu impo- sable de ladite année.
Dans l'arrêt Associated Investors of Canada Limited c. M.R.N. [1967] 2 R.C.É. 96, la page 100 (note en bas de page), le président Jackett a émis l'opinion que le principe énoncé par le prési- dent Thorson n'est pas [TRADUCTION] «applicable dans n'importe quelles circonstances» et qu' [TRA- DUCTION] «il existe plusieurs genres de dépenses qui sont déductibles dans le calcul des bénéfices pour l'année `relativement à laquelle' elles ont été faites ou sont dues.» Dans l'affaire Tower Invest ment, le juge Collier a conclu [aux pages 461- 462]: «A mon avis, les distinctions que fait le président Jackett s'appliquent dans un cas comme celui de la présente affaire. Les frais de publicité engagés dans la présente affaire ne sont pas des dépenses courantes au sens usuel de cette expres sion. Ils ont été engagés en vue de produire des revenus non seulement dans l'année durant laquelle ils ont été faits, mais aussi dans les années à venir.»
Comme le juge de première instance, je suis d'avis que cette conclusion s'applique aussi à la dépense engagée en l'espèce. L'opinion du prési- dent Thorson n'est pas une conclusion dictée par les termes de l'article 12(1)a), mais un principe déduit [TRADUCTION] «de l'intention générale de la Loi» qui devrait être précisé afin d'éviter que, dans une affaire comme la présente, son applica tion présente une fausse image de la situation financière du contribuable, au lieu d'en donner une image juste et raisonnable. Effectivement, l'avocat de l'appelant n'a pas contesté devant cette cour le droit d'appliquer le principe de «l'imputation des dépenses aux revenus correspondants» à la présente affaire et a supposé que la dépense en cause était déductible aux fins du calcul du revenu. Il a simplement soumis qu'il n'était pas approprié de reporter toute la dépense sur la durée du contrat relatif à la pâte car une partie en était imputable au contrat relatif à la vapeur. Compte tenu du fait que la dépense portait sur la pâte et sur la vapeur, sans précision quant aux proportions imputables à chaque contrat, et que les deux contrats sont restés en vigueur durant leur durée initiale de vingt ans, comme l'on s'y attendait probablement à l'époque de leur conclusion, je suis d'avis qu'il n'est pas
déraisonnable d'amortir toute la dépense sur une période de vingt-cinq ans.
Je rejetterais l'appel avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE SUPPLÉANT KERR: Les faits, les ques tions en litige et la jurisprudence établissant divers principes et critères sont suffisamment exposés dans les motifs de jugement du juge Le Dain, que j'ai eu l'avantage d'étudier. J'ai aussi pu prendre connaissance des motifs de jugement du juge Pratte.
Il s'agit, à mon avis, d'une affaire difficile à trancher car elle soulève une combinaison inhabi- tuelle de facteurs à considérer. Certains vont dans un sens, d'autres dans le sens opposé. Ils ont fait l'objet d'une étude approfondie dans les motifs du jugement de mes collègues et j'exprimerai briève- ment mon opinion sur plusieurs points.
Le contrat relatif à la pâte prévoit expressément le prix de la pâte et le paiment de celui-ci. Ce prix comprend notamment le prix annoncé périodique- ment et appliqué aux ventes de pâte semblable, conformément au paragraphe 5 de ce contrat. A mon avis, l'intimée a payé la pâte qui lui avait été livrée dans le cours normal de l'exploitation de son entreprise, au prix convenu au contrat et aucune partie de la somme de $268,623.48 en question n'a été affectée à ces paiements.
De même, le contrat relatif à la vapeur prévoit expressément le prix de la vapeur et le paiement de celui-ci. Aucune fraction de la somme de $268,- 623.48 n'a été affectée à ces paiements.
L'intimée n'a jamais été propriétaire des condui- tes de pâte et de vapeur qu'Anglo-Canadian devait construire en vertu de l'accord de construction et les conduites n'ont jamais constitué une immobili sation portée à l'actif de l'intimée. Toutefois, en vertu de ce contrat, Anglo-Canadian s'engageait à terminer la construction des conduites et l'intimée avait le droit de l'obliger à exécuter son obligation à cet égard. D'après l'exposé conjoint des faits soumis en appel, la somme de $268,623.48 corres-
pond à la valeur de l'accord conclu par Anglo- Canadian en vertu duquel elle s'engageait à termi- ner la construction des conduites, et de l'exécution par cette dernière du contrat relatif à la pâte et du contrat relatif à la vapeur. Que l'on considère que la dépense constitue réellement un paiement effec- tué en contrepartie de la construction des condui- tes, ou représente plutôt la valeur de l'accord conclu par Anglo-Canadian comportant son enga gement à terminer la construction des conduites et à exécuter le contrat relatif à la pâte et le contrat relatif à la vapeur, je ne pense pas que, dans les circonstances, le fait que l'intimée n'ait pas été propriétaire des conduites soit suffisant pour déci- der qu'il ne s'agit pas d'une dépense de capital.
Je souscris substantiellement aux conclusions du juge Pratte. A mon avis, l'intimée a effectué la dépense en cause une fois pour toutes en vue d'obtenir des avantages pour le bénéfice à long terme de son commerce. De plus, j'estime que l'on peut raisonnablement conclure de l'idée générale et du plan de l'accord principal, entre Deerfield Glassine Company Inc. et Anglo-Canadian, des contrats et des événements subséquents, que la dépense fut effectuée en vue de mettre sur pied la structure génératrice de bénéfices dans le cadre du commerce de l'intimée.
Après avoir étudié et pesé tous les faits et cir- constances entourant la dépense, je conclus qu'il s'agit d'une somme déboursée à compte de capital au sens de ces mots à l'article 12(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu; à mon avis, aucune disposi tion de la Loi n'autorise la déduction de cette dépense, en totalité ou en partie, dans le calcul du revenu de l'intimée aux fins de l'impôt sur le revenu.
J'accueillerais donc l'appel avec dépens.
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