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T-5370-73
Wong Wing Food Products Co. (Demanderesse)
c.
La Reine (Défenderesse)
Division de première instance, le juge Walsh— Montréal, les 2, 3 et 4 février; Ottawa, le 3 mars 1976.
Expropriation—Quartier chinois de Montréal—La défende- resse peut-elle demander à la demanderesse de payer un loyer pour avoir occupé les lieux gratuitement après que celle-ci eut accepté une offre d'indemnité de la défenderesse—Loi sur l'expropriation, S.R.C. 1970 (1 er Supp.) c. 16, art. 17, 24(3)b)(ii),(4)b)(ii),(5), 29(1), 33(3) Code civil du Québec, art. 1634, 2214, 2215—Loi sur la Cour fédérale, art. 17(4) et Règle 420.
Il s'agit de savoir si la défenderesse peut demander à la demanderesse de payer un loyer pour avoir occupé les lieux gratuitement après que celle-ci eut accepté l'offre d'indemnité de la défenderesse, étant donné qu'il vient d'être jugé dans l'affaire La Reine c. Le Bureau de fiducie de l'Église presbyté- rienne au Canada [1976] 1 C.F. 632 que la défenderesse doit en vertu de l'article 33(3) payer un intérêt à partir de la date de l'offre jusqu'à la date de jugement. La défenderesse a proposé de modifier son exposé de défense pour réclamer le loyer, et la demanderesse a répondu que sa demande en dommages-intérêts avait été réglée, sauf pour certains postes, et qu'il était trop tard pour présenter cette demande reconventionnelle.
Arrêt: la Cour peut autoriser la production de l'exposé de défense modifiée en vertu de la Règle 420. Le droit de la défenderesse de présenter une modification pour demander un loyer n'est pas prescrit en vertu de la Loi sur l'expropriation ni en vertu du Code civil du Québec. L'article 24(5) de la Loi sur l'expropriation permet de diminuer les sommes accordées lors- que l'ancien propriétaire est autorisé à rester dans les lieux après que la Couronne a acquis le droit d'en prendre matérielle- ment possession ou d'en faire usage (ou lorsque le Ministre a aidé l'ancien propriétaire à chercher et à obtenir des lieux de remplacement).
Il est fort possible que la défenderesse ait eu l'impression en négociant cet accord qu'elle n'aurait pas à payer d'intérêt jusqu'à ce que la demanderesse ait quitté les lieux; cependant, si tel est le cas, il s'agissait d'une erreur de droit qui ne justifie pas une réclamation tardive pour la valeur locative, laquelle n'aurait jamais été présentée si la défenderesse ne s'était aper- çue que par suite de l'arrêt L'Église presbytérienne (précité) elle aurait à payer un intérêt à la demanderesse pour la période celle-ci a continué d'occuper les lieux après que la défende- resse eut acquis le droit d'en prendre possession. Sous la nouvelle Loi, il semble que la Couronne, pour protéger son intérêt, doit conclure des baux avec les anciens propriétaires qui continuent d'occuper les lieux après la date à laquelle la Couronne acquiert le droit d'en prendre possession. La demande reconventionnelle de la défenderesse ne peut pas être présentée en vertu de l'article 24(5) et (3)b)(ii) de manière à diminuer les sommes déjà convenues entre les parties.
Arrêt appliqué: La Reine c. Le Bureau de fiducie de
l'Église presbytérienne au Canada [1976] 1 C.F. 632.
REQUÊTE. AVOCATS:
S. Handelman pour la demanderesse. R. Cousineau pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Handelman & Handelman, Montréal, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Les présentes procédures sont nées d'une action visant à établir la somme que la défenderesse doit verser à la demanderesse pour l'expropriation, survenue le 21 décembre 1972, de sa propriété industrielle située dans la partie de Montréal connue sous le nom de quartier chinois et faisant partie de la propriété acquise en vue de l'aménagement de la Place Guy Favreau. Par suite de divers accords intervenus entre les parties avant et pendant l'audience, le seul point qu'il reste à régler est de savoir si la défenderesse peut mainte- nant demander à la demanderesse de payer un loyer pour avoir occupé les lieux gratuitement après l'acceptation sous toute réserve d'une indem- nité de $335,700 offerte par la défenderesse, étant donné qu'il vient d'être jugé' que la défenderesse doit, en vertu de l'article 33(3), payer un intérêt à partir de la date de l'offre jusqu'à la date de jugement. La demanderesse a continué d'occuper les lieux jusqu'aux environs du ler mai 1974, date à laquelle elle occupa des locaux neufs qu'elle avait été contrainte de construire ailleurs afin de pour- suivre ses affaires. Au lieu d'un intérêt, la défende- resse veut maintenant obtenir un loyer pour la période de 13 mois du l er avril 1973 2 au premier mai 1974.
1 La Reine c. Le Bureau de fiducie de l'Église presbytérienne au Canada [1976] 1 C.F. 632.
2 En vertu des dispositions de l'article 17 de la Loi sur l'expropriation, S.R.C. 1970 (P' Supp.) c. 16, la défenderesse aurait pu prendre possession de l'immeuble le ler avril 1973, conformément au préavis donné le 21 décembre 1972.
Avant les auditions, les parties s'étaient enten- dues sur les chiffres suivants:
[TRADUCTION] La valeur de remplacement des biens immeubles expropriés (Paragraphes 8a),b)
et c) de la demande modifiée) $320,000.00
Dommages occasionnés par le déménagement et la réinstallation du matériel spécialisé dans les nouveaux locaux—(Paragraphes 9a)(i),(ii),(iii),
(iv) et (y)) $ 57,244.04
Dommages supplémentaires occasionnés par l'ex- propriation (Paragraphes 9b)(i),(ii),(iii),(iv),(v),
(vi),(XI) et (XII)) $ 80,152.00
Aucun accord n'était alors intervenu pour les postes réclamés aux paragraphes 9b)(vii), (viii),(IX) et (X) que voici.
[TRADUCTION] (vii) démolition de bâtiment sur les lieux, préalable à une extension qu'on n'a pas
pu réaliser $ 2,800
(viii) plans d'extension $ 7,500
(IX) monte-charge $ 500
(X) Dommages pour retard aux promesses qu'auraient données des représentants de la défenderesse selon lesquelles la demanderesse pourrait se réinstaller dans le quartier chinois, à la suite de quoi les dépenses de reconstruction
imputées à la demanderesse ont augmenté de $111,000
Le jugement de la Cour d'appel dans l'affaire La Reine c. Le Bureau de fiducie de l'Église presbytérienne au Canada (précitée) a été rendu peu avant l'audition de cette affaire, et la défende- resse en conclut qu'elle devra payer un intérêt à la demanderesse même si cette dernière a occupé les lieux jusqu'au l er mai 1974 environ durant la construction de son nouvel immeuble. Avant ce jugement, la défenderesse pensait qu'une partie expropriée qui reste en possession des lieux sans verser de loyer ne pouvait demander aucun intérêt conformément à la jurisprudence établie sous l'an- cienne Loi sur l'expropriation. Par conséquent, la défenderesse a demandé à l'ouverture de l'au- dience l'autorisation de modifier son exposé de défense de façon à réclamer le loyer depuis le 4 octobre 1972, date d'expropriation, jusqu'au 30 avril 1974, soit une période approximative de 19 mois. La demanderesse s'est opposée à cette modi fication qui, en réalité, équivaut à une demande reconventionnelle, aux motifs que sa demande de dommages-intérêts faisant suite au déménage- ment, sauf pour ce qui concerne certains postes encore en litige, avait déjà été réglée par accord et
qu'il était maintenant trop tard pour présenter cette demande reconventionnelle. Voici le texte invoqué de l'article 24(5) de la Loi:
(5) Aux fins des sous-alinéas (3)b)(ii) et (4)b)(ii), on doit tenir compte du moment auquel et des circonstances dans lesquelles un titulaire a été autorisé à conserver l'occupation de l'immeuble après que la Couronne a acquis le droit d'en prendre matériellement possession ou d'en faire usage ainsi que de toute assistance fournie par le Ministre pour permettre à ce titulaire de chercher et d'obtenir des lieux de remplacement.
Le sous-alinéa (3)b)(ii) auquel il est fait référence serait applicable en l'espèce. En voici le texte:
(3) Lorsque le titulaire d'un droit exproprié occupait l'im- meuble à la date d'enregistrement de l'avis de confirmation et, qu'à la suite de l'expropriation, il lui a fallu renoncer à l'occu- pation de l'immeuble, la valeur du droit exproprié est le plus élevé des deux montants suivants:
b) l'ensemble
(ii) des frais, dépenses et pertes attribuables ou connexes au trouble de jouissance éprouvé par le titulaire, y compris son déménagement dans d'autres lieux, mais s'il n'est pas possible de les évaluer ou de les déterminer en pratique, on peut les remplacer par un pourcentage n'excédant pas quinze pour cent de la valeur marchande déterminée comme l'indique le sous-alinéa (i),
plus la valeur, pour le titulaire, de tout facteur représentant pour lui un avantage économique particulier attribuable ou connexe à son occupation de l'immeuble, dans la mesure le présent alinéa ne prévoit pas par ailleurs l'inclusion de ce facteur dans la détermination de la valeur du droit exproprié;
La demanderesse prétend que l'article 24(5) ne peut pas s'appliquer puisque les postes de dépense inclus à l'article 24(3)b)(ii) ont déjà été réglés. De son côté, la défenderesse prétend que le paragra- phe (5) pourrait s'appliquer de toute façon, même sans modifier l'exposé de défense, puisque l'article 24(3)b)(ii) se rapporte aux «troubles de jouissance éprouvée par le titulaire», étant donné que l'autori- sation accordée à la demanderesse de bénéficier de l'occupation paisible jusqu'à achèvement de la construction de ses nouveaux locaux a certaine- ment diminué l'importance du facteur «trouble de jouissance» invoqué par la demanderesse. La défenderesse prétend en outre que la Cour n'est pas tenue d'accepter les termes d'un règlement, et ne le devrait pas dans cette affaire puisque la défenderesse a proposé de bonne foi un règlement de l'indemnité réclamée par la demanderesse, étant sous l'impression que celle-ci ne se verrait pas accorder d'intérêt sur le montant supplémen- taire de la réclamation pendant la durée de son occupation continue des lieux. En réponse à cet
argument, la demanderesse soutient que la Cour ne devrait pas se servir de l'article 24(5) de la Loi pour diminuer indirectement l'intérêt demandé alors qu'il vient d'être jugé qu'un tel intérêt peut être réclamé en vertu de l'article 33(3).
Il apparaît utile maintenant de citer cet article:
33. (3) Lorsqu'une offre a été acceptée, un intérêt est paya ble par la Couronne depuis la date de l'offre jusqu'à la date du prononcé du jugement,
a) au taux de base, sur le montant par lequel l'indemnité dépasse le montant de l'offre, et, par surcroît,
b) au taux de cinq pour cent l'an sur l'indemnité, si le montant de l'offre est inférieur à quatre-vingt-dix pour cent de l'indemnité; 3
Le sens de «taux de base» apparaît à l'article 33(1).
La demanderesse prétend en outre que la demande reconventionnelle est de toute façon pres- crite; elle invoque l'article 29(1)a) de la Loi dont voici le texte:
29. (1) Sous réserve de l'article 28,
a) une personne qui peut prétendre à une indemnité pour un droit exproprié peut,
(i) à tout moment après l'enregistrement de l'avis de confirmation, si elle n'a accepté aucune offre faite en vertu de l'article 14, et
(ii) dans un délai d'un an à compter de l'acceptation de l'offre, dans tout autre cas,
engager des procédures devant le tribunal par voie d'exposé de la demande pour le recouvrement du montant de l'indem- nité à laquelle elle a alors droit;
et elle soutient que, puisqu'elle était obligée d'en- gager ses procédures dans le délai d'un an à comp- ter de la date de l'acceptation de l'offre, date applicable en l'espèce, le même délai devrait s'ap- pliquer à la demande reconventionnelle. La défen- deresse invoque cependant l'article 29(1)b) dont voici le texte:
29. (1) Sous réserve de l'article 28,
b) le procureur général du Canada peut, à tout moment après l'enregistrement de l'avis de confirmation, que des procédures en vertu de l'alinéa a) aient été engagées ou non, produire auprès du tribunal un avis sur la question indiquant
La clause finale n'est pas citée ici car elle ne s'applique pas étant donné que l'offre a été acceptée avant la date de mise en possession qui par définition était le le avril 1973, date à laquelle la Couronne était habilitée à prendre possession en vertu de sa notification du 21 décembre 1972.
(i) les détails de l'expropriation concernant tout terrain visé par l'avis de confirmation,
(ii) les noms, dans la mesure on peut les connaître, de chaque personne ayant droit à une indemnité pour un droit exproprié et les noms des personnes qui doivent être parties aux procédures,
(iii) le montant de toute offre faite en vertu de l'article 14, à des personnes qui doivent être parties aux procédures, et
(iv) les autres faits qui semblent être pertinents. 4
et elle souligne qu'elle peut invoquer à tout moment, dans la mesure elle est concernée, les autres faits qui semblent pertinents. La défende- resse invoque en outre les articles 2214 et 2215 du Code civil du Québec dont voici le texte:
Art. 2214. Le droit de Sa Majesté au fonds des rentes, prestations et revenus à elle dus et payables, et aux sommes capitales provenant du prix de l'aliénation ou de l'usage des biens du domaine, sont aussi imprescriptibles.
Art. 2215. Les arrérages des rentes, prestations, intérêts et revenus, et les créances et droits appartenant à Sa Majesté non déclarés imprescriptibles par les articles qui précèdent, se pres- crivent par trente ans.
La question de recevabilité de la modification a été prise en délibéré et les parties ont entrepris de présenter leurs preuves. Avant même d'en avoir terminé, un autre accord est intervenu aux termes duquel on accepte les réclamations que fait valoir la demanderesse aux paragraphes 9b)(vii) et (viii) de sa demande modifiée, c'est-à-dire $2,800 pour la démolition de bâtiment préalable à la construc tion de l'extension qu'on n'a pas pu réaliser et $7,500 pour les plans d'extension; la demanderesse a retiré sa réclamation d'un montant de $500 pour le monte-charge et de $111,000 pour les domma- ges résultant du retard pendant qu'elle cherchait un nouvel emplacement. En outre, l'accord fixait les honoraires d'avocats et les dépens à $15,000, y compris les dépens des présentes procédures, et à $9,170 les honoraires d'experts. Il a été également convenu que l'intérêt serait payable conformément à l'article 33 de la Loi.
Avant d'aborder le fond de l'exposé de défense modifiée, il faut décider si l'on doit accepter la modification. Il ne fait pas de doute qu'en vertu des pouvoirs discrétionnaires que lui reconnaît la Règle 420, la Cour a le droit d'autoriser la produc tion de l'exposé de défense modifiée.
4 C'est moi qui souligne.
J'ai conclu que le droit pour la défenderesse d'apporter une modification visant à réclamer un loyer à la demanderesse n'est pas éteint par la prescription ni en vertu des dispositions de la Loi sur l'expropriation ni de celles du Code civil de la province de Québec. Je conclus en outre que l'arti- cle 24(5) de la Loi sur l'expropriation (précité) n'autorise pas simplement, comme le soutient la demanderesse, une augmentation de la somme qui doit être accordée lorsqu'une partie expropriée doit renoncer à l'occupation des lieux, mais qu'il permet au contraire de diminuer les sommes accor- dées lorsqu'un ancien propriétaire a été autorisé à conserver l'occupation de l'immeuble après que la Couronne a acquis le droit d'en prendre matérielle- ment possession ou d'en faire usage, ou lorsque le Ministre a aidé l'ancien propriétaire à chercher et à obtenir des lieux de remplacement, ce qui n'est pas le cas dans la présente affaire. C'est pourquoi je pense qu'il faudrait verser au dossier la demande modifiée et, par conséquent, autoriser la défende- resse à apporter sa modification. Cela ne revient pas à dire cependant que l'exposé de défense modi- fiée devrait être accueilli au fond.
Comme il a été souligné, l'article 24(5) permet de tenir compte, en l'espèce, de l'occupation conti nue des lieux par la demanderesse après que la Couronne a acquis le droit d'en prendre possession mais seulement aux fins du sous-alinéa (3)b)(ii) qui prévoit le calcul des frais, dépenses et pertes attribuables ou connexes au trouble de jouissance éprouvé par le titulaire, y compris son déménage- ment dans d'autres lieux. Les réclamations en vertu de ces chapitres avaient déjà fait l'objet d'un accord entre les parties avant le début de l'au- dience et l'on remarquera que la demanderesse a quelque peu réduit dans l'accord négocié les sommes qu'elle réclamait au début pour ces postes dans sa demande modifiée. Il est fort possible que la défenderesse ait eu l'impression en négociant cet accord qu'il ne lui serait pas demandé de payer d'intérêt sur le montant accordé si ce n'est pour la période postérieure au Zef mai 1974, jour la demanderesse a quitté les lieux; cependant, si tel est le cas, il s'agissait, d'une erreur de droit qui, bien que concevable en raison de la jurisprudence antérieure, ne justifie pas à mon avis une réclama- tion reconnue tardive pour la valeur locative des lieux durant la période d'occupation de ceux-ci par
la demanderesse. Cette réclamation n'aurait jamais été faite si, par suite du jugement de la Cour d'appel rendu dans l'affaire La Reine c. Le Bureau de fiducie de l'Église presbytérienne au Canada (précitée), la défenderesse ne s'était aper- çue qu'elle aurait à payer un intérêt à la demande- resse pour la période celle-ci a continué à occuper les lieux après que la défenderesse eut acquis le droit d'en prendre possession. En vertu de la nouvelle Loi sur l'expropriation et de cette décision, il n'est plus possible de suivre l'ancienne pratique qui était au mieux un moyen approxima- tif et inexact pour parvenir à ce qui se rapprochait d'un résultat juste. Un propriétaire exproprié qui était autorisé à rester sur les lieux, parce que cela lui convenait ou parce que la Couronne n'exigeait pas immédiatement la propriété, ne devait pas habituellement payer un loyer pour cette raison, mais l'intérêt sur la somme qui lui était finalement attribuée ou sur la partie de cette somme qui excède celle versée antérieurement ne courait alors qu'à partir de la date à laquelle il avait quitté les lieux. Il est évident que l'intérêt, qui dépend d'une part de la somme accordée et d'autre part de la valeur locative des lieux, pouvait être d'un montant beaucoup plus élevé ou beaucoup moins élevé que la valeur locative. Si l'intérêt était supérieur, rien n'empêchait évidemment le propriétaire de partir pour que l'intérêt puisse commencer à courir. Si l'intérêt était inférieur, la Couronne tolérait sou- vent la situation jusqu'à ce qu'elle ait besoin de prendre possession matérielle de la propriété. Sous la nouvelle Loi, il semble que la Couronne, pour protéger son intérêt, doit conclure des baux avec les anciens propriétaires qui continuent d'occuper les lieux après la date à laquelle la Couronne acquiert le droit d'en prendre possession en vertu des dispositions de la Loi.
C'est ce qu'a reconnu la défenderesse, bien qu'elle n'ait pas agi de cette façon dans la présente affaire. Voici ce que déclare une lettre du 12 janvier 1973 envoyée par J. R. Desnoyers, Direc- teur adjoint suppléant de la Division des services immobiliers, à l'avocat de la demanderesse:
[TRADUCTION] En ce qui concerne l'avis de possession qui a été envoyé, le Ministère n'assumera la gestion de la propriété qu'à partir du 1°" avril 1973 comme le mentionne l'avis. Cela signifie par conséquent que nous pourrons percevoir à partir de cette date le loyer des lieux expropriés.
Autant que nous sachions, la libre possession des biens ne sera pas exigée avant le 1°" octobre 1973.
Cependant, aucune suite n'a été donnée à cette lettre et aucun bail n'a été signé, mais la demande- resse ne peut pas prétendre ne pas avoir été préve- nue qu'un loyer pouvait être réclamé. Voici ce que déclare l'article 1634 du Code civil du Québec:
Art. 1634. La personne qui occupe un immeuble avec la tolérance du propriétaire est présumée locataire, sauf preuve contraire.
Dans ce cas, le bail est à durée indéterminée. Il commence en même temps que l'occupation et comporte un loyer correspon- dant à la valeur locative.
La demanderesse était certainement un occupant toléré au sens de cet article. Elle était obligée de payer un loyer correspondant à la valeur locative. La défenderesse prétend que si cette réclamation ne peut être faite par voie de demande reconven- tionnelle dans les présentes procédures résultant de son exposé de défense modifiée, des poursuites différentes pourraient néanmoins être intentées en vertu du droit civil et que la Cour en vertu de l'article 17(4) de la Loi sur la Cour fédérale aurait une compétence concurrente pour connaître de ces poursuites. La défenderesse fait valoir qu'il fau- drait joindre ce point litigieux à la présente affaire pour éviter une multiplicité de procédures. Même si cet argument présente un certain intérêt, je ne puis en conclure que la demande reconventionnelle de la défenderesse pour la valeur locative puisse être présentée à ce stade dans le cadre de l'article 24(5) et (3)b)(ii) de la Loi sur l'expropriation de manière à diminuer les sommes déjà convenues par les parties comme dommages-intérêts suffisants en vertu de ces articles. En tirant cette conclusion, je n'exprime pas d'opinion sur la question de savoir si la défenderesse a le droit de réclamer ledit loyer par voie de procédures appropriées engagées devant la Cour fédérale ou devant la Cour supé- rieure de la province de Québec.
Étant parvenu à cette conclusion, il n'est pas nécessaire d'aborder la question de la somme réclamée par la Couronne pour ledit loyer. Mais étant donné qu'on a présenté des preuves à cet égard et que ce jugement peut ne pas être confirmé en appel, il apparaît souhaitable d'examiner briè- vement les preuves en ce qui concerne la somme en cause.
Bien que dans son exposé de défense modifiée, la défenderesse réclame un loyer à partir du 4 octo- bre 1972, date à laquelle la défenderesse est deve-
nue propriétaire des biens expropriés, il est prouvé que celle-ci n'a acquis le droit d'en prendre posses sion que le ler avril 1973. J'estime que le loyer ne devrait être calculé qu'à partir de cette dernière date. L'avocat de la défenderesse ne l'a pas con testé sérieusement au cours des débats. Suivant certains éléments de preuve, la demanderesse a commencé à emménager dans ses nouveaux locaux au cours du mois d'avril 1974, et elle a vraisembla- blement quitté entièrement les anciens avant le ler mai de cette même année, mais je crois qu'il faudrait calculer de toute façon le loyer sur une base mensuelle et que s'il était accordé, il partirait par conséquent du l er mai 1974, soit une période totale de 13 mois.
L'expert de la défenderesse, James D. Ray- mond, prenant comme point de départ le chiffre convenu de $320,000 qui représente la valeur des terrains et bâtiments de la demanderesse, a calculé que pour que cette somme rapporte 8%, le loyer net devrait s'élever à $25,600 par an. Il a égale- ment examiné les lieux et en a conclu que la valeur locative nette serait d'environ $1.30 le pied carré et que, puisqu'il y avait 18,569 pieds carrés de super- ficie de plancher, le loyer s'élèverait à environ $24,000 par an. En utilisant les deux méthodes de calcul, il est parvenu à un chiffre mensuel d'envi- ron $2,000. Mais au cours du contre-interroga- toire, il a reconnu que les baux nets sont habituel- lement à long terme alors que dans la présente affaire la demanderesse ignorait la période durant laquelle elle pourrait occuper les locaux et en fait, dans la lettre l'avisant qu'un loyer pourrait être exigé, il était indiqué que la Couronne pourrait demander la libre possession le ler octobre 1973. Pour ce motif, il diminuerait la valeur locative d'environ 25% pour parvenir à un chiffre mensuel de $1,500.
Raymond Sanschagrin, l'expert cité par la demanderesse, a déclaré que Lacote Realties Limit ed avait loué à Bédard et Gérard une propriété voisine pour 66 mois, à savoir du l e ` novembre 1970 avril 1976 et avait demandé un loyer de $23,400 pour une superficie de 39,819 pieds carrés, soit environ 59¢ le pied carré. Sur cette base, le loyer de la propriété de la demanderesse devrait s'élever à environ $913 par mois. Il a également donné certaines indications relatives aux impôts que la demanderesse devait payer sur la propriété
qu'elle venait d'acquérir pendant qu'elle y construi- sait son édifice avant de pouvoir emménager, les- quels impôts faisaient plus que neutraliser le loyer réclamé pour la propriété en cause. Cependant, il n'est pas possible de recevoir ce témoignage car il introduit un nouvel élément relatif au coût de réinstallation qui ne s'applique qu'aux établisse- ments scolaires, hospitaliers ou municipaux ou aux institutions religieuses ou charitables visés à l'arti- cle 24(4) de la Loi et non pas à la présente demanderesse. De plus, la déposition de Sanscha- grin a considérablement perdu de sa force lorsqu'il a reconnu au cours du contre-interrogatoire que Lacote Realties et Bédard et Gérard étaient asso- ciés, que par conséquent des liens de dépendance intervenaient et que l'édifice de Lacote Realties est très vieux alors que dans l'ensemble l'édifice de la demanderesse est beaucoup plus récent puisqu'il ne date que d'environ huit ans. Il a reconnu également qu'en prenant ses chiffres pour point de départ, la propriété de Lacote Realties Limited ne rapporte- rait un revenu que d'environ 3 1 / 2 %. Raymond, lors- qu'il fut appelé à nouveau, déclara qu'il connaissait bien ladite propriété puisqu'il représentait la Cou- ronne pour le règlement de la réclamation de Lacote Realties et celle des locataires Bédard et Gérard au cours de l'expropriation, la réclamation de Lacote Realties étant réglée sur la base d'un revenu de 7 1 / 2 %, et que le règlement avec Bédard et Gérard augmentait le loyer prévu au bail de 50¢ le pied carré afin de parvenir à un accord sur la valeur locative économique. Pour arriver à ce chif- fre de $1.30 le pied carré pour la propriété en cause, il déclara avoir examiné diverses propriétés comparables. Sa déposition relative à la valeur locative semble par conséquent reposer sur une base beaucoup plus saine que celle de l'autre témoin et s'il fallait recevoir la demande reconven- tionnelle de la défenderesse pour le loyer, j'accor- derais un montant mensuel de $1,500 pour 13 mois, soit un total de $19,500.
En résumé, la demanderesse a droit aux sommes suivantes dont sont convenues les parties:
Valeur de remplacement des biens immeubles
expropriés. $320,000.00 Dommages occasionnés par le déménagement et
la réinstallation du matériel spécialisé. $ 57,244.04 Dommages supplémentaires occasionnés par l'ex-
propriation. $ 80,152.00
Démolition de bâtiment sur les lieux, préalable à
une extension qu'on n'a pu réaliser. $ 2,800.00
Plans d'extension. $ 7,500.00
TOTAL $467,696.04
Le 8 janvier 1973, la demanderesse a accepté sous toute réserve la somme de $335,700, ce qui laisse un solde s'élevant à $131,996.04. Voici comment l'article 33(1) de la Loi définit le taux de base:
«taux de base» désigne un taux, déterminé de la manière prescrite par un décret rendu, à l'occasion, par le gouverneur en conseil aux fins du présent article; il n'est pas inférieur au rendement moyen des bons du Trésor du gouvernement du Canada, déterminé de la manière prescrite par ce décret.
Rien n'indique quel était ce taux à l'époque consi- dérée. Au cours des débats, l'avocat de la défende- resse a proposé un taux de 8% et celui-ci n'a pas été sérieusement contesté. Si les parties ne s'accor- dent pas sur ce taux, elles peuvent obtenir sans aucun doute l'information nécessaire pour appli- quer le taux de base au montant de $131,996.04 depuis le 21 décembre 1972, date de l'offre, jus- qu'à la date du jugement. De plus, puisque le montant de l'offre était inférieur à 90% de l'in- demnité comme il ressort des chiffres précédents, il sera payé un intérêt supplémentaire au taux de 5% sur la somme de $467,696.04 depuis le 21 décem- bre 1972 jusqu'à la date de jugement. En outre, il devra être payé comme convenu $15,000 pour les honoraires d'avocats y compris les frais de justice ainsi que $9,170 pour les honoraires d'experts.
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