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T-3154-75
André Desjardins (Demandeur) c.
Claude Bouchard, Jean-Paul Gilbert, La Commis sion nationale des libérations conditionnelles et Le procureur général du Canada (Défendeurs)
Division de première instance, le juge Walsh— Montréal, le 26 mai; Ottawa, le 22 juillet 1976.
Compétence—Emprisonnement—Le demandeur cherche à obtenir un jugement déclaratoire portant que les défendeurs n'ont pas compétence pour le convoquer à une audition ni pour recommander au Solliciteur général la révocation de son pardon et déclarant nul la procédure menant à la révocation et le décret de révocation—La Cour peut-elle annuler le décret?—Y a-t-il eu inobservation de la règle audi alteram partem et des règles de la justice naturelle?—Loi sur le casier judiciaire, S.R.C. 1970 (1e1 Supp.) c. 12, art. 4(4),(5) et 7—Loi sur la Cour fédérhl à T 2,`18 ét 28(6)—Loi modifiant la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction (Québec), Bill 30, 1975, art. 2g).
A la suite de certains renseignements portés à sa connais- sance et à la demande du Solliciteur général du Canada, la Commission nationale des libérations conditionnelles a effectué une enquête sur la conduite du demandeur afin de déterminer s'il y avait lieu de révoquer son pardon. Le ministre de la Justice du Québec a demandé au Solliciteur général de révo- quer ce pardon en vertu de l'article 7 de la Loi sur le casier judiciaire, en faisant mention du rapport de la Commission d'enquête Cliche sur la liberté syndicale dans l'industrie de la construction. Dans une lettre de la Commission nationale des libérations conditionnelles, on priait le demandeur de se présen- ter devant deux membres de cette Commission à propos de la recommandation que celle-ci se proposait de faire. Il s'est présenté, s'est opposé à la compétence de la Commission et a exprimé ses doutes quant à son impartialité puisque la Commis sion avait déjà décidé de faire cette recommandation. Cette dernière a refusé de donner au demandeur des précisions sur la nature des plaintes et sur les preuves de mauvaise conduite, affirmant que sa recommandation avait été faite en vertu de l'article 7b)(i) de la Loi et qu'il incombait au demandeur de démontrer pourquoi son pardon ne devrait pas être révoqué. Le demandeur a refusé de se justifier sans connaître les motifs de la révocation et l'audience a été ajournée afin de lui permettre de produire des observations écrites. Il a été convoqué de nouveau et a essuyé un autre refus quant aux plaintes et aux preuves retenues contre lui. De nouveau, il a refusé de faire des observations. Les commissaires ont alors recommandé la révo- cation du pardon et celui-ci fut révoqué en vertu de l'article 7. Le demandeur sollicite un jugement déclaratoire portant que les commissaires et la Commission n'avaient pas compétence pour le convoquer ni pour recommander la révocation, que la procédure menant à la révocation était nulle et que le décret de révocation était nul et sans effet.
Arrêt: l'action est rejetée. A cause de l'article 28(6) on ne peut réclamer un examen judiciaire en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale même s'il fallait soumettre à un
processus judiciaire ou quasi judiciaire la décision de révoquer. Si le législateur avait entendu que le gouverneur en conseil ne puisse faire l'objet d'un jugement déclaratoire, il aurait ajouté à l'article 18 une disposition restrictive semblable plutôt que de s'en tenir à la définition exposée à l'article 2 pour exclure ce redressement. Si l'on ne pouvait obtenir un tel redressement contre un décret du conseil par l'application de la définition d' «office fédéral, etc...» à l'article 2, il serait alors superflu d'exclure spécifiquement l'examen judiciaire au paragraphe (6) de l'article 28. La Cour ne peut ni ne doit examiner la preuve dans le but de déterminer si le gouverneur en conseil disposait d'une «preuve suffisante» pour justifier le décret du conseil, mais elle doit simplement juger si l'on a procédé de façon appropriée, conformément à la Loi. L'article 7 de la Loi sur le casier judiciaire n'indique pas la procédure à suivre mais confère au gouverneur en conseil un pouvoir discrétionnaire étendu. Il suffit que la preuve le convainque et les mots «a cessé de se bien conduire» peuvent s'interpréter de façon large. Le gouverneur en conseil pouvait probablement obtenir d'une ou plusieurs sources les informations nécessaires lui permettant de conclure en ce sens—le rapport de la Commission Cliche pouvait à lui seul suffire. Puisque la question avait déjà été soumise à la Commission des libérations conditionnelles aux fins d'enquête, cette dernière a observé les formalités appro- priées en cas de révocation. La décision de renvoyer la question à la Commission, en l'absence de toute disposition expresse dans la Loi quant à l'enquête ne comporte rien de répréhensi- ble. Il a été jugé qu'une ordonnance de cette commission révoquant une libération conditionnelle relève entièrement de son pouvoir discrétionnaire en tant que question de nature administrative, non susceptible d'examen judiciaire. En l'es- pèce, la décision de la Commission n'était pas définitive, mais on peut prétendre que le gouverneur en conseil adopterait sûrement sa recommandation et peut-être serait-ce un sophisme d'avancer que, puisque la Commission ne faisait qu'enquêter et ne prenait aucune décision, elle n'était pas tenue d'agir de façon judiciaire ou quasi judiciaire.
Pour rendre cette décision, il fallait se conformer aux princi- pes de la justice naturelle, y compris le droit de se faire entendre. Quant à la partialité alléguée, sans doute eût-il mieux valu que la lettre de la Commission des libérations condition- nelles indique simplement que la Commission étudiait la possi- bilité de recommander la révocation, tout en invitant le deman- deur à présenter ses observations, plutôt que d'indiquer son intention de faire une telle recommandation, obligeant ainsi le demandeur à justifier ses objections; néanmoins, cela ne suffi- sait pas à l'empêcher de terminer son enquête et de faire son rapport, d'autant plus qu'il s'agissait seulement d'une recom- mandation et non d'une décision définitive.
Enfin, on ne conteste pas que le demandeur a eu, à deux reprises, toute possibilité de se faire entendre; bien que norma- lement une partie doive connaître les accusations portées contre elle afin de présenter des observations appropriées, ce n'est pas essentiel si elle est déjà au courant de ce dont on l'accuse. En l'espèce, il connaissait les témoignages relatifs à sa conduite présentés devant la Commission Cliche et leur gravité. Il n'y a aucune raison de supposer que la Commission des libérations conditionnelles possédait des preuves autres que celles conte- nues dans le rapport de la Commission Cliche, ou en avaient besoin. Le demandeur ne peut s'en prendre qu'à lui-même s'il a refusé de présenter des observations quand il en avait la possibilité.
Arrêts appliqués: «B» c. La Commission d'enquête [1975] C.F. 602; Landreville c. La Reine [1973] C.F. 1223; Wilson c. Esquimalt and Nanaimo Railway Company [1922] 1 A.C. 202; Howarth c. La Commission nationale des libérations conditionnelles [1976] 1 R.C.S. 453; Le Roi c. Legislative Committee of the Church Assembly [1928] 1 K.B. 411; Confederation Broadcasting Limited c. Le Conseil de la radio-télévision canadienne [1971] R.C.S. 906; Lazarov c. Le Secrétaire d'État [1973] C.F. 927 et Kômo Construction Inc. c. Commission des Rela tions de Travail du Québec [1968] R.C.S. 172. Arrêts approuvés: Gruen Watch Company of Canada Limited c. Le procureur général du Canada [1950] O.R. 429 et Border Cities Press Club c. Le procureur général de l'Ontario [1955] O.R. 14. Arrêts analysés: Barnard c. National Dock Labour Board [1953] 2 Q.B. 18;.Ex parte Sullivan (1941) 75 C.C.C. 70; Ex parte McCaud [1965] 1 C.C.C. 168; Calgary Power Limited c. Copithorne [1959] R.C.S. 24; Nakkuda Ali c. Jayaratne [1951] A.C. 66; Guay c. Lafleur [1965] R.C.S. 12; Saulnier c. La Com mission de police du Québec [1976] 1 R.C.S. 572; Kanda c. Government of Malaya [1962] A.C. 322 et Teasdale c. La Commission de contrôle des permis d'alcool [1974] C.S. 319. Distinction faite avec l'arrêt: Cathcart c. La Commission de la Fonction publique [1975] C.F. 407.
ACTION. AVOCATS:
M. Proulx et M. Robert pour le demandeur. G. Côté pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Proulx & Levesque, Montréal, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE WALSH: Au début de l'audience, l'inti- tulé a été modifié sur consentement pour substi- tuer à la Reine le procureur général du Canada à titre de défendeur. Le demandeur cherche à obte- nir un jugement déclaratoire portant que les com- missaires Claude Bouchard et Jean Paul Gilbert ainsi que la Commission nationale des libérations conditionnelles n'avaient pas compétence pour le convoquer aux fins d'effectuer une enquête ni de faire une recommandation au Solliciteur général du Canada relativement à la révocation du pardon qui lui avait été accordé le 8 mai 1973, conformé-
ment aux dispositions de la Loi sur le casier judiciaire 1 ; le demandeur réclame également un jugement déclarant nuls tous les actes, enquêtes, audiences, décisions, procédures et recommanda- tions desdits commissaires et de la Commission nationale des libérations conditionnelles portant sur la révocation du pardon du demandeur et ce dernier réclame en outre que soit déclaré nul et sans effet le décret du gouverneur en conseil le 9 octobre 1975, révoquant ledit pardon par le décret du conseil C.P. 1973-1078.
Les faits sont peu contestés et l'affaire a été soumise seulement sur un exposé conjoint des faits et sur diverses pièces produites sur consentement, aucun témoin n'étant cité. Selon l'exposé conjoint des faits, le 8 mai 1973 le demandeur a reçu son pardon par décret du conseil conformément à la Loi sur le casier judiciaire susmentionnée mais subséquemment, à l'automne 1974, la suite de certains renseignements portés à sa connaissance et à la demande du Solliciteur général du Canada, la Commission nationale des libérations condition- nelles a effectué une enquête sur la conduite du demandeur afin de déterminer s'il serait opportun de recommander la révocation de son pardon. Plus tard, dans une lettre portant la date du 8 mai 1975, le ministre de la Justice de la province de Québec a demandé au Solliciteur général du Canada de révoquer ledit pardon conformément aux dispositions de l'article 7 de ladite loi; la lettre faisait mention du rapport de la Commission d'en- quête du Québec sur la liberté syndicale dans l'industrie de la construction. Les parties recon- naissent qu'il s'agissait d'une enquête instituée par le gouvernement de la province de Québec et présidée par le juge Robert Cliche, qui avait soumis son rapport au gouvernement de la pro vince de Québec le 2 mai 1975; l'une des recom- mandations de ladite Commission portait qu'il fal- lait modifier la Loi de façon à interdire à toute personne reconnue coupable de certains crimes d'accéder à des fonctions syndicales.
Dans une lettre du 21 mai 1975 signée par Pierre L. Dupuis de la Division de la clémence et du casier judiciaire de la Commission des libéra- tions conditionnelles, on priait le demandeur de se présenter devant deux membres de la Commission, à savoir Claude Bouchard et Jean Paul Gilbert,
S.R.C. 1970, (1° , Supp.), c. 12.
pour leur faire les observations qu'il jugerait opportunes relativement à la recommandation que la Commission se proposait de faire au Solliciteur général demandant la révocation de son pardon. Il s'est présenté devant eux le 2 juin 1975 accompa- gné de son avocat, qui a immédiatement soulevé la question du manque de compétence des commis- saires ou de la Commission nationale des libéra- tions conditionnelles pour révoquer le pardon puis- que la Loi ne mentionne pas que la Commission ni les commissaires ont ce droit de révocation et que par conséquent, ils n'avaient pas le droit de le convoquer à une enquête ni de faire une recom- mandation au Solliciteur général du Canada. En réponse à cette objection, les commissaires ont déclaré que la Loi leur accordait en matière de révocation des pardons une compétence analogue à celle qu'elle leur accorde relativement à l'octroi d'un pardon. A cette époque, on n'a pas mentionné que le gouverneur en conseil ni aucune autre per- sonne les avait autorisés à tenir une enquête.
Sous réserve de cette première objection relative à la compétence, l'avocat du demandeur a égale- ment allégué qu'on pouvait douter de l'impartialité des commissaires puisque la Commission avait déjà décidé de recommander au Solliciteur général du Canada la révocation du pardon avant de con- voquer ou d'entendre le demandeur. Les commis- saires ont aussi rejeté cette objection et ont prié le demandeur de faire toutes les observations qu'il jugeait pertinentes.
Avant de s'exécuter, l'avocat du demandeur a demandé aux commissaires de préciser la nature des plaintes et des preuves de mauvaise conduite qu'ils avaient contre son client afin de lui permet- tre de les réfuter. Il a essuyé un refus catégorique de la part des commissaires, ces derniers affirmant que leur recommandation avait été faite en vertu des dispositions du sous-alinéa (i) de l'alinéa b) de l'article 7 de la Loi sur le casier judiciaire et qu'il incombait au demandeur de démontrer pourquoi son pardon ne devrait pas être révoqué. Le deman- deur a refusé de se justifier tant qu'on ne lui aurait pas révélé les motifs de la révocation projetée et l'audience a alors été ajournée afin de permettre à son avocat de produire des autorités par écrit, ce qu'il a fait en temps et lieu. Le demandeur a alors été convoqué de nouveau le 15 août 1975, et à ce moment son avocat a exigé de nouveau que soient
précisées les plaintes et les preuves contre son client, essuyant un autre refus de la part des commissaires; de son côté, le demandeur a refusé de faire des observations pour les raisons précitées. Les commissaires ont alors laissé entendre au demandeur qu'ils transmettraient leur recomman- dation au Solliciteur général du Canada dans un délai de quatre à six semaines, Ce qu'ils firent en temps utile, recommandant la révocation du pardon. De son côté, le Solliciteur général fit la même recommandation au gouverneur en conseil et par décret du 9 octobre 1975, le pardon fut révoqué aux motifs que le demandeur avait cessé de se bien conduire, le tout conformément à l'arti- cle 7 de la Loi.
L'article 7 que l'on vient de mentionner dit notamment:
7. Un pardon peut être révoqué par le gouverneur en conseil
a) si la personne à laquelle il est accordé est par la suite déclarée coupable d'une nouvelle infraction en vertu d'une loi du Parlement du Canada ou d'un règlement qui en découle; ou
b) sur preuve établissant, à la satisfaction du gouverneur en conseil,
(i) que la personne à laquelle il a été accordé a cessé de se bien conduire, ou
(ii) que cette personne a sciemment fait une déclaration inexacte ou trompeuse relativement à sa demande de pardon, ou a sciemment dissimulé un détail important relativement à cette demande.
Les parties reconnaissent qu'après l'octroi de son pardon, le demandeur n'a pas fait l'objet d'une autre condamnation. On a adinis également, sous réserve des objections des défendeurs à ce sujet, que le demandeur avait été accusé de complot en vertu de l'article 423 du Code criminel, qu'il avait été acquitté le 31 octobre 1974 et qu'une accusa tion d'extorsion par menaces ou violences portée conformément à l'article 305 avait abouti - aussi à un acquittement en novembre 1975, c'est-à-dire après la révocation de sa libération conditionnelle. On n'allègue pas que le demandeur ait fait une déclaration inexacte ou trompeuse au sujet de sa demande de pardon, laquelle se reportait à des infractions commises en 1951, 1954 et 1959 res- pectivement, de sorte que la révocation devait uni- quement se fonder sur le sous-alinéa (i) de l'alinéa b) de l'article 7, à savoir qu'il avait été prouvé, à la satisfaction du gouverneur en conseil, que le demandeur avait cessé de se bien conduire. La révocation du pardon prononcée pour ce motif est
évidemment de nature moins restreinte que celle prononcée pour condamnation pour une autre infraction, de sorte que même si le demandeur n'a pas été reconnu coupable des infractions dont il a été accusé découlant des incidents dont fait men tion le rapport Cliche, le gouverneur en conseil pourrait tout de même conclure qu'il a cessé de se bien conduire, pourvu qu'il suive la procédure appropriée et qu'il dispose des informations justi- fiant sa conclusion. En fait, dans son rapport au gouverneur en conseil, le Solliciteur général déclare:
Cependant, suite à l'octroi du pardon, certains renseigne- ments confidentiels reçus ont permis à la Commission d'établir qu'André Desjardins n'est plus de bonne conduite. Il semble qu'il fraye avec des gens associés de très près à la pègre et que ses relations avec ces personnes sont de nature telle qu'elles incitent à croire q'il s'agit de rencontres plus qu'accidentelles.' De plus, André Desjardins attend de subir un procès sur des chefs d'accusation en vertu de l'article 305 et 423 du Code criminel. 3
Dans sa lettre du 8 mai 1975 au Solliciteur général du Canada, le ministre de la Justice de la province de Québec fait mention du rapport Cliche et en joint une copie, soulignant qu'il a été rendu public et que le cas de Desjardins y est étudié. Il est donc évident que le Solliciteur général avait en main les recommandations du rapport Cliche et on peut assurément présumer que les commissaires, qui étudiaient à sa demande la possibilité de révo- quer la libération conditionnelle de Desjardins, avaient aussi pris connaissance de ce rapport avant d'adresser leur lettre au demandeur le 21 mai 1975, lui demandant de comparaître et en fait, de démontrer pourquoi son pardon ne devrait pas être révoqué. Toutefois, il est important de souligner qu'on admet que les commissaires ont commencé à enquêter sur la conduite de Desjardins à l'automne de 1974, longtemps avant que la Commission Cliche ait fait rapport et que le ministre de la Justice de la province de Québec ait adressé sa
2 Cette phrase reprend celle dont s'est servie la Commission des libérations conditionnelles dans sa recommandation et que l'on trouve dans une lettre adressée en son nom à l'avocat du demandeur le 26 novembre 1975 pour aviser ce dernier de la révocation de son pardon.
3 Si je ne me trompe, l'aveu supplémentaire fait devant la Cour, sans préjudice du droit d'objecter son manque de perti nence, et qui n'a pas été consigné, semble indiquer qu'il avait déjà été acquitté de l'accusation de complot le 31 octobre 1974, mais cette date peut être erronée, ce qui de toute façon ne saurait influer sur la décision en l'espèce pour les raisons citées plus haut.
lettre au Solliciteur général du Canada, et bien que cette lettre ait pu précipiter la révocation du pardon, elle ne saurait l'avoir provoquée. La révo- cation du pardon revêt une importance particulière du fait qu'en vertu des dispositions d'une Loi modifiant la Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la construction, qui est le Bill 30, sanctionné le 22 mai 1975, l'Assemblée nationale du Québec déclare inhabile à occuper des fonctions syndicales toute personne trouvée coupable de cer- tains crimes. Le second alinéa de l'article 2g) de la Loi dit notamment:
A moins que la personne trouvée coupable ne bénéficie d'un pardon en vertu de la Loi sur le casier judiciaire (Statuts du Canada), l'inhabilité prévue ci-dessus subsiste cinq ans après le terme d'emprisonnement fixé par la sentence; s'il y a eu con- damnation à une amende seulement ou si la sentence a été suspendue, l'inhabilité subsiste durant cinq ans à compter de la condamnation.
Le demandeur prétend que l'adoption de cette loi et la nature du rapport de la Commission Cliche ont influé sur la recommandation des commissaires de la Commission nationale des libérations condi- tionnelles au gouverneur en conseil de même qu'ils ont influencé ce dernier lorsqu'il a décidé de révo- quer le pardon qui avait été accordé au demandeur.
L'article 4 de la Loi sur le casier judiciaire expose la procédure à suivre pour la production d'une demande de pardon, qui doit être adressée au Ministre et transmise par lui à la Commission, laquelle fait effectuer l'enquête qui s'impose. Cependant, le paragraphe (4) se lit ainsi:
(4) A la fin de son enquête, la Commission doit faire part de ses résultats au Ministre, ainsi que de sa recommandation sur l'opportunité de l'octroi d'un pardon; toutefois, si la Commis sion se propose de recommander qu'un pardon ne soit pas octroyé, elle doit, avant de faire cette recommandation, en aviser immédiatement le requérant et l'informer qu'il a le droit de présenter à la Commission toutes observations qu'il estime pertinentes. La Commission doit alors examiner toutes observa tions orales ou écrites qui lui sont présentées par le requérant ou pour son compte dans un délai raisonnable après qu'un tel avis a été donné et avant qu'un rapport ait été fait en vertu du présent paragraphe.
et le paragraphe (5) dit:
(5) Au reçu d'une recommandation de la Commission préco- nisant l'octroi du pardon, le Ministre doit transmettre ladite recommandation au gouverneur en conseil qui peut accorder le pardon; celui-ci doit être rédigé selon la formule indiquée à l'annexe.
Cependant la Loi ne contient aucune disposition semblable relative à la révocation du pardon et le demandeur prétend qu'il aurait avoir la possibi- lité de présenter des observations et de se faire entendre tout comme il aurait pu le faire dans le premier cas, si la Commission avait eu l'intention de recommander que le pardon ne soit pas accordé. Cependant, lorsqu'il s'agit de l'octroi du pardon, le paragraphe (5) prévoit que le gouverneur en con- seil «peut» accorder le pardon mais dit que le Ministre «doit» transmettre la recommandation au gouverneur en conseil. Le demandeur avance qu'à toutes fins pratiques, le gouverneur en conseil suit la recommandation de la Commission des libéra- tions conditionnelles sans faire d'autres enquêtes et sans disposer d'autres éléments de preuve que la recommandation de ladite Commission. Il fait valoir également que tandis que l'octroi d'un pardon est un privilège de sorte que conformément au paragraphe (4) précité, la Commission peut enquêter sans aviser au préalable le demandeur et doit lui accorder la possibilité de présenter des observations seulement lorsqu'elle se propose de faire une recommandation défavorable, la situa tion est différente après l'octroi du pardon. En effet, nous sommes alors en présence d'un droit acquis dont on ne peut priver le bénéficiaire sans preuve évidente qui est portée à sa connaissance et qu'il a la possibilité de réfuter, établissant l'exis- tence de motifs suffisants pour conclure qu'il «a cessé de se bien conduire».
Cette cour doit d'abord déterminer si elle peut annuler le décret du conseil révoquant le pardon du demandeur au moyen des présentes procédures déclaratoires. Je ne peux souscrire à la prétention du demandeur selon laquelle le gouverneur en conseil est «un office, commission ou autre tribunal fédéral... ayant, exerçant ou prétendant exercer une compétence ou des pouvoirs conférés par une loi du Parlement du Canada» au sens de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale. 4 Cependant, le redressement recherché est à l'encontre des défen- deurs dont les noms apparaissent dans l'intitulé de la cause, y compris le procureur général du Canada qui a été substitué à Sa Majesté la Reine comme défendeur à la suite d'une modification apportée au début des procédures. Cette modifica-
4 S.R.C. 1970 (2 , Supp.), c. 10.
don a été faite conformément aux conclusions de mon collègue le juge Addy dans l'arrêt «B» c. La Commission d'enquêtes il déclare aux pages 616-17:
Même en l'absence d'autorisation légale, les personnes occu pant une fonction relevant de la Couronne du chef du Canada peuvent faire l'objet de jugements déclaratoires, quand elles exercent un pouvoir non autorisé par la loi.
A l'appui de cette assertion, il renvoie à l'arrêt Gruen Watch Company of Canada Limited c. Le procureur général du Canada 6 dans lequel le juge McRuer, alors juge en chef, déclare à la page 445:
[TRADUCTION] The Judicature Act et la compétence en common law des King's Courts of Justice m'autorisent, lorsque les droits de citoyen sont en cause, à rendre une ordonnance ou un jugement déclaratoire contre des personnes occupant une fonction relevant de la Couronne du chef du Dominion, quand elles exercent un pouvoir non autorisé par la loi.
De nouveau à la page 450 il déclare:
[TRADUCTION] Ce droit particulier de recours aux tribunaux est une précieuse protection dont dispose le citoyen contre l'exercice arbitraire du pouvoir administratif non autorisé par la loi, et les juges ne devraient pas hésiter à exercer le pouvoir discrétionnaire dont ils disposent lorsqu'un jugement déclara- toire offrira une certaine protection au citoyen dont les droits ont été empiétés par des mesures administratives.
Le juge Addy renvoie aussi l'arrêt Landreville c. La Reine' dans lequel le juge Pratte déclara à la page 1230:
Je conclus de ce qui précède que la Cour a compétence pour rendre un jugement déclaratoire qui, bien que dénué d'effet juridique, pourrait avoir quelque utilité d'un point de vue pratique.
En ce qui concerne les jugements déclaratoires, on peut aussi se reporter à la déclaration de lord Denning à la page 41 de l'arrêt Barnard c. Na tional Dock Labour Board':
[TRADUCTION] Je ne connais aucune restriction au pouvoir qu'ont les cours de rendre un jugement déclaratoire si ce n'est celle qu'elles peuvent s'imposer, à leur discrétion; et j'estime que les cours ne devraient pas se lier les mains en ce qui concerne les tribunaux créés par une loi. Il est évident que, lorsqu'un tribunal créé par une loi rend la justice, il doit agir selon le droit. C'est l'intention claire du Parlement. Si le tribunal n'observe pas le droit, que peut-on faire? Le recours au certiorari est très difficile d'accès et risque d'être inutilisable. Pourquoi la Cour n'interviendrait-elle pas alors au moyen d'un
[1975] C.F. 602. 6 [1950] O.R. 429. '[1973] C.F. 1223. s [1953] 2 Q.B. 18.
jugement déclaratoire et d'une injonction? Si elle ne peut pas intervenir ainsi, cela voudrait dire que le tribunal pourrait ignorer le droit, chose que personne ne peut faire dans ce pays.
De plus, certaines décisions affirment que l'on peut rendre un jugement déclaratoire contre un décret du conseil. Dans l'arrêt Border Cities Press Club c. Le procureur général de l'Ontario' le juge en chef Pickup, tel était alors son titre, a déclaré à la page 19:
[TRADUCTION] Je suis d'accord avec le savant juge de la Weekly Court, pour les raisons qu'il a énoncées, que le pouvoir conféré existe seulement si la partie intéressée a pu présenter ses observations, et que les lettres patentes ne devraient pas avoir la compétence, en vertu de la loi, de donner l'ordre contesté sans accorder à l'intimé l'occasion de se faire entendre ou celle de justifier son opposition. En exerçant le pouvoir mentionné, le lieutenant-gouverneur en conseil n'exerce pas, selon moi, une prérogative de la Couronne mais un pouvoir conféré par une loi, et un tel pouvoir ne peut être valablement exercé qu'en se conformant aux dispositions législatives qui sont, en droit, des conditions préalables à l'exercice d'un tel pouvoir.
La dernière phrase de cette citation est particuliè- rement pertinente en l'espèce, puisque le gouver- neur en conseil exerçait un pouvoir conféré par une loi plutôt qu'une prérogative de la Couronne.
Le demandeur ne peut réclamer un examen judiciaire en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale même s'il avait fallu soumettre à un processus judiciaire ou quasi judiciaire la décision de révoquer son pardon, car le paragraphe (6) de l'article 28 se lit comme suit:
28. (6) Nonobstant le paragraphe (1), aucune procédure ne doit être instituée sous son régime relativement à une décision ou ordonnance du gouverneur en conseil, du conseil du Trésor, d'une cour supérieure ou de la Commission d'appel des pensions ou relativement à une procédure pour une infraction militaire en vertu de la Loi sur la défense nationale.
Bien que l'avocat des défendeurs ait fait valoir qu'il serait illogique d'accorder à la Division de première instance la compétence pour rendre un jugement déclaratoire en vertu des dispositions de l'article 18 de la Loi, cette décision pouvant être soumise à la Cour d'appel, alors que conformé- ment aux dispositions de l'article 28(6), la Cour d'appel ne peut connaître d'une demande d'exa- men d'une décision ou ordonnance du gouverneur en conseil, il faut souligner que les deux procédu- res sont parfaitement distinctes. L'article 28 con
[1955] O.R. 14.
fère à la Cour d'appel le pouvoir d'accorder un redressement particulier contre les décisions ou les ordonnances autres que celles de nature purement administrative rendues par un office, une commis sion ou un autre tribunal, si notamment ils n'ont pas observé un principe de justice naturelle. Le paragraphe (6) prévoit que ce redressement ne pourra être accordé à l'encontre d'une décision ou ordonnance du gouverneur en conseil. D'un autre côté, l'article 18 accorde à la Division de première instance compétence exclusive en première ins tance pour accorder divers redressements de common law qui existent depuis toujours, y com- pris la compétence de rendre un jugement déclara- toire. Si le législateur avait entendu qu'une déci- sion ou ordonnance du gouverneur en conseil ne puisse faire l'objet d'un jugement déclaratoire, il aurait ajouté à l'article 18 une disposition restric tive comme celle contenue au paragraphe (6) de l'article 28 plutôt que de s'en tenir à la définition exposée à l'article 2 pour exclure ce redressement. Comme le soutient l'avocat du demandeur, si on ne pouvait obtenir un tel redressement contre un décret du conseil par l'application de la définition d'office, commission ou autre tribunal à l'article 2, il serait alors superflu d'exclure spécifiquement l'examen judiciaire au paragraphe (6) de l'article 28.
Le Conseil privé, dans l'arrêt Wilson c. Esquimalt and Nanaimo Railway Company 10 , a aussi étudié la question du redressement possible contre un décret du conseil. Le juge Duff a déclaré aux pages 211 et 212:
[TRADUCTION] ... leurs Seigneuries estiment que le gouver-
neur en conseil, lorsqu'il tranche de telles questions, exerce une fonction d'ordre judiciaire en ce qu'il doit, pour reprendre les termes du lord juge Moulton dans l'arrêt Arlidge's [1915] A.C.
120 la page 150 «rester impartial» et s'acquitter de ses devoirs «consciencieusement, pénétré du sentiment de ses responsabili- tés» en tenant compte du fait qu'une décision favorable au requérant aura pour conséquence de lui transférer des biens sur lesquels, si ce n'était de la loi et de la production de la preuve nécessaire, la compagnie intimée (ou les personnes ayant acquis ces titres) aurait eu des droits inattaquables. Et aux fins du présent appel, on peut admettre que la compagnie intimée (ou ses successeurs) pourrait attaquer un octroi accordé grâce à une décision prise à la suite de procédures dépourvues de ces caractéristiques, comme étant accordé sans autorité ou en abusant de l'autorité que crée la loi.
Cependant, le décret du conseil a été confirmé, le juge disant à la page 212:
10 [1922] 1 A.C. 202.
[TRADUCTION] La question de savoir si, oui ou non, la preuve fournie était une «preuve suffisante» était une question de fait ressortissant au tribunal désigné, et la réponse affirmative du lieutenant-gouverneur en conseil ne pouvait être contestée devant aucune cour tout au moins tant que l'on n'avait pas démontré qu'il ne disposait d'aucune «preuve» qu'il pouvait, tout en agissant de façon judiciaire, considérer comme étant raisonnablement suffisante.
et de nouveau à la page 214:
[TRADUCTION] ... le lieutenant-gouverneur en conseil n'était pas tenu de suivre les règles de procédure régissant les procédu- res entamées devant une Cour de justice.
On ne peut prétendre qu'il ait agi sans tenir compte des droits des intimés et en l'absence d'une raison probante au contraire, on doit présumer qu'il a adopté la procédure suivie dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire que lui accorde la loi, comme étant une façon convenable d'accomplir le devoir qui lui était confié. Selon leurs Seigneuries, les décisions qu'il a prises dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire sont finales et ne peuvent faire l'objet d'un examen judiciaire.
Par conséquent, dans les présentes procédures, la Cour ne peut ni ne doit examiner la preuve dans le but de déterminer si le gouverneur en conseil disposait d'une «preuve suffisante» pour justifier le décret du conseil révoquant le pardon, mais elle doit simplement juger si l'on a procédé de façon appropriée, conformément à la Loi.
Bien que l'article 7 de la Loi sur le casier judiciaire (précité) n'indique pas la façon dont le gouverneur en conseil doit s'y prendre pour révo- quer un pardon, mais expose seulement les motifs justifiant une telle mesure, le libellé de l'article accorde clairement au gouverneur en conseil un pouvoir discrétionnaire très étendu. Il suffit que la preuve le convainque et les mots «a cessé de se bien conduire» peuvent s'interpréter de façon très large. Il est fort possible que le gouverneur en conseil puisse obtenir d'une ou plusieurs sources les infor- mations nécessaires lui permettant de conclure en ce sens. Les dépositions faites devant la Commis sion d'enquête Cliche sur la liberté syndicale dans l'industrie de la construction ont fait l'objet d'une grande publicité de la part des organes d'informa- tion au cours des audiences devant cette Commis sion, portant sérieusement atteinte à la réputation de nombreuses personnes mentionnées par divers témoins. Bien que la preuve versée au dossier en l'espèce ne révèle pas les raisons pour lesquelles le Solliciteur général du Canada a demandé à la Commission nationale des libérations conditionnel- les de faire enquête au sujet du demandeur André
Desjardins, il est reconnu qu'il l'a fait dès l'au- tomne 1974 et comme on l'a déjà dit, le gouver- neur en conseil pouvait assurément consulter le rapport de la Commission. Le contenu de ce rap port peut à lui seul avoir convaincu le gouverneur en conseil que Desjardins avait cessé de se bien conduire. Cependant, puisque la question avait déjà été soumise à la Commission des libérations conditionnelles aux fins d'enquête, cette dernière a observé les formalités appropriées en cas de révo- cation de la libération conditionnelle. Je ne vois rien de répréhensible dans la décision de renvoyer à la Commission des libérations conditionnelles la question aux fins d'enquête et de rapport en l'ab- sence de toute disposition expresse dans la Loi indiquant comment doit se faire l'enquête. Com:ne l'a concédé l'avocat du demandeur, le gouverneur en conseil ne pouvait enquêter lui-même, étudier les témoignages ni entendre les observations du demandeur. Il fallait déléguer cette tâche à un commissaire, qui pouvait être un avocat désigné à cette fin, mais qui peut être plus compétent que les membres de la Commission nationale des libéra- tions conditionnelles, rompus à ce genre d'en- quête? Dans l'arrêt Ex parte Sullivan (1941) 75 C.C.C. 70, on a conclu que le ministre de la Justice peut être convaincu de la nécessité d'ordon- ner l'emprisonnement conformément au Règle- ment 21 du Règlement sur la défense du Canada (consolidation) 1940 bien qu'il n'ait procédé per- sonnellement à aucune enquête, se contentant d'agir selon la recommandation d'une autre per- sonne déléguée pour enquêter et faire des recom- mandations. C'est précisément ce que le gouver- neur en conseil a fait en l'espèce. La Cour suprême, dans une décision majoritaire, a statué dans l'affaire Howarth c. La Commission natio- nale des libérations conditionnelles" qu'une ordonnance de la Commission nationale des libéra- tions conditionnelles révoquant une libération con- ditionnelle est une décision qui relève entièrement du pouvoir discrétionnaire de la Commission en tant que question de nature administrative et par- tant, n'est pas susceptible d'examen en vertu de l'article 28. Cet arrêt a suivi la décision de la Cour suprême dans l'affaire Ex parte McCaud 12 et le jugement majoritaire a aussi renvoyé à l'arrêt Calgary Power Limited c. Copithorne 13 . Dans
" [1976] 1 R.C.S. 453.
12 [1965] 1 C.C.C. 168.
13 [1959] R.C.S. 24.
cette décision, le juge Martland, a mentionné à la page 30 le jugement du lord juge en chef Hewart, dans Le Roi c. Legislative Committee of the Church Assembly 14 il a déclaré:
[TRADUCTION] Pour répondre aux critères imposés, il ne suffit pas qu'un organisme soit habilité par la loi à trancher des questions touchant les droits de citoyens; il faut en plus qu'il soit tenu d'agir de façon judiciaire.
Cet extrait a été cité et approuvé par le Comité judiciaire du Conseil privé dans l'arrêt Nakkuda Ali c. Jayaratne 15
Cependant, en prononçant le jugement majori- taire dans l'affaire Howarth le juge Pigeon a souli- gné à la page 475 qu'il ne se prononçait pas sur la question de savoir si, dans un cas semblable, nonobstant l'article 23 de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, on ne pouvait chercher redressement devant la Division d e première ins tance de la Cour fédérale 16 .
Dans le jugement dissident rendu dans l'affaire Howarth, le juge Dickson a mentionné l'article 23, déclarant à la page 465:
Les décisions de la Commission ne sont pas susceptibles d'appel ou de révision (art. 23). Elles ne sont pas investigatives ni consultatives. Elles sont des décisions finales emportant effet définitif.
En l'espèce, au contraire, c'est au gouverneur en conseil de décider en dernier ressort si le pardon doit être révoqué ou non de sorte que la recom- mandation de la Commission nationale des libéra- tions conditionnelles n'était pas «une décision finale emportant effet définitif.» Le juge Dickson, dans son jugement dissident, a également souligné que depuis l'arrêt McCaud, l'article 16(4) de la
14 [1928] 1 K.B. 411 à la page 415.
15 [1951] A.C. 66.
16 L'article 23 de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, e. P-2, dit:
23. Un ordre donné, un mandat décerné ou une décision rendue en vertu de la présente loi n'est susceptible d'aucun appel à un tribunal ou une autre autorité, ou d'aucune révision par un tribunal ou une autre autorité.
Loi sur la libération conditionnelle de détenus a été modifié, de sorte que la Commission doit main- tenant, lorsque lui est renvoyé le cas d'un détenu à liberté conditionnelle dont la libération condition- nelle a été suspendue, faire effectuer toutes les enquêtes y relatives qu'elle estime nécessaires et aucune décision n'est prise relativement à l'annula- tion de la suspension ou à la révocation de la libération conditionnelle avant que ces enquêtes ne soient terminées et que la Commission ait examiné la question; par conséquent, une décision doit être prise que le juge Dickson estime être de nature judiciaire ou quasi judiciaire.
La distinction entre la façon dont agissait la Commission nationale des libérations conditionnel- les en l'espèce, en tant qu'organisme d'enquête tenant son mandat du Solliciteur général du Canada, et la façon dont elle doit agir lorsqu'elle prend en considération la révocation de la libéra- tion conditionnelle ressort d'une déclaration de feu S.A. de Smith dans Judicial Review of Adminis trative Action, 3 e éd. (1973) la page 68, citée à la page 465 du jugement dissident rendu dans l'af- faire Howarth, à savoir qu'[TRADUCTION] «un organisme exerçant des pouvoirs qui sont simple- ment de nature consultative, délibérante, investiga tive, ou conciliatoire ou qui ne sont pas légalement efficaces sans confirmation par un autre orga- nisme, ou qui ne s'appliquent seulement qu'à la prise d'une décision préliminaire, ne sera pas nor- malement considéré comme agissant à titre judiciaire.»
Dans l'affaire Guay c. Lafleur" le sous-ministre du Revenu national a autorisé un fonctionnaire de ce ministère à faire enquête sur les affaires de l'intimé et d'autres personnes; il y eut audition de témoins, qui ont déposé sous serment mais l'intimé n'a pas été assigné pas plus qu'il n'a été officielle- ment avisé de la tenue de l'enquête. A l'ouverture de celle-ci, des avocats se sont présentés en son nom pour demander que leur client puisse assister à l'enquête et soit représenté par des avocats au cours de l'interrogatoire de tous ceux qui avaient été cités par l'enquêteur; cette requête fut rejetée. L'intimé a obtenu une injonction, que la Cour suprême a annulée. En rendant l'arrêt, le juge Cartwright a déclaré aux pages 17-18:
19 [1965] R.C.S. 12.
[TRADUCTION] Bien sûr, il existe de nombreux organismes administratifs liés par la maxime «audi alteram partem» mais la raison en est qu'ils ont le pouvoir de rendre une décision qui atteint les droits de certaines personnes ou leur impose des obligations.
C'est d'un organisme investi d'un tel pouvoir que le lord chancellier Loreburn a dit dans l'arrêt Board of Education c. Rice [1911] A.C. 179 à la page 182
Inutile d'ajouter . .. qu'ils doivent agir de bonne foi et entendre impartialement les deux parties, car c'est le devoir de toute personne ayant à juger quoi que ce soit.
L'appelant en l'espèce n'est pas autorisé à rendre une décision.
et il a ajouté à la page 18:
De façon générale, mise à part une disposition législative la rendant applicable, la maxime «audi alteram partem» ne s'ap- plique pas à un agent d'administration dont la fonction consiste simplement à recueillir des renseignements et à faire un rapport et qui n'a aucunement le pouvoir d'imputer une responsabilité ni de rendre une décision portant atteinte aux droits des parties.
On a mentionné et établi une distinction avec ce jugement dans l'arrêt récent Saulnier c. La Com mission de police du Québec 18 dans lequel le juge Pigeon, prononçant la décision de la Cour, a déclaré à la page 578:
Avec respect, je dois dire que la fonction de la Commission n'est pas du tout celle de l'enquêteur en cause dans Guay c. Lafleur. Cet enquêteur était uniquement chargé de recueillir des renseignements et des éléments de preuve. Le ministre du Revenu national pouvait bien ensuite se servir des preuves documentaires recueillies, mais non d6s conclusions de l'enquê- teur. C'est pourquoi l'on a décidé que l'enquêteur pouvait refuser de permettre au contribuable visé d'être présent ou représenté au genre d'enquête prévu par la Loi de l'impôt sur le revenu.
Il mentionne ensuite l'article 24 de la Loi de police en vertu duquel a été faite l'enquête dans l'affaire Saulnier et qui dit que des sanctions ne peuvent pas être prises à moins que la Commission n'ait entendu sur les faits qui donnent lieu au blâme ou à la recommandation projetés la personne dont la conduite fait l'objet de l'enquête, sauf si cette personne a été invitée à se présenter devant la Commission dans un délai raisonnable et si elle a refusé ou négligé de le faire. Aux pages 578-579, il se reporte en l'approuvant au jugement dissident du juge Casey de la Cour d'appel de la province de Québec dans lequel, établissant une distinction avec l'affaire Guay c. Lafleur, il a déclaré en se reportant à l'affaire qui lui était soumise:
1 » [1976] 1 R.C.S. 572.
[TRADUCTION] L'appelante a rendu une décision qui peut nuire beaucoup à la réputation et l'avenir de l'intimé sinon les détruire. Quand je lis les premier et quatrième considérants et les conclusions de la sixième recommandation et quand je me rappelle que le seul but de ces rapports est de présenter des faits et des recommandations d'après lesquels normalement le Minis- tre agira, l'argument qu'aucun droit n'a été défini et que rien n'a été décidé est pur sophisme.
On peut certainement prétendre qu'en l'espèce, le gouverneur en conseil adopterait sûrement la recommandation de la Commission des libérations conditionnelles portant sur la révocation du pardon, transmise au Solliciteur général et adres- sée par ce dernier au gouverneur en conseil en reprenant fidèlement les termes dont s'est servie la Commission nationale des libérations conditionnel- les lorsqu'elle a recommandé la révocation, et par conséquent, peut-être serait-ce un sophisme d'avancer que puisque la Commission nationale des libérations conditionnelles ne prenait aucune décision, mais au contraire ne faisait qu'enquêter sur les faits, elle n'était pas tenue d'agir de façon judiciaire ou quasi judiciaire.
Dans le jugement qu'il a rendu dans l'affaire «Bo c. La Commission d'enquête [1975] C.F. 602 (précitée), mon collègue le juge Addy a traité assez longuement des difficultés qu'il y a à conci- lier cette jurisprudence assez compliquée lorsqu'il déclare aux pages 611 et 612, en parlant de l'arrêt Saulnier (précité):
La question a été tranchée en faveur de l'appelant au seul motif que la Commission exerçait une fonction judiciaire ou quasi judiciaire parce qu'elle était chargée de faire un rapport d'en- quête qui «peut avoir des conséquences importantes sur les droits des personnes qui en font l'objet» et parce qu'elle «portait atteinte» aux droits de l'appelant.
Cette décision m'a beaucoup préoccupé, car elle a été rendue quatre mois après l'arrêt Howarth (précité), par la même cour et semble porter sur la ratio decidendi de l'arrêt Howarth lequel avait suivi l'arrêt Calgary Power (précité), et les autres arrêts que j'ai mentionnés, qui avaient été rendus par cette même cour. A l'audience, j'ai demandé aux avocats si l'un d'entre eux pouvait concilier la ratio decidendi de l'arrêt Saul - nier et celle de l'arrêt Howarth et des autres arrêts suivis par l'arrêt Howarth; ils ne m'ont proposé aucune solution satisfaisante.
Comme l'a déclaré le juge Pigeon dans l'arrêt Saulnier, la Commission faisait rapport au Ministre qui, strictement par- lant, avait encore juridiquement le pouvoir de mettre à exécu- tion les recommandations ou de ne pas le faire, et, d'un point de vue pratique, on doit presque tenir pour acquis qu'il suivrait la recommandation de la Commission qu'il avait créée, mais il faut néanmoins se rappeler que, dans l'affaire Howarth, il n'y avait aucune autre autorité compétente pour régler la question
de révocation de la libération conditionnelle et que la décision était définitive à tout point de vue et ne représentait pas un simple rapport adressé à une autorité supérieure. En outre dans l'affaire Howarth la Commission avait à décider de la liberté d'un sujet alors que dans l'affaire Saulnier elle s'occupait des conditions de l'emploi de celui-ci et de son éventuelle rétrogradation.
L'arrêt Saulnier n'a cité aucune décision antérieure, à l'ex- ception de l'arrêt Guay c. Lafleur (précité), qui se distingue du fait qu'il a établi que les droits d'un contribuable n'étaient pas affectés par la cotisation. Puisque l'arrêt Saulnier n'a fait aucune mention de l'arrêt Howarth qui, comme je l'ai déjà dit, avait suivi plusieurs décisions antérieures de la Cour suprême du Canada, je ne peux pas conclure que, dans l'arrêt Saulnier, la Cour entendait modifier le droit ou reviser l'interprétation qu'elle en avait faite dans ce dernier arrêt majoritaire. Je ne peux non plus souscrire à l'opinion de l'avocat du requérant, selon laquelle l'arrêt Saulnier peut être considéré comme un précédent établissant le principe que la procédure est judiciaire ou quasi judiciaire, par le simple fait qu'une loi accorde à une personne le droit d'être entendue par un conseil ou une commis sion. L'arrêt Saulnier n'est pas censé établir ce principe. A ce sujet, je trouve un appui considérable dans la décision de mon collègue le juge Collier dans l'affaire La succession Grauer c. La Reine [1973] C.F. 355, il a décidé que, dans les auditions tenues en vertu de l'article 18 de la Loi sur l'expropriation S.R.C. 1970, (1°' Supp.) c. 16 en ce qui concerne la nécessité de l'expropriation, lorsqu'une disposition spéciale prévoit que les parties seront entendues, ces auditions revêtent un caractère purement administratif puisqu'elles ne peuvent donner lieu qu'à un simple rapport et que le fonctionnaire qui en est chargé n'a pas le pouvoir de rendre une décision.
Aux pages 609 et 610 de sa décision, en plus de discuter des conclusions des arrêts Howarth, Cal- gary Power, et Guay c. Lafleur, le juge Addy renvoie à deux arrêts de la Cour suprême, décla- rant ce qui suit:
Dans l'affaire St. John c. The Vancouver Stock and Bond Company Limited [1935] R.C.S. 441, une enquête a été tenue en vertu de la Securities Fraud Prevention Act de la Colombie- Britannique pour déterminer si un acte frauduleux ou une violation de la Loi avait été commis et il a été décidé qu'une telle enquête ne constituait, en aucune façon, une procédure judiciaire ou quasi judiciaire et que le simple fait qu'une procédure puisse affecter—et non pas déterminer—les droits d'une personne ne suffit pas à lui conférer le caractère judi- ciaire ou quasi judiciaire.
L'arrêt Godson c. City of Toronto (1891) 18 R.C.S. 36 porte sur une enquête effectuée par un juge en qualité de persona designata en vertu d'une résolution d'un conseil municipal, prise conformément aux dispositions de la Municipal Act; l'enquête avait été faite pour déterminer s'il y avait eu fraude, mauvaise conduite, infraction ou abus de confiance de la part des personnes ayant contracté avec la municipalité. La Loi prévoyait que le juge aurait les pouvoirs conférés à un commis- saire en vertu d'une Loi sur les enquêtes publiques et avait pour mission de présenter un rapport. L'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario a été confirmé par la Cour suprême du Canada et il a été décidé que cette enquête ne constituait, en aucune façon,
une procédure judiciaire puisqu'elle avait pour objet d'obtenir des renseignements pour le conseil en ce qui concerne la conduite de ses membres, fonctionnaires et entrepreneurs et qu'à partir de ce rapport, le conseil pourrait, à sa discrétion, prendre des mesures.
Il a jugé que dans l'affaire qui lui était soumise, le commissaire remplissait simplement une fonction administrative et en fait il a conclu que la compé- tence qu'accorde l'article 18 la Division de pre- mière instance de rendre une ordonnance déclara- toire ne pouvait s'exercer que dans un cas semblable. Il déclare à la page 619:
En ce qui concerne l'ordonnance déclaratoire, puisqu'un office ou une commission, exerçant des pouvoirs judiciaires ou quasi judiciaires, ne pouvait jamais faire l'objet d'une action en justice ou de redressements ou procédures en equity, et puisque le redressement approprié contre un tel organisme s'obtient par voie de bref de prohibition ou d'examen judiciaire par la Cour d'appel en vertu de l'article 28, je ne peux pas considérer que l'article 18 a ainsi créé un nouveau redressement par voie d'ordonnance déclaratoire. En ce qui concerne les décisions ou actions d'un tel organisme, on ne peut obtenir de jugements déclaratoires. Cependant, puisqu'il faut donner un sens aux mots, ils doivent donc être entendus comme accordant la com- pétence sur un office fédéral, etc., exerçant des fonctions non judiciaires.
A la lumière de la jurisprudence précitée, nous faisons face en l'espèce à une triple difficulté.
1. On ne trouve dans la Loi aucune disposition portant que le demandeur doit être entendu au cours de l'enquête sur la révocation de son pardon puisqu'en fait, la Loi reste muette sur la façon dont doit se tenir l'enquête permettant au gouver- neur en conseil de conclure que la révocation du pardon s'impose.
2. La recommandation de la Commission natio- nale des libérations conditionnelles, ou plus parti- culièrement celle des commissaires chargés de l'en- quête, ne peut régler la question, la décision finale relevant du gouverneur en conseil; cependant, il faut dire qu'en pratique, il est plus que probable que la recommandation sera adoptée.
3. Si l'on conclut que l'enquête doit se faire selon un processus judiciaire ou quasi judiciaire, il n'est pas certain que l'article 18 accorde à la Division de première instance la compétence pour connaître de telles actions déclaratoires.
Selon plusieurs des arrêts susmentionnés, il ne faut pas nécessairement prendre une décision selon un processus judiciaire ou quasi judiciaire simple-
ment parce qu'elle portera atteinte aux droits d'une partie; je n'en estime pas moins qu'en l'es- pèce, il ne fallait pas révoquer le pardon sans tenir compte des principes de justice naturelle, y com- pris le droit du demandeur de se faire entendre et de présenter des observations. En concluant de la sorte, je n'oublie pas la décision rendue dans l'af- faire Wilson c. Esquimalt and Nanaimo Railway Company (précitée) portant premièrement que la Cour ne peut mettre en doute ce que le gouverneur en conseil considère être une preuve suffisante et, deuxièmement, que le gouverneur en conseil n'est pas astreint à suivre les règles de procédure régis- sant les actions engagées devant les cours de jus tice et en l'absence de raisons concluantes établis- sant le contraire, il faut présumer qu'il a adopté la procédure suivie en exerçant le pouvoir discrétion- naire que lui confère la loi, avec le souci d'accom- plir convenablement le devoir dont il était chargé.
Ce qui nous amène à la question à résoudre en l'espèce, c'est-à-dire savoir si, en fait, vu la nature de l'enquête et la façon dont on y a procédé, le brocard audi alteram partem et les règles de jus tice naturelle ne s'en sont pas trouvées frustrées? A ce propos, le demandeur a tout d'abord allégué que les commissaires chargés de l'enquête étaient prévenus contre lui. A motivé cette prétention, la rédaction malheureuse du second paragraphe de la lettre datée le 21 mai 1975, adressée à Desjardins pour l'informer que lui-même ou son conseiller juridique avait le droit de se présenter devant la Commission pour faire toutes les représentations jugées opportunes. Voici le paragraphe en question:
Conformément à l'article 7 de ladite loi, la Commission se propose présentement de recommander au Solliciteur général du Canada la révocation du pardon octroyé.
On a vu dans ce paragraphe la preuve que les commissaires s'étaient déjà fait une idée et on a renvoyé à l'arrêt Cathcart c. La Commission de la Fonction publique 19 il est dit que lorsqu'un organe quasi judiciaire s'est familiarisé au préala- ble avec un aspect du litige sur lequel il est tenu de se prononcer, il est à craindre que son aptitude à agir avec impartialité à l'audience qui doit suivre se trouve diminuée. Sans être en désaccord avec
19 [1975] C.F. 407.
cette décision, je doute sérieusement qu'elle puisse s'appliquer aux faits en l'espèce. Il ressort claire- ment de l'article 4(4) de la Loi que lorsqu'elle octroie un pardon, la Commission mène à bien son enquête sans prendre contact avec la personne qui en est l'objet; cette dernière a la possibilité de présenter des observations seulement si la Com mission se propose de faire une recommandation défavorable. La Loi étant muette sur les modalités de l'enquête préalable à la révocation possible du pardon, peut-on blâmer la Commission d'avoir étudié d'abord les documents dont elle disposait, comme elle le fait lorsqu'il s'agit d'octroyer un pardon? Sans doute eût-il mieux valu que le second paragraphe de la lettre adressée à Desjar- dins portât simplement que la Commission étudiait la possibilité de recommander la révocation de son pardon au Solliciteur général, tout en l'invitant à présenter ses observations, plutôt que d'indiquer son intention de faire une telle recommandation, obligeant ainsi le demandeur à justifier ses objec tions et à prouver qu'il n'avait pas cessé de se bien conduire; néanmoins, je ne suis pas disposé à con- clure que cela suffisait à les empêcher de terminer leur enquête et de faire leur recommandation, d'autant plus qu'il s'agissait seulement d'une recommandation de leur part et non d'une décision finale. J'en arrive maintenant à la question de savoir si, dans la conduite de leur enquête, les commissaires ont observé la règle audi alteram partem. On ne conteste pas que le demandeur a eu, à deux reprises, toute possibilité de présenter des observations et de se faire entendre et c'est sur l'avis de son avocat qu'il n'a rien dit, au motif qu'avant de faire une déclaration, il lui fallait connaître la nature exacte de la preuve dont dispo- saient les commissaires à son encontre et sur les- quelles ils entendaient fonder leur recommanda- tion. L'arrêt Kanda c. Government of the Federation of Malaya 20 exprime particulièrement bien la règle audi alteram partem à la page 337:
[TRADUCTION] Si le droit d'être entendu doit avoir une valeur réelle et pratique, il doit comporter, pour l'accusé, le droit de connaître la preuve réunie contre lui. Ce dernier doit être informé des témoignages et des déclarations qui l'intéres- sent et avoir la possibilité de les rectifier ou de les contredire.
20 [1962] A.C. 322.
Dans l'arrêt Confederation Broadcasting Lim ited c. Le Conseil de la radio-télévision canadienne 21 , le juge Spence a déclaré à la page 925:
Il est très clair que la justice naturelle exige qu'une personne connaisse parfaitement et complètement les accusations portées contre elle et qu'elle ait l'occasion de répondre à ces accusations.
Dans l'arrêt Teasdale c. Commission de contrôle des permis d'alcool 22 , le juge Jacques Dugas a déclaré à la page 323:
On ne donne pas à un individu l'occasion de se faire entendre si on ne l'informe pas de ce sur quoi il a intérêt de se faire entendre. Comment peut-il se préparer adéquatement à l'audi- tion, s'il ne sait pas ce qui l'attend.
Voici ce qu'a déclaré le juge Thurlow dans l'arrêt Lazarov c. Le Secrétaire d'État du Canada 23 aux pages 940-41:
Ceci ne veut pas dire qu'on doit nécessairement lui communi- quer le texte ou la teneur d'un rapport confidentiel; mais on doit le lui faire connaître suffisamment bien pour lui permettre de répondre aux allégations pertinentes qui, si on ne leur oppose aucune dénégation ou explication entraîneront le rejet de sa demande. On doit donc lui donner une possibilité raisonnable de les contester ou de s'en expliquer.
Dans Komo Construction Inc. c. Commission des Relations de Travail du Québec 24 , le juge Pigeon déclare à la page 175:
Pour ce qui est de l'application de la règle audi alteram partem, il importe de noter qu'elle n'implique pas qu'il doit toujours être accordé une audition. L'obligation est de fournir à la partie l'occasion de faire valoir ses moyens. Dans le cas présent, en face d'une contestation qui soulève uniquement un moyen de droit, la Commission n'abusa pas de sa discrétion en décidant qu'elle n'avait pas besoin d'en entendre davantage avant de rendre sa décision.
Un examen attentif de ces arrêts indique qu'une partie doit toujours avoir l'occasion de se faire entendre à moins de lui nier toute justice naturelle et bien que normalement, elle doit connaître les accusations portées contre elle afin de présenter des observations appropriées, ce n'est pas essentiel si elle est déjà au courant de ce dont on l'accuse. En l'espèce, il ne fait aucun doute que le deman- deur Desjardins connaissait parfaitement les témoignages relatifs à sa conduite présentés devant la Commission Cliche, lesquels ont poussé cette
21 [1971] R.C.S. 906.
22 [1974] C.S. 319.
23 [1973] C.F. 927.
24 [1968] R.C.S. 172.
dernière à faire un rapport contenant des alléga- tions si sérieuses contre lui que le Procureur géné- ral de la province de Québec a demandé la révoca- tion de son pardon. Plusieurs mois plus tôt, le Solliciteur général du Canada avait déjà entrepris des démarches en ce sens, probablement à la suite de révélations faites au cours des audiences tenues par la Commission Cliche, bien que le dossier ne le dise pas spécifiquement. Quoi qu'il en soit, le demandeur ou son avocat avait certainement en sa possession une copie du rapport, que tous deux avaient lu et étudié, de sorte que Desjardins con- naissait parfaitement les accusations portées contre lui et sur lesquelles les commissaires de la Commission nationale des libérations conditionnel- les allaient fonder leur recommandation portant qu'il avait cessé de se bien conduire. Il n'y a aucune raison pour supposer qu'ils possédaient, ou avaient besoin contre lui, de preuves autres que celles contenues dans le rapport. Bien que le dos sier ne fasse pas état de la teneur de ce rapport,— et d'ailleurs la Cour ne pourrait conclure si elle justifiait le gouverneur en conseil de décider que le demandeur avait cessé de se bien conduire—il est spécieux de la part de ce dernier de s'être déclaré ignorant des accusations dont il faisait l'objet et partant, incapable d'y répondre. Je ne vois pas pourquoi les commissaires ont refusé obstinément, par principe semble-t-il, et selon leur pratique lorsqu'ils étudient les demandes d'octroi ou de révocation de la liberté conditionnelle, de révéler au demandeur les preuves réunies contre lui alors qu'il leur aurait probablement suffi de mentionner le rapport Cliche; cependant, Desjardins n'a qu'à s'en prendre à lui-même s'il a refusé de présenter des observations à sa décharge quand il en avait la possibilité. Je n'ai pas à me prononcer sur la question de savoir si ces observations auraient incité les commissaires ou la Commission nationale des libérations conditionnelles à faire une recom- mandation différente, mais je ne puis conclure que Desjardins n'a pas disposé de l'entière liberté de se faire entendre. Par conséquent, je dois statuer que même si les procédures étaient de nature judiciaire ou quasi judiciaire et devaient être conduites con- formément aux principes de la justice naturelle, ces principes ont en fait été observés de façon satisfaisante et l'action du demandeur est donc rejetée.
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